Indemnité haïtienne et « milliard des émigrés »

La monarchie solde les comptes des Révolutions française et haïtienne

Deux siècles nous séparent des deux indemnités décidées sous la Restauration en 1825 à dix jours d’intervalle en avril 1825, celle de 150 millions de francs pesant sur Haïti par l’ordonnance du 17 avril et celle du « milliard des émigrés » par la loi du 27 avril. La première était destinée à indemniser les planteurs dépouillés par les nouveaux maîtres de la jeune république noire ; la seconde était destinée à indemniser les aristocrates dont les biens avaient été saisis en France sous la Révolution et vendus comme biens nationaux à la nouvelle bourgeoisie.

Le principe était posé que les propriétaires fonciers n’avaient pas à payer le prix des désordres collectifs et des révolutions et que l’État garantissait leur capital. Les indemnités de 1825 ont ainsi scellé, en France même et de part et d’autre de l’Atlantique, la « Sainte Alliance des propriétaires » (en référence à la Sainte Alliance conclue par les grands États conservateurs après la chute de Napoléon).

1825-2025 : un colloque pour deux révolutions

À l’occasion du bicentenaire de ces deux indemnités, un colloque « Contre la Révolution française, contre la Révolution haïtienne, les indemnités de 1825 », piloté par Frédéric Régent (vidéo), s’est tenu aux Archives diplomatiques et à la Sorbonne du 10 au 12 avril 2025. Il s’inscrit dans une trajectoire scientifique poursuivie par l’IHRF (Institut d'histoire de la Révolution française) et l’APECE (Association pour l'étude de la colonisation européenne) : celui de la connexion des travaux sur la Révolution française à ceux sur le monde Atlantique, en particulier sur la Révolution haïtienne.
Cette approche connectée s’est développée dans des proportions significatives en France depuis les années 1980 et dans le prolongement du bicentenaire de la Révolution française. Elle s’est en outre internationalisée, et relie désormais des spécialistes des États-Unis, de plusieurs pays européens et bien sûr d’Haïti, malgré les difficultés éprouvées par son monde académique.
Mais il ne faudrait pas tomber dans un tableau trop optimiste, car l’étude de l’histoire des révolutions et de la colonisation comporte bien des écueils. Le principal est la prégnance d’idées communes mêlées d’approches morales, dont la mise à distance constitue un enjeu épistémologique central. L’effort de contextualisation et le décloisonnement analytique apparaissent ainsi essentiels, et c’est pourquoi la trentaine d’historiennes et d’historiens ont cherché à penser les deux indemnités l’une par l’autre, de sorte à mieux comprendre les enjeux de chacune d’elle.

Prise du Cap-Français par l'Armée française, sous le Commandement du Général Leclerc le 4 et 9 Février 1802. Expédition à Saint-Domingue, Révolution haïtienne, Naudet & Pierre-Adrien Le Beau, XIXe siècle, Paris, BnF, Gallica. Agrandissement : Siège de la Crête à Pierrot (expédition de Saint-Domingue) en mars 1802, Auguste Raffet, 1839.

La restitution intégrale ?

Les discussions sur les deux affaires d’indemnisation traînèrent sur plus de 10 ans, de la Restauration de la monarchie en France en 1814 à leur conclusion en 1825. En France, la résolution du sort des propriétés vendues comme biens nationaux ou saisies par l’État haïtien, partit initialement d’un très haut niveau de revendication. Nombre d’émigrés et de propriétaires coloniaux, s’estimant spoliés, réclamèrent ni plus ni moins que leur restitution intégrale. Certains, comme le comte de Pardaillan de Gondrin cumulaient les deux problématiques.

Anonyme, Pierre Victor Malouet, en uniforme de commissaire général de la Marine, portant l'étoile d'officier de la Légion d'honneur, vers 1806.La première mission de la monarchie à destination d’Haïti, préparée par le Ministre de la Marine Pierre-Victor Malouët, s’inscrit dans ce cadre, avec le projet de reprise de contrôle de la colonie par une simple concertation avec les dirigeants haïtiens. 

Après les Cents-Jours, la monarchie restaurée ravala ses ambitions et prit conscience de l’impossibilité d’accéder aux demandes des Ultras et des colons intransigeants. Les prises de renseignements et les contacts plus ou moins formels avec Haïti s’établirent alors sur des bases plus souples.

Richard Evans, Portrait d'Henri Christophe, roi d'Haïti, 1816, Port-au-Prince, musée du Panthéon National Haïtien. Agrandissement : Guillaume Guillon Lethière, Le Serment des Ancêtres, 1822, Port-au-Prince, Palais national. (De gauche à droite : Jean-Jacques Dessalines et Alexandre Pétion).Du côté d’Haïti, 1814-1815 représente un moment d’inquiétude, si ce n’est de doute existentiel. Le pays restait divisé en deux parties hostiles, avec d’un côté le royaume du Nord mené par Christophe, qui s’était fait roi, et de l’autre la République du Sud dirigée par Alexandre Pétion. Malgré la poursuite des relations commerciales avec les États-Unis et l’Angleterre, l’écroulement de la production sucrière était complet, et seule l’exportation de café permettait de générer un flux commercial significatif.

À l’issue du Congrès de Vienne, la fin de la garantie maritime et diplomatique britannique constitua un point de bascule, car désormais la perspective d’une intervention maritime française redevenait crédible. Certes la flotte française était exsangue, mais sa reconstitution inéluctable laissait entrevoir une possibilité d’action hostile dans les années à venir. L’absence de toute reconnaissance internationale d’Haïti, divisée de fait en deux États rivaux, achevait de placer l’ex-colonie dans une situation aussi précaire qu’incertaine.

L’enjeu de la reconnaissance de l’indépendance

Dans ce contexte de doutes et de faiblesses mutuelles, le champ de la négociation s’ouvrit entre la France et Haïti, du moins du côté de la République du Sud. Mais quelles étaient les options possibles, et pour quels objectifs ? 

John Singleton Copley, La Mort du Major Peirson le 6 janvier 1781, Angleterre, musée d'Art de Jersey. On voit un loyaliste noir habillé en noir et jaune au premier plan.Pétion aurait, le premier et dès 1814, proposé à la France le versement d’une indemnité aux anciens colons en l’échange de la reconnaissance de l’indépendance d’Haïti.

Selon une hypothèse suggérée par le regretté Léo Elisabeth et confirmée par Gusti-Klara Gaillard, l’idée lui est peut-être venue de ses échanges avec les premiers envoyés français, d'autant que, comme l'avance G-K. Gaillard, Pétion a pu lui-même être inspiré par l’indemnité versée aux loyalistes anglais en 1788 pour la perte de leurs biens dans les colonies nord-américaines.

L’autorisation du commerce français avec Haïti sous pavillon neutre en mars 1816 et l’envoi de la mission de Fontanges et Esmangart traduisent l’abandon précoce du projet de reconquête militaire. Louis XVIII fit le choix de la voie négociée : en deux années, on était passé de l’éventualité d’une reconquête militaire avec rétablissement de l’ordre ancien à un champ de possibilités bien plus étendu.

Les positions en France à ce sujet étaient diversifiées au sein du groupe des anciens propriétaires et des milieux autrefois en rapport avec « la colonie de Saint-Domingue », comme beaucoup s’obstinaient encore à la dénommer. La question des secours aux « réfugiés de Saint-Domingue », qui s’était installée dès les débuts de la Révolution, alimentait les débats et les revendications des anciens propriétaires, contribuant à nourrir l’imaginaire de reconquête.

Jean-Baptiste Mauzaisse, L'Abbé Henri Grégoire, ecclésiastique et homme politique, 1820, Paris, musée Carnavalet. Agrandissement : le président Jean-Piere Boyer vers 1825.Parallèlement, les partisans d’Haïti se faisaient entendre en France, souligne Bernard Gainot, autour de la Société de la morale chrétienne et de l’abbé Grégoire, et dans la mouvance libérale et républicaine (journalistes, polygraphes, essayistes). 

Le regard anglais sur Haïti jouait également sur les débats, comme on le perçoit à travers les écrits de James Stephen. Les interrogations sur l’intérêt même de posséder des colonies en contrôle direct restait, au demeurant, toujours âprement discuté dans le cercle des économistes. Au-delà, la question haïtienne invitait à engager une réflexion géopolitique sur le siècle à venir.

Les années qui suivirent les premières négociations laissent l’impression de tergiversations, sur fond de multiplication des contacts. L’arrivée au pouvoir de Jean-Pierre Boyer en 1818 éclaircit la situation d’Haïti avec la réunification des parties Nord et Sud, sans pour autant écarter la possibilité de l’enlisement. La dernière mission de négociation, en 1821, fut ainsi peu suivie d’effets. La solution d’une indemnité à verser par l’État d’Haïti aux anciens propriétaires en l’échange de la reconnaissance de l’indépendance s’était néanmoins installée dans les esprits des deux parties. Elle apparut ainsi comme étant la plus pragmatique, voire la seule crédible.

Adolphe-Eugène-Gabriel Roehn, Investiture du président Boyer, vers 1818, Williamstown (Massachusetts), Clark Art Institute.

Les débats et les polémiques se succédèrent jusqu’en 1825, sans s’effacer par la suite, d’où l’existence d’une abondante documentation révélatrice des affrontements discursifs (invocation de la morale, des vertus, de l’histoire, des idéaux politiques…). Dans toute cette documentation, certaines questions restent invisibilisées, comme celles, pourtant au cœur de la négociation, de l’accès à la terre et de la préservation du capitalisme foncier.

Avec la Révolution haïtienne, le transfert foncier a été colossal à partir de 1793, tout spécialement en 1804 avec la confiscation des terres appartenant aux propriétaires français. Cette situation correspond peu ou prou à celle créée en France par la vente des biens nationaux, qui peut être considérée comme l’ « événement le plus important de la révolution française », pour reprendre l’expression de Georges Le Carpentier relayée par Charles Bodinier dans sa thèse en 1988.

January Suchodolski, Révolution haïtienne, bataille de Saint-Domingue, également connue sous le nom de bataille de Palm Tree Hill : la libération des esclaves, 1845, Varsovie, musée de l'Armée.

À qui profiterait l’opération ?

En Haïti, la question foncière restait lancinante, comme on le voit à travers l’exemple d’un certain « Darfour », Égyptien noir arrivé en Haïti en 1818 après avoir séjourné en France. Il fonda un journal dans lequel il accusa la caste de couleur d’avoir accaparé les terres au détriment des cultivateurs noirs, autrement dit des anciens esclaves. Mal lui en pris : il fut arrêté et fusillé sur ordre de Boyer en 1822.

Pour le pouvoir haïtien, la préservation de l’ordre politico-social en place passait par le maintien du statu quo foncier. Il lui fallait à cette fin sécuriser tous les biens acquis suite à la Révolution haïtienne au détriment des anciens colons français. Seul un accord avec la France permettait d’entériner définitivement le transfert de propriété opéré au cours de la Révolution. L’opération bénéficierait au premier chef à ceux qui en avait retiré le plus de biens, à savoir les anciens libres de couleur, et tout particulièrement, parmi eux, les officiers haïtiens qui n’étaient devenus propriétaires qu’à la faveur de l’indépendance.

Jean Sébastien Rouillard, Joseph, comte de Villèle, avant 1850, collection particulière.Une situation comparable existait en France pour les « émigrés » dont les biens avaient été saisis et vendus sous la Révolution. Les acquéreurs, des bourgeois mais aussi des nobles souhaitaient ardemment solder une situation d’incertitude qui grevait la valeur de leurs biens et rendait délicate leur revente. De leur côté, les anciens propriétaires, ayant compris que leurs terres ne leur seraient jamais restituées, finirent par accepter de guerre lasse l’idée d’une indemnisation compensatrice.

Sur le dossier colonial, l’arrivée au pouvoir de Villèle, qui s’était fait brièvement planteur à l’île Bourbon, avait remis les questions maritimes dans le débat politique français, sans pour autant conduire à promouvoir un impérialisme monarchique. Le président haïtien était lui aussi désireux de solder les comptes entre les deux nations, mais il semble qu’il commença alors à temporiser. Le temps passant, les menaces s‘émoussaient, et le pouvoir haïtien commença à présumer que le rétablissement de fait des relations déboucherait à terme sur une reconnaissance en bonne et due forme.

Cependant, en mars 1824, Louis XVIII, décidé à « fermer les dernières plaies de la Révolution », entreprit de solder une fois pour toutes la question des biens des émigrés. L’arrivée au pouvoir de son frère Charles X quelques mois plus tard accéléra le mouvement. 

 Charles-Philippe Larivière, Amiral Ange-René-Armand de Mackau, 1853, Paris, Palais du Luxembourg. Agrandissement : Le baron de Mackau et Jean-Pierre Boyer lors de la négociation du traité franco-haïtien de 1825, in Victor Duruy, Histoire populaire contemporaine de la France, 1864.Le nouveau roi avait la ferme volonté de régler ces questions laissées en suspens, comme l’y poussaient à la fois les anciens propriétaires de Saint-Domingue et les nobles émigrés. L’ordonnance du 17 avril et la loi du 27 avril 1825 entendaient solder ces deux questions par la voie indemnitaire, à hauteur de 150 millions de francs pour les anciens propriétaires coloniaux et de l’ordre du milliard de francs pour les émigrés français.

La monarchie française n’était plus du tout dans l’état de faiblesse qui avait été le sien en 1814-1815. Avec une force navale reconstituée, elle était désormais en capacité d’imposer ses vues. C’est ce qui détermina l’envoi de l’expédition du baron de Mackau, qui débarqua au Port-au-Prince le 3 juillet 1825. Le président Boyer fut ainsi contraint d’accepter les termes d’un accord si longtemps différé. La politique de la canonnière était inventée.

Le mythe de la prospérité

Hormis le journal Le Télégraphe, dirigé par l’ancien secrétaire de Dessalines Juste Chanlatte, et l’abbé Grégoire en France, l’accord fut accepté dans un premier temps par le plus grand nombre, ex-propriétaires coloniaux compris. Par la suite, les avis à propos de la solution de l’indemnité divergèrent au sein de l’intelligentsia haïtienne, qui se montra parfois critique mais le plus souvent approbatrice.

Dans l’ensemble, l’élite haïtienne ne remit nullement en question le principe de l’accord, mais en contesta volontiers les modalités de son application et son montant. Cette modération s’explique par le fait qu’elle escomptait tirer profit de la nouvelle situation sur plusieurs plans. D’une part, la reconnaissance de l’indépendance l’intéressait au premier chef en termes de représentation internationale. D’autre part, le rétablissement des relations avec la France permettait de former la nouvelle génération de dirigeants ou d’intellectuels, phénomène qui a perduré jusqu’à nos jours.

Les objectifs politiques et économiques posés, il fallut ensuite passer aux choses concrètes : le paiement effectif d’une somme, considérable, de 150 millions de francs. Chacun vivait sur le mythe de la prospérité de l’ancienne « Perle des Antilles » ou bien louait les réalisations du jeune État. En fait, l’effondrement des capacités exportatrices haïtiennes était structurel, ce qui rendit illusoire le paiement de la somme imposée.

L’hypothèse d’une stimulation du commerce entre la France et Haïti fut un vœu pieux : les volumes échangés ne permirent en aucun cas de couvrir le paiement de l’indemnité. Pour des raisons différentes donc, la surévaluation du potentiel productif et donc fiscal d’Haïti conduisit à exiger une somme très au-delà des capacités réelles du pays. Incapable de payer le premier terme, l’État haïtien dut aussitôt recourir à l’emprunt, d’où l’expression de « double dette ». Le budget de l’État haïtien en fut fortement impacté et, in fine, ce fut le peuple des petits cultivateurs noirs, pour beaucoup d’anciens esclaves, qui finança par l’impôt le remboursement des sommes empruntées.

Benjamin Ulmann, Victor Schoelcher (tableau présenté au Salon de Paris 1876), bibliothèque Schoelcher, Martinique, Fort-de-France. Agrandissement : Honoré Daumier, Les représentans représentés : Sch?lcher, vers 1848-1849, Paris, musée Carnavalet.Les réactions ne se firent pas attendre, et dès le début des années 1830 on entendit le peuple haïtien s’insurger contre la pression fiscale alourdie par l’indemnité. En 1838, sa réduction à 90 millions et le rééchelonnement de la dette contractée firent retomber quelque peu la pression.

Victor Schoelcher, observateur de visu du marasme haïtien, pointa pour sa part l’incurie des dirigeants haïtiens, ce qui lui valut l’accusation, aussi ridicule que facile, d’être un agent du rétablissement de l’esclavage.

Les propriétaires coloniaux français devaient être indemnisés en principe à hauteur de 10% de la valeur de leurs biens détenus à Saint-Domingue en 1789. Dans les faits toutefois, beaucoup ne touchèrent rien, soit parce qu’ils étaient déjà morts ou sans descendance légitime, soit qu’ils étaient incapables de faire valoir leurs droits.

Les obstacles variés (il fallait résider à Paris ou y avoir un mandataire, monter le dossier de demande, recueillir des preuves de propriété et de valeur…) firent que les sommes furent attribuées de façon assez inégalitaire. Paradoxalement, ce furent les propriétaires coloniaux qui n’avaient jamais mis les pieds à Saint-Domingue qui en retirèrent le plus de profit, car ceux-ci possédaient l’essentiel des papiers nécessaires, contrairement aux colons résidents qui avaient fui précipitamment la colonie.

L’accès direct aux sphères du pouvoir central joua dans la recevabilité des demandes et les montants obtenus, et l’on voit dans une province comme le Périgord les écarts considérables de traitement. Les mandataires et les financiers parisiens traitant la dette haïtienne en furent aussi des bénéficiaires, certes indirects mais substantiels.

Un moment de « réparation »...

Concernant les biens des émigrés de la Révolution, l’octroi d’une rente à 3% permit de compenser en partie les pertes. L’opération se fit au détriment du reste des épargnants, souvent modestes, qui virent diminuer le rendement de leur placement d’État. Le contribuable français ne fut donc pas mis à contribution directement, de même qu’en Haïti dans un premier temps, où l’indemnité fut prélevée sur les droits de douane.

Portrait gravé de Jacques Laffitte à l'Assemblée nationale.  Agrandissement : Anonyme, Portrait de Jacques Laffitte, XIXe siècle, Centre des Monuments Nationaux.Dans une France parcourue de vives tensions politiques et sociales, après quelques années, presque plus personne ne se soucia plus du sujet de l’indemnité, devenu un dossier de spécialistes de la finance ou d’anciens colons. L’État français ayant d’emblée refusé d’apporter sa garantie, il estimait n’avoir assuré qu’un simple rôle d’intermédiaire et de conciliateur.

Dès lors, il délaissa le dossier, considérant qu’il liait avant tout l’État haïtien à des établissements financiers privés et à des banquiers, tel le richissime Jacques Laffite, placé au cœur du système politico-financier. La dette s’éteignit très lentement (en 1878 pour l’indemnité, en 1888 pour l’emprunt), mais elle ne fut guère un sujet de débat au sein d’élites haïtiennes francophiles et en France, où Haïti était perçue comme une république amie dans la Caraïbe.

Le président Jean-Bertrand Aristide revient triomphalement au Palais national de Port-au-Prince, en Haïti, lors de l'opération « Défendre la démocratie », 15 octobre 1994.Au début du XXe siècle, au moment du passage de la prépondérance française à celle des États-Unis, Haïti avait atteint un niveau de développement correct malgré l’impact des paiements réalisés, nécessairement pénalisants. Le sujet de l’indemnité ne revint sur le devant de la scène que bien plus tard, à la fin du XXe siècle, avec Jean-Bertrand Aristide.

L’instabilité politique, les difficultés économiques et démographiques, puis la dégradation générale de la situation intérieure, firent s’interroger sur les causes historiques de cette crise multidimensionnelle. De là, comme dans nombre de pays anciennement colonisés, réémergea la question des réparations, question aux origines anciennes et particulièrement complexe.

L’année 1825 aurait-elle été cette année du « pardon », comme elle le fut dans le cadre de l’année sainte catholique ? Les indemnités de 1825 furent-elles une réaction contre les révolutions française et haïtienne ? Les discours des contemporains indiquent bien qu’il s’agissait, pour la monarchie française, de remporter une victoire symbolique contre ces deux révolutions, en imposant une contrition par la voie financière.

Toutefois, et aussi étonnant que cela puisse paraître aujourd’hui, elles furent aussi conçues comme un moment de « réparation ». Il s’agissait de réconcilier, du moins en France, les propriétaires de l’Ancien Régime et ceux issus de la période révolutionnaire. En somme, elle ouvrait la voie à la « France des notables », selon l’expression d’André Jardin et d’André-Jean Tudesq, par la réconciliation autour du principe partagé de la propriété comme « droit inaliénable et sacré », énoncé dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789.

Vincent Cousseau

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Publié ou mis à jour le : 2025-05-13 19:09:18

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