Le judaïsme est divisé depuis longtemps entre deux grandes traditions : la tradition ashkénaze et la tradition séfarade. Celui qui connaît un peu le judaïsme en France sait qu’on peut trouver des synagogues séfarades, dont les fidèles proviennent le plus souvent d’Afrique du Nord, côtoyant des synagogues ashkénazes, dont le public est originaire soit d’Alsace-Lorraine, soit d’Europe de l’Est. Ces deux visions de la religion juive trouvent leur origine dans la destruction du Temple de Jérusalem par les Romains, en 70 après J.-C.
La révolution post-70
Depuis ses lointaines origines, le judaïsme a toujours été traversé par différents courants de pensée, entraînant parfois des pratiques variées. Mais l’unité entre ces courants était maintenue par la centralité du Temple et la croyance en un Dieu unique qui avait fait alliance avec le peuple d’Israël.
Mais une partie de ces groupes et de ces courants existants perdirent leur raison d’être et leur légitimité avec la destruction du Temple car celui-ci était absolument central dans leurs approches théologiques ainsi que dans leurs pratiques religieuses. Ce fut notamment le cas des saducéens et des esséniens.
Les deux courants du judaïsme qui restèrent véritablement actifs sont ceux qui n’avaient pas besoin du culte du Temple pour proposer aux Juifs, d’une part une continuation de leur Histoire comme groupe constitué, et d’autre part un cadre spirituel.
Chronologiquement, le courant le plus récent est bien sûr le christianisme primitif. La disparition du Temple ne peut que confirmer la Nouvelle Alliance à travers Jésus. De plus, la ruine de la ville de Jérusalem en 70 a fait disparaître l’Église de Jérusalem fondée par Jacques le Juste, l'un des quatre « frères de Jésus ». Elle prônait le maintien des chrétiens à l’intérieur de la tradition juive et l’application stricte des commandements.
En opposition à cette Église de Jérusalem, un autre groupe prônait l’ouverture vers les idolâtres, déjà induite dans les années 50 et 60 par Paul et Pierre. En conséquence, l’Église chrétienne après l’an 70 rejeta de plus en plus l’aspect rituel et national juif et développa sa vocation universelle.
On comprend pourquoi ce christianisme naissant trouvera principalement ses nouveaux adeptes dans les communautés de la diaspora juive hellénisée, et plus particulièrement parmi les « gentils du seuil », des non-juifs attirés par les idées morales et spirituelles d’Israël, mais que l’obligation de la circoncision et des interdits alimentaires avaient maintenu au seuil de la synagogue.
L’autre courant du judaïsme s’était formé peu à peu à partir du retour de l’exil de Babylone et de la construction du second Temple (-516). Il a d’abord été animé par des scribes comme Esdras (-430), ultérieurement appelés « rabbins pharisiens ».
Pour ces pharisiens, l’étude de la Torah (les cinq premiers livres de la Bible où se trouve l’essentiel des lois bibliques, aussi appelés Pentateuque par les chrétiens) et la pratique de la loi étaient au centre de la foi qu’ils vivaient et enseignaient. Suite à la destruction du Temple naquit le besoin d’une spiritualité nouvelle qui remplacerait le culte sacrificiel, tant pour les Juifs d’Israël que pour ceux de la diaspora (dico).
Les rabbins pharisiens leur proposèrent donc non pas l’universalisme chrétien mais la poursuite du particularisme juif à travers l’étude de la Loi reçue par Moïse au mont Sinaï et la pratique de la loi orale élaborée par les générations de rabbins qui les avaient précédés.
Des centres concurrents
Au temps du Temple, le centre spirituel et l’autorité doctrinale du judaïsme se trouvaient à Jérusalem, bien que depuis l'exil de Babylone, en 586 av. J.-C., la majorité des Juifs vivaient déjà en diaspora. Aussi les rabbins de la terre d'Israël restèrent-ils prééminents jusqu’au début du IIIe siècle de l’ère chrétienne.
Vers 220, sous l’autorité du « prince » Judah, reconnu par les Romains comme responsable politique des Juifs, ils mirent même par écrit un code de loi, la « mishna », résumé des interprétations rabbiniques de la loi biblique. Ces commentaires sont indispensables pour deux raisons : la Torah n’est pas toujours très précise sur bien des sujets. Prenons un exemple simple : il n’est pas indiqué comment un mariage doit être célébré. Comme il est marqué que l’acte de divorce doit se faire au moyen d’un écrit, les rabbins en conclurent que l’acte de mariage doit, lui également, se faire au moyen d’un écrit.
L’autre raison est la nécessité d’adapter une loi millénaire aux changements provoqués par l’évolution du monde et de l’Histoire juive. Ainsi la destruction du Temple exigea de nouvelles décisions. Par exemple, après la fête de Pâque (dico), on ne pouvait consommer la nouvelle récolte de céréales avant d’en offrir une petite quantité au Temple. Que doit-on faire à présent ?
La publication de la Mishna par Rabbi Judah le Prince et sa maison d’étude, située à Tibériade, permit donc d’unifier les pratiques juives à travers les communautés du monde entier. La plupart se conformèrent aux principes du judaïsme diffusés par les rabbins de Judée.
Mais deux facteurs vinrent remettre en cause cette harmonie. Le premier est dû à l’importance donnée aux coutumes locales. Depuis les débuts du peuple juif, l’observation de la loi a pu varier localement en fonction des spécificités des groupes et de l’influence de leur environnement.
Le deuxième facteur apparaît après la mort de Judah le Prince, vers 225. Certains de ses élèves quittent la maison d’étude initiale de Tibériade et s’installent en Mésopotamie, au sein des communautés de Babel. Pendant deux à trois siècles, en se basant sur la mishna de Judah le Prince, le centre de Judée comme le centre de Babylonie approfondissent leurs études de la loi et développent leurs propres approches.
Le résultat sera l’édition de deux ouvrages portant tous deux le nom de Talmud (« l’étude par excellence »), l’un élaboré à Tibériade et nommé le Talmud de Jérusalem (en souvenir de la Ville sainte encore occupée par les Romains), et l’autre en Mésopotamie qui prend le nom de Talmud de Babylone.
Certes, des liens existent entre les deux mais leur langues sont différentes (le premier est rédigé en araméen occidental, le second en araméen oriental) et leurs interprétations parfois opposées. La primauté de la loi reste toutefois toujours dévolue au centre d’Israël.
Mais un événement historique majeur va transformer ces relations : la christianisation de l’Empire romain...
Deux courants d’exil
Les persécutions qui se développent peu à peu contre les Juifs dans l’Empire romain christianisé limitent les possibilités de développement de l’étude et l’influence du judaïsme d’Israël se fait sentir peu à peu uniquement en terre chrétienne.
De plus, certaines prérogatives du Tribunal suprême de Jérusalem (le Sanhédrin) disparaissent du fait de ces persécutions. Le meilleur exemple en est la fixation du calendrier.
Le calendrier hébraïque est un calendrier lunaire, et depuis l’époque biblique, le nouveau mois lunaire était proclamé par le Sanhédrin en Israël puis annoncé dans la diaspora grâce à des messagers. Or, en 325, le concile de Nicée prescrit de séparer le calendrier chrétien du calendrier juif.
L'empereur Constantin écrit ainsi aux Églises : « Tous ont jugé que c'était une chose indigne, de suivre en ce point la coutume des Juifs ». Bien entendu, les autorités romaines de la province de Palestine firent en sorte d'empêcher les envoyés du Sanhédrin d’apporter leurs messages sur le calendrier pour indiquer quand débute le mois. En 359, le Sanhédrin renonce à sa primauté et laisse chaque communauté calculer le début des mois en fonction des observations astronomiques locales.
Il n'empêche que, profitant de la « paix romaine », les rabbins de la Terre sainte continuent d'acheminer leurs décisions relativement à la loi dans tout l'empire. Empruntant les voies commerciales via l’Italie, elles atteignent ainsi les communautés juives d'Occident.
Il en va tout autrement en Orient, du côté de la Mésopotamie, où les Romains sont en conflit permanent avec les Parthes. Les maisons d’études juives de Babylonie qui se trouvent dans l’empire parthe ont pertu tout lien avec leurs homologues de la Palestine romaine.
Leurs propres décisions relativement à la loi se diffusent dans le Proche-Orient, puis, au rythme des caravanes qui sillonnent les côtes du nord de l’Afrique, elles atteignent la péninsule ibérique. À partir du VIIe siècle de l’ère chrétienne, tous ces pays sont conquis par les Arabes, et peu à peu, l’Espagne devient la plus nombreuse des communautés juives sous l’influence de la tradition juridique mésopotamienne ou de Babylonie.
Comme les Juifs ont pris l’habitude de désigner les contrées dans lesquelles ils habitent par des noms bibliques, le territoire de l'actuelle Allemagne est surnommé « Ashkénaze », du nom d’un des arrière-petit-fils de Noé. Ce territoire étant sous l’influence des traditions issues des rabbins d’Israël, tous les pays influencés par la tradition juridique originaire d’Israël vont peu à peu devenir des communautés juives ashkénazes.
Les Juifs appellent par ailleurs l’Espagne du terme de « Séfarade », du nom d’une contrée citée une fois dans la Bible. Il s'ensuit que la tradition juridique d’origine mésopotamienne en vient à être qualifiée de séfarade.
Les distinctions entre ashkénazes et séfarades débordent bientôt le cadre juridique et s'étendent à la langue. Sur les bords du Rhin et de l'Elbe, la prononciation de l’hébreu se modifie sous l’influence des accents locaux d’Europe centrale. De même au sud de la Méditerranée, la prononciation de l’hébreu se transforme sous l’influence des langues locales, notamment l’arabe, et ainsi se crée la prononciation séfarade.
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Voir les 8 commentaires sur cet article
Kourdane (01-12-2024 12:45:56)
La plus grande communauté juive au moyen âge était celle de Metz en Moselle. Dans ce département de nombreuses communautés rurales étaient prospères et avalent érigé des synagogues qui furent... Lire la suite
JARRIGE (10-11-2024 17:27:59)
A l'attention de Jean MUNIER.
"...départements 54, 67 et 68..." Ne serait-ce pas plutôt 57 (Moselle et Metz) plutôt que 54 (Meurthe et Moselle et Nancy).
Jonas (05-11-2024 17:44:09)
Très bon article .
Rappeler que Cyrus le Grand avait permit aux juifs de Babylonne de rentrer à Jérusalem et de construire le second Temple.