L’Histoire des peuples du Maghreb commence vers 14 000 av. J.-C. lorsque la dernière glaciation s’achève. À cette époque, le Sahara est encore un désert et la population d’Afrique du Nord se cantonne dans deux endroits : sur la côte nord-ouest qui est un peu plus arrosée, et dans la vallée du Nil. Celle-ci est habitée par des populations qui portent un double héritage génétique : celui des plateaux éthiopiens (haplogroupe E1b1b du chromosome Y), et celui du Proche-Orient (haplogroupes J et T de l’ADN mitochondrial).
Le reverdissement progressif de la côte permet son repeuplement depuis le delta du Nil. Plus surprenant, cette expansion se poursuit jusque dans l’Atlas marocain où les anciennes populations sont presque entièrement remplacées par les nouveaux arrivants.
L’haplogroupe E1b1b de ces immigrants connaît par ailleurs une nouvelle mutation qui correspond au marqueur M81 et qui deviendra une signature des futurs Berbères.
Le reverdissement du Sahara se poursuit dans les millénaires qui suivent, ce qui permet à ces proto-Berbères de s’étendre vers le sud.
Dans le même temps, l’Afrique du Nord connaît une pression permanente venue d’Espagne et du Proche-Orient qui s’échelonne sur plusieurs millénaires et qui transparaît avec l’augmentation progressive des haplogroupes H et V sur l’ADN mitochondrial.
Vers 4000 av. J.-C., l’identité génétique des Proto-berbères, à 50% d’origine éthiopienne et 50% d’origine proche-orientale, est déjà bien en place. Elle ne connaîtra plus d’évolution majeure jusqu’à l’expansion de l’islam, cinq mille ans plus tard !
Ve millénaire av. J.-C. : l’assèchement du Sahara sépare les populations
Cette époque marque la fin de l’optimum climatique et le début d’une nouvelle désertification du Sahara. À l’Est, les pasteurs s’agglomèrent dans la vallée du Nil, ultime havre de verdure, où ils vont développer la civilisation pharaonique.
Au sud, les populations bordant le Sahel se retrouvent peu à peu isolées du nord, ce qui augmente l’influence génétique des Subsahariens. Elles seront notamment à l’origine du peuple touareg.
Par la suite, les populations du nord-ouest vont exercer une pression permanente en direction du Sahara, ce qui explique la grande homogénéité des langues berbères constatée sur une zone très vaste. Les redoutables Libyens décrits par les chroniqueurs égyptiens faisaient sans doute partie de cet ensemble berbère, au moins à partir de 1200 av. J.-C.
L’Histoire du Maghreb sort de l’ombre au IXe siècle av. J.-C. avec l’arrivée des Phéniciens : ceux-ci fondent notamment Carthage qui sert de poste avancé pour le commerce en Méditerranée Occidentale et sur l’Atlantique. Peu à peu, ces Phéniciens de l’ouest évoluent jusqu’à former un nouveau peuple à part entière, les Puniques. Leur implantation reste marginale mais leur culture se diffuse partiellement au sein des Berbères de la côte.
La deuxième guerre punique (219 à 202 av. J.-C.) marque les débuts de l’influence romaine. Elle voit émerger aussi le premier royaume connu. C’est celui des Numides, à cheval sur la Tunisie et l’Algérie. Son souverain Massinissa apporta son aide à Scipion l’Africain dans la lutte contre Hannibal. Mais peu après, les Romains vont retourner leurs armes contre son petit-fils Jugurtha et annexer son royaume.
En 42 apr. J.-C., les Romains annexeront enfin la Maurétanie (Maroc actuel) sans pouvoir soumettre les montagnes. Ils fonderont quelques cités à leur manière, telles Volubilis (entre Moulay Idriss et Meknès), Tipasa, à l’ouest d’Alger, etc.
Si le latin s’impose rapidement dans les villes, il ne gagnera jamais les campagnes où les langues berbères se maintiennent.
Une culture berbère originale se forme ainsi autour de ce triple héritage : proto-berbère, punique et romain. Dans leur langue, le Tamazight, les Berbères s'appellent eux-mêmes Amazigh (« Homme libre », pluriel : Imazighen). Ils sont connus des historiens grecs et latins sous des noms divers : Garamantes, Maures, Numides, Libyens, etc. Le nom de Berbères, de racine grecque, leur sera donné plus tard par les envahisseurs arabes.
Aux IVe et Ve siècles, le christianisme s’impose dans la région comme dans le reste de l’empire. C’est aussi l’époque des invasions germaniques : en 429, les Vandales franchissent le détroit de Gibraltar et s’emparent de l’ensemble du Maghreb en une décennie. Ils conservent la moitié est tandis que les tribus à l’ouest reprennent leur indépendance.
Cependant leur impact génétique apparaît tout aussi marginal que celui des Phéniciens et des Romains. Par ailleurs, ces nouveaux dirigeants se romanisent rapidement et leur présence n’entraîne donc aucune bascule culturelle. Cette parenthèse vandale se referme en 533 avec la reconquête romaine sous l’empereur Justinien (482-565).
VIIe siècle : l’islam bouscule le monde berbère
La bascule la plus déterminante du monde berbère survient à la fin du VIIe siècle, lors de l’expansion du califat arabe jusqu’au Maghreb.
La conquête arabe débute en 647 mais se heurte à une résistance longue et âpre illustrée vers 695 par Diyya, surnommée la Kahina (la « Prêtresse » à rapprocher de l'hébreu Kohen), une Berbère peut-être de confession juive.
Les Berbères n’en sont pas moins contraints de se rallier aux cavaliers de l’islam, tant et si bien qu’il forment déjà le gros des armées lors de la conquête de l’Espagne dans les années 710 et 720. Notons que sur le plan génétique, l’héritage de cette implantation berbère est encore détectable aujourd’hui chez les Espagnols et les Portugais, mais à des taux inférieurs à 8%.
L’arabe devient à la fois la langue liturgique et celle des dirigeants, mais elle ne connaît une implantation sensible que dans les anciennes villes romaines, notamment aux dépens du latin qui périclite rapidement.
L’esprit de résistance des Berbères se manifeste par leur adhésion à l’hérésie kharidjite (dico), qui conduit à une nouvelle révolte en 740. Cette résistance linguistique des Berbères se retrouve sur le plan génétique : l’haplogroupe J1 du chromosome Y, typique de la péninsule arabique, ne s’implante que très faiblement dans la région.
Sur le plan culturel en revanche, on passe clairement d’une influence romaine à une influence arabe du fait de cette bascule entre le christianisme et l’islam, entre l’empire et le califat. L’identité berbère continue ainsi de reposer sur un double substrat : autochtone sur les plans génétique et linguistique, et allochtone sur les plans politique et religieux.
Comme sous les Vandales et les Byzantins, la partie ouest du Maghreb retrouve très vite son indépendance sous l’égide de chefs musulmans. C’est la naissance du Maroc.
La partie orientale (Tunisie) continue quant à elle d’être soumise à des dirigeants d’origine arabe, avec un apogée sous les émirs aghlabides, puis la fondation du califat fatimide qui se recentre rapidement sur l’Égypte.
Ce n’est qu’au milieu du XIe siècle que les Berbères de l’actuelle Tunisie retrouvent à leur tour leur indépendance. Ils doivent aussitôt faire face à des raids de tribus arabes appelées Hilaliens qui ravagent tout jusqu’à l’Atlas. C’est ainsi que paradoxalement, cette revitalisation politique des Berbères entraîne un nouvel afflux de populations arabes qui s’implantent surtout en bordure du désert.
L’apport génétique des Arabes finit par représenter près d’un cinquième de l’ascendance au sein d’une population maghrébine de plus en plus mélangée. En Libye et en Mauritanie, la langue arabe s’impose même au sein des tribus d’origine berbère au cours des siècles suivants.
La langue berbère (Tamazight) se maintient cependant du Maroc à la Tripolitaine, raffermie par une succession de dynasties d’origine berbère : les Almoravides puis les Almohades qui correspondent à une phase de rayonnement sans précédent du monde berbère et, fait sans précédent, unifient brièvement le Maghreb à la fin du XIe siècle après avoir soumis les Banu Hilal.
Par la suite, le Maghreb se divise à nouveau en royaumes et dynasties rivales : Mérinides (Maroc), Zianides (Tlemcen), Hafsides (Tunis)…
XVIe siècle : concurrence entre Turcs et Européens
Le bouleversement suivant survient au XVIe siècle sur fond d’expansion portugaise et espagnole qui provoque une nouvelle division du Maghreb en deux parties : à l’Ouest, les Saadiens d’origine arabe parviennent à restaurer la puissance du Maroc.
L’Est en revanche tombe sous la domination des Ottomans qui fondent la Régence d’Alger en 1519, de Tripoli en 1551, et de Tunis en 1574. C’est une époque cruciale puisqu’elle consacre une division politique du Maghreb qui se maintiendra jusqu’à nos jours.
Cela marque aussi la fin des dynasties d’origine berbère qui tendaient à freiner le processus d’arabisation. Au début du XIXe siècle, la langue arabe s’est déjà largement imposée en Libye et en Tunisie ottomanes tandis que le berbère résiste davantage plus à l’ouest.
Par la suite, avec la prise d’Alger par les troupes françaises, la colonisation introduit le français comme langue administrative en Algérie mais aussi dans les protectorats du Maroc et de Tunisie.
Cela n’empêche pas le processus d’arabisation de se poursuivre. Il atteint son paroxysme lors du retour à l’indépendance, lorsque l’arabe devient la seule langue officielle dans les pays du Maghreb (ce mot qui signifie « Occident » en arabe désigne les trois pays d’Afrique du nord).
En tant que langue internationale et langue des villes, l’arabe est de fait devenu indispensable pour les échanges, sans parler de la volonté politique de créer une plus grande cohésion nationale. Même si l'arabe maghrébin est une variante éloignée de l'arabe classique, celui du Coran, et n'est pas toujours compris par les Arabes orientaux.
Ce n’est qu’au XXIe siècle que le Maroc et l’Algérie vont redonner de la visibilité aux minorités berbérophones, en faisant de l’amazigh (nom officiel de la langue berbère) une langue officielle aux côtés de l’arabe en 2011 et 2016 respectivement.
Aujourd’hui, les populations berbérophones représentent peut-être 27 et 15% de la population des deux pays, mais avec des chiffres qui varient beaucoup d’une étude à l’autre. Par ailleurs, ces populations utilisent toujours l’arabe en parallèle.
Pourtant, une majorité de Maghrébins se sent aujourd’hui berbère et non arabe, en contradiction avec la vision qu’en ont les Français.
XXIe siècle : les Maghrébins sont-ils Berbères ou Arabes ?
Sur le plan génétique, le marqueur E1b1b-M81 identifie clairement les Berbères et le marqueur J1 les Arabes. La carte génétique du Maghreb permet de la sorte d’identifier un « monde berbère » qui serait la zone où le M81 est majoritaire, mais elle-même s’avère très « métissée » comme le reste car le J1 est partout non négligeable.
Sur le plan linguistique, c’est plus simple : si l’on s’en tenait à ce critère, seuls les berbérophones pourraient être qualifiés de Berbères, ce qui exclurait une majorité de Maghrébins. La prépondérance de la langue arabe explique par ailleurs l’appartenance des États du Maghreb à la Ligue Arabe.
Sur le plan religieux, l’héritage est évidemment arabe. Cela entraîne des éléments culturels de premier ordre communs à l’ensemble du monde arabo-musulman, qui se superposent à un héritage typiquement berbère mais plus discret.
En fait, l’identité berbère revendiquée par de nombreux Maghrébins repose surtout sur le souvenir d’une langue et d’une histoire propres au Maghreb… C’est d’ailleurs sur un facteur similaire que repose aujourd’hui l’identité bretonne par exemple : l’effacement de la langue et de la culture bretonne n’empêchent pas le sentiment d’appartenance au peuple breton, du fait d’une histoire régionale riche et ancienne !
Le problème est que cet héritage mémoriel est à double tranchant : la séparation du Maroc, de l’Algérie et de la Tunisie remonte maintenant au XVIe siècle, ce qui a eu le temps de créer des identités spécifiques. Aujourd’hui, beaucoup tendent à mettre davantage en avant les différences entre Marocains et Algériens plutôt que souligner l’unité algéro-marocaine au sein du monde berbère.
En définitive, l’appartenance au Maroc ou à l’Algérie n’empêche pas l’appartenance au monde berbère qui n’empêche pas l’appartenance au monde arabe. Ces identités plus globales ont l’immense mérite de souligner les points communs entre les peuples plutôt que leurs différences.
Vincent Boqueho raconte...
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Voir les 6 commentaires sur cet article
Anselme (26-10-2024 23:36:46)
Notre professeur d'histoire, lorsque j'étais en classe de Première en 1959, nous disait que les administrateurs français des débuts de la colonisation vers 1880 avaient favorisé l'islamisation i... Lire la suite
delos (15-10-2024 18:46:44)
la colonisation française a donner une reconnaissance au moins linguistique aux berbères.
orace369 (14-10-2024 14:43:30)
Merci beaucoup, j'apprécie cette vidéo et le texte l'accompagnant.