Pépin le Bref est le premier souverain occidental à recevoir l'onction du sacre. Il reçoit celle-ci une première fois en 751 des mains de l'archevêque de Mayence, son ami saint Boniface, et une deuxième fois, en 754, des mains de l'évêque de Rome lui-même, le pape Étienne II.
Oint de l'huile sainte (plutôt deux fois qu'une), il consolide ainsi sa légitimité comme nouveau roi des Francs, à la place de la précédente dynastie mérovingienne issue de Clovis, qui ne bénéficiait, elle, que de l'agrément des puissants seigneurs du royaume.
Deux siècles plus tard, le sacre de Hugues Capet consacrera l'avènement d'une nouvelle dynastie sur les ruines de la dynastie carolingienne. Dès lors, chaque roi de France aura à coeur de renouveler ce rituel en prélude à son avènement jusqu'à Charles X, sacré en 1825. Une seule exception à la règle : Louis XVIII, trop malade pour supporter une cérémonie éprouvante.
Un rituel biblique repris par les rois germaniques
Le rituel du sacre puise ses origines :
1/ dans une conception germanique, païenne et « barbare » qui fait du roi l'intercesseur entre le monde divin et le monde humain,
2/ dans la référence chrétienne à la Bible rapportée par saint Boniface, conseiller de Pépin le Bref : le prophète Samuel oint Saül et en fait le premier roi d'Israël, à la demande du peuple (et contre la volonté de Dieu et de Samuel).
Il a été introduit une première fois en Espagne wisigothique par le roi Wamba (672-680). Le roi et son clergé espéraient ainsi renforcer le prestige du monarque en l'associant à Dieu et limiter les régicides et dépositions, pratique courante dans le royaume. Cela n'empêcha pas Wamba d'être à son tour victime d'une conspiration et déposé.
Après la conquête arabe, de nombreux Wisigoths émigrèrent dans le royaume des Francs et l'on peut supposer que c'est par leur intermédiaire que les Pippinides ou Carolingiens ont découvert cette cérémonie.
Pépin III le Bref, père du futur Charlemagne, est le premier souverain franc à être ainsi sacré en confirmation de son accession à la royauté. Comme c'est un « usurpateur » qui met fin à la dynastie mérovingienne, il a besoin d'un supplément d'autorité que le sacre lui apporte.
Au cours du sacre, le futur souverain reçoit sur le front l'huile sainte qu'aurait reçue Clovis lors de son baptême à Reims par l'évêque Remi. La Sainte Ampoule qui contient l'huile aurait été transmise à Remi par un ange et son contenu se régénèrerait miraculeusement à chaque onction. Mais il ne s'agit là que d'une légende arrangée au IXe siècle, du temps des Carolingiens, par l'archevêque de Reims Hincmar.
Les Capétiens adoptent le sacre à leur tour
Les Capétiens, successeurs du roi Hugues Capet, prolongent la tradition du sacre. Dans le souci d'enraciner leur légitimité au plus profond de l'Histoire, ils cultivent la confusion entre ce rituel et le baptême de Clovis.
C'est ainsi qu'à partir d'une recommandation du pape Urbain II, en 1089, le sacre ne se déroule bientôt plus qu'à Reims, là où Clovis a été baptisé.
Louis VI le Gros et Henri IV font exception. Le père du premier meurt avant qu'il ait eu le temps de faire désigner son fils comme son successeur par les pairs du royaume comme il en allait des premiers rois capétiens. Louis VI est en conséquence sacré à la hâte dans la ville la plus proche, Orléans, par l'évêque de Sens. Henri IV, quant à lui, se fait sacrer à Chartres faute de pouvoir se rendre à Reims, aux mains de ses ennemis.
Les objets sacrés qui participent au sacre sont appelés regalia.
Parmi eux figure bien sûr l'ampoule contenant l'huile sainte (elle est brisée pendant la Révolution mais un peu d'huile est miraculeusement retrouvé plus tard, pour le sacre de Charles X). Il y a aussi les vêtements du sacre, la couronne, la main de justice et l'épée.
Dénommée Joyeuse, cette épée est réputée avoir appartenu à Charlemagne (à tort, car elle est postérieure et fut réalisée en différentes étapes durant tout le Moyen Âge).
Aujourd'hui, elle fait partie avec son fourreau du Trésor de l'abbaye de Saint-Denis.
Un cérémonial sacré
Chaque sacre donne lieu au déplacement de la cour, soit un total de quelques milliers de personnes qui s'installent à Reims. La ville s'honore d'un total de 33 sacres dont 25 dans la cathédrale actuelle, édifiée au XIIIe siècle.
À son arrivée dans la ville, le roi fait serment de protéger l'Église, défendre la foi catholique, faire régner la paix et la justice, défendre le royaume et faire preuve de miséricorde. Le clergé et le peuple donnent leur assentiment aux cris de « Fiat, fiat ! ».
Ensuite commence la cérémonie proprement dite : le roi change de vêtements et reçoit l'épée du sacre ; puis, l'archevêque l'oint avec le Saint Chrême.
Les Français soulignent à l'envi le caractère sacré de cette onction de l'huile sainte, héritée de Clovis et dont on dit qu'elle aurait été amenée à saint Remi par une colombe messagère de l'Esprit Saint en personne. Ils se gaussent des Anglais dont le souverain est oint avec une très ordinaire « huile de mercier ».
Là-dessus, le grand chambrier remet au roi les vêtements et les objets sacrés qui témoignent de son rang : les regalia (sceptre...).
Les douze principaux barons du royaume (les pairs) tiennent ensemble la couronne au-dessus de leur souverain, puis ils s'écartent à l'exception de l'archevêque-duc de Reims et celui-ci pose la couronne sur la tête.
La cérémonie se conclut par une profession de foi, le baiser de paix et une messe au cours de laquelle le souverain acquiert le privilège réservé aux prêtres de communier sous les deux formes, par le pain et le vin ; les simples fidèles n'ayant que le droit de communier par le pain (l'hostie).
Après le sacre, la tradition veut que le roi festoie dans l'archevêché, le palais du Tau, entouré des douze pairs (à l'imitation du Christ et des apôtres ou du roi Arthur et de ses chevaliers). Il s'agit de six ecclésiastiques et six laïcs (ducs de Normandie, Bourgogne et Aquitaine, comtes de Toulouse, Champagne et Flandre).
Au fil des générations, le peuple et les nobles s'habituent à voir dans le sacre un rite qui place le roi au-dessus de ses sujets. Ce sentiment est assez fort pour dissuader tout attentat contre la personne du roi, du moins jusqu'aux guerres de religion.
En pleine guerre de Cent Ans, quand deux rois, l'un anglais, l'autre capétien, se disputent la couronne de France, c'est le sacre de Reims qui les départage. Ce rituel ancestral rend à Charles VII sa légitimité, selon l'inspiration judicieuse de Jeanne d'Arc. Pourtant, en droit, le sacre ne fait pas le roi, mais aux yeux du peuple, il est une cérémonie indispensable.
En France comme en Angleterre, on prête aussi au roi la faculté de « guérir les écrouelles » pour mieux démontrer sa place à part dans l'humanité. Selon l'historien Marc Bloch, cette tradition remonte à Robert II le Pieux (996-1031), fils de Hugues Capet, pour la France et à Henri 1er (1100-1135), fils de Guillaume le Conquérant, pour l'Angleterre.
Le roi capétien procède au toucher des malades (parfois plusieurs centaines ou quelques milliers en une journée), après le sacre et à l'occasion de quelques grandes fêtes (Pâques, Pentecôte...).
Les écrouelles, ou scrofules, sont une tuberculose ganglionaire qui se fistulise à la peau. Elles peuvent guérir spontanément jusqu'à la calcification du ganglion. Ainsi, après qu'un roi ait touché un malade et prononcé la formule : « Le roi te touche, Dieu te guérit » (sous-entendu « ... te guérisse »), une guérison spontanée peut être interprétée comme liée au geste royal et son absence, comme le résultat de la volonté divine.
Histoire de cités
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Stélios (23-02-2017 18:30:56)
Etes vous surs qu'il s'agit bien du sacre de Charles V sur les enluminures ? Merci bien