Président de la République française depuis le 6 mai 2007, Nicolas Sarkozy affiche sa volonté de rupture. Son parcours présente de frappantes similitudes avec celui de Valéry Giscard d'Estaing, il y a 33 ans...
Portons nos regards sur l'Histoire proche et considérons ce qu'était la politique française il y a 33 ans, après une autre élection de rupture (on disait alors «changement»).
Rappelons-nous :
• 19 mai 1974 : Valéry Giscard d'Estaing (48 ans) est élu président ; il succède à Georges Pompidou, mort après une maladie qui l'avait handicapé pendant plusieurs mois.
• 6 mai 2007 : Nicolas Sarkozy (51 ans) est élu président ; il succède à Jacques Chirac, qui avait perdu tous ses ressorts après le référendum sur la Constitution européenne, deux ans plus tôt.
Le pouvoir finissant de Pompidou (1974) comme de Chirac (2007) donne à l'opposition socialiste une fausse confiance dans le désir d'alternance de l'électorat. La victoire lui apparaît à portée de main.
Mais le désir d'alternance est habilement capté par un demi-opposant interne à la majorité :
• 1974 : Giscard, chef du petit parti de centre droit des Républicains indépendants, qui a eu le front de contester le général de Gaulle lors d'un référendum en 1969,
• 2007 : Sarkozy, qui a trahi son père spirituel Jacques Chirac en 1995 au profit d'Édouard Balladur.
L'un et l'autre mettent en avant leur réusite ministérielle sans avoir eu à endosser la charge usante d'un Premier ministre. Ils mènent une campagne dynamique en jouant sur le changement dans la continuité et en usant de leur brio personnel et de leur relative jeunesse.
En 1974 comme en 2007, l'électorat manifeste par ailleurs des doutes croissants sur l'aptitude personnelle du candidat de gauche à devenir président : Mitterrand à cause de l'économie ; Royal à cause de l'insuffisance de son parcours antérieur et de ses impairs, montés en épingle par la presse.
• 1974 : Giscard est servi par Chirac qui lâche à son profit le candidat gaulliste Jacques Chaban-Delmas,
• 2007 : tandis qu'à la fin de la campagne, Royal n'apparaît plus guère en mesure de vaincre Sarkozy, le directeur du Monde, Jean-Marie Colombani, dans un éditorial à sensation du 19 avril 2007, adjure son lectorat de gauche de bien voter pour elle et surtout pas pour Bayrou, le challenger centriste, pourtant mieux à même de rassembler les anti-sarkozistes au second tour.
Au soir du premier tour, Giscard comme Sarkozy mènent le bal avec l'un et l'autre 31 à 32% des voix. Le second tour est gagné plus facilement par Sarkozy (53%) que par Giscard (50,8%).
Giscard, qui a eu besoin de Chirac, devra le payer en lui offrant le poste de Premier ministre. Sarkozy, quant à lui, a bénéficié d'une majorité globale à droite (en comptant moitié-moitié l'électorat de Bayrou) sans avoir eu besoin de négocier avec qui que ce soit. Aussi a-t-il gardé la liberté de choisir un Premier ministre à sa botte.
Valéry Giscard d'Estaing a été élu de justesse grâce aux voix des personnes âgées, plus favorables que la moyenne à la droite et au pouvoir en place. Ce clivage générationnel a pris une nouvelle dimension, proprement spectaculaire, en 2007, avec le scrutin qui a mené à l'élection de Nicolas Sarkozy. Le 6 mai 2007, fait unique dans les annales de la République, il n'a dû son élection à la présidence qu'au vote massif en sa faveur des inactifs âgés : environ 60% des plus de 60 ans et 70% des plus de 70 ans. A contrario, les jeunes de moins de 25 ans, les ouvriers et plus généralement les actifs à l'exclusion des cadres du privé et des adultes de 25-34 ans ont voté contre lui.
Ce ne sont donc pas des slogans comme : «Travailler plus pour gagner plus» qui lui ont assuré la victoire mais ses incantations sécuritaires, paradoxales dans l'un des pays les plus paisibles du monde. Celles-ci ont réveillé les peurs des personnes les plus fragiles et le président sait s'en souvenir chaque fois qu'il est confronté à un blocage. On le voit alors, sous le prétexte d'un fait divers inhabituel, s'en prendre aux juges - laxistes - , aux soixante-huitards - permissifs -, etc.
Le tableau d'après élection présente encore de nombreux points communs. Plutôt jeunes selon les critères français, Giscard et Sarkozy multiplient dès leur entrée en fonction les gestes pour signifier le «changement» (Giscard) ou la «rupture» (Sarkozy). «J'entends encore l'immense rumeur du peuple français qui nous a demandé le changement. Nous ferons ce changement avec lui, pour lui, tel qu'il est, dans son nombre et sa diversité,» déclare Giscard (mais aurait aussi pu dire Sarkozy).
Le premier, d'emblée, troque la jaquette contre le veston, remonte à pied les Champs-Élysées, ralentit le tempo de la Marseillaise et arbore à côté des trois couleurs un fanion à sa marque personnelle. La revue du 14 juillet est transférée place de la Bastille. Et «tout au long du septennat, il sèmera ainsi les gestes, tantôt significatifs, tantôt futiles», se souvient l'historien René Rémond. Il accueille en personne le peuple dans le palais de l'Élysée, invite les éboueurs du quartier à déjeuner, s'invite une fois par mois dans des foyers modestes... Il roule aussi en voiture de sport, va au théâtre ou à l'Opéra en famille etc.
Le second, le soir de son élection, pendant que ses partisans l'attendent à la Concorde, fait la fête au Fouquet's, un restaurant des Champs-Élysées, aussi chic que ringard, avec une poignée d'amis du showbiz et des affaires : riches héritiers, vedettes people et chanteurs des années 60. Ensuite, escapade sur le yacht d'un milliardaire.
Jusqu'aux grèves de novembre 2007, le président n'a de cesse de monter en première ligne. Pas une journée sans intervention télévisée : un lycéen injurié, des marins-pêcheurs en colère, des pompiers dans la peine... tout lui est motif à se montrer.
Tant pour Giscard que pour Sarkozy, l'omniprésence médiatique présente un aspect positif dans la conquête du pouvoir (forte impression sur le peuple) mais aussi un risque à long terme quand, désarçonné par les premières difficultés, le Président irrite par son narcissisme et ne trouve plus à se protéger derrière la fonction.
D'emblée, en 1974, Giscard fait le choix de l'ouverture au centre-gauche en accueillant dans son gouvernement les journalistes Jean-Jacques Servan-Schreiber et Françoise Giroud, celle-ci ayant appelé à voter François Mitterrand. Sarkozy séduit quant à lui d'anciens adversaires de gauche comme Bernard Kouchner, Jean-Marie Bockel, Martin Hirsch ou encore Éric Besson.
Giscard fait sensation en offrant pour la première fois un ministère à part entière (la Santé) à une femme, jusque-là inconnue du grand public : Simone Veil. Quant à Sarkozy, il accueille à la Justice Rachida Dati, précédemment simple conseillère, ce qui a l'heur d'irriter beaucoup de magistrats. Entrent aussi au gouvernement des techniciens discrets : en 1974, Jean-Pierre Fourcade aux Finances, en 2007, Christine Lagarde à l'Économie et Bernard Laporte, ex-entraîneur du XV de France...
1974 : Giscard innove d'emblée avec des ministères inédits : Réformes, Condition féminine. Ses réformes s'enchaînent au pas de charge. Elles ne se réduisent pas à des promesses en l'air («je veux...», «je souhaite...») mais se concrétisent dès les premiers mois par des votes qui vont remodeler en profondeur la société française.
De mai à octobre 1974, sont ainsi votés :
• La suspension de l'entrée de travailleurs étrangers (dans le but de combattre le chômage),
• La majorité civile à 18 ans au lieu de 21,
• La fin du monopole public de la radio et de la télévision,
• L'indemnisation des chômeurs licenciés économiques sur la base de 90% de leur dernier salaire pendant un an (!),
• La possibilité pour 60 députés ou 60 sénateurs de saisir le Conseil constitutionnel (cette révision de la Constitution va se révéler à l'usage d'une grande importance),
• Le remboursement de la contraception par la Sécurité sociale,
• La légalisation de l'avortement.
À cela s'ajoute une tentative de relance de l'économie par la dépense publique.
À noter aussi les années suivantes l'introduction du divorce par consentement mutuel, l'instauration du collège unique dans le but de favoriser un égal accès de tous les enfants à l'enseignement, la généralisation de la mixité dans les écoles, l'abolition de la censure, l'extension de la Sécurité sociale aux non-salariés (une mesure capitale pour les commerçants et les artisans), l'élection du maire de Paris au suffrage universel...
Ces réformes sont plutôt de celles que l'on attendrait d'un président de gauche. Elles ne vont pas tarder à attirer les critiques des députés néo-gaullistes. Le Premier ministre Jacques Chirac, laissé sur la touche, va lui-même entrer en rébellion et démissionner avec éclat en août 1976. Son successeur, Raymond Barre, professeur d'économie inconnu du grand public, va remettre les pendules à l'heure avec une politique de rigueur très ferme qui portera ses fruits.
Las, lâché par l'électorat conservateur, attaqué sur son flanc droit par ses ex-alliés gaullistes, haï par les victimes de la politique de rigueur et tous ceux que son style exaspère, Giscard échouera en 1981 à se faire réélire.
2007 : Sarkozy met autant d'énergie que son lointain prédécesseur à faire bouger les lignes.
• Il annonce que chaque année, le 22 octobre, les enseignants liront la dernière lettre de Guy Môquet,
• Il négocie le «traité modificatif» européen, qui reprend l'essentiel du traité constitutionnel,
• Il fait voter le «paquet fiscal» (défiscalisation des droits de succession, intérêts d'emprunts et heures supplémentaires),
• Il réglemente les grèves dans les services publics,
• Il accorde aux Universités l'autonomie financière,
• Il fait voter une nouvelle loi sur la récidive des délinquants,
• Il impose aux bénéficiaires des régimes spéciaux de retraites (cheminots...) la même durée de cotisation que les autres salariés, sans préjuger des compensations financières qui leur seront accordées entreprise par entreprise,
• La carte judiciaire est rationalisée avec la suppression de 40% des tribunaux d'instance dans les zones rurales...
En novembre 2007, Sarkozy fait voter une nouvelle loi sur l'immigration. Elle inclut un amendement controversé sur les tests ADN (réservés aux femmes et destinés à accélérer les procédures de regroupement familial pour les familles originaires de pays sans état-civil). La loi organise aussi, au nom de l'«immigration choisie», la venue des travailleurs qualifiés (garçons de restaurant, saisonniers, médecins, infirmières...). À ces mesures s'ajoutent les voeux inscrits dans le «Grenelle de l'environnement» (octobre 2007).
Sarkozy apprécie Giscard autant qu'il déteste Chirac et, depuis 2002 ou 2003, va le voir tous les six mois à domicile pour glaner auprès de lui quelques bonnes idées. L'analogie de leurs parcours ne semble donc pas lui avoir échappé. Cette analogie se vérifiera-t-elle dans les mois et les années à venir ?...
Au seuil de l'année 2008, le président Sarkoz tend à «gauchiser» ses projets (mais pas son discours). Sont entrées en vigueur au 1er janvier ou avant : l'autonomie des universités, le «paquet fiscal», la franchise médicale mais aussi l'ouverture des frontières aux travailleurs étrangers et la régularisation des clandestins (incluant l'amnistie de leurs employeurs).
Le 18 janvier 2008, la commission de Jacques Attali, brillant «électron libre» de Mitterrand, doit fixer, à la place des électeurs et des élus, les réformes économiques à venir. En attendant, le président annonce la suppression de la publicité sur les chaînes publiques, le «droit opposable au logement» ou encore l'introduction de nouveaux «droits» dans la Constitution (le socle de nos institutions démocratiques apparaît désormais encore plus malléable qu'une quelconque directive européenne).
Reste à se demander ce que la génération à venir retiendra de la première année de la présidence Sarkozy ? Quelle loi s'inscrira dans les mémoires comme, sous Giscard, la majorité à 18 ans, la légalisation de l'avortement etc (ou sous Mitterrand l'abolition de la peine de mort et sous Chirac la suppression du service militaire) ?...
Nicolas Sarkozy a promis la rupture. La voilà, mais pas où l'attendaient ses partisans... Moins d'un an après son élection, une partie de la droite clame sa déception et ses espoirs trahis (Valéry Giscard d'Estaing avait quant à lui réussi à retenir son électorat pendant 4 ans).
Parmi les déçus : Sébastien Lapaque, écrivain et journaliste au Figaro Littéraire (Il faut qu'il parte, Stock), François Léotard, retraité de la politique (Ca va mal finir) et Thierry Desjardins, ancien rédacteur en chef du Figaro (Galipettes et cabrioles à l'Élysée, Fayard) .
Pourtant, la rupture sarkozienne est réelle. À la fois morale, civique et diplomatique :
• Morale : par l'exhibition de sa vie privée et sa proximité avec les parvenus, le président reprend à son compte le précepte de Mai 68, «jouir sans entraves»,
• Civique : par ses déclarations concernant la religion et par ses manifestations de «repentance» (Guy Môquet, Shoah...) , le président revivifie des querelles religieuses d'un autre âge au risque d'attiser les conflits communautaires, religieux et ethniques,
NB : on peut craindre que le président n'en vienne à provoquer ces conflits et s'en serve pour apparaître comme le garant de l'ordre et faire oublier ses échecs dans des domaines plus triviaux (réformes économiques, sociales, sociétales).
• Diplomatique : l'alignement sur la diplomatie américaine et la promotion d'une fumeuse Union de la Méditerranée, avec la Libye, l'Algérie, l'Égypte... irritent les partenaires européens de la France.
Dans l'administration, l'économie et l'immigration, là où les électeurs de droite attendaient des réformes de fond, celles-ci demeurent inabouties ou virtuelles :
• Administration : la réforme de l'Université ne règle pas le problème de l'absence de sélection à l'entrée en première année et l'on regrette que rien ne soit entrepris pour supprimer les 800 statuts qui paralysent la Fonction publique et déresponsabilisent ses agents...
• Économie : le «bouclier fiscal» devait dissuader les riches contribuables de s'exiler ; dans les faits, il n'a même pas convaincu Johnny Halliday, ami du président, de revenir en France ; qui plus est, le chanteur est en passe d'être rejoint en Suisse par le nouveau champion de tennis Tsonga ! Les niches fiscales et les taxes tiennent lieu de politique économique, au lieu de l'abrogation pure et simple des 35 heures, de l'avènement d'un contrat de travail unique et surtout de la suppression des très coûteuses et inefficaces aides aux entreprises (les grandes de préférence).
• Immigration : à côté de quelques lois sans effet (ADN...) et quelques expulsions manu militari, le gouvernement multiplie les régularisations de travailleurs immigrés, sans aucune espèce de pénalité pour leurs employeurs ; c'est du pain bénit pour les patrons qui n'ont plus besoin de faire quelque effort que ce soit (salaires, conditions de travail, horaires) pour attirer et retenir des salariés français,
NB : on assiste ainsi, d'une part à une délocalisation dans les pays à bas salaires de toutes les activités qui peuvent être délocalisées, d'autre part à l'embauche massive d'immigrés malléables et peu exigeants dans toutes les activités non délocalisables (gardiens et vigiles, manoeuvres, serveurs, employés de maison etc).
Tentons l'exercice avec Valéry Giscard d'Estaing, élu en 1974 contre François Mitterrand :
L'essentiel de la politique menée durant 7 ans (majorité à 18 ans, loi sur l'avortement, décrispation de la vie politique, accompagnement de l'entrée dans la crise économique par un élargissement progressif des filets sociaux qui porta le taux des prélèvements obligatoires au-delà du seuil de 40%) serait inscrit au crédit de Mitterrand, même si ce dernier aurait sans doute été plus loin dès 1974 en matière de redistribution fiscale, et n'aurait pas endossé en fin de septennat la loi «sécurité et liberté» du Garde des sceaux Alain Peyrefitte.
Jacques Chirac, qui ne fut pas étranger à la défaite de Giscard en 1981, ne l'accusait-il pas de faire la politique de ses adversaires?
En revanche, le comportement personnel de Giscard accuse son ridicule lorsqu'on le transpose chez un autre (narcissisme intellectuel, diction affectée, gadgets comme les dîners chez l'habitant), et le caractère malencontreux de certains choix personnels devient manifeste : sa décision initiale de nommer Chirac Premier ministre au lieu d'un vieux baron gaulliste comme Guichard portait en germe la rivalité de vingt ans qui suivra, alors que Mitterrand se gardera de nommer dès 1981 son concurrent Rocard, et le maintien du très impopulaire Raymond Barre jusqu'aux présidentielles de 1981 alors que Mitterrand n'hésita pas à se séparer rapidement d'Edith Cresson apparaît comme une grave erreur tactique.
La ligne de partage du jugement entre la politique conduite et le comportement personnel du président est la même pour Nicolas Sarkozy , ce qui confirme la très grande similitude des élections présidentielles de 1974 et 2007 :
- un ministre important (finances pour Giscard, intérieur pour Sarkozy) qui n'est pas de la coterie du président sortant (Pompidou puis Chirac), parvient par sa personnalité et sa force de conviction à subjuguer des media outrageusement favorables le temps de l'élection,
- il peut ainsi convaincre l'électorat de la possibilité d'une alternance interne à la majorité sortante, lors d'une campagne électorale facilitée par la réputation d'incompétence de son principal adversaire (faiblesses de Mitterrand en économie, de Royal en crédibilité),
- Giscard a d'ailleurs commencé son mandat comme Sarkozy en ne laissant aucune marge d'initiative au Premier ministre (Chirac ou Fillon), avant de rétablir une répartition des rôles plus normale avec Barre après avoir constaté que l'absence de fusible le plaçait en première ligne pour l'impopularité. L'avenir dira si Sarkozy se montre capable de corriger la même erreur.
Substituer en imagination Royal à Sarkozy constitue en effet un exercice éclairant :
- il suffit d'imaginer Ségolène Royal fêtant son élection sur le yacht d'un milliardaire, nommant Premier ministre l'inspirateur de sa campagne pour le réduire aussitôt au rang de factotum, officialisant sa séparation d'avec François Hollande pour se remarier rapidement avec un chanteur - mannequin italien de 15 ans son cadet après une séance pour photographes à Disneyland Paris, et tentant d'imposer son fils Thomas à la présidence d'un établissement public local de première importance après lui avoir fait octroyer l'investiture socialiste dans un canton imperdable des Deux-Sèvres, pour réaliser tout ce que le comportement personnel de Sarkozy a d'incongru et de contradictoire avec le gaullisme auquel il prétend se rattacher. Est-il besoin de rappeler que le Général de Gaulle, qui ne prenait pas de vacances au bord de la mer, répondit un jour à qui s'étonnait de sa décision de conserver le fort de Brégançon parmi les résidences présidentielles : «comme mes successeurs voudront aller en vacances à la mer, il faudra qu'ils puissent y aller chez eux et non invités chez les autres»,
- en revanche et même si les politiques de sécurité et d'identité nationale resteront des lignes de clivage, la politique économique conduite par Sarkozy et Fillon se verra un jour rendre justice. En-dehors des fausses manœuvres fiscales au départ (baisse injustifiée de la TVA sur la restauration, loi TEPA sur les heures supplémentaires et le bouclier fiscal qui étaient à la rigueur défendables en période de croissance mais deviennent intenables en période de crise et de hausse des impôts), le reste aurait pu en effet être accompli sous une présidence Royal :
- la loi sur les retraites de 2010 n'est qu'une suite de la loi Fillon de 2003, anticipée à cause du creusement des déficits par la crise avec l'accord tacite des syndicats devenus réformistes, mais auxquels le précédent de la CFDT en 2003 interdit une approbation formelle trop coûteuse en nombre d'adhérents. Même si le prochain président décidait de remplacer l'âge minimum de départ de 62 ans par une durée pivot de cotisation de plus de 40 ans, le principe de calcul démographique de cette loi sera probablement maintenu,
- l'action internationale de Sarkozy lors de la crise bancaire a évité un effondrement immédiat et brutal de l'économie, même si le président américain et le Premier ministre anglais peuvent revendiquer leurs larges parts du succès, et même si l'irritation de la chancelière allemande devant l'activisme tactile du président français pendant ses discussions en tête-à-tête se comprend.
Cela nous ramène au problème du comportement personnel qui finit toujours par occulter le reste, tant il est vrai que l'électorat français a bien compris qu'une élection présidentielle consiste au moins autant à choisir un être humain qu'un programme politique. Giscard a été battu à cause d'attitudes devenues insupportables à l'électorat, au point de donner prise à toutes les calomnies ou exagérations comme l'affaire des diamants. Le contraste entre la partialité des médias en sa faveur lors de la campagne de 1974 et la dureté de leurs critiques en 1981 s'explique avant tout par la personnalité de Giscard, qui fut son meilleur atout pour la première campagne présidentielle et devint son pire boulet lors de la seconde. Il n'en demeure pas moins que la politique conduite sur les questions de société en 1974-1975, puis sur le plan économique à partir de 1976 avec Barre, s'est vu rendre justice.
Sarkozy est sur la même pente : sa personnalité qui faisait sa force et fascinait les media en 2007 sera son pire ennemi en 2012. Mais ne poussons pas trop loin la comparaison avec Giscard, intellectuel sans doute trop distingué dans un monde politique de brutes, qui sut conserver jusqu'au bout la dignité de sa fonction sous les insultes dont il était abreuvé. Sarkozy se démarque des intellectuels, ce qui fait sa force lorsqu'il dénonce complaisamment leur impuissance sur le ton d'évidence des fausses vérités premières, pour rameuter un électorat âgé tenté par l'extrême-droite. C'est aussi sa faiblesse, lorsqu'une inculture jamais vue à ce niveau de responsabilité tourne à l'entêtement adolescent.
Au-delà des similitudes de leurs expériences présidentielles, le monde d'intelligence et de culture qui sépare le non gaulliste Giscard du gaulliste autoproclamé Sarkozy pourrait se résumer dans une autre citation du Général, tirée du Fil de l'Épée : «parfois les militaires, s'exagérant l'impuissance relative de l'intelligence, négligent de s'en servir».
S'il ne fallait retenir qu'un exemple de l'usurpation de la qualité de gaulliste par Sarkozy, la modification d'une trentaine d'articles de la Constitution en 2008 y suffirait. Rappelons que la Constitution était l'alpha et l'oméga du Général de Gaulle, qui :
• Ne recula pas devant une traversée du désert de 12 ans à la suite de son désaccord sur la Constitution de la IVe République, trop proche de celle de la IIIe qui avait conduit à la débâcle de 1940,
• Ne chercha pas à régler la crise algérienne qui justifia son rappel en mai 1958, avant d'avoir au préalable changé la Constitution pour affermir son pouvoir,
• Paracheva son œuvre avec la réforme de 1962 sur l'élection du président au suffrage universel,
• Enfin partit sur un référendum perdu qui ne devait réformer la Constitution que sur 2 points (la régionalisation et le Sénat).
Comme nous l'avons expliqué par ailleurs, la Constitution de la Ve République est un texte désormais cinquantenaire qui contient tous les mécanismes de gouvernement et de sorties de crise nécessaires au peuple successeur des Gaulois, pour éviter les écueils de l'impuissance et de la guerre civile (référendum, dissolution de l'Assemblée, changement de Premier ministre et cohabitation s'il le faut, démission du président, article 16 sur les pouvoirs exceptionnels). Il ne tient qu'aux présidents de la République de l'appliquer, en ne la réformant si le besoin s'en fait sentir qu'après mûre réflexion et grand scrupule (une seule réforme par mandat présidentiel, portant sur 2 ou 3 articles, apparaît comme un grand maximum).
Le Général aurait probablement ri au nez du triste sire qui aurait jugé bon de prédire qu'un de ses successeurs, quoique gaulliste autoproclamé, se permettrait de réformer d'un coup 30 articles d'un texte dont la stabilité fait tout le prix, et oserait au passage revenir sur une modification faite 3 ans plus tôt par son prédécesseur immédiat (l'obligation d'un référendum avant toute nouvelle adhésion à l'Union européenne, rendue obligatoire par Chirac en prévision du cas de la Turquie et annulée par Sarkozy avant même que ce cas soit réglé), ravalant ainsi la Constitution au rang d'une loi fiscale dont on ajuste périodiquement le paramétrage technique.
On eût achevé le Général de Gaulle en lui expliquant que ce prédécesseur immédiat, lui aussi gaulliste autoproclamé, se permettrait l'hérésie constitutionnelle de promulguer une loi sur le CPE tout en précisant publiquement qu'elle ne serait pas appliquée, alors qu'il lui suffisait d'utiliser le mécanisme constitutionnel de la 2ème lecture par le Parlement (attitude justement dénoncée par Giscard, qui ne fait pourtant pas profession de gaullisme). Mais il est vrai que le Général eût dénié tout label de gaullisme à un tel président, en apprenant qu'il finirait ensuite par siéger au Conseil Constitutionnel tout en étant logé gratuitement par un chef de gouvernement étranger.
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Voir les 5 commentaires sur cet article
Pommier (22-05-2012 17:01:58)
Cet article est très partial et occulte les éléments très positifs de ce dernier quinquennat. Je suis très déçu d'HÉRODOTE qui jusqu'à présent m'avait habitué à davantage de qualité. Le p... Lire la suite
Pierre Mirabel (19-12-2007 09:29:32)
Après des années de politique vieillissante, percluse de lourdeurs écrasantes, le nouveau président nous a insufflé un air de jeunesse, avec une fougue propre à cet état, et cette part de rêve... Lire la suite
chaury (17-12-2007 12:24:34)
En effet un bon parallèle ; mais Giscard avait moins d'allant, et était peut-être moins pressé. Sarkosy est inquiétant car avec lui, la démocratie se délite! Quand à la "rupture"qu'il préten... Lire la suite