Robert Oppenheimer

Triomphe et tragédie d'un génie

Martin J. Sherwin et Kai Bird (Le Cherche-Midi, 900 pages, 28 euros,  2023)

Robert Oppenheimer

C’est le livre de l’année. Ne soyons pas rebuté par ses 900 pages. Publié  en 2005 aux États-Unis sous le titre American Promotheus, Triumph and tragedy of J. Robert Oppenheimer et récompensé bien évidemment par le Prix Pulitzer, il raconte l’ascension et la chute d’un homme et à travers elle la tragédie de l’humanité et les malheurs de la démocratie.

La lecture en est agréable, grâce à l’excellente traduction de Peggy Sastre. Regrettons seulement le titre français car le savant apparaît dans l’ouvrage moins comme un génie que comme un homme fragile, sensible à la dépression et coupable d’insignes accès de faiblesse.

Ainsi, en 1954, il se soumet à la commission qui prétend réévaluer son « attestation de sécurité » et donne sans trop se faire prier les noms de ses amis communistes. Cela surprendra André Malraux quand, dix ans plus tard, à Paris, il découvrira la transcription de l’audition. C’est Haakon Chevalier, professeur de littérature française à Berkeley et ami proche d’Oppenheimer, qui lui en fera la lecture. Ce qui troublera le Français, « c’est qu’Oppenheimer ait librement répondu aux questions sur les opinions politiques de ses amis et associés. L’audition l’avait transformé en indic. » On est loin ici des héros mythiques de la Résistance !...

Regrettons aussi la phrase équivoque qui introduit le livre : « Dans la première décennie du XXe siècle, la science fut à l’origine d’une seconde révolution américaine ». Le bond sans précédent qu’a accompli la physique dans la « décennie prodigieuse » (1895-1905) ne doit strictement rien aux Américains. Elle doit tout aux Européens (Röntgen, Poincaré, Curie, Einstein, etc., etc.).

Il en va de même de la « révolution quantique » des années 1920, impulsée par Niels Bohr, Paul Dirac, Werner Heisenberg et quelques autres. Nés autour de 1900 (sauf Bohr, né en 1885), tous ces physiciens furent des amis de Robert Oppenheimer et de ses grands compatriotes comme Ernest Lawrence.

Les Américains sauront très bien faire fructifier les apports européens, d’autant que Hitler leur fera un magnifique cadeau involontaire en ne laissant aux talents européens de culture juive d’autre choix que de s’enfuir outre-Atlantique (Einstein, Fermi, Bohr, Teller, Szilárd, etc.).

Regrettons pour finir l’absence d’un index des noms qui eut été très pratique pour nous y retrouver dans l’avalanche de personnages (qui eut cru que le monde eut compté tant de physiciens de génie ?).

Maintenant, laissons ces regrets de côté et rappelons que cette somme demeure exceptionnelle par la qualité de l’écriture et de la documentation mais aussi par tous les aperçus sur des enjeux politiques et humains très actuels, sur la manière dont un homme peut être brisé dans une société dite démocratique ou encore sur la manière dont un gouvernement dit démocratique peut s’engager sans nécessité dans un processus guerrier.

André Larané

Voir : Le « Prométhée américain »

Publié ou mis à jour le : 28/07/2023 14:08:07

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