Lion Feuchtwanger (Le livre de poche, 704 pages, 8 euros
Le Livre de Poche réédite en français Le Juif Süss. Ce roman a connu un succès mondial lors de sa publication en 1925 par Lion Feuchtwanger avant d'être adapté au cinéma en 1940 et détourné de son sens véritable pour servir à la propagande antisémite de Goebbels.
Même si cet ouvrage de près de 700 pages aurait gagné à être plus ramassé, il demeure passionnant près d'un siècle après sa parution. La description des principautés allemandes du XVIIIe siècle, de leurs princes et leurs juifs de cour est remarquable.
L'explication de la foudroyante ascension sociale de Süss par la souplesse de son intelligence et le réalisme de son caractère est une leçon valable à toute époque.
La gradation qui va du juif resté fidèle à ses traditions (comme le concurrent de Süss en affaires qui essaiera de le sauver), en passant par celui qui adopte comme Süss les usages chrétiens sans renier sa religion, pour aboutir à celui qui se convertit en reniant ses origines (comme le frère de Süss qui refusera de lui venir en aide), est une variation sur le thème éternel de la fidélité et de la trahison.
L'accueil fait à ce roman historique tient à ce qu'il n'est pas manichéen mais subtilement équilibré, comme ces autres immenses succès littéraires que furent la biographie de Marie-Antoinette par Stefan Zweig ou Le silence de la mer de Vercors.
On y trouve autant de raisons de condamner Süss, notamment pour sa politique fiscale spoliatrice, que de l'absoudre après le retournement de veste de ses accusateurs ou de robe de leurs épouses. C'est ce qui permit à Goebbels de détourner complètement le sens du livre dans le scénario commandé pour son adaptation au cinéma, tout en ayant l'air de rester fidèle à son contenu.
Le romancier Lion Feuchtwanger ne cache pas les aspects désagréables de la personnalité de Süss qui spolie la classe moyenne par des impôts arbitraires, séduit les femmes des nobles chrétiens grâce à son pouvoir et sa richesse... Mais il conserve sa dignité et ses coreligionnaires leur profondeur spirituelle, de sorte que le peuple juif apparait au lecteur sous un jour globalement favorable.
Dans le livre (comme dans la réalité), la fille de Süss est déshonorée par un noble et son père se venge en laissant faire un crime qui concerne l'entourage du prince (dans l'adaptation cinématographique de 1940, c'est au contraire Süss qui viole la fille d'un conseiller).
Cette ambivalence explique la décision prise par le nouveau prince chargé de redresser le Würtemberg après l'arrestation de Süss.
Le prince, homme honnête, refuse sa grâce pour la même raison que Ponce Pilate refusa la sienne à Jésus : le trouble à l'ordre public qui découlerait de la remise en liberté d'un bouc émissaire condamné par tous serait plus grand que celui qui allait résulter du fait d'exécuter un innocent.
On procède donc à sa pendaison à l'intérieur d'une cage lentement hissée au sommet du gibet, par un raffinement technique que le lecteur découvrira.
Une plaque commémorative dans la rue piétonne centrale de Stuttgart rappelle brièvement l'histoire du Juif Süss, peu connue en France mais restée fameuse en Allemagne grâce au livre de Feuchtwanger.
Publié ou mis à jour le : 10/06/2016 09:42:47
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