De l'Odyssée des gènes à la Vie secrète des gènes

Notre Histoire éclairée par la génétique

Évelyne Heyer, anthropologue et commissaire scientifique du musée de l'Homme (Paris), inaugure une nouvelle discipline que nous pourrions qualifier provisoirement de génétique historique. Ou comment percer les secrets des populations et des civilisations, des origines à nos jours, par l'étude des gènes. Elle apporte un premier éclairage, dense et passionnant avec son livre Odyssée des gènes (2020, Flammarion, 378 pages). Son livre suivant, La Vie secrète des gènes (2022, Flammarion, 254 pages) introduit quelques mises à jour et surtout, sur un ton plus léger, s'adresse à tous les publics sans exclusive...

De l'Odyssée des gènes à la Vie secrète des gènes

En 2010, une équipe de recherche internationale a révélé que des croisements avaient eu lieu au Proche-Orient entre des hommes de Néandertal et des Homo Sapiens venus d'Afrique. N'exagérons pas leur importance. Évelyne Heyer indique dans son livre que le nombre d'unions n'a pas dû excéder 150 ! Mais cela a suffi pour que tous les Eurasiens aient aujourd'hui 1 à 4% de gènes néandertaliens !

En tout cas, depuis cette découverte, la génétique est entrée avec fracas dans la Préhistoire et maintenant dans l'Histoire. Des sociétés américaines ou israéliennes ont senti le filon et proposent à chacun, sur internet, son identité génétique avec plus ou moins de bonheur.

Le travail d'Évelyne Heyer n'a rien à voir avec cette kermesse. L'anthropologue multiplie à travers le monde des prélèvements génétiques sur des échantillons de populations, dans tel ou tel village au fin fond de l'Altaï ou du Kalahari. Elle raconte d'ailleurs ses expériences avec délectation. Et grâce à ses travaux et ceux de ses confrères, elle a ainsi pu ébaucher une histoire des populations humaines et des migrations sur plusieurs millions d'années, jusqu'à nos jours.

La Vie secrète des gènes (2022, Flammarion, 254 pages, 18€)Le résultat est passionnant, y compris pour le néophyte, qui, comme nous, n'a jamais rien compris à l'ellipse de l'ADN, aux chromosomes et aux allèles... L'Odyssée des gènes rappelle avant toute chose que l'ADN qui nous définit est constitué de 3 milliards de nucléotides, des molécules de 4 sortes joliment appelées A, C, T et G. Ces combinaisons de nucléotides connaissent au cours de notre vie quelques dizaines de mutations dont la plupart sont sans conséquence et ne survivent pas ; quelques-unes, toutefois, vont se transmettre de génération en génération.

En faisant le séquençage ou la lecture de l'ADN, les généticiens peuvent observer des parentés entre différents groupes d'individus. Ils peuvent aussi évaluer le moment où se sont séparés deux espèces ou deux groupes d'une même espèce. Ils partent du postulat que le taux de mutations est à peu près constant d'une génération à la suivante. Suivant cette « horloge moléculaire », plus il y a de mutations divergentes entre les groupes considérés, plus ancienne est leur séparation. C'est comme cela que l'on a établi que 7 millions d'années se sont écoulées depuis  notre séparation d'avec nos frères bonobos et chimpanzés.

Évelyne Heyer note une singularité de notre espèce qui l'a sans doute aidée à conquérir le monde : la ménopause ! À l'âge où leurs filles deviennent fécondes, les mères deviennent elles-mêmes infécondes mais au lieu de contrarier la survie de l'espèce, cette anomalie la favorise au contraire en rendant les grands-mères disponibles pour s'occuper de leur descendance et ainsi favoriser leur survie et celle de leurs filles.

Les deux sorties d'Afrique

Maintenant, si l'on admet, selon l'hypothèse la plus probable, que cette séparation s'est faite en Afrique, à quelle date eut lieu la première sortie d'Afrique d'un Homo ? Les trouvailles en Chine ou en Géorgie donnent à penser qu'elle eut lieu il y a environ 2 millions d'années. Mais, d'après une récente découverte au Maroc, c'est seulement il y a 300 000 ans que serait apparu notre aïeul, le si mal nommé Homo sapiens (« l'homme qui sait »). L'horloge moléculaire appliquée à nos contemporains confirme cette datation en attestant que notre ancêtre commun remonte à 300 000 ans et pas davantage.

C'est seulement il y a 70 000 à 50 000 ans que cet Homo sapiens serait à son tour sorti d'Afrique... et aurait rencontré Néandertal.

N'exagérons rien : cette « 2ème sortie d'Afrique » a mobilisé tout au plus quelques milliers d'individus. Elle a pu s'effectuer via le détroit de Bab-el-Mandeb (Djibouti) qui se traversait alors à pied sec. Une hypothèse récente la situe en 73 000 BP (Before Present), après qu'un volcan d'Indonésie, le Toba, ait beaucoup refroidi l'atmosphère et entraîné la mort d'une grande partie des hominidés.

Étonnamment, le peuplement de la planète par les Homo sapiens a ensuite été très rapide... Toujours grâce à l'horloge moléculaire, Évelyne Heyer raconte comment  l'ADN d'une mèche de cheveux d'un Aborigène australien a permis de fixer à la même époque, soit il y a plus de 50 000 ans, le moment où ses ancêtres se sont séparés du reste de l'humanité.

À la même époque, en Afrique, les Pygmées se séparaient des autres populations africaines. Et c'est un peu plus tard, il y a environ 40 000 ans, qu'Homo sapiens arrivait en Europe. L'ADN nous indique qu'ils avaient une teinte de peau plutôt foncée, adaptée au climat chaud de l'époque, la transition vers une peau plus claire (et des yeux bleus) ayant débuté il y a environ 29 000 ans.

L'ADN nous indique aussi que l'Asie aurait été peuplée en deux vagues principales. La première serait allée jusqu'en Australie en se mêlant au passage à l'homme de Denisova, un cousin de Néandertal. Mais elle aurait été submergée par la seconde, il y a 40 000 ans, de sorte que le code génétique des Asiatiques est plus proche de celui des Européens que de celui des Australiens, qui possèdent jusqu'à 6% de gènes denisoviens.

Enfin, l'Amérique aurait été, quant à elle, peuplée par de petits groupes venus d'Asie il y environ 20 000 ans. Ils auraient profité de ce qu'à l'époque, on pouvait traverser à pied sec le détroit de Béring du fait des grandes glaciations. Les comparaisons en cours entre le patrimoine génétique des Colombiens et celui des Polynésiens pourraient confirmer (ou infirmer) aussi l'hypothèse « Kon Tiki », celle d'une arrivée précoce de Polynésiens.

Éleveurs et agriculteurs

Sautons les millénaires et entrons dans un monde plus familier, celui des agriculteurs et des artisans. C'est encore, notons-le, l'ADN qui a permis de dater avec précision la naissance de l'agriculture en différents endroits de la planète. Dans la nature, les plantes céréalières dont nous nous nourrissons laissent leurs graines s'envoler au vent quand elles arrivent à maturité. Ainsi est assurée la perpétuation de l'espèce. Mais certaines plantes ont une mutation rare et normalement fatale qui empêche leurs graines de se détacher de la tige.

Quand les hommes vont s'apercevoir qu'ils peuvent récolter des graines et les semer au plus près de leur hutte pour se dispenser de longues marches, ce sont ces graines mutantes qu'ils vont récolter et semer en priorité. De sorte qu'avec le développement de l'agriculture, ces graines mutantes vont s'imposer au détriment des autres. Et c'est ainsi que l'on peut dater l'apparition des premiers semis à 8 000 ans environ avant notre ère, par le séquençage des graines fossiles.

C'est seulement entre 6 000 et 3 000 ans avant notre ère que l'agriculture a gagné l'Europe. Ici encore, l'analyse de l'ADN révèle que cette introduction ne s'est pas faite par une imprégnation culturelle mais par un remplacement des populations. Les chasseurs-cueilleurs du Mésolithique (la période antérieure au Néolithique et à l'agriculture), qui sont aussi à l'origine des peintures de Lascaux, ont été supplantés par des agriculteurs venus de l'Asie mineure (la Turquie actuelle), plus nombreux (et à peau plus claire). Là aussi, la génétique révèle que les premiers n'ont pas disparu mais se sont mélangés aux nouveaux-venus.

 À la même époque, si l'on peut dire, vers 6500 avant notre ère, on a observé que certaines populations, en Anatolie notamment, pouvaient consommer du lait de vache ou de chèvre, du fait de la présence de résidus de lipides sur des poteries. Ce qui peut apparaître banal à un Européen d'aujourd'hui ne l'est pas ! En effet, la capacité de digérer le lait dépend d'une enzyme, la lactase, qui disparaît normalement chez les adultes. Mais une mutation permet toutefois à certains humains de conserver cette enzyme tout au long de leur existence et de pouvoir ainsi continuer de se nourrir de lait. C'est un avantage qui devient déterminant dans les régions d'élevage, où les autres ressources sont rares, comme en Asie centrale. C'est ainsi que ces mutants, ayant plus de facilités à se nourrir en période de disette, ont pu se multiplier plus vite que leurs congénères.

Aujourd'hui désignées d'après le nom d'une culture de la région pontique, au nord de la mer Noire (Ukraine actuelle), les Yamnayas, ces populations sont connues pour avoir mis au point des chariots tirés par des boeufs et avoir aussi développé une culture de la céramique cordée (ainsi appelée parce que les poteries sont décorées en creux par application de cordelettes avant la cuisson). .  Relativement prolifiques du fait de leur tolérance au lactose et portés à migrer du fait de leur maîtrise de la roue et du chario, elles seraient à l'origine de nos langues indo-européennes et auraient en particulier submergées le Vieux Continent. Les populations européennes du Néolithique ont été en tout ou partie submergées par ces populations d'éleveurs, il y a 5000 à 3000 ans, à l'Âge du Bronze. Les Anglais, par exemple, leur doivent 80% de leur génome. 

Il s'ensuit qu'aujourd'hui, un tiers de la population mondiale est tolérante au lactose. C'est en particulier le cas des Européens. Les populations qui lui sont demeurées intolérantes vivent essentiellement dans le monde chinois, en Afrique subsaharienne et en Amérique, des régions où l'élevage ne représentait pas autrefois une ressource importante. En Afrique, les peuples d'éleveurs tels que les Tutsis et les Touaregs font naturellement exception et tolèrent eux-mêmes le lactose.

Pour mieux comprendre l'évolution chahutée des populations européennes, les paléogénéticiens ont bénéficié d'un cadeau du ciel avec la découverte d'Ötzi, en 1991, dans le Tyrol. D'après son ADN, il est apparu que ce chasseur de l'Âge du cuivre, qui a vécu il y a 5300 ans, est très proche des Sardes actuels. Les Sardes, mais aussi les Siciliens... et les Basques n'auraient pas été épargnés par leur « rencontre » avec lesdits Indo-Européens mais auraient mieux résisté à leur imprégnation culturelle et linguistique. D'où le caractère si particulier de la langue basque actuelle.

En bref, écrit Évelyne Heyer, les Européens descendraient à 20% des chasseurs-cueilleurs originels (les premiers Sapiens arrivés en Europe), à 60% des populations venues d'Anatolie (sud de la Turquie) ayant apporté l'agriculture, et enfin à 20% des nomades des steppes de l'âge du Bronze, les Yamnayas.

Bantous et Pygmées

En Afrique aussi se produit une « rencontre » lourde de conséquences entre Pygmées et Bantous (ou noirs de langue bantou). Ces derniers sont les ancêtres de l'immense majorité des Africains subsahariens actuels. Ils sont apparus à l'Ouest du Cameroun, il y a une dizaine de millénaires. À partir de 3 000 av. J.-C., l'agriculture sur brûlis leur assure une expansion démographique relativement rapide. C'est ainsi qu'ils entament une expansion au détriment des Pygmées qui occupent l'Afrique centrale.

Ce que révèlent les analyses ADN, c'est que les colons bantous auraient, au fur et à mesure de leur expansion, repoussé les Pygmées dans les forêts mais n'auraient pas rechigné à exploiter sexuellement leurs femmes. Celles-ci, au terme de leur vie sexuelle, seraient revenues avec leurs enfants dans leur village d'origine, ce qui explique, selon Évelyne Heyer, le remplacement du chromosome Y (caractéristique du sexe masculin) des Pygmées par le chromosome Y des envahisseurs.

Les aléas de l'Histoire ont ainsi des effets sur le génome. Un autre signe en est donné par la fréquence de l'obésité et du diabète, aujourd'hui, chez les populations océaniennes. Il s'explique par le fait qu'autrefois, ces populations ont accompli de longues navigations pour gagner leur habitat actuel. Les individus qui ont survécu à ces épreuves sont ceux qui bénéficiaient d'une mutation propice à l'accumulation de réserves sous forme de graisse. Cet atout génétique s'est transformé en handicap en notre époque Coca-McDo...

L'Odyssée des gènes se poursuit  jusqu'à nous, en revisitant aussi bien les juifs de Boukhara que les Québécois et les Afro-Américains. Nous ne sommes sans doute qu'au début de nos surprises. La génétique appliquée à l'Histoire et aux migrations pourrait bousculer beaucoup de certitudes. Affaire à suivre.

André Larané
Publié ou mis à jour le : 2023-08-06 17:05:31
Bernard (16-12-2020 20:21:58)

.../...n'a jamais rien compris à l'ellipse de l'ADN, aux chromosomes.../... Double hélice de l'ADN. C'est comme une échelle que l'on aurait torsadée (comme l'escalier de Chambord) ce qui lui donn... Lire la suite

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