La guerre en Ukraine

Qui a peur de Vladimir Poutine ?

À la télévision, le 5 mars 2025, Emmanuel Macron a reproché à « la Russie de faire du conflit ukrainien un conflit mondial. » Moscou « teste nos limites : dans les airs, en mer, dans l’espace et derrière nos écrans. Cette agressivité ne semble pas connaître de frontières. » Observant que la Russie « continue de se réarmer », il fit mine de s’interroger : « Qui peut donc croire dans ce contexte que la Russie d’aujourd’hui s’arrêtera à l’Ukraine ? La Russie est devenue pour les années à venir une menace pour la France et pour l’Europe. » Cette crainte nourrit la conviction en France et en Europe de devoir se préparer à une nouvelle guerre...

Dans Le Figaro (9 mars 2025), Jean-Marie Rouart s'émeut de la légèreté avec laquelle les dirigeants européens envisagent le retour de la guerre. L'écrivain et académicien rappelle que « toutes les guerres ont commencé de la même façon : par une curieuse cécité de l’opinion devant l’abîme d’atrocités qu’elles représentent. » Elles sont portées par l'enthousiasme de toute une génération qui cherche dans la guerre « une forme d’ordalie, de justice de Dieu. » Cela se voit tout particulièrement dans les propos du président de la République française...

En 2017 et 2022, Emmanuel Macron a été porté deux fois à l'Élysée par des électeurs soucieux avant tout d'empêcher l'élection de Marine Le Pen (RN). Né en 1977, cet enfant chéri des dieux n'a rien eu à connaître des cruautés de la vie. En dépit ou à cause de cela, il manifeste plus qu'aucun de ses prédécesseurs une trouble fascination pour la guerre et la mort :
• Dans une interview donnée à La Nouvelle Revue française en mai 2018, il déclare : « Paradoxalement, ce qui me rend optimiste, c'est que l'histoire que nous vivons en Europe redevient tragique. L'Europe, [...] ce vieux continent de petits-bourgeois se sentant à l'abri dans le confort matériel, entre dans une nouvelle aventure où le tragique s'invite. [...] Et dans cette aventure, nous pouvons renouer avec un souffle plus profond dont la littérature ne saurait être absente. » Voilà donc le président élu par les Français : un Julien Sorel qui espère la tragédie d'où lui viendra la gloire et l'accomplissement personnel !...  
• À l'annonce du confinement, en mars 2020, il proclame avec gravité : « Nous sommes en guerre ! » Comme si une épidémie pouvait se confondre avec une guerre...
• Après le pogrom du 7-Octobre en 2023 en Israël, il suggère de monter une coalition militaire contre le Hamas, au grand scandale des dirigeants occidentaux et même israéliens.
• Il lance le 7 avril 2024, pour l'anniversaire de la bataille des Glières (Haute-Savoie) : « Vivre libre ou mourir : tel est notre viatique, hier, aujourd'hui et demain, pour que vive la République et vive la France ». Avec ce retour aux heures sombres de 1793, que voilà un beau programme pour la jeunesse française !
• Il en rajoute quand l'INSEE annonce les chiffres de la dénatalité en plaidant pour un « réarmement démographique », en semblant ignorer que l'enfantement a peu à voir avec la guerre !

Autant dire qu'au lendemain de la suspension de l’aide militaire américaine à Kiev, il ne se prive plus d’évoquer à nouveau le risque de guerre face à « la menace russe [qui] est là et touche les pays d’Europe » et il engage ses concitoyens à sacrifier leurs avantages sociaux au bénéfice du réarmement, au cri de « La Patrie a besoin de vous ! » (note). Pour les anciennes générations, bercées dans l'illusion que « L'Europe, c'est la paix ! », la désillusion est cruelle (note).

En phase avec Emmanuel Macron, la classe politique et les médias croient que Poutine se dispose à agresser l’Union européenne et y voient une raison suffisante pour se préparer à la guerre.

Si l’on met à part le député européen Thierry Mariani (RN), pro-poutinien déclaré, il n’y a guère qu’Hervé Morin, président de la région Normandie et ancien ministre de la Défense, qui s’est permis de relativiser la menace russe. Sur BFM, il a jugé le discours d’Emmanuel Macron « inutilement et excessivement inquiétant » tout en reconnaissant que la Russie était une menace : « Ce qu'il a dit sur les interventions russes sur nos réseaux (sociaux) est juste mais de là à dire que les Russes sont aux frontières de la France... Pardon, ils ne sont même pas capables d'écraser les Ukrainiens. » Il a aussi étrillé Emmanuel Macron sur son projet de rehausser le budget de la Défense à 100 milliards d'euros, soit pas loin de 5% du PIB français. « Je vous rappelle qu'en pleine guerre froide, on n'a jamais mis 5% du PIB dans la défense du pays » (note).

Jusqu'où peut aller la « menace russe » ?

Doit-on considérer que la Russie, après avoir à grand-peine envahi une partie du Donbass, menace désormais l'Europe et l'OTAN ? La chose paraît d'autant plus étrange qu'on nous a assurés pendant trois ans que la Russie était un nain économique avec un PIB à peine égal à celui de l’Espagne et qu’elle était à la veille de l’effondrement sous l’effet des sanctions occidentales.

Les Causes politiques de la guerre en Ukraine (André Larané, éditions Herodote.net, 12?, 102 pages) Les trois ans de guerre en Ukraine sont à ce propos instructifs. Poutine a cru qu’il ne ferait qu’une bouchée de l’Ukraine et que Kiev tomberait aussi facilement que Prague en 1968. Il n’engagea donc que 170 000 hommes dans l’« opération spéciale » alors que les Soviétiques et leurs alliés du Pacte de Varsovie en avaient engagé cinq cent mille dans l’invasion de la Tchécoslovaquie... et les Américains plus de 200 000 contre l'Irak en 2003. 

Cette sous-estimation de la résistance ukrainienne fut la plus colossale erreur du président russe depuis son arrivée à la tête de la Russie il y a vingt-cinq ans. Elle prit de court aussi le président américain qui, ayant atteint tous ses objectifs en Europe, se préparait à lâcher l'Ukraine et exfiltrer son président. 

Vladimir Poutine dût se résigner à une guerre d’attrition en lançant dans la mêlée, faute de mieux, des repris de justice, des Tchétchènes et même des Nord-Coréens. Avec cela, il n’a encore pas réussi à conquérir tout le Donbass alors que ce territoire majoritairement russophone était à première vue acquis à l’envahisseur.

Pourrait-il dans ces conditions poursuivre son « avantage » vers les États baltes ou la Moldavie comme le suggère Emmanuel Macron ? En a-t-il eu seulement l’intention ? La réponse est dans ses premières années de présidence ainsi que nous l'avons montré dans Les Causes politiques de la guerre en Ukraine.

À son arrivée au pouvoir en 2000, Vladimir Poutine sort la Russie de l’abîme dans lequel elle était tombée pendant l’ère Eltsine. Puis il tisse un partenariat étroit avec l'Allemagne du chancelier Gerhard Schröder. Mais début 2007, il s’alarme de ce que les Américains installent un « bouclier » anti-missiles en Pologne et en République tchèque sous le prétexte de prévenir d’éventuelles attaques iraniennes ! 

Le 10 février 2007, lors de la conférence sur la sécurité qui se tient comme chaque année à Munich, il s'inquiète des menaces que fait peser la diplomatie agressive de Washington : « Un pays, les États-Unis, sort de ses frontières nationales dans tous les domaines. C'est très dangereux : plus personne ne se sent en sécurité, parce que personne ne peut plus trouver refuge derrière le droit international ».

Poutine n’en poursuit pas moins sa coopération avec l’Occident. Invité au sommet de l’OTAN à Bucarest en avril 2008, il autorise le transit par la Russie de matériel destiné à l’Afghanistan. Mais il dénonce aussi la promesse faite le 3 avril 2008 par l’OTAN à l’Ukraine et à la Géorgie de pouvoir entrer un jour dans l’alliance. Il y voit « une très grande erreur stratégique ».

William Burns, actuel chef de la CIA, avait pourtant prévenu le gouvernement américain : « L’entrée de l’Ukraine dans l’OTAN est la plus vive de toutes les lignes rouges pour l’élite russe (et pas seulement Poutine). En plus de deux ans et demi de discussions avec des acteurs russes clés… je n’ai encore trouvé personne qui considère l’Ukraine dans l’OTAN comme autre chose qu’un défi direct aux intérêts russes ».

Sur ce, l’Ukraine, dont la situation économique est désastreuse, cherche un accord avec l’Union européenne.  Le 21 novembre 2013, une semaine avant sa signature, le président Viktor Ianoukovitch demande que la Russie, partenaire traditionnel de l’Ukraine, ne soit pas écartée de cet accord, ce que refuse l’UE. L’accord est annulé et il s’ensuit des manifestations pro-européennes à Kiev. Cette révolution Euromaïdan aboutit à la destitution du président le 22 février 2014.

Dans le Donbass (l'Est de l'Ukraine), une guerre larvée débute entre l’armée ukrainienne et les sécessionnistes soutenus par l’armée russe. Elle va faire plus de dix mille morts. Les incidents se multiplient dans les airs et en mer Noire.

Confiné au Kremlin pendant l’épidémie de Covid-19, le président russe en vient à craindre que l’armée ukrainienne, renforcée et modernisée par l’OTAN surpasse l’armée russe. Il décide donc d’en finir avec le régime pro-occidental de Kiev et lance pour cela son « opération spéciale ».   

Avec ce rappel des causes politiques de la guerre en Ukraine, nous voyons comment chaque camp peut se laisser gagner par la conviction d’être menacé dans son identité, son indépendance et même son existence.

Européens et Russes sont pour la plupart sincères dans cette conviction :
• Les premiers considèrent que la guerre a éclaté en 2022 et voient toute la source du mal dans l’invasion du 24 février 2022.
• Les seconds rappellent que la guerre en Ukraine a débuté en 2014 quand Moscou est intervenu au secours des autonomistes du Donbass attaqués par l'armée de Kiev ;  ils voient la source du mal dans l’élargissement de l’OTAN jusqu’aux frontières de la Russie et dans la volonté européenne de trancher les liens immémoriaux qui unissent la Russie et l’Ukraine.

De ce malentendu pourrait venir l’irréparable, comme à l'été 1914, quand les peurs irraisonnées d'un côté et de l'autre ainsi que le jeu des alliances avaient conduit à l'apocalypse. Souhaitons que chacun revienne à la raison.

André Larané
Publié ou mis à jour le : 2025-09-23 10:27:05

Voir les 21 commentaires sur cet article

Mirome (31-08-2025 18:26:35)

Il me vient de penser que Poutine pourrait devenir le Docteur Folamour, triste sir de cinéma, et si c'était vrai.

Roland Meunier (31-08-2025 15:36:47)

Avec un titre pareil, je croyais que votre publication était le pendant numérique de L'Histoire, où des historiens sérieux font un travail...d'historiens. Je découvre qu' "Hérodote" fait aussi d... Lire la suite

Christian (31-03-2025 13:57:28)

Selon l'AFP, le Kremlin déplore une «violation des normes démocratiques» après la décision du tribunal de Paris qui a déclaré Marine Le Pen inéligible pour cinq ans. On attend avec impatienc... Lire la suite

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