En Égypte, ils étaient partout : sur les parois des tombes et des palais, au milieu des villes et du désert, sur la vaisselle des pauvres et les papyrus des puissants. Et depuis quelques années, les archéologues les récupèrent même au fond de la mer !
D'où viennent donc ces dieux qui ont tant fait pour nourrir notre fascination pour la civilisation égyptienne ?
Avant les dieux... déjà des dieux !
Horus et ses amis sont le fruit d'une longue évolution qui remonte bien avant l'arrivée des pharaons.
On a en effet trouvé de petites figurines déposées dans les tombes de Nagada (Haute-Égypte), dès 3 500 av. J.-C., qui témoignent sans aucun doute de l'existence de rituels religieux.
Elles consistent en de délicates représentations de femmes mais surtout d'animaux, comme le bélier et la vache : voici les ancêtres de Khnoum et d'Hathor !
Ces divinités s'inspirent de l'univers animalier qui fait le quotidien des habitants, et sont certainement liées à des pratiques magiques, comme le montre l'abondance des amulettes.
Longtemps nomade, ce peuple va petit à petit se sédentariser sur les bords du Nil, sous l'effet de la désertification du Sahara.
La création d'un État centralisé autour des premiers souverains va permettre d'organiser toutes les croyances locales : disposant désormais de l'écriture (vers 3 000 av. J.-C.), les scribes, qui sont aussi prêtres, recueillent et développent les rituels afin de célébrer la gloire du pharaon.
L'armée des dieux est en marche pour une durée de plus de 3 000 ans !
« Les plus religieux de tous les hommes » (Hérodote)
Le voyageur grec Hérodote, qui visita l'Égypte au Ve s. av. J.-C., n'a pu cacher son étonnement face à la force des croyances des Égyptiens. Il est vrai que l'on y compte des centaines de divinités, honorées dans les innombrables temples qui couvrent le pays. Pour un voyageur, quel éblouissement !
La religion officielle ne fait en effet pas les choses à moitié : c'est au pharaon, médiateur entre les dieux ses aïeux et son peuple, de célébrer le culte et de diriger les grandes fêtes. Plus le rituel est grandiose, plus les divinités sont contentes et donc mieux fonctionne l'univers !
Mais, comme tout le monde n'a pas le privilège de faire partie de la troupe des prêtres qui, seuls, peuvent pénétrer dans les sanctuaires, le reste de la population doit se contenter de petits temples pour déposer des offrandes, interroger les oracles ou remercier le dieu qui a puni un ennemi.
Pour le reste de la journée on fait confiance à de petits porte-bonheur en forme par exemple de scarabées sur lesquels sont gravés des principes simples, comme : « Tous les événements sont dans la main de Dieu » ou « La sérénité vaut mieux que la colère ».
Une grande famille… un peu fouillis !
Soyons clair : il est impossible de présenter en quelques mots l'ensemble des dieux égyptiens. Ils naissent, vivent, meurent... et ressuscitent dans un sacré bazar.
Tout aurait commencé à l'initative du démiurge Atoum, dieu de la ville d'Onou, aussi connue des Grecs sous le nom d'Héliopolis. Elle est située dans le delta du Nil. Atoum créa le premier couple, Shou et Tefnout, lequel donna à son tour la vie à Geb et Nout, la Terre et le Ciel. Atoum leur interdit d'enfanter mais ils n'en firent qu'à leur tête.
Apprenant que Nout lui avait désobéi et était enceinte de quintuplés, le Maître de l'Univers lui interdit d'accoucher dans un quelconque jour de l'année. Alors intervint la bienfaisante Thot. Elle dota l'année de cinq jours supplémentaires (en grec, les jours épagomènes) et permit ainsi à Nout d'accoucher sans enfreindre l'ordre du supérieur. Ainsi serait nés selon la mythologie d'Héliopolis Osiris, Seth, Isis, Nephtyys et Horus le Grand.
Non seulement les dieux égyptiens comme ceux-là sont particulièrement nombreux, mais ils peuvent avoir chacun plusieurs noms et apparences. Si tous les Égyptiens de l'Antiquité acceptent l'idée de « netjer », de divinité, il est impressionnant de voir les formes infinies que celle-ci peut prendre suivant les époques, les régions, les groupes de métier...
Regroupées en famille hiérarchisée avec un chef, une épouse, des enfants, les dieux sont représentés sous forme humaine (et donc habillés), animale ou selon un habile mélange des deux. À noter qu'ils ne sont pas éternels, à l'exception d'Osiris qui ressuscita d'entre les morts.
Découvrons les principaux représentants des dieux communs à tout le pays :
Cette petite famille est la véritable « star » du panthéon égyptien.
Voici, d'aspect blafard, Osiris, rescapé du royaume des morts qu'il dirige désormais. À ses côtés, sa sœur et épouse Isis incarne la déesse-mère qui console et protège, comme le fera par la suite la Vierge Marie qu'elle semble annoncer.
Osiris succéda à son père comme roi de l'Univers, sous la protection d'Isis, son épouse et sa soeur. Il enseigna aux hommes l'agriculture et la vinification. Mais lors d'une tournée parmi les hommes, il s'éprit de sa soeur Nephtyys, qui était à la ville l'épouse de Seth le stérile. De l'union naquit Anubis qu'Isis, sans rancune, prit sous sa protection.
Seth, jaloux, invita Osiris à un banquet et, par surprise, le tua et l'abandonna au bord du Nil avant de découper sa dépouille en quatorze morceaux et de les disperser.
Isis n'eut de cesse de rassembler les morceaux, de reconstituer le corps de son mari en les entourant de bandelettes de lin, enfin d'user de ses talents de magicienne pour insuffler la vie à cette première momie. Et Osiris devint dès ce moment le souverain du monde des morts.
Sur ces entrefaites naquit leur fils à tête de faucon, Horus (« Le lointain »). C'est le premier dieu de l'État égyptien puisqu'il était adoré par les souverains qui ont unifié le pays. Horus devint ainsi protecteur de Pharaon, tandis que Pharaon était assimilé à Horus.
Nous sommes au mois de Choiak (fin octobre), au moment où les eaux du Nil se retirent. C’est le temps des « Mystères d’Osiris », grandes cérémonies qui rendaient hommage dans toutes les localités d’Égypte au plus important de tous les dieux.
Sa statue, noyée sous les pierres précieuses, était alors sortie de son temple pour répondre à la ferveur du peuple.
Des prêtres rappelaient en les mimant les épisodes de la vie de la divinité : son amour des hommes auxquels il a donné l’agriculture et les lois, son assassinat par son frère Seth qui l’a démembré, la quête désespérée de son épouse Isis pour recomposer son corps et son retour à la vie par la momification.
Apparu tardivement dans le panthéon égyptien, vers 3 000 av. J.-C., (Ancien Empire), il a vite pris une place prépondérante en devenant le symbole de la victoire de la vie sur la mort. Son effigie sous la forme du dieu funéraire Sokar-Osiris contenait d’ailleurs un exemplaire des 200 chapitres du Livre des morts, apparu au début du Nouvel Empire (vers 1 500 av. J.-C.).
Grâce aux fouilles entreprises dans les villes englouties de Canope et Héracléion, c’est tout le périple nautique du dieu entre les deux cités que l’on peut reconstituer, et imaginer enfin tout le grandiose de cette longue cérémonie, indispensable à la résurrection du dieu, et donc à la survie du pays.
Déesse du Ciel, son corps symbolise la voûte céleste ; quand elle rit, elle provoque le tonnerre et quand elle est chagrinée, ses larmes se déversent sur la Terre comme autant de gouttes de pluie. Dans la mythologie d'Héliopolis, c'est elle qui donne vie à Osiris, Seth, Isis, Nephtyys et Horus.
Apparaissant sous la forme d'un chacal ou d'un homme à tête de chien, « celui à qui est la bandelette » a pour rôle d'introduire les morts dans l'autre monde.
D'autres divinités étaient honorées localement. C'est le cas de :
Le culte de ce dieu-soleil, assimilé ensuite à Amon puis Aton, est originaire de la ville d'Héliopolis.
La déesse à tête de chat, souriante, protégeait les foyers et les jeunes mères mais devenait déesse de la guerre lors de ses terribles colères.
Âme des arbres, nourrice de Pharaon et protectrice des femmes, la déesse-vache représente la joie de vivre.
Dieu lunaire à tête d'ibis, il régnait sur la vie intellectuelle, notamment l'écriture et les lois.
Le dieu crocodile a laissé Hérodote perplexe : « Une partie des Égyptiens regardent les crocodiles comme des animaux sacrés ; mais d'autres leur font la guerre. Ceux qui habitent aux environs de Thèbes et du lac Moeris ont pour eux beaucoup de vénération. Les uns et les autres en choisissent un qu'ils élèvent, et qu'ils instruisent à se laisser toucher avec la main. On lui met des pendants d'oreilles d'or ou de pierre factice, et on lui attache aux pieds de devant de petites chaînes ou bracelets. On le nourrit avec la chair des victimes, et on lui donne d'autres aliments prescrits. Tant qu'il vit, on en prend le plus grand soin ; quand il meurt, on l'embaume, et on le met dans une caisse sacrée. Ceux d'Éléphantine et des environs ne regardent point les crocodiles comme sacrés, et même ils ne se font aucun scrupule d'en manger » (Hérodote, Histoires, livre II, LXIX).
« Qui donc, Volusius, qui donc sur terre ignore
Quels objets monstrueux la folle Égypte adore ?
Là, c’est un crocodile ; ici, pâles, rampants,
Ils implorent l’ibis, engraissé de serpents.
Aux lieux où dort couchée, avec ses races mortes,
Thèbes sous le débris énorme des cent portes ;
Où de Memnon tronqué la fibre sonne encore,
Du singe à longue queue on voit l’image d’or.
Là, des peuples entiers, dans leur culte profane,
Vénèrent les poissons et les chiens ; nulle Diane !
L’oignon est adoré ; c’est profanation
De mordre le poireau... La sainte nation,
Qui voit naître ses dieux du fumier des étables !
De l’animal laineux on s’abstient sur les tables ;
Le chevreau, c’est un crime affreux de l’égorger ;
Mais, là, de chair humaine on peut bien se gorger ! »
(Juvénal, Satires, XV, début du IIe s.).
Aux petits soins pour les morts
Mourir dans l'Égypte ancienne, c'était du sérieux !
Il faut dire que ce peuple témoignait d'un amour de la vie qui rendait d'autant plus angoissante sa perte...
Il fallait donc tout faire pour retrouver le bonheur après la mort, marquée par la dispersion du ka, l'ensemble des énergies vitales qui constituent l'individu.
Pour lutter contre cet anéantissement, on s'attachait à conserver le corps par de minutieuses techniques d'embaumement étalées sur 70 jours pendant lesquels le cadavre, qui disparaissait sous des centaines de mètres de bandelettes, devenait momie.
Il était alors rendu à la famille qui se devait de montrer à la terre entière à quel point le défunt était chéri : pour cela, rien de tel que quelques heures de lamentations et hurlements, quitte à laisser cette tâche à des pleureuses professionnelles.
Il était alors temps de déposer le cher disparu dans un sarcophage, lui-même installé dans un caveau (ou un simple trou pour les plus pauvres) en compagnie de ses meubles et objets préférés, censés faciliter le déroulement de sa nouvelle « vie ».
À ses côtés se trouvait un coffret contenant le manuscrit du Livre des morts, ensemble de « Formules pour sortir au jour », c'est-à-dire d'incantations dont la simple présence promettait des jours heureux dans les campagnes luxuriantes du « champ des offrandes ».
Pour y accéder le mort devait d'abord se plier à la célèbre étape de la pesée des âmes pour vérifier son état de pureté. Reconnu juste, il était alors introduit devant Osiris qui lui permettait d'accéder, après une petite promenade en barque, à l'au-delà. Sauvé !
« D'abord, avec un crochet de fer, ils extraient le cerveau par les narines ; mais ils n'en retirent qu'une partie par ce moyen. Ils dissolvent le reste en injectant certaines drogues dans le crâne. Ensuite, au moyen d'une pierre tranchante en pierre d'Éthiopie, ils pratiquent une incision le long du flanc et vident le corps de toutes ses viscères ; dans l'intérieur ainsi nettoyé, ils font passer du vin de palmier et pulvérisent des substances aromatiques. Ensuite, ils remplissent le ventre de pure myrrhe broyée, de cannelle et de toutes les aromates connues, sauf l'encens, et le recousent. Après quoi, ils salent le corps en le couvrant de natron pendant soixante-dix jours ; ce temps ne doit pas être dépassé. Les soixante-dix jours écoulés, ils lavent le corps et l'enveloppent tout entier de bandes découpées dans un tissu de lin très fin et enduites de la gomme dont les Égyptiens se servent d'ordinaire au lieu de colle. Les parents reprennent ensuite le corps et font faire un sarcophage de bois, taillé à l'image de la forme humaine, dans lequel ils le déposent ; et quand ils ont fermé ce coffre, ils le conservent précieusement dans une chambre funéraire où ils l'installent debout, dressé contre un mur »
(Hérodote, Histoires, II, 86).
Akhenaton fait une crise
Dans les musées, on le reconnaît au premier coup d'oeil : corps efféminé, traits caricaturaux, Akhenaton est visiblement un pharaon à part.
Il faut dire qu'il a tout fait pour se faire remarquer, à commencer par épouser une des plus jolies femmes de l'Histoire, Néfertiti (« La Belle est venue »).
Mais son originalité est ailleurs : monté sur le trône en 1356 av. J.-C., celui qui s'appelait d'abord prince Amenhotep est à l'origine d'une période très originale dans l'histoire égyptienne, sur le plan religieux et artistique.
Influencé par un courant de pensée qui s'était installé depuis quelques décennies sur les bords du Nil, il développa le culte du Disque (Aton) dans lequel il voyait la source de toute vie. Il prit dès lors le nom d'Akhenaton, « Celui qui est utile à Aton ». On martela les inscriptions désignant Amon, on construisit de nouveaux temples, on déplaça la capitale à Tell el-Amarna.
Sur les bas-reliefs, le couple aimait à se faire représenter en famille, symbole d'harmonie. Le culte resta cependant confiné dans les cercles du pouvoir tandis que le peuple conservait ses vieilles habitudes religieuses.
À la mort du souverain, on fit de nouveau table rase et l'on s'empressa de refermer la parenthèse Akhenaton. Son image fut à son tour victime des coups de burin...
Le clergé d'Amon convainquit également son jeune successeur Toutânkhamon d'abandonner Tell el-Amarna, sa capitale solaire, et de revenir à Thèbes (aujourd'hui Louxor).
Derniers petits arrangements avant disparition
L'Égypte est accueillante, les dieux étrangers l'ont bien compris.
Les populations originaires des régions limitrophes ont donc pu s'installer avec leurs propres divinités, que ce soit l'Astarté syrienne ou l'Aphrodite grecque, présentes au cœur même des sanctuaires locaux.
L'intégration était facilitée par la mise en place de correspondances : Dionysos était assimilé à Osiris, Déméter à Bastet, etc.
Avec l'arrivée des Macédoniens d'Alexandre au IVe siècle av. J.-C., le processus s'inverse.
Pour se faire accepter par la population, les Ptolémées se mettent à honorer Sérapis qui emprunte des traits à la fois à l'Hadès grec et au dieu-taureau Apis.
Rois pour les Grecs et dieux pour les Égyptiens, ils vont même plus loin en instituant un culte à leur ancien chef Alexandre qui s'était lui-même déclaré fils d'Amon.
Rome, à son tour, soumet l'Égypte. Tolérante par nature, elle est plus que séduite par les divinités exotiques de la vallée du Nil, en particulier la belle Isis qui jouit dans la Ville éternelle d'une popularité croissante grâce aux légionnaires, grands voyageurs.
L'empereur Domitien n'hésite pas à faire restaurer les grands temples d'Edfou et de Dendérah et, au siècle suivant, l'empereur Hadrien institue un culte en l'honneur de son favori Antinoüs, mort noyé dans le Nil en 130 ap. J.-C., à la fleur de l'âge.
Mais tandis que, sur les bords du Nil, le pouvoir politique entreprend d'affaiblir la puissance des prêtres, on commence aussi à se moquer du « culte insensé » (Juvénal) des Égyptiens pour les animaux.
En 391 enfin, l'empire romain étant devenu chrétien, l'empereur Théodose décide de fermer tous les temples païens.
La religion égyptienne ne peut plus lutter : c'est désormais au tour du christianisme de dominer la vallée des pharaons jusqu'à l'arrivée de l'islam, en 640. De l'au-delà, les divinités du panthéon égyptien ne cessent pas pour autant, depuis 6 000 ans, de fasciner les hommes.
En 30 av. J.-C., Cléopâtre, descendante des Ptolémées et dernière reine d'Égypte, se suicide. Le pays passe sous le contrôle des Romains, sans pour autant perdre son âme, ou du moins ses traditions funéraires.
Les exopulitaï (« ceux qui habitent au-delà des portes »), professionnels chargés de l'embaumement des corps, satisfont désormais une demande venue des Grecs qui occupent les postes de commandement.
Ils développent l'art ancien du masque funéraire égyptien en y intégrant une dimension naturaliste venue de Grèce, tout en représentant costumes et bijoux romains. Un beau mélange !
Peints grandeur nature, du vivant des futurs morts, ces portraits étaient conservés dans les habitations en attendant le jour funeste où ils recouvriraient le visage de la momie. Ils étaient sacrés puisqu'ils étaient censés se substituer pour l'éternité aux défunts, eux-mêmes devenus Osiris ou Isis.
On en a trouvé de nombreux exemplaires dans la région du Fayoum (au sud du Caire) qui a donné son nom à cet art particulier dans lequel André Malraux voyait « une veilleuse de vie éternelle ». Ces portraits si troublants, qui font revivre les morts au-delà des siècles, auraient influencé la tradition de l'icône byzantine par l'intermédiaire de la culture copte.
Sources bibliographiques
Encyclopédie des religions, éd. Bayard, 1997.
Euphrosyne Doxiadis, Portraits du Fayoum. Visages de l'Égypte ancienne, éd. Gallimard, 1995.
Historia n°825 (« Égypte, Les mystères d'Osiris révélés »), sept. 2015.
Religions et Histoire n°29 (« La Religion des anciens Égyptiens »), nov.-déc. 2009.
L'Égypte en cartes animées
Vos réactions à cet article
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niki van espen (15-05-2022 11:38:44)
article fort intéressant, comme tous vos articles d'ailleurs - une toute petite remarque, probablement due à une faute de frappe, il y a erreur concernant le lieu où Akhenaton instaura sa dynastie ... Lire la suite