Par les confessions qu’il a laissées, le commandant du complexe d’Auschwitz-Birkenau témoigne du mode de fonctionnement des cadres du parti nazi. Ainsi que le rappelle l’historien Laurence Rees (Auschwitz, 2005), c’est grâce à l’efficacité managériale de cadres tels que lui que les orientations prises en haut lieu par les dirigeants nazis ont pu être menées à mal !
Rudolf Höss (ou Hoess) a créé le camp d’Auschwitz et l’a dirigé du 1er mai 1940 au 1er décembre 1943 avant d’y revenir le 8 mai 1944 pour gérer jusqu’au 29 juillet 1944 l’extermination de plus de 320 000 Juifs de Hongrie.
Au procès de Nuremberg, Höss va froidement reconnaître avoir organisé l’extermination des Juifs sur l’ordre express de son supérieur, le Reichsführer Heinrich Himmler, coordonnateur de la « Solution finale » et chef de la SS (abréviation de l'allemand Schutzstaffel, « échelon de protection »). Les autres inculpés, tels Hermann Göring, vont s’effondrer en entendant ses aveux qui ruineront leur défense.
Son interrogatoire en prison par le psychologue américain Gustave Gilbert a fourni à l'écrivain Robert Merle la matière de son récit La Mort est mon métier (1952). Il s'agit des mémoires imaginaires de Rudolf Höss (renommé Lang). Si imaginaires qu'elles soient, ces mémoires collent de très près à la réalité du camp et surtout à la psychologie du personnage, un fonctionnaire austère, froid et taiseux, respectueux de la hiérarchie et jusqu'au bout convaincu de la justesse de sa cause.
Déféré à un tribunal polonais en 1947, il sera pendu le 16 avril 1947 sur les lieux mêmes de son crime. Dans les semaines précédant son exécution, il livra le récit de sa vie. Il fut publié en 1958 sous le titre Le commandant d'Auschwitz parle.
Il tente dans ce livre de se justifier, évoque sa vie de famille avec son épouse Elsie (Hedwig) et leurs cinq enfants. Il conclut sur ces mots : « moi aussi, j'avais un coeur ! » Plus gravement, écrivant de mémoire, il avance le chiffre de 2,5 millions de Juifs morts à Auschwitz-Birkenau (1,1 million en réalité, sans compter 300.000 morts non-Juifs), une exagération qui sera mise à profit par les négationnistes de tout poil pour jeter le doute sur la réalité du génocide...
Ascension d’un fonctionnaire exemplaire
Rudolf Höss (ne pas confondre avec Rudolf Hess, « dauphin » de Hitler, qui tenta de négocier la paix en 1941 avec les Occidentaux) est né le 25 novembre 1901 à Baden, dans la Forêt Noire, dans une famille de commerçants aisés et très catholiques.
Son père, ancien militaire psychorigide, fait le vœu à sa naissance d’en faire un prêtre avec l’espoir qu’il le lave de ses fautes antérieures ! Après la mort de son père, Rudolf Höss s’éloigne très vite de sa mère et de ses sœurs.
De petite taille et d’apparence anodine, froid et peu sociable, dépourvu de sensualité et de sensibilité mais fervent patriote, soucieux de reconnaissance, il obtient de se faire engager comme secouriste puis comme soldat dans les rangs de l’armée allemande. Envoyé combattre en Turquie en 1917, il devient l’un des plus jeunes sous-officiers de l’armée, avec la Croix de fer en prime !
Après la guerre, il entre dans les corps francs (Freikorps), des groupes paramilitaires qui combattent la subversion communiste. Il figure en novembre 1922 parmi les premiers adhérents du parti nazi avec la carte numéro 3240. Mais l’année suivante, il participe avec d’autres Chemises brunes au meurtre d’un « traître », ce qui lui vaut d’être condamné à dix ans de prison. Il en sort dès 1929.
En bon nazi, Höss méprise les Juifs pour leur « culture d’asphalte » suivant le mot de Goebbels. Lui-même veut revenir à la terre et s’occupe de remettre en état une ferme à l’est du pays, pour le compte d’un régisseur. Celui-ci le somme d’épouser par la même occasion la fille d’un propriétaire local, Hedwig. Le couple aura cinq enfants, le dernier naissant dans leur villa d’Auschwitz, en 1943.
Hyperactif, Rudolf Höss milite en marge de son travail dans le parti nazi et figure parmi les premiers membres de la SS. Himmler, en juin 1934, note son esprit d’initiative et l’envoie servir dans le camp de concentration qui vient d’ouvrir à Dachau, près de Munich, pour accueillir et « rééduquer » les opposants au régime.
Très vite, il va progresser dans la hiérarchie jusqu’à devenir l’adjoint du commandant avant d’être transféré en septembre 1936 au camp de Sachsenhausen avec le grade de lieutenant SS (Obersturmführer).
À Dachau, Höss a participé à la mise en place du système de « kapos » (de l’italien capo, « tête »). Il s’agit d’un détenu sélectionné dans chaque bloc ou « commando » pour maintenir la discipline parmi les prisonniers, de quelque manière que ce soit. Ces kapos bénéficiaient de divers avantages mais, en cas de défaillance, étaient renvoyés dans le rang, ce qui leur valait d’être immédiatement exécutés par leurs codétenus…
Höss découvre aussi l’utilité de faire travailler les détenus pour occuper leur esprit et les dissuader de ses révolter. L’entrée du camp est surmontée de l’inscription cynique Arbeit macht frei (« Le travail rend libre ») et il ne manquera pas de la faire reproduire à l’entrée d’Auschwitz.
Enfin, plus que tout, Höss apprend à Dachau l’importance capitale de proscrire chez les SS toute forme de sympathie ou de compassion envers les détenus. En parallèle, les SS doivent une obéissance aveugle à leurs chefs et se doivent fraternité les uns envers les autres.
Enfin, en avril 1940, Himmler confie à Höss le soin d’aménager un camp de concentration dans un ancien casernement militaire à Auschwitz, dans le gau de Haute-Silésie, sur les bords de la Sola, un affluent de la Vistule. Il ne s’agit encore que d’incarcérer dans ce camp des prisonniers de guerre et des opposants polonais. D’ailleurs, le camp se situe dans le Nouveau Reich et non dans le Gouvernement général de Pologne voisin destiné à recevoir tous les Juifs du Reich.
Efficace comme toujours, Höss s’attelle à la tâche avec sa garde SS et un premier groupe de prisonniers. Le camp étant situé au milieu d’une grande région industrielle, les industriels allemands sollicitent Himmler pour faire travailler gratuitement ses prisonniers, d’autant que ceux-ci affluent suite à l’invasion de l’URSS par la Wehrmacht le 22 juin 1941.
C’est ainsi qu’est lancée la construction d’un nouveau camp dans la région marécageuse de Birkenau, à la lisière d’Auschwitz. C’est Auschwitz II. Puis vient la construction d’une grande usine de caoutchouc synthétique par l’IG Farben à Monowitz, un faubourg d’Auschwitz, avec, à côté de celle-ci, à Buna, un nouveau camp, Auschwitz III.
Avec au total une trentaine de camps de prisonniers associés à des sites industriels, la région d’Auschwitz est qualifié de « zone d’intérêt » par les nazis.
La mort règne dans ces camps comme dans les autres. Les prisonniers rebelles ou inaptes au travail sont usuellement enfermés et asphyxiés par les gaz d’échappement d’un camion. Leurs cadavres sont jetés dans des fosses communes.
Höss prend note des faiblesses du procédé. Dans le courant 1942, il adopte un procédé de gazage de masse avec des bonbonnes de cristaux qui se gazéifient spontanément à l’air libre (le Zyklon B). Dans le même temps , comme survient une épidémie de typhus, il fait construire des fours crématoires afin de brûler les cadavres.
Ainsi Auschwitz acquiert-il une capacité de mort industrielle qui le distingue des camps d’extermination de l’Opération Reinhard (Belzec, Sobibor et Treblinka, dans le Gouvernement général de Pologne). Ces « performances » valent à Höss d’être promu au grade de Sturmbannführer SS (commandant).
La Solution finale
Si l'on en croit les confessions de Rudolf Höss reprises par Robert Merle, le commandant du camp a été mandé par Himmler à Berlin le 30 juin 1941, une semaine après l'invasion de l'URSS. Le Reichsführer l'aurait alors informé du projet d'extermination de tous les Juifs d'Europe et du rôle central qu'il aurait à y jouer. Höss n’y trouve rien à redire et va s’occuper de sa mission sans faillir.
Il est cependant probable que l'échange avec Himmler, s'il a eu lieu, s'est tenu plus tard, à la fin 1941, voire en 1942, la « Solution finale de la question juive » ayant pris forme en novembre 1941 comme l'indique l'historien Édouard Husson. L'organisation logistique sera mise au point à Wannsee le 20 janvier 1942 en tirant parti du réseau de voies ferrées et des équipements surdimensionnés d'Auschwitz (chambres à gaz et crématoires). En mai 1942, les premiers convois de Juifs voués à l’extermination arriveront à l'entrée du camp. Celui-ci va dès lors devenir jusqu'à la fin de la guerre le principal site d'extermination des Juifs.
Pour les trois mille SS du complexe, cette tâche lourde offre malgré tout plus de sécurité que la guerre sur le front de l'Est, face aux Soviétiques. Elle a aussi des contreparties avantageuses...
À l’extérieur du camp, près de la Sola, Rudolf Höss jouit ainsi d’une vie confortable avec sa femme et ses enfants dans une grande maison de dix pièces encore visible aujourd’hui. Deux domestiques sont à leur service.
Il s’agit de détenues allemandes enfermée en raison de leur appartenance aux Témoins de Jéhovah, autrement dit d’une honnêteté au-dessus de tout soupçon, leur seul crime étant de refuser le service militaire et s’opposer à la guerre.
À l’automne 1943, un magistrat SS va enquêter sur la corruption dans les rangs de la SS au sein du camp et mettre même en cause le commandant. Irrité, Himmler mute Höss à Berlin avec une promotion au grade d’Obersturmbannführer SS (lieutenant-colonel). Mais il le renverra en mai 1944 à Auschwitz, ses compétences s’avérant indispensables pour faire face à l’afflux des Juifs hongrois !
Après la chute du nazisme, Höss tentera de se cacher dans une ferme mais il sera dénoncé par sa femme et transféré à Nuremberg. Apprenant le suicide de Himmler, il s’indignera que son supérieur ait voulu de la sorte échapper à ses responsabilités.
Bibliographie
Je recommande tout particulièrement l’ouvrage de Laurence Rees : Auschwitz, les nazis et la « Solution finale » (Albin Michel, 2005), dense, documenté, très clair, avec des témoignages de première main, ainsi que bien sûr, le troublant récit de Robert Merle, que je n’ose qualifier de captivant : La Mort est mon métier (1952).
Les juifs en Europe
Vos réactions à cet article
Recommander cet article
Aucune réaction disponible