Le 15 janvier 1814 naissait à Chartres Pierre-Jules Hetzel, éditeur d'avant-garde, républicain engagé, laïque avant l'heure. Il allait révolutionner le monde de l'édition et donner sa légitimité à la littérature jeunesse. Cent ans plus tard, en 1914, Hachette rachetait son fonds éditorial.
Ainsi commémore-t-on à la fois le bicentenaire de sa naissance et le centenaire de la disparition de sa maison.
Un éditeur d'avant-garde
Pierre-Jules Hetzel (1814-1886) traverse le XIXe siècle en scandant les étapes d'une évolution qui a fait de la librairie artisanale une entreprise industrielle dont le patron est à la fois éditeur, auteur, directeur de collection, directeur de journal, directeur commercial, chef de publicité et gestionnaire.
On lui doit le succès littéraire d'Honoré de Balzac, de George Sand, d'Alphonse Daudet, de Victor Hugo, d'Erckmann-Chatrian et bien évidemment de Jules Verne, avec lequel il conclut un contrat de vingt ans pour écrire des romans de science-fiction.
Il a « enrôlé » la plupart de ces auteurs et d'autres comme Charles Nodier, Alexandre Dumas, Alfred et Paul de Musset dans la littérature de jeunesse pour combattre la « tisane littéraire » des ouvrages moralisateurs de son époque.
Il a fait appel aux plus grands illustrateurs, Grandville, Gavarni, Gustave Doré et inventé ces « reporters d'images » qui, sans être jamais allés sur place, ont illustré les Voyages Extraordinaires de Jules Verne avec un souci de vraisemblance tel qu'on s'y croirait.
Il a publié les savants et les économistes de son époque : Camille Flammarion, Émile Guimet, Viollet-le-Duc, Proudhon, Louis Blanc... et fut un des rares à donner leur chance aux Communards réprouvés comme Élisée Reclus ou André Laurie (de son vrai nom Paschal Grousset).
Il a vulgarisé la littérature étrangère en éditant Goethe, Andersen, Edgar Poe, Stevenson, Tolstoï, Tourguéniev, créé la couverture illustrée, l'affiche de librairie et d'étrennes, le marketing éditorial.
Enfin, confronté à des auteurs peu scrupuleux tels Baudelaire, il ne s'est plus contenté de verser un acompte à ceux qui lui promettaient un manuscrit. Il leur a garanti des droits d'auteur proportionnés aux ventes, selon un système encore en vigueur.
Il a également révolutionné la mise en page en incrustant l'image dans le texte mais aussi le texte dans l'image, ce qui était une véritable nouveauté.
L'éditeur Hetzel, c'est aussi l'auteur qui signe P.J. Stahl ou Un papa et auquel on doit Maroussia, les Patins d'Argent et les premiers albums illustrés pour la jeunesse.
Républicain sincère
N'oublions pas l'homme politique. C'est Hetzel qui, missionné par les républicains, débarque le 23 février 1848, à minuit, chez Lamartine, qu'il trouve couché à côté de sa levrette ! Il convainc le poète de prendre dès le lendemain la tête du gouvernement provisoire, puis le conduit à l'Hôtel de Ville où les radicaux ont proclamé un autre gouvernement avec Louis Blanc l'éditeur Pagnerre et l'ouvrier Albert.
C'est lui qui stabilise de tout son poids le canapé bleu sur lequel Lamartine, debout, prononce près de la fenêtre son célèbre discours sur le drapeau tricolore.
Il est récompensé de son zèle républicain par le poste de chef de cabinet de Lamartine devenu ministre des Affaires étrangères. Mais il n'est pas fait pour la diplomatie où il accumule les maladresses.
Après avoir contribué à la campagne présidentielle du général Cavaignac (mauvaise pioche), Hetzel, républicain pur sucre, quitte la France au lendemain du coup d'État du 2 décembre 1851 pour s'exiler à Bruxelles où il retrouve Victor Hugo. Il édite en 1852 Napoléon le Petit qu'il fait rentrer en France sous le manteau.
Il abandonne cependant la politique après la Commune, désespéré de voir les républicains s'entretuer.
Laïc avant l'heure
Dès 1864, durant son exil à Bruxelles, Hetzel lance avec son ami Jean Macé un bimensuel destiné à la jeunesse, le Magasin d'Éducation et de Récréation (le mot magasin est devenu aujourd'hui magazine).
Il comporte des romans feuilletons comme ceux de Jules Verne, des historiettes illustrées, des conseils de morale souriante et par comparaison avec ses concurrents peut être considéré comme un des premiers magazines « laïques » avant que le mot connaisse la fortune que l'on sait. Jean Macé, malgré ses responsabilités à la Ligue de l'Enseignement y collabore jusqu'en 1877.
Le périodique poursuit sa route jusqu'en 1906, victime de la concurrence d'illustrés plus imagés, humoristiques et bon marché comme La Semaine de Suzette.
Il y a évidemment des zones d'ombre chez Hetzel : sa vie sentimentale tumultueuse, son exigence de qualité qui le pousse parfois à réécrire les écrivains étrangers plus qu'à les traduire, le mélange sulfureux de direction éditoriale et de préoccupations commerciales, la fossilisation de son talent d'écrivain à mesure que son inventivité éditoriale se développe.
C'est pourtant un des incontournables « littérateurs » du XIXe siècle. Espérons que ce bicentenaire donne aux lecteurs de tous âges l'occasion de redécouvrir les Scènes de la vie publique et privée des animaux, illustrées par Grandville, qu'il a piloté comme éditeur et auquel il a collaboré comme auteur, Le Voyage où il vous plaira, un ouvrage quasiment surréaliste qui prend le lecteur comme complice, ou tout simplement les délicieux Albums de Mademoiselle Lili illustrés avec fraîcheur par Froelich et Froment et dont les éditions de Borée ont commencé en 2013 la réédition avec la réédition de Monsieur Toc-Toc.
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Voir les 5 commentaires sur cet article
Jean Loignon (17-01-2024 15:38:28)
Le "Maroussia" de Hetzel est une adaptation (appropriation ?) du livre du même nom de Marko Vovtchok, pseudonyme masculin de l'écrivaine ukrainienne Maria Vilinska (1833-1907). Vu le succès de l'o... Lire la suite
LOIGNON (29-09-2019 15:55:54)
Hetzel était un éminent représentant de la première laïcité, déiste et tolérante (à la différence de la laïcité postérieure plutôt athée et hostile aux religions) ; il était issu d'une... Lire la suite
Oldpuzzle (08-03-2014 15:39:01)
Ce n'est pas fondamental mais, dans le cas présent on doit dire qu'Hetzel était laïque et non pas laïc !