Avec l’indépendance des États-Unis, les guerres indiennes prennent une tournure plus agressive. Les Treize colonies, devenues autant d'États, ambitionnent de s'étendre vers les territoires de l'Ouest. Mais que faire de leurs premiers occupants ? On négocie d'abord avec eux de simples droits de passage avant de finalement les parquer dans des réserves. Mais les Indiens ne se laissent pas faire et déterrent à l'occasion la hache de guerre. Sioux, Apaches, Cheyennes multiplient raids, pillages et embuscades contre les envahisseurs.
Après la guerre de Sécession (1861-1865), le major-général Sheridan prend la direction des guerres indiennes. Sa formule apocryphe : « Un bon Indien est un Indien mort » reflète l’état d’esprit dominant chez les Étasuniens en cette fin de siècle. Renonçant à civiliser ou assimiler les Indiens, ils entreprennent de les exterminer. Et ils y sont pratiquement parvenus grâce à trois méthodes : la chasse aux bisons, les épidémies et les massacres. C'est ainsi qu'au cours du XIXe siècle, le nombre d'Indiens sur le territoire actuel des États-Unis a chuté de 600 000 environ à 250 000...
Le « vivre-ensemble » et la volonté d'une cohabitation pacifique avec les Indiens d’Amérique s’incarnent dans les innombrables traités que signent les jeunes États-Unis avec les Amérindiens. Mais les pionniers ont du mal à respecter les promesses de leur gouvernement au point que, comme l’a écrit l’historien Howard Zinn, « les gouvernements américains ont signé plus de quatre cents traités avec les Amérindiens et les ont tous violés, sans exception. » Alexis de Tocqueville ne dit pas autre chose (note).
En pleine guerre d’Indépendance, en 1779, George Washington, qui commande l’armée des insurgents, ordonne le massacre des Iroquois qui se sont alliés aux loyalistes anglais. Cela fait, plein de bonnes intentions, le futur premier président américain se veut rassurant : « considérant que ce pays est assez grand pour nous contenir tous et que nous sommes disposés à faire commerce et à lier amitié́ avec eux, nous jetons un voile sur le passé et décidons de tracer une frontière entre eux et nous, au-delà̀ de laquelle nous nous efforcerons d’empêcher notre peuple de chasser ou de s’établir, et en deçà de laquelle les Indiens s’abstiendront de pénétrer sauf pour commercer ou signer des traités ».
Il n'empêche que dans le traité de Paris de 1783 qui reconnaît l'indépendance des Treize colonies, aucune mention n'est faite des droits indiens. Et l'année suivante, le 22 octobre 1784, les Iroquois subissent violemment la loi du vainqueur avec le traité de Fort Stanwix (État de New-York). Les Six Nations iroquoises sont dépossédées d'une immense partie de leurs terres en échange de quoi le Congrès promet de les ravitailler, ce qui créera, en plus de la soumission, une relation de dépendance.
Jusqu’au milieu du XIXème siècle, la politique américaine oscille entre les trois solutions qui s’offrent à elle : une cohabitation dans le respect mutuel, un partage du territoire entre les deux civilisations ou la réduction des indigènes à un statut subordonné. « Le plus souvent, les gouvernements penchent pour la solution du partage mais ils sont débordés par les populations européennes — colons, fermiers, négociants, spéculateurs, hommes de la milice — qui agissaient directement pour qu'une « solution finale » soit donnée à la question indienne », écrit Élise Marienstras dans La résistance indienne aux États-Unis (Gallimard, 2013).
Le 13 juillet 1787, le Congrès proclame l’ordonnance du Nord-Ouest dont les principes seront réaffirmés dans la Constitution de 1789. Comme son nom l’indique, elle ouvre à la colonisation les territoires du Nord-Ouest, entre les Appalaches, les Grands Lacs, le Mississippi et le Tennessee tout en interdisant aux pionniers de s'installer sur le territoire des tribus : « Une bonne foi sans défaut sera toujours observée envers les Indiens ; leurs terres et leurs propriétés ne leur seront jamais enlevées sans leur consentement et ils ne subiront jamais la moindre atteinte dans leurs propriétés, leurs droits et leurs libertés, sauf en cas de guerres justes et légales autorisées par le Congrès. »
Aucune guerre ne sera jamais déclarée par le Congrès, pourtant les territoires indiens vont bel et bien être extorqués. En effet, du fait de l’immigration et surtout d'une forte natalité, les colons européens occupent toujours davantage de terres de sorte que, très vite, les États-Unis d'Amérique repoussent leur frontière jusqu’au Mississipi. Grignotant les territoires indiens, ils forment de nouveaux États : Ohio en 1803, Kentucky en 1792, Tennessee en 1796, Vermont en 1791, etc.
En 1803, Bonaparte, qui a besoin d’argent pour mener la guerre en Europe, leur vend la Louisiane. Du coup, l'année suivante, le Congrès autorise le président des États-Unis à négocier avec les tribus autochtones pour échanger leurs territoires contre des réserves situées au-delà vers l'Ouest. Cela ne va pas sans violence. En 1810, la tribu Cherokee refuse d’être évacuée. Mais face aux armes à feu de la cavalerie étasunienne, les arcs et les flèches des Indiens ne font pas le poids. Le soulèvement échoue et se termine par le massacre d’hommes, femmes et enfants aux chutes d’Ywahoo le 10 août 1810.
Lors de la seconde guerre anglo-américaine (1812-1815), Tecumseh, chef d’une tribu des Chaouanons dans l’actuel Ohio, s'allie aux Britanniques. Il tend une embuscade à des soldats étasuniens et en tue vingt, ce qui permet aux Britanniques de s'emparer de Fort Detroit. Tecumseh y gagne le surnom de « Wellington des Indiens ». Mais sa mort en 1813 marque la fin de la résistance dans le Middle-West. Les tribus sont déplacées au-delà du Mississipi, où nomadisent déjà d'autres tribus. Voilà ces Amérindiens qui ne s'étaient jamais rencontrés obligés de cohabiter !...
Au même moment, en aval du Mississipi, dans l’actuel Alabama, les Bâtons Rouges, une branche de la tribu des Creeks, attaquent un avant-poste américain en août 1813, faisant 250 prisonniers et tués. En représailles, le général Andrew Jackson et ses fantassins massacrent 3 000 Creeks à la bataille de Horseshoe Bend, le 27 mars 1814. Les derniers résistants creeks se rendent l’année suivante. Le traité de Fort Jackson leur impose la cession de 20 millions d’acres, soit 81 000 km2, et ouvre la porte à l’Alabama Fever (la « ruée vers l'Alabama »). En dix ans, la population du territoire est multipliée par quatorze et dès 1819, l’Alabama est incorporé aux États-Unis.
Le général Andrew Jackson se distingue ensuite dans les guerres séminoles, tout comme un autre futur président américain, le général Zachary Taylor. Au nombre de trois (1817-1818, 1835-1842 et 1855-1858), ces guerres séminoles se déroulent en Floride, colonie espagnole cédée aux États-Unis en 1819. La première est déclenchée en vue de récupérer des esclaves noirs en fuite qui se sont réfugiés parmi les Séminoles. La seconde fait suite au refus des Séminoles de se parquer dans une réserve à l’ouest du Mississipi. Elle est la plus coûteuse et la plus longue des guerres indiennes. Les Séminoles luttent vaillamment à coup de guérillas depuis les marais des Everglades mais ils doivent capituler après la capture de leur chef Osceola. La troisième guerre séminole vise à éliminer toute poche de résistance en Floride qui devient, en 1845, un nouvel État des États-Unis d’Amérique.
En 1824, un Bureau des affaires indiennes qui dépend du ministère de la Guerre prend en charge la gestion des réserves qu'ont dû rejoindre, contraintes et forcées, pas moins de cinquante tribus.
Sous la présidence d’Andrew Jackson (1829-1837), le congrès autorise officiellement les déportations en adoptant le 28 mai 1830 l’Indian Removal Act (« loi sur le déplacement indien »). Toutes les tribus vivant à l'ouest du Mississippi sont ainsi déplacées vers le « Territoire indien », l’actuel Oklahoma.
Malgré une vaillante résistance, les Sauks, les Cherokees, les Choctaws, les Séminoles, les Chickasaws, cinq tribus dites « civilisées » car sédentaires et pratiquant l’agriculture, sont à leur tour contraintes de rejoindre leurs réserves à l’ouest du Mississippi, suite à la signature du traité de New Echota (Géorgie), le 29 décembre 1835. Sous escorte militaire, elles empruntent le « Chemin des larmes » (Trail of tears), un nom qui viendrait des larmes de compassion qu’auraient versées les Américains qui les voyaient traverser !
« Les Espagnols, à l'aide de monstruosités sans exemples, en se couvrant d'une honte ineffaçable, n'ont pu parvenir à exterminer la race indienne, ni même à l'empê-cher de partager leurs droits ; les Américains des États-Unis ont atteint ce double résultat avec une merveilleuse facilité, tranquillement, légalement, philanthropiquement, sans répandre de sang, sans violer un seul des grands principes de la morale aux yeux du monde. On ne saurait détruire les hommes en respectant mieux les lois de l'humanité » (Alexis de Tocqueville, De la démocratie en Amérique, tome II, 1835) (note).
« Destinée manifeste »
L'Amérique a changé avec la présidence d'Andrew Jackson (1829-1837). C'en est fini de l'« ère des bons sentiments » qui a inspiré à Tocqueville son chef-d'oeuvre, De la démocratie en Amérique. En janvier 1845, un journaliste new-yorkais du nom de John O'Sullivan, proche du Parti démocrate de Jackson, publie un plaidoyer en faveur de l'annexion du Texas, dont les habitants ont héroïquement résisté à l'armée mexicaine à Fort Alamo. Il écrit : « C'est notre destinée manifeste de nous déployer sur le continent confié par la Providence pour le libre développement de notre grandissante multitude. » (« It is our manifest destiny to overspread the continent alloted by Providence for the free development of our yearly multiplying millions »).
Son appel est entendu par le nouveau président, James Knox Polk, un disciple de Jackson. Il accueille le Texas au sein de la fédération et, sous un prétexte inique, entre en guerre contre le Mexique. Une promenade militaire aboutit au traité de Guadalupe Hidalgo en 1848, par lequel le Mexique cède rien moins que la Californie, le Nevada, l’Utah et l’Arizona. Les États-Unis atteignent alors les frontières qu’on leur connaît à l'exception de l’Alaska et des îles Hawaï. Comment les Américains pourraient-il encore douter de leur « destinée manifeste », à savoir d'occuper et peupler l'Amérique du nord ?
La même année 1848, le Bureau des affaires indiennes passe au ministère de l’Intérieur, alors chargé des relations entre l’État fédéral et les Indiens. Cette même année, une découverte incroyable pour les colons, sinistre pour les natifs, signe la reprise des tensions : de l’or est découvert en Californie. La ruée vers l’or entraîne le passage de milliers de colons par la piste de l’Oregon, qui avait été ouverte en 1842 en plein milieu des terres indiennes. Même s’ils ne font que passer, les colons rasent les arbres, font fuir le gibier et amènent une épidémie de choléra qui décime les Indiens.
Pour négocier leur droit de passage en échange d’argent, les colons signent avec neuf tribus indiennes « alliées » (Dakota en langue amérindienne) le premier traité de Fort Laramie (Wyoming), ou traité de Horse Creek, le 17 septembre 1851. Le territoire indien est délimité sur une carte et les tribus se voient promettre une rente en argent et en marchandises afin que cessent les guerres. Mais c'est un traité que les prospecteurs ne respecteront pas davantage que les précédents.
Les Sioux déterrent la hache de guerre
Dès 1854 se dégradent les relations entre pionniers et Indiens Dakota. Parmi ces derniers figurent les Sioux, anciens nomades qui se sont sédentarisés et installés dans leurs montagnes sacrées, les Black Hills, dans l’actuel Dakota du Nord.
Alors que quelques-uns d'entre eux campent non loin de Fort Laramie en attendant les marchandises promises par le traité, une vache s’échappe d’une caravane qui passait par là et se perd dans le camp indien. Un jeune Sioux la tue et la mange. Le pionnier à qui elle appartenait s'en plaint auprès du lieutenant Grattan. Ce dernier saisit le prétexte pour donner une bonne leçon aux sauvages. Las, le 19 août 1854, près de Fort Laramie, le voilà avec seulement 29 soldats face à 1 200 guerriers sioux. Le lieutenant et ses hommes sont tués. Côté Sioux, le chef Conquering Bear est aussi tué. Ce massacre marque le début de la guerre des Sioux.
Le théâtre des guerres indiennes glisse vers l’ouest en suivant le front pionnnier. À partir des années 1860, les affrontements se déroulent dans les Grandes Plaines du Far West. Du Dakota au Texas, du Kansas à la Californie, les guerriers attaquent les convois de migrants, les mineurs, les bûcherons et les chasseurs de bisons. Ils ont de bonnes raisons à cela. C'est que les Américains violent impunément les traités, ne livrent pas les marchandises promises et, pire que tout, déciment les troupeaux de bisons, base de l'alimentation des Indiens.
Le dimanche 17 août 1862, dans les collines du Minnesota, un Sioux tue trois fermiers et deux femmes en revenant d’une expédition de chasse. Le signal de la révolte est lancé. Cette même nuit, un conseil de Dakotas décide d’attaquer les villages de Blancs dans toute la vallée du Minnesota. Le chef sioux Little Crow, qui avait tenté jusque-là de temporiser, déterre la hache de guerre et ne tarde pas à prendre la direction des combats.
Mais les Blancs remportent bataille sur bataille. Les Dakotas se rendent et sont faits prisonniers. Après la tenue d’un procès et l'annonce des peines, 38 sont pendus le 26 décembre 1862 à Mankato (Minnesota). C’est la plus grande exécution de masse de l'histoire des États-Unis (les colons projetaient de prendre plusieurs centaines de captifs indiens mais le président Lincoln obtient que soient seulement exécutés ceux qui ont pris part à l'attaque). Little Crow, qui a pu s'enfuir au Canada, est assassiné et scalpé par des colons l'année suivante.
La guerre des Apaches
Plus au sud, vers la frontière mexicaine, les Apaches règnent sur le sud-ouest des États-Unis et sur l’état de Chihuahua, au Mexique. Leur nom signifie « ennemi » car ils sont les ennemis de tous ceux qui n’appartiennent pas à leur race.
Ces chasseurs-cueilleurs nomades du désert et des montagnes sont plus expérimentés que les autres Indiens du fait de leur passé conflictuel avec les Espagnols et les Mexicains. Ils lancent des raids contre les colons et s’approprient chevaux et bétail. Le chef Mangas Coloradas rançonne les prospecteurs des mines de cuivre, ses principaux ennemis.
En octobre 1860, une bande d’Apaches dérobe des chevaux ainsi qu’un enfant dans le ranch d’un Irlandais nommé Ward, lequel se rend au fort Buchanan pour demander de l’aide. Le commandant du fort, le colonel Pitcairn Morrison, envoie le lieutenant George Bascom à Apache Pass pour rechercher les chevaux et l’enfant. Bascom fait venir le chef Cochise dans sa tente en vue de le prendre en otage. Une bagarre éclate.
Le chef indien reçoit une balle dans la jambe et des membres de sa famille sont capturés. Par la suite, pour obtenir la libération de ces derniers, Cochise prendra lui-même en otage quatre Américains. Des deux côtés, les otages seront finalement exécutés.
La mort par pendaison de son frère et de deux de ses neveux déclenchent la colère de Cochise qui entre dans une guerre ouverte. Il s’allie avec son beau-père Mangas Coloradas et devient chef de deux cents guerriers Chiricahuas et Mimbrenos. Ensemble, les deux chefs apaches vont rendre la vie impossible aux colons de la région, du moins jusqu'à ce qu'éclate la guerre de Sécession.
En juillet 1862, des soldats de l’Union se rendent en renfort au Nouveau-Mexique. Pour éviter un détour dans le désert, ils empruntent l’étroit boyau d’Apache Pass. C’est alors que retentissent les cris de guerre des Apaches. Mangas Coloradas et Cochise fondent sur les Américains avec 500 guerriers.
Face à l’artillerie du général James Henry Carleton, les Apaches sont impuissants. Les soldats de l’Union prennent alors le dessus et les contraignent à rebrousser chemin sous le feu de leurs canons. À cet endroit sera érigé Fort Bowie, du nom d'un commandant d’infanterie.
Au plus fort de la guerre de Sécession, les confédérés sudistes ne montrent pas plus d'aménité pour les Indiens que les nordistes. Vers la fin de l’année 1862, le colonel John R. Baylor, gouverneur de l’Arizona pour les confédérés, propose que tout Apache soit tué à vue et les femmes emmenées en esclavage. En janvier 1863, Mangas Coloradas est assassiné et son corps mutilé. Cochise lui succède à la tête des Apaches.
En avril 1871, un détachement venu de Tucson attaque 300 Apaches, dont une majorité de femmes et enfants, qui travaillent au champ de Camp Grant. Le massacre ravit l’opinion publique américaine mais le président Ulysses Grant n’est pas du même avis. Il ordonne l’arrestation et le jugement des responsables de l’attaque, que le jury déclare non-coupables. Un désir de paix anime le président américain. Il envoie le général Howard négocier avec Cochise et offre des réserves aux Apaches en Arizona.
Une majorité d’Apaches Chiricahuas accepte de s’y laisser transférer. Cochise, désespéré, choisit le chemin de la paix. Après sa reddition, il meurt dans une réserve en juin 1874, cependant que Geronimo et sa bande se retirent au Mexique pour poursuivre le combat. Après de nombreux raids et pillages destinés à assurer leur survie, Geronimo et les derniers résistants apaches se rendent en 1884 au général Miles.
C'en est fini de la résistance indienne dans le Sud-Ouest américain. Les Navajos ont enterré la hache de guerre en 1864 et pratiquent l’élevage dans leurs réserves. Les Comanches ont été vaincus en 1874. C’est au nord, dans les Grandes Plaines, où vivent Sioux, Cheyennes et Arapahos, que va dès lors se poursuivre la lutte.
« Je désire une paix bonne, forte et durable. Lorsque Dieu a créé le monde, il en a donné une partie aux hommes blancs et une partie aux Apaches. Pourquoi en fut-il ainsi ? Et pourquoi en sont-ils venus à se rencontrer ? [...] Les hommes blancs m’ont cherché longtemps. Me voilà ! Que me veulent-ils ? Ils m’ont cherché longtemps. Pourquoi ai-je une telle importance à leurs yeux ? [...] Je ne suis plus le chef de tous les Apaches. Je ne suis plus riche. Je suis un homme pauvre. Le monde n’a pas toujours été ainsi. [...] Lorsque j’étais jeune, je traversais ce pays d’est en ouest et je ne rencontrais pas d’autre peuple que les Apaches. Après beaucoup d’étés, je traversai à nouveau le pays et je vis qu’une autre race d’hommes était venue pour le prendre. Pourquoi est-ce ainsi ? Pourquoi les Apaches attendent-ils de mourir — portant leur vie au bout des ongles ? Ils errent dans les collines et dans les plaines et souhaitent que le ciel s’écroule sur eux. Les Apaches ont été un jour une grande nation, main- tenant il n’en reste que quelques-uns, et c’est pour cela qu’ils souhaitent la mort et qu’ils portent leur vie au bout des ongles. [...]
Je n’ai plus ni père ni mère ; je suis seul dans le monde. Personne ne se soucie de Cochise. [...] Parlez, Américains et Mexicains. Je ne veux rien vous cacher ; ne me cachez rien, vous non plus. Je ne vous mentirai pas ; ne me mentez pas. Je veux vivre dans ces montagnes. Je ne veux pas aller à Tularosa. C’est à une longue route d’ici. Les mouches de ces montagnes dévorent les yeux des chevaux. Les mauvais esprits y vivent » (Discours de Cochise en 1873).
Les Cheyennes vivent en paix avec les Blancs sur un territoire défini par le traité de Fort Laramie de 1851. En novembre 1858, une nouvelle découverte d’or dans les Montagnes Rocheuses du Colorado a conduit à la ruée vers l’or de Pikes Peak. Près de 100 000 prospecteurs ont participé à cette ruée vers l’or à travers le territoire des Cheyennes.
En 1864, Cheyennes et Arapahos se rendent à Fort Lyon pour négocier un traité de paix. Ils installent leur campement à Sand Creek. Rassuré par les promesses de paix du gouvernement des États-Unis, le chef Black Kettle envoie la plupart de ses guerriers à la chasse. Une soixantaine d'hommes restent au camp, la plupart trop jeunes ou trop vieux pour chasser.
On lui a promis qu'aussi longtemps qu'il ferait flotter la bannière étoilée au-dessus de son camp, lui et son peuple ne seraient pas inquiétés par les soldats. Mais voilà que le 29 novembre 1864, le colonel John Chivington et ses 675 cavaliers qui se sont enivrés pendant la nuit, déboulent à Sand Creek. Les Indiens, à moitié endormis, accueillent les Blancs avec des gestes de bienvenue quand Chivington ordonne à ses hommes d’ouvrir le feu. C’est un massacre. Environ 200 hommes, femmes et enfants sont tués, scalpés, mutilés.
Quatre ans plus tard, rebelotte. À la tête du 7ème régiment de cavalerie, le lieutenant-colonel Custer repère la piste de guerriers indiens. Le 27 novembre 1868, il ordonne de faire feu sur un village cheyenne près de la rivière Washita, dans l’actuel Oklahoma. Les Indiens sont vaincus et le chef cheyenne Black Kettle est tué. Cette bataille de la Washita est l’un des premiers succès significatifs contre les Indiens des Plaines.
À la suite du massacre de Sand Creek et de la bataille de la Washita, les Cheyennes rejoignent les autres tribus des plaines. Ils s'allient aux grands chefs Red Cloud et Crazy Horse. Les hostilités s’intensifient quand les Américains construisent des forts militaires le long de la piste Bozeman. Cette route qui relie les territoires gagnés dans le Montana à la piste de l’Oregon, tracée en 1865, traverse les Black Hills, terres sacrées des Sioux Lakota. Les embuscades se multiplient et Crazy Horse anéantit un détachement américain de 80 hommes au Fort Phil Kearny à la bataille de Fetterman le 21 décembre 1866.
C’est alors que le major-général Philip Henry Sheridan (1831-1888), héros de la guerre de Sécession, se voit confier le Department of Missouri, un immense territoire où nomadisent les derniers Indiens libres. Il va engager contre eux une guerre impitoyable.
Il attaque les camps d'hivernage et ne ménage pas les femmes et les enfants, détruit systématiquement les abris, les réserves de nourritures et les troupeaux de chevaux. Il quadrille aussi le territoire avec des forts. C’est à lui qu’on attribuera la célèbre formule : « un bon indien est un indien mort », apocryphe mais cruellement conforme à l'esprit de l'époque.
Fait aggravant, les pionniers et cow-boys s'en prennent à la principale réserve de nourriture des Indiens, les troupeaux de bisons (buffalos en anglais) qui migrent de saison en saison à travers la Prairie. Ils les abattent sans retenue pour le plaisir et pour nourrir les équipes d'ouvriers qui posent les premières voies de chemin de fer. C’est un carnage. Le plus célèbre de ces chasseurs, William Frederick Cody, surnommé Buffalo Bill, est employé par la compagnie Pony Express. Il se flatte d'avoir tué 69 bisons en une journée. En un siècle, la population de bisons va passer de centaines de millions à moins de mille individus.
Mais la résistance des Sioux ne faiblit pas. Pour la première et unique fois, les États-Unis sont contraints de signer un traité en leur défaveur. C'est le second traité de Fort Laramie, le 6 novembre 1868. Ils renoncent formellement à toute nouvelle intrusion en pays sioux : « Toute la région située au nord de la rivière North Platte et à l’est des montagnes de Big Horn devra être évacuée et sera considérée désormais comme territoire indien incessible. Aucun homme blanc ne sera autorisé à s’installer dans cette région, ni même à la traverser sans le consentement des Indiens. »
Nouveau traité, nouvelle trahison. Le gouvernement, sous prétexte d’études, envoie le 7e régiment de cavalerie dans la région concédée aux Sioux. Quand le général Custer revient, c’est avec une sinistre nouvelle pour les Indiens : les Black Hills regorgent d’or. Une seconde expédition confirme la découverte. Dès lors, des milliers de prospecteurs envahissent les Black Hills.
De son côté, le chef sioux Red Cloud a compris qu’il est inutile de s’opposer à la civilisation des Blancs. Mais ce n’est pas le cas de Sitting Bull et Crazy Horse qui créent une grande coalition indienne comprenant presque la totalité des Sioux et des Cheyennes.
Crazy Horse affronte le général américain George Crook à la bataille de Rosebud Creek le 17 juin 1876. À la tête d’une coalition de 750 guerriers sioux et cheyennes, il se défend vaillamment face aux 1.300 soldats de l’armée américaine. Si la victoire n’est pas décisive, Crazy Horse empêche toutefois Crook de rejoindre le général Custer avant la bataille de Little Bighorn.
Le dimanche 25 juin 1876, les éclaireurs du 7ème régiment de Custer repèrent Sitting Bull dans la gorge de la rivière Little Bighorn. Les Crows qui combattent aux côtés des Américains préviennent Custer : les Sioux sont bien trop nombreux. Désireux de redorer son prestige militaire déclinant, le général y va quand même. Le carnage démarre. Malgré leurs armes à feu, les soldats de Custer sont chassés comme des bisons par les Sioux, à coup de massues, de couteaux et de flèches. Leurs cadavres sont ensuite mutilés, décapités, castrés et bien sûr scalpés. Parmi eux, le corps de Custer. Les Sioux ne le savent pas mais ils viennent de tuer leur plus célèbre ennemi.
L’année même de Little Bighorn, la veuve de Custer écrit une première biographie qui le fait entrer dans la légende. Quelques semaines après, Buffalo Bill se produit à New York et mythifie la bataille. Il fait de Custer un martyr de la cause du progrès américain. Chaque année, plus de mille livres sont consacrés à la bataille de Little Bighorn. Custer est encore aujourd'hui l’Américain le plus sujet à des biographies, en deuxième position derrière Lincoln.
Sitting Bull, victorieux bien qu’il n’ait pas pris part à la bataille de Little Bighorn, craint les représailles. Le général Miles se lance à ses trousses. La grande victoire indienne de Little Big Horn sème l’allégresse parmi les tribus des Plaines. Toutes veulent maintenant se joindre aux guerriers de Sitting Bull pour bouter les Blancs en dehors de leurs territoires. Mais rien ne se passe comme prévu. Les guerriers sont fatigués et affamés, le bison est devenu une denrée rare.
Crazy Horse est assassiné en 1877. La même année, les Cheyennes sont contraints à la reddition et rejoignent leur réserve. Le dernier bastion de résistance flanche. Sitting Bull, réfugié au Canada, se retrouve lui aussi contraint de se rendre en 1881. Le chef Sioux est fait prisonnier de guerre jusqu’à ce que les autorités américaines lui ordonnent de retourner dans sa réserve de Standing Rock, dans l’actuel Dakota du Nord.
Les tribus indiennes soumises, leur sort empire. En 1877, l’Allotment Act cantonne les Amérindiens dans les quelques réserves qui leur sont allouées dans l’Ouest. La superficie de leurs terres est divisée par dix. La même année, le sénateur Dawes défend une loi visant à les mettre sous tutelle économique, sans droit civique.
La paix semble définitivement installée jusqu’au jour où, parmi les tribus de la prairie naît la rumeur de la venue d’un Messie indien. Nommé Wovoka, cet Indien Paiute aurait été influencé par les presbytériens et les Mormons. En 1889, il prétend avoir une vision divine et répand une prophétie : les Indiens retourneront sur les terres de leurs ancêtres. Il est chargé d’enseigner à ses frères la Ghost Dance que le Grand Esprit lui a appris. Tombés en extase, les danseurs seraient ainsi transportés au pays du Grand Esprit où celui-ci annonce la ruine des Blancs.
Craignant un soulèvement, le général Miles ordonne à la police indienne d'arrêter Sitting Bull, suspecté de tolérer et même encourager le mouvement. L'arrestation dégénère lorsque Crow Foot, le fils du chef Sioux, supplie son père de se rebeller. Les coups partent, Sitting Bull reçoit deux balles qui lui sont fatales. Quand les Sioux apprennent sa mort, près de 200 d’entre eux s’enfuient par crainte d’être tués à leur tour.
Deux semaines après, ils installent leur campement à Wounded Knee, en Dakota du Sud. Mais le 7ème régiment se mobilise de l’autre côté de la colline. La cavalerie encercle les Sioux et les soldats installent 4 canons à feu roulant avec des obus explosifs, l’arme la plus récente de l’arsenal américain. Ils se lancent à l’assaut en hurlant : « Souvenez-vous de Custer ! »
Si l’enfer existe, il doit ressembler au champ de bataille de Wounded Knee. Les Indiens et leur chef Big Foot sont massacrés. Les cadavres des femmes et enfants de la tribu Lakota jonchent le flanc de la colline. Dans la nuit du 28 au 29 décembre 1890, 144 hommes, 44 femmes et 16 enfants sont enterrés dans une fosse commune. Le premier jour de l’an 1891, les soldats se font photographier devant le mausolée, pour la postérité. Les récompenses pleuvent. Jamais autant de médailles d’honneur n’avaient été attribuées pour un seul combat. La mort de Custer est vengée. Wounded Knee sonne le glas des guerres indiennes dans les Grandes plaines américaines.
« Peut-être la cruauté́ de nos tueurs d’Indiens n’était-elle pas aussi froide que celle des nazis, ni aussi scientifiquement concertée. Elle fut brutalement effective malgré́ tout. Nous ne mîmes pas les Indiens dans des chambres à gaz ni dans des fours crématoires. Nous abattîmes des hommes, des femmes et des enfants sans défense en des endroits comme Sand Creek et Wounded Knee. Nous fîmes manger de la strychnine aux guerriers rouges. Nous obligeâmes le peuple de villages entiers à périr gelé́ dans les hauteurs glacées du Montana. Nous reléguâmes des centaines d’individus dans des camps de concentration. » (Paul I. Wellman).
Cinq ans après le massacre de Wounded Knee, en 1896, un recensement dénombre environ 250 000 Indiens sur tout le territoire américain. L’estimation haute portait leur nombre à 12 millions avant l’arrivée des colons. Et pour réduire encore les effectifs, les Indiens sont victimes des stérilisations contraintes mises en place aux États-Unis dans le cadre des politiques eugénistes.
Bien que premiers habitants de l’Amérique, les Amérindiens nés aux États-Unis n’obtiendront la citoyenneté américaine qu’en 1924, soixante ans après les esclaves noirs. Il leur faudra attendre encore près de vingt-cinq ans pour bénéficier du droit de vote dans des États comme l’Arizona, en 1948.
En 1934, l’Indian Reorganization Act met fin au processus de parcellisation des terres indiennes et reconnaît leur droit à l’autonomie. Du milieu des années 1940 au milieu des années 1960, une série de lois intègrent la politique indienne d’assimilation. Le Termination Act de 1954 par exemple libère les Indiens de la tutelle fédérale américaine et supprime les réserves pour fondre les tribus dans la société américaine. Incapables de s’adapter à la vie urbaine, les Indiens se retrouvent à vivre dans des taudis, des ghettos, et sont touchés de plein fouet par le chômage et l’alcoolisme.
Seul point positif : cette politique d’assimilation engendre la rencontre de différentes tribus, qui s'unissent et donnent naissance à des associations panindiennes. Aujourd’hui, des ONG se battent pour que soit qualifié de génocide le sort infligé aux Amérindiens. Une idée que rejette le gouvernement américain.
Pour l’historien Jean-Jacques Tur, spécialiste de l’histoire américaine, il faut parler de « démocide » ou « ethnocide » car les Indiens sont principalement morts des famines et épidémies. Ils n'ont pas pour autant disparu. Au recensement de 2013, les autochtones étaient plus de 2,8 millions, soit quatre fois plus qu’en 1960. Les projections pour 2050 sont de 8,6 millions, soit 2% de la projection pour l’ensemble de la population à cette date. Une croissance démographique qui correspond à l’éveil des nations amérindiennes.
• La hache de guerre, Henri Vernes, Paris, éditions Jourdan, 2006.
• La résistance indienne aux États-Unis, Elise Marienstras, Paris, Gallimard, 2013.
Guerres
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Jean Paul MAÏS (28-09-2022 09:36:49)
Article très intéressant, mais comment peut-on encore qualifier de "démocratie" un pays fondé sur un génocide ? Lequel continue à faire la guerre aux quatre coins du monde au prétexte d'appo... Lire la suite
Ghils (18-04-2021 15:23:41)
Il est curieux que ce type d'action de la part des "colonisateurs" ne soit jamais qualifié de génocide, ou pur le moins d'ethnocide lorsqu'il reste quelques survivants.
Mercoeur (18-04-2021 14:29:46)
Cette triste histoire n'empêcha pas les États-Unis de s'ériger en donneur de leçon pour la colonisation française en Algérie. Rappelons que pendant les 132 années de colonisation française, de... Lire la suite