Il est, a dit Buffon, « la plus noble conquête de l'homme ». Comment en effet ne pas voir dans le cheval ce compagnon indispensable de tant de sociétés, apprécié à la fois pour ses qualités de travailleur, de combattant et de sportif ?
Il est temps d'en savoir plus sur ce quadrupède qui court à nos côtés depuis des millénaires. En selle !
Cavaler sur les murs
Dès la préhistoire, le cheval est une star ! Mais il lui a déjà fallu des millénaires pour se faire une beauté : ses ancêtres les plus lointains, apparus il y a quelque 50 millions d'années, ne dépassaient pas en effet la taille d'un chien et possédaient des « pieds » griffus qui le handicapaient en cas de fuite.
La famille des équidés prend l'apparence que nous lui connaissons, à quelques détails près, il y a seulement 4 millions d'années. On peut en avoir une idée en observant son cousin le cheval de Przewalski, baptisé du nom du colonel russe qui le découvrit en Mongolie à la fin du XIXe siècle.
Petit mais robuste, le cheval du Paléolithique est vite repéré par les groupes d'hommes qui apprécient son élégance, son absence d'agressivité et ses 150 kg de viande.
Les chasseurs s'en donnent à cœur joie comme à Solutré (Bourgogne) où ils le piègent au pied de la célèbre roche, laissant aux rêveurs la légende de chevaux paniqués poussés dans le vide.
Devenu une proie privilégiée avec l'invention de l'arme redoutable du propulseur et élevé au rang de symbole de virilité, il est donc logique qu'il représente à lui seul près de 27% des peintures animales dans les grottes ornées. Le culte ne fait que commencer.
Fini, la liberté !
Vers 5 000 av. J.-C., on commence à considérer d'un autre œil ce cavaleur. Vaches, chèvres, cochons et poules ont déjà rejoint les enclos, pourquoi ne pas en faire de même avec le cheval ?
Gourmand et curieux, il va se laisser domestiquer du côté de l'Ukraine par ces hommes qui rêvent d'acquérir sa puissance et commencent à effectuer des sélections, le faisant passer du statut de gibier à celui d'animal d'élevage.
Source de nourriture, il acquiert aussi rapidement une dimension religieuse comme en témoigne sa présence dans les rites funéraires, par exemple sur les bords de la mer Noire.
Mais c'est surtout en tant que force de travail qu'il trouve sa place dans les sociétés en construction d'un bout à l'autre du continent eurasien.
A-t-il commencé par tirer les chariots ou par servir de monture ?
Le débat n'est pas clos, mais il est certain que cela n'a pu se faire sans le développement des technologies nécessaires, à l'Âge du bronze.
Mais comment tient-on là-dessus ?
Il faudrait chercher du côté de Babylone celui qui, le premier, eut l'idée saugrenue de monter sur le dos d'un cheval. On peut imaginer cependant que l'innovation n'eut pas beaucoup de succès, faute du matériel adéquat pour tenir l'équilibre.
Pendant des siècles on s'accrocha comme on put à l'animal ; les plus grands conquérants, comme Alexandre ou César, devaient en effet s'installer à califourchon sur un tapis et s'en remettre aux rênes et au mors, nés à l'Âge du fer, au Ier millénaire av. J.-C.
Les Scythes eux-mêmes (VIIe siècle av. J.-C.), pourtant connus pour leur adresse de cavaliers, ne parvenaient à décocher leurs flèches que grâce à une extrême prise de risque.
Mais rien ne pouvait arrêter ces éleveurs nomades qui semblaient être nés à cheval, à l'exemple de leurs cousins russes les Sarmates, inspirateurs de la légende des terribles Amazones.
Les problèmes techniques ne commencèrent à être résolus que peu avant le début de notre ère avec l'invention de la selle, suivie de peu par celle des étriers dans l'empire kouchan, au nord de l'Inde.
Les Huns s'en emparent au VIe siècle et, désormais plus libres de leurs mouvements, partent à la conquête du monde. « Là où passe mon cheval, l'herbe ne repousse pas ! » Cette phrase attribuée à Attila, fier de son fougueux Balamer, reflète bien la terreur qui accompagne désormais les hordes de cavaliers.
Qu'ils viennent comme lui des plaines du Danube, ou de plus loin, de Mongolie (Gengis Khan, XIIe siècle) ou d'Ouzbékistan (Tamerlan, XIVe siècle), l'image du nomade et de sa monture, associés pour le pire, est désormais entrée dans les esprits.
C'est l'histoire d'un jeune homme plein de promesses qui sait parler aux chevaux :
« Philonicus le Thessalien amena un jour à Philippe [de Macédoine] un cheval nommé Bucéphale, qu'il voulait vendre treize talents. On descendit dans la plaine, pour essayer le cheval ; mais on le trouva difficile, et complètement rebours : il n'acceptait pas que personne le montât ; il ne pouvait supporter la voix d'aucun des écuyers de Philippe, et se cabrait contre tous ceux qui voulaient l'approcher. Philippe, mécontent, ordonna qu'on le remmenât, persuadé qu'on ne tirerait rien d'une bête si sauvage, et qu'on ne la saurait dompter. « Quel cheval ils perdent là ! s'écrie Alexandre, qui était présent ; c'est par inexpérience et timidité qu'ils n'en ont pu venir à bout [...].
Alexandre s'approche du cheval, prend les rênes et lui tourne la tête en face du soleil, ayant observé apparemment qu'il était effarouché par son ombre, qui tombait devant lui et suivait tous ses mouvements. Tant qu'il le vit souffler de colère, il le flatta doucement de la voix et de la main ; ensuite, laissant couler son manteau à terre, il s'élance d'un saut léger, et l'enfourche en maître. D'abord il se contente de lui tenir la bride haute, sans le frapper ni le harceler ; mais, sitôt qu'il s'aperçoit que le cheval a rabattu de ses menaces et qu'il ne demande plus qu'à courir, alors il baisse la main, et le lâche à toute bride, en lui parlant d'une voix plus rude et en le frappant du talon. Philippe et tous les assistants regardaient d'abord avec une inquiétude mortelle, et dans un profond silence ; mais, quand Alexandre tourna bride, sans embarras, et revint la tête haute et tout fier de son exploit, tous les spectateurs le couvrirent de leurs applaudissements. Quant au père, il en versa, dit-on, des larmes de joie ; et, lorsque Alexandre fut descendu de cheval, il le baisa au front : "O mon fils ! dit-il, cherche un royaume qui soit digne de toi ; la Macédoine n'est pas à ta mesure" » (Plutarque, Vie des hommes illustres, t. III, Ier siècle).
Les amazones à la torture
Au Moyen Âge, qu'elle soit paysanne ou noble, la femme elle aussi a profité du dos accueillant des ânes et chevaux pour se déplacer. Ce ne fut d'ailleurs pas sans poser problème puisqu'on lui interdit de monter comme un homme.
Il n'est pas question qu'elle vole à son compagnon son image de puissance et de liberté ! Et ne dit-on pas qu'elle risque d'y perdre sa virginité ?
Du coup, rares sont celles qui osent se montrer à califourchon à moins de faire oublier leur féminité derrière une image de guerrière, à l'exemple de Jeanne d'Arc.
Pour éviter d'avoir à adopter la tenue masculine qui valut à la sainte le bûcher, les cavalières vont prendre l'habitude de monter en gardant les deux jambes du même côté, sur une sorte de fauteuil (la sambue) ou les pieds sur une planchette, les jambes ainsi cachées sous leurs jupes.
Cette position dangereuse, fort peu confortable et ne permettant pas de guider l'animal ne fut améliorée que vers 1540 avec l'apparition de la position « à l'amazone » .
D'après la légende, elle aurait été rapportée d'Italie par Catherine de Médicis qui n'hésita pas à participer à cheval au siège du Havre (1563).
L'historien Antoine Varillas assure que cette mode n'était pour la reine qu'un moyen discret de mettre en valeur sa féminité : « Le beau tour de ses jambes lui faisait plaisir à porter des bas de soie bien tirés [...] et ce fut pour les montrer qu'elle inventa la mode de mettre une jambe sur le pommeau de la selle en allant sur des haquenées [juments dociles] au lieu d'aller à la planchette. » (Histoire de France, 1683).
Désormais plus stable, la cavalière pouvait participer à ces activités sociales que sont chasse et art équestre et ne s'en priva pas, notamment au XIXe, siècle de l'amazone.
Ce n'est qu'en 1930 que ces dames obtinrent le droit de porter le pantalon pour répondre au succès du vélo, ce concurrent du cheval, et purent enfin chevaucher sans être totalement tordues ! Pas rancunières, elles représentent aujourd'hui près de 80% des adeptes de l'équitation.
Bien-aimés Centaures
Pour les peuples sédentaires de l'Antiquité, le cheval n'a guère finalement qu'une utilité limitée : faute d'attelage efficace, on lui épargne les travaux agricoles pour l'envoyer plutôt sur les champs de bataille ou à la chasse.
Animal cher et précieux, il devient le symbole de l'aristocratie et, à ce titre, a droit dans les textes homériques à partager la sépulture des guerriers.
Au IVe siècle av. J.-C., on commence à lui consacrer des traités, comme L'Hipparque de Xénophon, tandis que les premiers vétérinaires s'intéressent à son anatomie.
Il faut dire que les Grecs anciens sont tombés sous le charme de ces animaux au point de former leurs propres noms sur la racine hippos (cheval), à l'exemple d'Hippolyte ( « qui délie les chevaux » ) ou encore Philippe ( « qui aime les chevaux » ).
Il est donc bien naturel que l'on retrouve notre animal en bonne place dans la mythologie aux côtés de Poséidon, dieu des chevaux et père du plus célèbre d'entre eux, Pégase aux ailes d'oiseau.
Même le Centaure, créature mi-homme mi-cheval, fait figure de monstre tout à fait fréquentable au milieu du panthéon.
Est-ce à cause de cette image sympathique que les Troyens n'hésitèrent guère à faire entrer un énorme cheval de bois à l'intérieur de leurs murailles, pour mieux courir à leur perte ? Leurs « descendants » romains vont vouer eux aussi un véritable culte au cheval pour lequel ils construisent des hippodromes géants. On dit même qu'un empereur jusqu'au-boutiste aurait donné le titre de consul à son ami équin !
« Il était tellement attaché à la faction des cochers verts, qu'il mangeait souvent dans leur écurie, et en faisait sa demeure. L'un d'eux, nommé Eutychus, reçut de lui dans une orgie, un présent de deux millions de sesterces. La veille des jeux du cirque, il ordonnait à des soldats d'imposer silence à tout le voisinage pour que rien ne troublât le repos de son cheval Incitatus. Il lui fit faire une écurie de marbre, une crèche d'ivoire, des housses de pourpre et des licous garnis de pierres précieuses. Il lui donna un palais, des esclaves et un mobilier, afin que les personnes invitées en son nom fussent reçues plus magnifiquement. On dit même qu'il voulait le faire consul. » (Suétone, Vie des Douze Césars, Ier siècle).
Le cheval entre en religion
Déjà présent sur les murs des cavernes des hommes préhistoriques, le cheval est depuis longtemps le dépositaire d'une forte dimension symbolique. Il est d'abord celui qui accompagne les divinités, comme Sleipnir, la monture à huit pattes d'Odin. Il est de ce fait relié au monde des ténèbres sur lequel règne le dieu scandinave.
On retrouve ce même rôle de conducteur des âmes dans la religion grecque puisque le cheval, présent sur de nombreuses tombes, accompagnait les défunts en participant aux courses funéraires ou en donnant sa vie lors de sacrifices.
Chez les Romains, a très longtemps eu lieu la cérémonie appelée october equus, (« du cheval d'octobre ») qui consistait à la mise à mort du cheval vainqueur des courses en l'honneur du dieu Mars.
Pensons également au rôle malfaisant des walkyries germano-scandinaves qui chevauchaient au milieu des champs de bataille pour y choisir les futurs morts.
C'est également une jument ailée, Al-Bouraq, qui joua le rôle traditionnel d'intermédiaire entre les dieux et les humains et permit au prophète Mahomet de monter au ciel.
Divinité du monde souterrain, le cheval est aussi associé à la lumière et en particulier au Soleil dont il dirige la « course » avec le char d'Hélios.
Gare au mortel qui tente de conduire l'attelage divin ! Phaéton tente l'exploit et meurt foudroyé.
L'arrivée de la religion chrétienne ne signifie pas la disparition du cheval, toujours présent dans les représentations au côté de saint Georges, mais aussi sous l'élégante apparence de la licorne.
Symbole de puissance comme de pureté, souvent associée au Christ ou à la Vierge, cette créature monstrueuse a longtemps été un des êtres fabuleux les plus appréciés tandis que sa « corne » , coupée en fait sur les dépouilles de narvals, faisait les beaux jours des amateurs de curiosités.
Aux petits soins
Rare et donc cher, le cheval a été très longtemps le seul animal à mériter d'être observé sous toutes les coutures. Si l'on n'a pas de trace écrite des plus anciennes études, certainement menées du côté du Nil et de l'Euphrate, on peut toujours consulter les Hippiatrica remontant aux premiers siècles de notre ère.
On y apprend par exemple que, pour protéger les sabots, il était recommandé d'utiliser des hipposandales, supplantées par les fers seulement au IXe siècle.
À l'instar de l'homme, notre animal est soigné selon la théorie hippocratique des humeurs, à grands coups de saignées ou de lavements.
L'Orient n'est pas en reste puisque les scientifiques arabes ont su s'inspirer des sources antiques et byzantines pour développer de leur côté une bonne connaissance de l'anatomie et de la santé du cheval.
Pendant la Renaissance européenne, médecines humaine et équine se développent en parallèle tandis que la concurrence apparaît entre les simples maréchaux ferrants, à la pratique très empirique, et les écuyers.
C'est d'ailleurs l'un d'entre eux, Claude Bourgelat, qui parvient à convaincre Louis XV d'ouvrir la première école vétérinaire, en 1761 à Lyon.
Elle sera rapidement suivie d'une seconde à Alfort où Honoré Fragonard commença sa carrière de créateur d'écorchés. On peut encore y admirer un de ses chefs-d’œuvre, Le Cavalier, composé d'un homme dépouillé de sa peau et monté sur un cheval au grand galop, dans le même état.
Grâce aux étudiants étrangers qu'elles accueillent, ces écoles diffusent dans toute l'Europe et le Nouveau Monde l'art vétérinaire à la française. Aujourd'hui, cet art bénéfice des plus importantes avancées technologiques, et il n'est pas rare que l'on prescrive à nos quadrupèdes un passage devant le scanner ou une petite séance d'acupuncture.
Ce chouchou a également droit aux plus belles demeures, écuries royales tout confort et haras prestigieux, le summum étant atteint à Chantilly. Sans parler de nécropoles chevalines comme celle que les tsars ont aménagé à Saint-Pétersbourg pour une centaine de leurs montures favorites (ci-contre).
Toutes ces attentions ne doivent pas faire oublier que le cheval trouve aussi place dans nos assiettes, puisque la consommation de sa viande est autorisée depuis 1866.
En 1753, le grand naturaliste Buffon fait un éloge resté célèbre du cheval, premier animal décrit dans son Histoire naturelle : « La plus noble conquête que l'homme ait jamais faite est celle de ce fier et fougueux animal, qui partage avec lui les fatigues de la guerre et la gloire des combats ; aussi intrépide que son maître, le cheval voit le péril et l'affronte; il se fait au bruit des armes, il l'aime, il le cherche et s'anime de la même ardeur : il partage aussi ses plaisirs ; à la chasse, aux tournois, à la course, il brille, il étincelle. Mais docile autant que courageux, il ne se laisse point emporter à son feu ; il sait réprimer ses mouvements. Non seulement il fléchit sous la main de celui qui le guide, mais il semble consulter ses désirs, et, obéissant toujours aux impressions qu'il en reçoit, il se précipite, se modère ou s'arrête : c'est une créature qui renonce à son être pour n'exister que par la volonté d'un autre, qui sait même la prévenir ; qui par la promptitude et la précision de ses mouvements, l'exprime et l'exécute ; qui sent autant qu'on le désire, et se rend autant qu'on veut ; qui, se livrant sans réserve, ne se refuse à rien, sert de toutes ses forces, s'excède, et même meurt pour obéir » (Buffon, Histoire naturelle, tome IV, 1753).
Bibliographie
Jean-Pierre Digard, Le Cheval, force de l'homme, éd. Gallimard (« Découvertes » n °232), 1994.
Les Cahiers de Science et vie n°141, novembre 2013.
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plumplum (12-07-2016 09:46:33)
Devinette:
De qui dit on qu'il est "la parure du cavalier" !
JANNEL (09-07-2016 21:07:41)
Pourquoi ne dite vous rien sur les chevaux du Nouveau Monde et sur le façon de les monter par les autochtones ?
Merci pour votre réponse.
JANNEL (03-07-2016 23:03:58)
Pourquoi ne dite vous rien sur les chevaux du Nouveau Monde et sur le façon de les monter par les autochtones ?
Merci pour votre réponse.