Louis Faidherbe (1818 - 1889)

Le fondateur de l'Afrique coloniale française

Officier du génie, Louis Faidherbe  est nommé en 1854, sous le Second Empire, gouverneur du modeste établissement côtier de Saint-Louis-du-Sénégal, qui remonte à Louis XIV. Recrutant et formant des troupes indigènes, les premiers tirailleurs sénégalais, il va sécuriser son comptoir et, de proche en proche, s’assurer la mainmise sur tout l’arrière-pays et le fleuve.

Il en vient à constituer une solide colonie autour de Saint-Louis, jusqu'à être considéré de façon quelque peu excessive comme le fondateur du Sénégal. Il apparaît comme le précurseur des « fondateurs d'empire » de la IIIe République (Gallieni, Lyautey, Brazza…).

André Larané
Louis Faidherbe (1818-1889), 1883, musée de l'Armée (Invalides, Paris)
Déconstruction de l'Histoire

À l'approche du bicentenaire de Faidherbe, certains médias ont ouvert leurs colonnes à des militants qui voudraient le punir de ses engagements coloniaux, déboulonner ses statues (à Saint-Louis et Lille, sa ville natale) ainsi que débaptiser ses avenues et collèges. Autant abolir l'enseignement de l'Histoire et de la littérature, l'une et l'autre remplies d'êtres humains, simplement humains, avec des imperfections et des faiblesses, comme chacun de nous... [Lire la suite]

De l’Algérie au Sénégal

Né en 1818 à Lille dans une famille modeste, Louis Faidherbe entre à Polytechnique et devient officier du génie. Officier médiocre, la vie de garnison sous la « monarchie de Juillet » (Louis-Philippe Ier) ne lui vaut rien. Il obtient de se faire affecter en 1843 en Algérie, où le général Bugeaud combat Abd-el-Kader. Il découvre alors la guerre coloniale : escarmouches, razzias et brûlis de villages.

De retour en France avec le grade de capitaine, Faidherbe, attaché aux idéaux républicains, se hérisse contre le coup d’État de Louis-Napoléon Bonaparte en 1851. Il s’éloigne de la France avec soulagement l’année suivante, quand il reçoit son affectation pour le Sénégal.

La France détient sur la côte deux comptoirs : Saint-Louis, fondé par des marins dieppois deux siècles plus tôt, en 1659, à l’embouchure du fleuve, et Gorée, une île en face du cap Vert (et de la future capitale Dakar), enlevée aux Hollandais en 1677. Les Anglais sont quant à eux présents à l’embouchure de la Gambie, un fleuve côtier au sud du cap Vert.

Contraints de renoncer à la traite des esclaves, les commerçants de Saint-Louis se sont tournés au début du XIXe siècle vers le commerce de la gomme arabique, une sève extraite de l’acacia et très prisée de l’industrie chimique.

Ces commerçants, européens, métis ou sénégalais, vivent au milieu d’une société très mélangée. Les Européens eux-mêmes cohabitent avec des métisses dénommées « Signares » (du portugais Senhoras, dames) selon une pratique inaugurée dès le XVIe siècle par les commerçants portugais, premiers occupants du lieu, qui se consolaient comme ils pouvaient de l’éloignement de leur épouse légitime.

Faidherbe lui-même se marie « à la façon du pays » (pour un temps limité) avec une jeunette de quinze ans qui lui donnera un fils. En 1858, à 40 ans, il épousera aussi, de façon plus formelle, sa nièce de vingt ans, qui lui donnera trois enfants. Il les élèvera avec son fils métis, lequel deviendra lieutenant de spahis.

Soldat ouoloff (Abbé David Boilat, 1853, Esquisses sénégalaises, BNF)L’officier, aussi anticlérical que républicain, exprime son hostilité envers l’Église locale, à laquelle il reproche de trop surveiller la moralité des métisses chrétiennes et de délaisser la conversion des noirs animistes ou musulmans.

La région de Saint-Louis est le domaine des Ouolofs, noirs de grande taille, convertis de longue date à l’islam. Au nord se rencontrent les Maures, nomades blancs. Plus à l’Est les Peuls, populations au teint cuivré, et les Toucouleurs, issus de métissages entre noirs et Peuls.

Les Maures prélèvent un tribut sur le commerce de la gomme arabique et régulièrement assaillent les autres populations, voire la ville de Saint-Louis elle-même. Les commerçants de Saint-Louis jugent cette situation insoutenable et réclament la soumission de l’arrière-pays.

Le commandant Faidherbe, très actif malgré une santé chancelante, a le bon goût de prendre leur parti, ce qui lui vaut d’être nommé gouverneur de Saint-Louis le 1er novembre 1854 par le ministre de la Marine Théodore Ducos.

Il adjoindra à son mandat le comptoir de Gorée en 1859 et ne quittera définitivement le Sénégal qu’en 1865, après un intermède de deux ans (1861-1863) en Algérie.

Bâtisseur d’empire

En attendant, le nouveau gouverneur prend le parti de sécuriser Saint-Louis et ses approvisionnements en portant le fer chez les Maures. Mais pour cela, il dispose seulement d’une compagnie d’artillerie et de quatre compagnies d’infanterie de marine (la Marine, corps traditionnellement défavorisé, a cherché au XIXe siècle dans les entreprises coloniales matière à rehausser son prestige).

À ses compagnies de marsouins (infanterie de marine), il a l'habileté d'adjoindre dès 1857 un corps de tirailleurs sénégalais sur le modèle des tirailleurs algériens. Avec une solde correcte (0,50 francs par jour) et un uniforme rutilant, ces troupes coloniales vont jouer plus tard un rôle décisif dans la soumission de l’Afrique intérieure, trop heureuses de combattre les nomades qui les razzient et les réduisent en esclavage.

Dans un premier temps, Faidherbe conclut des traités de protectorat avec les chefs indigènes de la vallée du Sénégal, les protégeant des attaques de nomades.

Là-dessus, il attaque le Oualo, un royaume ouolof dirigé par une reine, Ndété-Yalla, alliée des Maures. Repoussant les troupes ennemies et brûlant les villages qui lui résistent, il a tôt fait d’occuper le royaume. Faute d’obtenir un simple traité de protectorat, il se voit contraint de l’annexer et le divise en cinq cercles administratifs, chacun confié à un administrateur africain.

Le plus difficile reste à venir avec l’irruption d’un adversaire autrement plus coriace, le vieux El-Hadj Omar, un guerrier charismatique de 60 ans. Ce Toucouleur s’est attiré un grand prestige dans l’Afrique musulmane par son pèlerinage à La Mecque (d’où son surnom El-Hadj), où il a séjourné jusqu’à 38 ans.

De retour dans son pays, il tente avec une extrême brutalité de se tailler un royaume et ne tarde pas à se heurter aux intérêts commerciaux des habitants de Saint-Louis.

La reine du Oualo, Ndete-Yalla (esquisses sénégalaises de l'abbé David Boilat, 1853, BNF)Faidherbe conclut un pacte avec le roitelet de Médine, en amont du fleuve. Ce dernier, qui craint les exactions de El-Hadj Omar, accepte la construction d’un fort à l’orée de sa cité. Le fort est érigé par les soldats en trois semaines, au prix de grandes souffrances, et placé sous la responsabilité de l’officier métis Paul Holle.

El-Hadj Omar feint d’abord de l’ignorer et poursuit ses attaques sur les villages du haut-Sénégal. Puis, en avril 1857, à la faveur de la saison sèche, il tente de l’attaquer. Faute d’y réussir, il se résout à un long siège.

À Saint-Louis, Faidherbe attend la saison des pluies, en juin-juillet, pour pouvoir remonter le fleuve à bord d’un vapeur et secourir enfin les occupants du fort. La délivrance survient in extremis à la mi-juillet. À l'approche de Faidherbe et de sa troupe de quelques centaines de Français et de supplétifs indigènes, les vingt mille Toucouleurs qui assiègeaient le fort prennent la fuite le 18 juillet 1857. Leur chef renonce à se créer un royaume sur les rives du Sénégal. Il gagne le Soudan et va y poursuivre la lutte.

À l’intérieur du fort, Paul Holle et ses hommes, 50 indigènes et sept Européens dont le sergent Desplat, voient la fin de leur cauchemar. À bout de munitions après un siège de trois mois et plusieurs vagues d’assaut, ils attendaient la mort tout comme les six mille habitants de la petite cité africaine, réduits à la famine.

L’esprit libre, le gouverneur peut dès lors se consacrer à la colonie. Il établit un ambitieux plan d’urbanisme pour la ville de Saint-Louis. Celle-ci, quand il rentrera en France, sera devenue une cité de quinze mille habitants, plutôt coquette, avec de nombreuses maisons de pierre, des chaussées en dur et un éclairage au gaz.

Faidherbe crée aussi une école des otages pour les enfants des chefs africains qui lui ont fait leur soumission. Ces enfants reçoivent un enseignement classique en langue française mais respectueux de leur religion native.

Pour développer les ressources de la colonie, le gouverneur introduit la culture de l’arachide. Celle-ci est exploitée par les petits paysans locaux et exportée vers la France pour être transformée en huile alimentaire.

Quand le gouvernement de Napoléon III autorise les colons des Antilles à faire venir des Sénégalais pour les employer dans leurs plantations, Faidherbe s'indigne contre ce retour déguisé de l'esclavage et menace de démissionner, obligeant le ministre à retirer son autorisation...

En novembre 1859, le ministère de la Marine exige de Faidherbe qu’il aménage un nouveau port à l’extrémité de la presqu’île du cap Vert, face à Gorée, en un lieu appelé Dakar. Très attaché à Saint-Louis, Faidherbe s’y résout à regret. Bientôt une voie ferrée relie même Saint-Louis à Dakar.

La nouvelle cité va bientôt devenir la capitale de la colonie et même de l’Afrique occidentale française (AOF) tandis que Saint-Louis va doucement s’assoupir dans la nostalgie de son passé métissé. La ville conserve en son centre la statue de son gouverneur. Le pont sur le fleuve porte aussi son nom.

Servitudes militaires

Louis Faidherbe quitte définitivement le Sénégal le 2 mai 1865. Hissé au grade de général de brigade, il rejoint l’Algérie. Quand surviennent la guerre franco-prussienne et la capture de Napoléon III à Sedan, il s’empresse d’offrir ses services au nouveau gouvernement de la Défense nationale.

C’est ainsi qu’il succède au général Charles Bourbaki à la tête de l’Armée du Nord. Dans un sursaut désespéré, avec des troupes de volontaires malhabiles, il résiste à une attaque allemande à Bapaume, en Picardie, le 4 janvier 1871.

Cette demi-victoire est l’un des rares succès de la guerre et va contribuer à la gloire de Faidherbe tout autant que son gouvernement du Sénégal. Elle lui vaudra d’être élu député puis sénateur de la République jusqu'à sa mort, en 1889, à 71 ans.


Publié ou mis à jour le : 2023-01-10 16:22:15

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