Macron comme Mac-Mahon ?

Une démission pour sortir de la crise ?

4 décembre 2024. Il y a trois ans, le 19 janvier 2022, nous avons entrevu une crise de régime similaire à celle qui a conduit en 1877-1879 à la démission du président Mac-Mahon. La crise s'est ouverte en juin 2022 avec la mise en minorité du président. Elle a mené à l'affrontement de trop sur les retraites avant d'aboutir à une dissolution inappropriée de l'Assemblée nationale. Des voix s'élèvent désormais jusque dans les rangs modérés pour réclamer le départ du président Emmanuel Macron. Mais pour quoi faire et avec quelles conséquences ?...

Les Français sont formidables. On l'a encore vérifié en juillet avec la magnifique organisation des Jeux Olympiques de Paris. On le voit aujourd'hui avec les émouvantes images de la restauration de Notre-Dame de Paris. Pourquoi faut-il qu'ils gâchent leurs talents avec la politique ?

La crise ouverte par la dissolution de l'Assemblée le 9 juin 2024 vire à la tragédie. Elle horripile les citoyens français qui y voient motif à les dégoûter de la démocratie représentative. Elle déroute les journalistes et les commentateurs qui perdent leurs repères et ne savent plus quoi penser... Elle interroge aussi les historiens qui ont le douteux privilège d'assister en direct à un événement comme il ne s'en est jamais produit dans l'Histoire de la démocratie française, sauf à remonter un siècle et demi plus tôt à la « Crise du Seize-Mai » qui a conduit le président Mac-Mahon à la démission.

Depuis janvier 2022, Herodote.net se penche sur cette nouvelle tragédie française et tente d'en éclairer les ressorts. Au fil des quatre premiers épisodes, nous nous réjouissons de n'avoir pas été pris en défaut. Puissent nos lecteurs y trouver matière à réflexion et débats...

André Larané

Une lente descente aux enfers

Les espoirs suscités par l'élection d'Emmanuel Macron, plus jeune président de la République française, ont lentement tourné au cauchemar. À preuve la succession accélérée des Premiers ministres : Édouard Philippe (3 ans), Jean Castex (2 ans), Élisabeth Borne (un an et demi), Gabriel Attal (8 mois dont 3 comme Premier ministre de plein exercice), enfin Michel Barnier, Premier ministre le plus éphémère de la Ve République (moins de 3 mois jusqu'à ce 4 décembre 2024).

Cette descente aux enfers découle des élections législatives. Celles du 19 juin 2022 a produit une majorité relative et celle du 7 juillet 2024 une tripartition de l'Assemblée sans possibilité de coalition, avec une extrême-droite tenue à l'écart, une droite en charpie et une gauche divisée en sous-main sur l'Europe de Maastricht, la guerre en Ukraine, les institutions de la Ve République...

La crise de régime est arrivée à son paroxysme avec la dissolution de l'Assemblée par le président de la République le 9 juin 2024 ; une décision pour le moins surprenante à la suite de laquelle le Premier ministre, victime de la coalition des extrêmes, se voit exposé ce 4 décembre à une motion de censure sur le budget de la Sécurité sociale.

Si son gouvernement vient à tomber, on peut craindre une crise sans issue prévisible avec un budget reconduit à l'identique en 2025 faute de vote par le Parlement et un gouvernement technique destiné à expédier les affaires courantes en attendant un prochain renouvellement de l'Assemblée, pas avant un an, soit en juillet 2025 d'après l'article 12 de la Constitution.

Il resterait bien au président de la République la ressource d'utiliser l'article 16 de la Constitution : « Lorsque les institutions de la République, l'indépendance de la Nation, l'intégrité de son territoire ou l'exécution de ses engagements internationaux sont menacées d'une manière grave et immédiate et que le fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels est interrompu, le Président de la République prend les mesures exigées par ces circonstances. »

S'attribuant les pleins pouvoirs, il pourrait alors faire passer le budget rejeté par les partis extrêmes. C'est précisément ce qu'a tenté son homologue sud-coréen, le président Yoon, ce jour même, 4 décembre 2024. Ne pouvant faire voter son budget, il a instauré la loi martiale pour le faire passer de force. Mais l'opinion publique s'est aussitôt soulevée contre ce déni de démocratie et ledit président est en voie d'être destitué.

Les mêmes causes produisant les mêmes effets, il est douteux que le président français tente à son tour un passage en force du budget.   

Démissionner ou pas ?

Faute de mieux, d'aucuns en appellent à la démission d'Emmanuel Macron. Parmi eux figurent les chefs de l'opposition : Jean-Luc Mélenchon, qui souhaiterait pouvoir encore se présenter à des présidentielles avanr d'être rattrappé par l'âge (il a 73 ans) ; Marine Le Pen, qui voudrait, elle, se présenter avant d'être frappée d'inéligilité par le tribunal dans l'affaire des assistants parlementaires. Si ces supputations sont vraies, alors on peut penser que les deux personnalités pré-citées mettront tout en oeuvre pour atteindre leur objectif et ne pas laisser au président d'autre choix...

Mais les appels à la démission viennent aussi des personnalités de droite que l'on a connues plus mesurées, comme le maire de Meaux Jean-François Copé et le député centriste et rapporteur général du budget Charles de Courson. « Qui est à l’origine du chaos politique ? C’est bien le président de la République lorsqu’il a fait cette dissolution que même ses propres amis n’ont pas comprise », déclarait celui-ci sur LCI. « La seule solution, ce serait une démission du président, » lance-t-il à la tribune de l'Assemblée le 27 novembre. « Il n'y aura pas le chaos du point de vue budgétaire, car il suffit de voter comme cela a été fait en 1980 une loi spéciale pour autoriser la perception des impôts »

On peut légitimement se demander en quoi une démission du Président pourrait arranger les affaires de la France et des Français ? Cela ne s'est produit qu'à deux reprises : le 30 janvier 1879 avec Patrice Mac-Mahon à l'issue de la « Crise du Seize-Mai » ouverte deux ans plus tôt et le 27 avril 1969 avec le général de Gaulle, le soir même du référendum qu'il avait sollicité et perdu.

Inspirateur de la Constitution de la Ve République, de Gaulle avait jugé que le Président, élu au suffrage universel, devait se retirer s'il venait à perdre la confiance des Français, jusqu'à n'être plus en mesure d'« assurer le fonctionnement régulier des pouvoirs publics » (article 5).

Le référendum du 29 mai 2005 a constitué une première entorse à ce principe éthique. Après que le projet de traité constitutionnel européen eut été approuvé à la quasi-unanimité par l'Assemblée nationale, le peuple français l'a de son côté massivement rejeté. Le président Jacques Chirac aurait du pour le moins dissoudre l'Assemblée qui, pour le coup, s'était révélée en complet déphasage avec les électeurs. Cela n'ayant pas été fait, les électeurs ont compris que leur vote comptait désormais pour du beurre et se le sont tenus pour dit.

Aujourd'hui, c'est le président de la République qui se retrouve déconnecté du peuple, comme le général de Gaulle au soir du référendum. Selon les mots de Charles de Courson, il devrait, comme son auguste prédécesseur, avoir « le courage de démissionner » afin de rendre au Peuple souverain la maîtrise de son destin.

Reste à se demander si une telle démission serait de nature à résoudre la crise.

À quoi bon une démission ?

Le blocage actuel résulte de l'impossibilité d'une coalition de gouvernement à l'Assemblée, en l'absence de parti dominant, à l'exception du Rassemblement national (onze millions d'électeurs), lequel est tenu à l'écart tous les autres partis y compris les plus proches de lui. Quant à l'hôte de l'Élysée, il ne peut décider quoi que ce soit faute de soutien à l'Assemblée et dans l'opinion publique et se voit condamné à seulement inaugurer les cathédrales et serrer des mains à Brasilia ou Riyad.

En dernier ressort, la faute en revient aux partis et aux électeurs qui continuent de tout miser sur l'élection présidentielle au lieu de s'affronter sur des projets de gouvernement solides. Dès janvier 2022, il était pourtant prévisible que le président risquait de perdre sa majorité (note).

En vertu du dernier alinéa de l'article 12 de la Constitution (« Il ne peut être procédé à une nouvelle dissolution dans l'année qui suit ces élections »), il est formellement exclu que l'Assemblée puisse être dissoute avant un délai d'un an, soit le 9 juillet 2025, ce qui conduirait à des élections législatives en septembre 2025, après les vacances d'été. Dix ou onze mois sans pilote à la barre ni marins à la manoeuvre, c'est long, surtout dans la période d'incertitude actuelle, en France, en Europe, au Moyen-Orient, en Amérique, etc.

Une élection présidentielle anticipée serait-elle de nature à résoudre la crise ? Si nous nous en tenons à une lecture littérale de la Constitution et de son article 12, c'est tout à fait improbable car le nouvel élu, quel qu'il soit, devra composer avec la même Assemblée, laquelle sera toujours aussi divisée.

Mais certains constitutionnalistes comme Jean-Éric Schoettl, ancien secrétaire général du Conseil constitutionnel, préconisent de revenir à l'esprit de la Constitution gaullienne. Selon l'article 5 de celle-ci, « Le Président de la République veille au respect de la Constitution. Il assure, par son arbitrage, le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ainsi que la continuité de l'État ».

Autrement dit, le nouvel élu, fort de l'autorité morale que lui donnent la Constitution et l'onction du suffrage universel, serait en droit de dissoudre sans délai l'Assemblée afin d'« assurer le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ainsi que la continuité de l'État ».

Le Conseil constitutionnel et le Conseil d'État, autres garants des institutions, pourraient-ils l'en empêcher ? L'article 57 du texte de 1958 indique :  « Le Conseil Constitutionnel statue, en cas de contestation, sur la régularité de l'élection des députés et des sénateurs ». En d'autres termes, il ne pourrait pas s'opposer à la dissolution de son propre chef mais seulement « en cas de contestation ». Il est douteux, au point où nous en sommes, que des représentants qualifiés de la classe politique contestent une dissolution voulue par un président de la République fraîchement élu par une majorité claire de citoyens, cela afin de sauver le naufrage de l'État.

Dans l'hypothèse gratuite où le président viendrait à se démettre à la veille de Noël, un nouveau président pourrait sortir des urnes début février et une nouvelle Assemblée avant la mi-mars, soit dans trois mois et demi, avec cinq à six mois d'avance sur le terme normal. Ce serait autant de gagné pour tout le monde. 

Reste à espérer que les partis se mettent au travail sans trop tarder pour proposer aux présidentielles et surtout aux législatives une véritable alternative, projet de droite contre projet de gauche, sans rien omettre de tous les enjeux de l'heure (politique sociale et industrielle, protectionnisme, éducation, immigration, Europe, OTAN, etc.). Mais qu'ils se gardent d'instaurer un scrutin à la proportionnelle comme sous la IVe République : il s'ensuivrait un émiettement bien plus étendu de l'offre politique et une paralysie encore plus grande...

Considérant l'absence de chef charismatique, il est possible, sinon vraisemblable, que la Ve République bascule à l'issue de cette crise dans un régime parlementaire à l'image des autres démocraties du Vieux Continent. Comme il en fut de la IIIe République à l'issue de la crise de 1877-1879, après la démission de Mac-Mahon.  

Publié ou mis à jour le : 2024-12-05 14:16:44

Voir les 17 commentaires sur cet article

jarrige (13-12-2024 10:40:59)

Est-ce que le Président de le République ne pourrait pas mettre les députés qui ont voté la censure devant leurs responsabilités, en les sommant de se mettre d'accord sur un programme politique ... Lire la suite

Le vieil observateur (08-12-2024 17:37:46)

Judicieuse suggestion marquée du sceau de la sagesse. A mon avis cependant, il n’est plus possible de penser que l’impasse politique actuelle peut trouver une issue avec de nouvelles élections, ... Lire la suite

KAFO (07-12-2024 13:09:12)

Plutôt d'accord avec le fond de cet article. A ce niveau de blocage du pays et considérant sa culture historique je ne vois plus qu'une démission de Macron et une élection présidentielle avec dan... Lire la suite

Respectez l'orthographe et la bienséance. Les commentaires sont affichés après validation mais n'engagent que leurs auteurs.

Actualités de l'Histoire

Histoire & multimédia

Nos livres d'Histoire

Récits et synthèses

Jouer et apprendre

Frise des personnages