Soumission

Une fable politique et amorale

10 janvier 2015 : une fois n'est pas coutume, nous avons lu un roman, Soumission, et nous vous en proposons un aperçu afin d'éclairer la polémique qui a entouré sa sortie, le 7 janvier 2015, le jour même de l'attentat contre Charlie Hebdo.
Disons d'emblée qu'il s'agit d'un texte de belle facture et son auteur mérite assurément de figurer parmi les meilleurs romanciers de sa génération...

<em>Soumission</em>

Écrit à la première personne, Soumission décrit les affres d'un quadragénaire qui enseigne la littérature à la Sorbonne.

Spécialiste de Joris-Karl Huysmans (1848-1907), écrivain classé comme « décadent », notre antihéros se montre comme lui dépressif. Partageant son temps entre le sexe et quelques bons repas, il gémit sur le vide de son existence, l'absence d'amis véritables et la privation de famille.

Il va être sauvé du suicide par les élections présidentielles de 2022 qui amènent un musulman à l'Élysée ! En effet, dans les semaines qui suivent l'élection, la Sorbonne est rachetée par les émirs du pétrole.

Dès lors, sous réserve qu'ils se convertissent à l'islam, ses professeurs bénéficient non seulement d'un triplement de leur salaire mais aussi du droit de posséder plusieurs épouses aimablement fournies par l'institution...

Comme on le devine à ce court résumé, le roman est plutôt une farce qu'une fable. Il doit être lu au deuxième ou au troisième degré.

Dans Le Monde des Livres, l'écrivain Emmanuel Carrère a ébauché un rapprochement intéressant entre ce roman, 1984 (1949, George Orwell) et Le meilleur des mondes (1931, Aldous Huxley). Les trois romans ont en effet en commun de décrire les peurs du présent sous le prétexte d'une anticipation improbable.

Une belle intuition politique

 Joris-Karl Huysmans (Paris, 5 février 1848 - 12 mai )Comment Michel Houellebecq explique-t-il l'accession au pouvoir d'un islamiste dans un pays encore très minoritairement musulman ? C'est là le passage le plus drôle de son roman, qui reflète ses convictions politiques...

Bien que vilipendé par un électorat de plus en plus droitisé, François Hollande a été réélu en 2017 en bénéficiant des divisions entre la droite et l'extrême-droite. Mais en 2022, le miracle ne se reproduit pas. Manuel Valls, candidat socialiste, est platement éliminé, tout comme Jean-François Copé, candidat de la droite. Le deuxième tour se joue entre Marine Le Pen et le candidat islamiste.

Or, ce dernier, au contraire de sa rivale, s'engage à maintenir la France dans la zone euro, poursuivre la construction européenne et même l'élargir à l'autre rive de la Méditerranée.

Ce credo néolibéral et européiste lui vaut d'obtenir le ralliement des socialistes et de la droite. Pour ces gens-là, la polygamie, l'enfermement des femmes, la charia et le reste ne sont que broutilles quand il s'agit de préserver ce qui fait le sel de la vie, à savoir le « pacte de stabilité » et la sécurité des placements financiers...

Bien sûr, tous les médias apportent un soutien empressé à l'improbable coalition néolibérale, comme au temps du référendum sur la Constitution européenne, en 2005. Ils font silence en particulier sur les affrontements sanglants entre djihadistes et « identitaires » d'extrême-droite pour ne pas donner du crédit au Front National. Et c'est ainsi que la France devient, presque sans s'en apercevoir, un pays sous tutelle islamiste.

Invraisemblance humaine

L'hypothèse d'un président musulman n'est a priori pas plus scandaleuse qu'un président juif, orthodoxe... ou catholique fervent.

Après tout, depuis le 5 janvier 2009, la métropole de Rotterdam a un maire travailliste né au Maroc, en 1961, dans la famille d'un imam. Ahmed Aboutaleb se veut « plus néerlandais que la plupart des Néerlandais ». À l'égard des immigrés qui répugnent à s'assimiler, il tient des propos qui vaudraient à Marine Le Pen, en France, d'être crucifiée par toute la presse bien-pensante (« Intégrez-vous ou partez ! »).

Là où Michel Houellebecq tombe dans l'invraisemblance, c'est quand il fait de son président le chef d'un parti islamiste prompt à imposer l'islam et ses pratiques les plus rétrogrades (la polygamie) dans les hautes sphères de la République.

Aucune coalition politico-médiatique ne pourrait en effet empêcher la France profonde de s'opposer à une idéologie qui lui répugne comme elle l'a déjà fait lors du référendum du 29 mai 2005.

Absente du roman, cette France périphérique conserve en effet du ressort. Elle peut se mobiliser en masse comme l'ont encore montré les manifestations du dimanche 11 janvier 2015, avec drapeau tricolore et Marseillaise. Il ne faudrait pas trop la chatouiller pour que surgissent les appels à l'insurrection...

D'autre part, Michel Houellebecq fait l'impasse sur l'hétérogénéité de l'islam. Outre l'opposition entre les franges extrémistes et les familles ordinaires, il faut compter aussi avec les clivages culturels et ethniques.

En France même, à en croire le chercheur Hugues Lagrange (Le déni des cultures, Seuil, 2010), les Maghrébins s'assimilent à peu près aussi bien que les Portugais (à quelques tragiques exceptions près) tandis que la majorité des Turcs et des Sahéliens gardent leur quant-à-soi, à l'écart de la communauté nationale.

Ces clivages se retrouvent de façon plus aigüe à l'échelle de la planète. Quoi de commun entre les Iraniens en voie de laïcisation (malgré les ayatollahs et leurs alliés involontaires américains qui les renforcent en les ostracisant) et les Séoudiens sous férule wahhabite ?

Pour le chercheur Olivier Roy, il ne fait pas de doute que la plupart des pays musulmans sont en voie de sécularisation. L'historien et démographe Emmanuel Todd constate cette sécularisation dans la rapide baisse de la fécondité, y compris même en Arabie séoudite où elle est déjà inférieure à trois enfants par femme contre 6,4 en 1997 !

Au vu de cette lame de fond, les horreurs djihadistes apparaissent comme l'ultime sursaut d'une frange d'attardés qui se refusent à entrer dans la modernité. Difficile dans ces conditions d'imaginer que la France puisse tomber dans les errances dont sortent des pays a priori plus fragiles comme la Tunisie ou l'Iran...

Troubles espérances

En marge du récit central, signalons dans Soumission la référence plusieurs fois renouvelée à l'empire romain.

Le romancier croit pouvoir annoncer le suicide de l'Occident et de la France en particulier, qui tirait sa vitalité de la chrétienté médiévale. Il en voit un signe dans la fermeture du bar Art Nouveau de l'hôtel Métropole, à Bruxelles, qui exprime le désintérêt des Européens pour leur héritage culturel.

Faute de mieux, il détourne ses espérances vers la reconstitution de l'empire romain, une vision partagée par son président islamiste qui fait entrer dans l'Union européenne le Maroc, la Turquie, la Tunisie... et déplace à Rome le siège de la Commission, à la manière de l'empereur Constantin le Grand qui, dans un même élan, fit basculer l'empire romain du paganisme vers le christianisme et déplaça sa capitale à Byzance !...

Notons que le rêve d'une restauration impériale figure déjà dans le roman-culte de Valery Larbaud, Fermina Márquez (1911). Ce rêve a un fondement objectif : l'unité du monde euro-méditerranéen.

Cette unité faisait pendant, il y a deux mille ans, à l'unité du monde chinois. Elle a été brisée au VIIe siècle par l'expansion de l'islam. On peut envisager de la reconstruire mais cela se fera plus vraisemblablement dans un cadre sécularisé que dans un cadre islamiste, n'en déplaise à Houellebecq.

Pour finir, relevons tout de même une digression troublante, relativement à la gent féminine.

Dans Soumission, c'est la polygamie qui convainc les professeurs laïcards de la Sorbonne de se convertir à l'islam. Et comment le président de l'institution justifie-t-il la pratique ? Dans un souci de sélection naturelle et d'amélioration de la race, il est bon que les femmes soient réservées à l'élite masculine ! Cela vous rappelle-t-il une autre idéologie ? À moi aussi.

Joseph Savès
Publié ou mis à jour le : 2020-01-07 17:08:39

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