L’appellation « Grand Siècle » attribuée au XVIIe siècle français désigne un sommet de civilisation, passé à la postérité sous le signe de la grandeur et de la raison, mais qui fut aussi parcouru de passions - mystiques, littéraires, amoureuses, politiques - dont le point commun est la hauteur d’engagement. « Grand siècle des âmes » (Daniel-Rops), le XVIIe siècle français n’est certes pas univoque.
Qu’il s’agisse de foi, de culture ou de gouvernement, on ne s’engage pas de la même manière sous Henri IV, Louis XIII ou au début de la régence d’Anne d’Autriche que sous le règne de Louis XIV. Les mentalités du premier XVIIe siècle sont marquées par une tension vers l’héroïsme, le goût du romanesque et la conquête de l’idéal.
Le Grand Siècle a laissé dans l’Histoire une marque profonde. Quid des femmes ? Le thème n’avait été jusqu’à présent qu’effleuré. Spécialiste du XVIIe siècle, éditorialiste et conférencière, Marie-Joëlle Guillaume a décidé d’explorer cette question à travers une galerie de onze portraits de femmes éminentes. (Le Grand Siècle au féminin, avril 2022, 382 pages, éditions Perrin). Loin de ne s’attacher qu’à analyser le rôle des plus illustres, l’auteure nous fait aussi découvrir d’autres figures moins connues mais dont l’action fut tout aussi décisive. Marie-Joëlle Guillaume nous dévoile ainsi la contribution de ces femmes d’exception à la création du Grand Siècle.
Grande liberté d'esprit
Sous le long règne de Louis XIV, traversé de passions tragiques et de déchirures de l’esprit public, de la Fronde aux querelles religieuses de la fin du siècle sur fond de montée du libertinage, le pessimisme augustinien domine. Mais l’art de vivre en société est commun aux deux périodes.
Dans les cercles de la noblesse et de la haute magistrature, la « conversation des honnêtes gens », faite d’amour des mots, de courtoisie réciproque et d’intérêt très vif pour les saillies de l’esprit, devient un grand jeu littéraire où se polit la civilisation française. Le revers de la médaille est la tentation, à laquelle cèderont les Solitaires de Port-Royal, de « rompre en visière » avec un monde en représentation permanente pour mieux viser l’absolu.
Evoquer les femmes du Grand Siècle, c’est prendre conscience qu’au premier comme au second XVIIe siècle les élites féminines ont joué un rôle déterminant dans cette affirmation et cette évolution de la vie spirituelle, intellectuelle, sociale et politique de leur temps.
Inspiratrices ou actrices, médiatrices d’idées et de comportements, certaines d’entre elles furent des éducatrices de la société, d’autres des pionnières de l’indépendance féminine. Toutes ont témoigné d’une grande liberté d’esprit et d’allures et d’un attachement sans faille à ce qui leur semblait essentiel. Ce faisant, elles ont fécondé leur temps.
À les voir vivre, on mesure l’écart qu’il peut y avoir entre les normes rigides d’une société « d’ordres », comme l’était le XVIIe siècle, et la réalité humaine quotidienne qui permettait de s’en échapper en souplesse, au prix d’un peu de constance et de volonté. Car il y a un paradoxe dans le destin des grandes figures féminines de l’époque. À considérer leur statut juridique, elles sont fort peu libres, passant de la tutelle de leur père à celle de leur mari, voire des autorités de leur couvent.
Comme au siècle précédent, elles sont exclues des charges publiques, et la puissance de leur époux, à la fois de droit divin par le sacrement de mariage et de droit naturel selon les règles de l’État, fonde les décisions de leur vie quotidienne.
Seules les veuves jouissent d’une autonomie juridique, ne dépendant plus que d’elles-mêmes et pouvant gérer leurs biens comme bon leur semble. Encore faut-il qu’elles réussissent à échapper aux pressions des parents pour un remariage : une Madeleine de La Peltrie, pionnière des missionnaires de la Nouvelle-France, ne put partir pour le Québec, en 1639, qu’au prix d’un stratagème rocambolesque pour échapper à sa famille.
En revanche Mme de Sévigné, veuve à 25 ans, sut imposer au conseil de famille sa volonté de ne pas se remarier, mais d’élever ses deux enfants et de gérer ses biens comme elle l’entendait.
Notons que ce sont d’abord des veuves, issues de la haute magistrature et de la noblesse, qui constituent à partir de 1634 la puissante confrérie des Dames de la charité de l’Hôtel-Dieu de Paris, gérant en toute autonomie les finances et l’administration des œuvres de saint Vincent de Paul, depuis les secours sur le front des guerres jusqu’aux missions lointaines, en passant par l‘œuvre des Enfants trouvés.
Mais il n’y a pas parmi ces femmes que des veuves, ce qui nous conduit à préciser que d’autres éléments entrent en ligne de compte pour une juste appréciation du statut de la femme au XVIIe siècle. Distinguons-en deux. D’abord, la prééminence des hiérarchies sociales.
À l’intérieur des trois ordres - la noblesse, le clergé, le tiers-état -, l’échelle sociale a des barreaux multiples et les prérogatives se chevauchent parfois ; mais dans tous les cas l’appartenance à un milieu donné compte davantage que le sexe : une grande dame a une influence infiniment supérieure à celle d’un artisan ou d’un marchand.
D’autre part la tutelle de la famille est prépondérante, sur les garçons comme sur les filles. Le duc d’Enghien, futur Grand Condé, se voit forcé par son père d’abandonner le grand amour de ses 20 ans pour épouser une nièce de Richelieu, tandis que le prince exige de sa fille aînée Anne Geneviève qu’elle renonce à son désir de devenir carmélite au profit d’un mari prestigieux qu’elle n’aime pas.
Des femmes gestionnaires
Relevons enfin les positions mi-jumelles mi-antagonistes de l’Église et de l’Etat. Ils se rejoignent dans une même importance accordée à l’autorité du mari ; mais l’Église, soucieuse du libre consentement des époux, accepte volontiers, au milieu du siècle, de célébrer les mariages clandestins que lui demandent les jeunes amoureux.
Enfin, à l’intérieur du mariage, la liberté des personnes demeure. Sans parler des entorses fréquentes à la fidélité conjugale assumées ouvertement par nombre de jeunes femmes de l’aristocratie dans une France pourtant profondément marquée par les valeurs de la religion chrétienne - qu’on songe à aux frasques retentissantes de la duchesse de Chevreuse ! -, bien des maris n’ont aucune réticence à partager avec leur épouse les responsabilités économiques du ménage, voire à les leur confier en totalité.
Issue comme son époux d’une grande famille de robe, Barbe Acarie, à l’aube du XVIIe siècle, est déjà forte de son expérience directe de la gestion des biens du couple quand elle se lance, en 1604, dans la fondation en France de l’ordre espagnol du Carmel.
Marie Guyart, future Mère Marie de l’Incarnation, mystique de haut vol, évangélisatrice du Canada et pionnière de l’éducation des filles au Nouveau Monde, a fait ses premières armes d’administratrice dans la fabrique textile de son mari à Tours, avant de devenir pour quelques années, après son veuvage, la cogérante de l’entreprise d’import-export de son beau-frère.
Reste le poids des très nombreuses maternités qui grèvent la santé de beaucoup de femmes et leur coûtent parfois la vie. Au sein de la noblesse, assurer la pérennité de la lignée dans un contexte de forte mortalité infantile est toutefois considéré par les deux sexes comme un devoir.
C’est dans ce cadre à la fois rigide et subtilement porteur que des femmes d’exception ont façonné le Grand Siècle. Par l’intensité de leur vie intérieure, leurs intuitions fortes, leur goût du style, leurs passions ou leur sens élevé du devoir, elles ont pris l’ascendant sur les hommes de leur temps, non dans un esprit de rivalité ou de compétition, mais par leur capacité à établir des relations harmonieuses au service d’un idéal de société commun.
Ainsi ont-elles modelé l’esprit public. « Le dialogue entre la bibliothèque, l’oratoire et le salon est au cœur de la France classique », écrit Marc Fumaroli dans La Diplomatie de l’esprit. Sans jouer aux « femmes savantes » - la bienséance exige d’elles la discrétion sur leur savoir -, les grandes dames du Grand Siècle ont donné tout son relief à ce triptyque.
Le XVIIe siècle français fut d’abord le fruit d’un élan spirituel. Après le désastre des guerres de religion, un puissant mouvement de contemplation et d’action, centré sur le mystère de l’Incarnation du Christ, engendre le « Siècle des Saints ». On fait souvent référence aux grandes figures masculines, canonisées ou non, qui illustrent cette Réforme catholique ou Contre-réforme : saint François de Sales, Bérulle, saint Vincent de Paul, Olier, Gaston de Renty, etc.
On pense moins spontanément à « la Belle Acarie », déjà citée, mère de famille nombreuse et mystique très respectée, que François de Sales admira et qui fit de son salon le creuset de « l’École française de spiritualité » (Henri Bremond).
On ne songe pas assez au destin peu commun de sainte Louise de Marillac, membre de la célèbre famille de Marillac mais souffrant d’une naissance illégitime, qui a surmonté tous les obstacles, y compris intimes, pour cofonder avec Vincent de Paul en 1633 l’œuvre des Filles de la Charité, révolutionnant l’exercice de la charité par les femmes et posant les bases des institutions modernes au service des plus démunis.
L’intuition d’une congrégation de religieuses non cloîtrées, « allant et venant » pour soigner les pauvres à leur domicile, c’est Louise qui l’eut et sut la faire admettre à Vincent. Les Filles de la Charité en vivent toujours au XXIe siècle, dans leurs 1600 communautés disséminées dans 96 pays.
De nombreux ordres féminins sont fondés en France au premier XVIIe siècle : la Visitation, avec sainte Jeanne de Chantal, les ursulines, etc., et le Carmel déjà cité, dont l’influence sur les hommes et les femmes de la haute société est immense.
Parallèlement, « une légion de magnifiques abbesses » (Henri Bremond) rend sa noblesse perdue à l’ordre de saint Benoît, tandis que dès 1609 Mère Angélique Arnauld, toute jeune abbesse de l’abbaye cistercienne de Port-Royal, réforme celle-ci d’une main ferme, trente ans avant le jansénisme.
Droite, intransigeante, d’abord révoltée contre sa famille de l’avoir mise au couvent sans vocation, puis déployant, après sa conversion, une force d’entraînement peu commune pour y faire entrer ses proches, Angélique est une figure emblématique de la puissance d’attraction, au XVIIe siècle, d’une femme éprise d’absolu.
N’entrant elle-même dans la querelle janséniste qu’à son cœur défendant, elle fera de Port-Royal dans la seconde moitié du siècle un lieu d’exigence spirituelle et de ressourcement pour bien des femmes du monde, à commencer par la marquise de Sablé et Louise-Marie de Gonzague-Nevers, future reine de Pologne…
Parallèlement au « Siècle des Saints » vibre le temps des mousquetaires, avec son goût de l’héroïsme chevaleresque et de « l’esprit de joie » dans la conversation. Les érudits hantent les bibliothèques, mais les plus fins d’entre eux achèvent de polir leur esprit dans les salons, où les femmes sont reines.
Les reines des salons
Dans sa Chambre bleue où, depuis 1618 et jusqu’à la Fronde, tout Paris se presse tous les soirs, la marquise de Rambouillet, éducatrice-née, civilise la cour et la ville sans jamais cesser de divertir l’une et l’autre, mêlant l’élégance morale à la beauté des loisirs nobles, affinant la langue et les manières.
Les premiers membres de l’Académie française créée en 1635 par Richelieu sont tous des habitués de l’hôtel de Rambouillet, et la passion de la marquise pour le théâtre se retrouvera dans sa défense ardente de Corneille lors de la querelle du Cid. Mais « L’incomparable Arthénice » (Malherbe) n’est pas la seule à incarner l’otium idéal dont l’époque est friande. Une pléiade d’hôtels aristocratiques est entrée dans le mouvement.
Plus bourgeoise, Madeleine de Scudéry dédie elle aussi son salon de la rue de Beauce, après la Fronde, aux subtilités d’une conversation joyeuse, mais toujours vouée à l’éducation de l’esprit. Romancière de talent - les dix volumes de sa Clélie, publiés de 1654 à 1660, sont le plus grand succès de librairie du XVIIe siècle -, féministe tendre, adepte enthousiaste de l’amour platonique, « Précieuse » sans jamais être ridicule, Madeleine de Scudéry a vu ses recueils de Conversations traduits dans toute l’Europe à la fin de sa longue vie.
Si le goût de la « paideia » - dimension éducative et morale du jeu littéraire et de la conversation - domine chez Mme de Rambouillet et ses émules, la liberté des femmes suit aussi d’autres chemins.
Ainsi Ninon de Lenclos, femme de lettres très cultivée, faisant ouvertement profession d’athéisme et collectionnant les amants, attire-t-elle dans son salon toute une noblesse libertine d’esprit et de mœurs, à commencer par le Grand Condé.
Madame de Sévigné est quant à elle une veuve vertueuse, mais sa liberté d’allures fait souvent fi des convenances. Épistolière intarissable à l’intention de sa fille Françoise, son style à sauts et à gambades, qui enchante ses amis, témoigne d’une observation subtile et narquoise de ses contemporains, dans une remarquable indépendance de jugement.
Sa grande amie Marie-Madeleine Pioche de La Vergne, devenue comtesse de La Fayette, est surtout connue pour son chef d’œuvre La Princesse de Clèves, premier roman d’analyse français, qui marqua un tournant de notre littérature romanesque. Mais elle a beaucoup d’autres cordes à son arc d’auteur, de coauteur et de femme d’influence.
Elle et son mari vivent sans heurt une existence séparée, et tandis que le comte de La Fayette s’est retiré à la campagne, c’est sa femme qui intéresse la cour et la ville. Figure-clé de l’époque Louis XIV, elle collabora aux Maximes de La Rochefoucauld, l’ami de cœur de son âge mûr, comme il prêta la main à La Princesse de Clèves.
Enfin, il y eut la politique. Affaire du roi et affaire exclusive des hommes, sauf quand les circonstances en décident autrement ! Ainsi des régences, celle de Marie de Médicis pendant la minorité de Louis XIII, celle d’Anne d’Autriche pendant la minorité de Louis XIV. Marie de Médicis tenait tellement au pouvoir qu’il fallut la Journée des Dupes (1630) pour que Louis XIII réussisse enfin à l’éloigner au profit de l’établissement définitif de Richelieu à ses côtés.
Révolte d'un monde chevaleresque
La reine Anne d’Autriche, mal aimée de son mari et restée princesse espagnole de cœur, doit assumer la régence, à la mort de Louis XIII en 1643, sans expérience politique et dans un contexte rapidement houleux. Passionnément attentive au destin de son fils très aimé Louis XIV, Anne se métamorphose.
C’est avec beaucoup de force d’âme qu’elle fait face à la Fronde (1648-1653), s’appuyant contre vents et marées sur l’intelligence politique de Mazarin, naviguant à vue mais se relevant des erreurs et préservant le trône de son fils. Louis XIV dira d’elle, à sa mort, qu’elle fut « un grand roi ».
Or lors de la Fronde, c’est d’abord à des femmes qu’Anne d’Autriche fut confrontée : les fameuses « amazones » de la guerre civile, la Grande Mademoiselle, fille de Gaston d’Orléans, la duchesse de Longueville, la duchesse de Chevreuse, la princesse Palatine, la duchesse de Châtillon, la princesse de Guéméné…
Sorte de feu d’artifice final des vieilles féodalités et des grands lignages avant la centralisation définitive de la monarchie, la Fronde apparaît en effet pour une part comme la révolte d’un monde chevaleresque et romanesque qui ne veut pas mourir.
Derrière l’orgueil, la brigue, les intrigues, les passions destructrices et tout le sang versé, les héroïnes de la Fronde pensaient défendre un art de vivre. Aucune d’entre elles n’est médiocre ; et il s’en est fallu de peu que la duchesse de Longueville, née Anne Geneviève de Bourbon-Condé, ne l’emporte avec les siens contre Anne d’Autriche et Mazarin.
Aussi entière dans ses frasques que dans sa conversion, plus tard, au jansénisme, la duchesse de Longueville symbolise, mieux que bien des hommes, les désarrois de toute une noblesse à la jointure de deux mondes.
Sous Louis XIV, c’est encore l’évocation de deux figures féminines qui permet le mieux de caractériser l’atmosphère et les traits de deux temps contrastés d’un très long règne. Avec la belle, brillante et capricieuse Françoise-Athénaïs de Rochechouart-Mortemart, devenue marquise de Montespan en 1663 et maîtresse du roi en 1667 – Louis XIV est alors âgé de 29 ans -, le Versailles des plaisirs et de l’insouciance se déploie en majesté.
Françoise-Athénaïs s’enorgueillit d’illustrer le fameux « esprit des Mortemart », étincelant de pointes et d’ironie. Jusqu’à ce qu’éclate la sordide affaire des Poisons (1679), éclaboussant de grandes dames de la cour et la marquise de Montespan elle-même - au point d’entraîner son renvoi discret -, la présence de la favorite, qui se pique de protéger les hommes de lettres et les artistes, donne le ton à la cour.
Dès 1674, toutefois, une autre femme a fait son entrée à Versailles, après des années de clandestinité comme gouvernante des enfants adultérins de Louis XIV et de Mme de Montespan : la veuve Scarron, née Françoise d’Aubigné mais plus connue de la postérité sous le nom, qui devient le sien à cette date, de Mme de Maintenon. Dès leur première rencontre, la veuve Scarron et la belle Athénaïs se sont voué une admiration intellectuelle réciproque, que leurs disputes à venir n’éteindront pas.
La vie de Françoise d’Aubigné est un vrai roman d’aventures. Petite-fille d’Agrippa d’Aubigné, l’auteur des Tragiques, née entre les murs de la prison où son père, est incarcéré, la jeune Françoise passe une partie de son enfance aux Antilles, épouse à 16 ans le poète burlesque et libertin Scarron, tient avec dignité et brio leur salon où se presse le Tout-Paris non-conformiste.
Veuve sans le sou à 24 ans en 1660, elle ne perd, dans l’adversité, ni son esprit étincelant ni sa volonté de faire son chemin dans le monde. Quand l’occasion inattendue se présente d’élever les bâtards du roi, elle n’hésite pas longtemps. Mais elle est à cent lieues d’imaginer l’enchaînement de circonstances qui fera d’elle, à la mort de la reine Marie-Thérèse en 1683, l’épouse morganatique de Louis XIV.
Avec Mme de Maintenon, devenue dévote avec le temps mais éducatrice-née (elle a pris conscience de son charisme en élevant les enfants bâtards du roi), c’est une autre face du règne de Louis XIV qui se découvre.
La fondation en 1686 par le roi, sur la suggestion de son épouse et pour elle, de la Maison royale de Saint Louis à Saint-Cyr, destinée à l’éducation des jeunes filles pauvres de la noblesse, est une des grandes réalisations du règne. Ses principes pédagogiques novateurs, appliqués pendant un siècle, inspireront l’institution Smolny, créée par Catherine II à Saint-Pétersbourg, et la maison de la Légion d’honneur fondée par Napoléon.
C’est aussi à Mme de Maintenon que Versailles dut le raffinement des « soirées d’appartement » instituées au début des années 1680 (lectures, musique, danse, mais surtout plaisirs de la conversation). Quant à son influence politique et religieuse, les historiens modernes la jugent plus limitée que ne l’ont cru les contemporains. Il reste que son royal époux, qui travaillait souvent dans sa chambre avec tel ou tel de ses ministres, avait coutume de lui demander : « Qu’en pense Votre Solidité ? ».
Vivre la vie comme une aventure, avec le goût du risque et de l’héroïsme ; pratiquer un art de vivre en société qui par le raffinement du langage et des attitudes et l’attention à l’autre transfigure la simple joie d’être ensemble en une sorte d’œuvre artistique commune ; avoir sans cesse à l’esprit la perspective de la vie éternelle et du chemin pour « faire son salut » (y compris pour s’y opposer, comme les libertins) : ces traits typiques du XVIIe siècle, qu’on se plaît généralement à reconnaître en ses grands hommes, ses femmes d’élite les ont illustrés avec une force civilisatrice exceptionnelle. Plus que les carences de leur statut juridique et social, c’est la qualité de leur empreinte sur la société de leur temps qu’il nous paraît intéressant de retenir, si l’on veut leur rendre justice.
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