Le 21 décembre 2012, le monde devait être détruit. Cette prédiction, qui tarde en définitive à se réaliser, ne nous vient pas de Nostradamus, notre grand voyant, mais des Mayas qui auraient, paraît-il, gravé cette date dans la pierre de leur calendrier.
Il y a eu en fait tant de versions des moments ultimes qu'un terme a été créé pour les évoquer ! Lançons-nous donc dans l'eschatologie, c'est-à-dire l'étude de la fin des temps (le mot a été forgé en 1864 à partir du grec « eskatos », dernier ou extrême, et « logos », discours).
Du déluge à l'apocalypse nucléaire, voici le rappel de ces mythes qui ont cristallisé les angoisses des hommes.
Le temps : roue ou flèche ?
Dans l'Antiquité, le futur ne se présente pas tant comme la fin du monde que comme la fin d'un monde. Faisant un parallèle avec le cycle des saisons, les Anciens pensent que leur univers est certes voué à disparaître, mais pour mieux renaître par la suite.
La conception d'un temps cyclique est encore présente chez une majorité de peuples, de l'Amazonie jusqu'en Inde où la « dissolution » (pralaya) est provoquée régulièrement par l'entrée en sommeil de Brahmâ, architecte de l'univers.
Est ainsi mise en avant la notion optimiste de l'éternel retour, visible encore sur nos calendriers et dans le cadran de nos montres analogiques : comme l'été succède à l'hiver, les temps difficiles ne sont qu'une étape avant le renouveau. Le dieu Ré, en Égypte, ne disparaît-il pas chaque soir derrière l'horizon pour mieux renaître le lendemain ? En Grèce, à chaque printemps, Perséphone ne ramène-t-elle pas la vie en sortant des enfers pendant quelques mois ?
C'est chez les Hébreux que naît l'idée révolutionnaire d'un temps linéaire, s'écoulant de façon irréversible entre un début et une fin, de la naissance d'Adam, qui marque le début de la chronologie biblique, à la fin des temps et donc du monde terrestre.
En même temps que la perspective d'un monde fini, un nouvel espoir apparaît dans les trois grandes religions monothéistes (judaïsme, christianisme, islam) : la certitude de l'existence d'un autre monde que celui dans lequel vivent les croyants, un monde parfait qui ignore le Mal et la Mort.
On peut trouver les prémices de la fin du monde et de la vie éternelle chez les anciens Perses, adeptes du mazdéisme.
L'espérance en la vie éternelle n'exclut donc pas l'angoisse, car, avant d'accéder au bonheur éternel, il faut se confronter aux cataclysmes destinés à détruire les anciennes sociétés. Et revoilà nos vieilles peurs qui renaissent...
Nettoyage à grandes eaux : le déluge
La nécessité de faire régulièrement table rase pour mieux permettre tous les espoirs de renouveau est présente dans de nombreuses civilisations à travers le mythe du déluge, une des visions les plus anciennes et les mieux partagées de la destruction du monde.
On la trouve en effet mentionnée chez les Mésopotamiens dans le mythe d'Atrahasis (XVIIe s. av. J.-C.) et surtout dans l'épopée de Gilgamesh (vers le XXe av. J.-C.) retrouvée dans la bibliothèque du roi assyrien Assourbanipal. Elle met en scène le héros Gilgamesh, roi d'Uruk, qui reçoit de la bouche d'un survivant le récit d'un déluge en de nombreux points semblable à celui présent dans la Genèse, rédigée vers le VIIe s. av. J.-C., soit près de treize siècles plus tard.
Colère des dieux, personnage élu construisant un bateau pour accueillir des spécimens de tous les animaux, montée des eaux, échouement et colombe... Tous les ingrédients sont déjà là !
Ce type de mythe est en fait universel : chez les Pygmées par exemple, c'est Caméléon qui, ayant entendu du bruit dans un tronc, le fend et fait jaillir de l'eau qui submerge le monde et crée les hommes. En Amazonie, une cigogne maladroite fait déborder un chaudron d'eau bouillante tandis qu'en Australie c'est le dieu qui urine en trop grande quantité dans la mer...
La plupart de ces récits sont d'ordre cosmogoniques, relatant la création ou la re-création de notre monde auquel les dieux donnent une seconde chance.
Le déluge n'est pas en effet la fin de tout mais le début d'une nouvelle ère : avec ses survivants réfugiés dans des navires ou en haut des arbres, l'humanité, prévenue de sa faiblesse, va pouvoir à nouveau se lancer dans l'aventure de la vie.
Platon offre quant à lui une version laïcisée ou historique de ce mythe avec le récit de l'Atlandide, continent mystérieux qui aurait disparu sous les eaux.
Une Apocalypse pour rassurer
À la fin du 1er siècle de notre ère, alors qu'ils commencent de subir des persécutions, les chrétiens, encore très minoritaires dans l'empire romain, cherchent du réconfort dans la croyance à un retour très prochain du Christ, la « parousie », qui sera la fin de leurs tourments.
C'est à cette époque que Saint Jean rédige sur l'île de Patmos le dernier livre du Nouveau Testament, intitulé l'Apocalypse (la « Révélation »).
Ce texte, loin d'être pessimiste comme on le pense souvent, a pour but de redonner courage aux opprimés.
Il leur annonce donc la fin de leurs tourments avec l'instauration du royaume du Messie sur Terre, pour mille ans de bonheur partagé avec les saints ressuscités.
Puis aura lieu une deuxième résurrection précédant le Jugement dernier et le Salut éternel.
Le Jugement dernier, qui a fait l'objet de nombreuses représentations picturales au Moyen Âge et sous la Renaissance, désigne un jugement solennel par lequel Dieu sépare les méchants, destinés à la géhenne (le feu éternel ou l'enfer) des Justes, promis au Salut et à la vie éternelle, dans la lumière divine.
Mais avant cette « Révélation » viendra selon Saint Jean une période de cataclysmes et d'épreuves.
Guerres, mort et famines surviendront dans le sillage des quatre Cavaliers de l'Apocalypse tandis que les trompettes des Anges déchaîneront incendies, inondations et invasions d'insectes.
Doit-on y voir le symbole de l'Antéchrist, imposteur cherchant à dévoyer la parole du Sauveur, ou celui de la Rome de Domitien, hostile aux chrétiens ?
Le message est le même : le croyant doit s'attendre à de nouvelles épreuves qu'il doit surmonter avant que Jésus crée « un ciel nouveau et une nouvelle Terre ».
Selon les périodes, ce texte a été perçu comme symbolique ou prophétique, ouvrant la voie à de multiples interprétations ou angoisses.
En tous cas, son influence a été considérable : son titre n'est-il pas passé dans le langage courant ?
« Quand l'agneau […] ouvrit le sixième sceau, il se fit un violent tremblement de terre. Le soleil devint noir comme une étoffe de crin, et la lune entière comme du sang. Les étoiles du ciel tombèrent sur la terre, comme fruits verts d'un figuier battu par la tempête. Le ciel se re tira comme un livre qu'on roule, toutes les montagnes et les îles furent ébranlées. Les rois de la terre, les grands, les chefs d'armée, les riches et les puissants, tous, esclaves et hommes libres, se cachèrent dans les cavernes et les rochers des montagnes. Ils disaient aux montagnes et aux rochers : Tombez sur nous et cachez-nous loin de la face de celui qui siège sur le trône, et loin de la colère de l'agneau ! Car il est venu le grand jour de leur colère, et qui peut subsister ? [...]
Le cinquième ange fit sonner sa trompette : je vis une étoile précipitée du ciel sur la terre. Et il lui fut donné la clé du puits de l'abîme. Elle ouvrit le puits de l'abîme, et il en monta une fumée, comme celle d'une grande fournaise. Le soleil en fut obscurci, ainsi que l'air. Et, de cette fumée, des sauterelles se répandirent sur la terre. Il leur fut donné un pouvoir pareil à celui des scorpions de la terre. [...]
Le sixième ange fit sonner sa trompette : […] Tels m'apparurent, dans la vision, les chevaux et leurs cavaliers : ils portaient des cuirasses de feu, d'hyacinthe et de soufre. Les têtes des chevaux étaient comme des têtes de lion, et leurs bouches vomissaient le feu, la fumée et le soufre. Les têtes des chevaux étaient comme des têtes de lion, et leurs bouches vomissaient le feu, la fumée et le soufre. Par ces trois fléaux, le feu, la fumée et le soufre, que vomissaient leurs bouches, le tiers des hommes périt ». (traduction oecuménique de la Bible).
La peur du chiffre rond
Rappelez-vous : quelques jours avant l'an 2000, un léger vent de panique commença à souffler, en rapport avec la fragilité supposée de nos systèmes informatiques, comme si le fait de revenir au chiffre 0 signifiait la fin de tout. Cette angoisse vient de notre système arithmétique, fondé sur une base décimale, comme le nombre de nos doigts... Mais remontons à la source de notre calendrier pour voir si cette peur est fondée…
Ce n'est qu'au VIe s. que le moine Denys le Petit, sur la demande du pape Jean Ier, fixa de façon arbitraire le début de l'ère chrétienne au 1er janvier, jour de la circoncision du Christ, 753 années a.u.c. (ab urbe condita : après la création de Rome).
La Bible, notons-le, multiplie les références au nombre 1.000, symbole d'infini : mille jours, pour nous, seraient en effet l'équivalent d'une journée pour Dieu. Mais dans les premiers siècles de la chrétienté, nombreux sont ceux qui prennent à la lettre le texte de l'Apocalypse. Ces millénaristes entrent dans l'attente des mille ans de bonheur terrestre, appelés Millénium, qui doivent se glisser entre la victoire sur le Mal et le Jugement dernier.
Cette croyance a été remise d'actualité lors de la découverte de l'Amérique et de la conversion des derniers peuples païens, celle-ci devant annoncer le début de cette période de paix. Elle a ensuite été reprise par de nombreux groupes comme les Mormons ou les Témoins de Jéhovah. Mais la rencontre avec un chiffre rond n'est-elle pas surtout l'occasion de faire un bilan, un retour sur soi ? D'où, parfois, quelques angoisses !
Les terreurs de l'An Mil... et des siècles suivants
Quelques clercs s'étant persuadés que le décompte fatal de l'Apocalyse avait commencé à la naissance du Christ, l'An Mil devait marquer la fin des temps ; d'autres penchaient pour la mort du Christ, à 33 ans, et ceux-là appréhendaient plutôt l'année 1033.
Au XIXe siècle, nombre d'historiens mirent en scène la supposée panique née de cette évidence. Jules Michelet, en particulier, livra une vision de la « grande peur de l'An Mil » propre à satisfaire les élans romantiques de son époque, à la fois amoureuse du Moyen Âge, sensible aux ambiances funèbres et généralement hostile à l'Église, tenue pour archaïque.
Les historiens contemporains sont revenus sur ces préjugés. Ils considèrent que la « grande peur de l'An Mil » est une pure invention du XIXe siècle, tout en reconnaissant que la peur de la fin du monde a bien été présente chez quelques clercs. Le peuple, quant à lui, ne s'inquiétait pas de la date de l'année en cours et n'avait aucune conscience du temps historique ; ainsi personne ne s'offusquait de voir dans les églises des soldats romains en armure médiévale, dans un total anachronisme.
La fin du Moyen Âge fut autrement plus anxieuse : la peste noire, les guerres, la prise de Constantinople par les Turcs ou encore les divisions religieuses ont nourri l'angoisse et la peur du lendemain. Ces appréhensions atteignent des sommets à la Renaissance. Cette époque-là voit triompher les superstitions : que l'on songe à la chasse aux sorcières comme à Louis XI et Catherine de Médicis, l'un et l'autre entourés de charlatans ! Il faut attendre la période de paix qui s'installe à la fin du XVIIe s. pour que les hommes reprennent confiance en l'avenir.
« Voyez ces vieilles statues dans les cathédrales du Xe et du XIe siècle, maigres, muettes et grimaçantes dans leur roideur contractée, l'air souffrant comme la vie, et laides comme la mort. Voyez comme elles implorent, les mains jointes, ce moment souhaité et terrible, cette seconde mort de la résurrection, qui doit les faire sortir de leurs ineffables tristesses, et les faire passer du néant à l'être, du tombeau en Dieu. C'est l'image de ce pauvre monde sans espoir après tant de ruines. L'empire romain avait croulé, celui de Charlemagne s'en était allé aussi; le christianisme avait cru d'abord devoir remédier aux maux d'ici-bas, et ils continuaient. Malheur sur malheur, ruine sur ruine. Il fallait bien qu'il vînt autre chose, et l'on attendait. [...]
Cet effroyable espoir du jugement dernier s'accrut dans les calamités qui précédèrent l'an 1000, ou suivirent de près. Il semblait que l'ordre des saisons se fût interverti, que les éléments suivissent des lois nouvelles. Une peste terrible désola l'Aquitaine ; la chair des malades semblait frappée par le feu, se détachait de leurs os, et tombait en pourriture. Ces misérables couvraient les routes des lieux de pèlerinage, assiégeaient les églises, particulièrement Saint-Martin, à Limoges ; ils s'étouffaient aux portes, et s'y entassaient » (Jules Michelet, Histoire de France, livre IV, 1876).
Des prophètes et des chiffres
Quoi qu'il en soit, annoncer la fin du monde a été depuis l'Antiquité une activité très prisée ! Nombreux sont ceux qui s'y sont essayés, avec plus ou moins de bonheur. Faut-il envier le stoïcien Sénèque qui annonça l'anéantissement total de Rome, quelques années avant que la disparition de Pompéi sous les laves ne sonne comme un avertissement ?
Au IIe s. av. J.-C., la crise de la société romaine ébranle la confiance des contemporains, faisant dire à Lucrèce que « tout […] marche vers le tombeau, épuisé par la longueur du chemin de la vie » (De Natura rerum).
Avec le développement du christianisme et le succès de l'Apocalypse de Saint Jean, les prophéties se multiplient, notamment au cours du Ve s. qui voit le pillage de Rome par les Wisigoths.
Dans cette période de troubles, Saint Augustin lui-même se convainc de l'inéluctabilité de la fin du monde mais n'accorde qu'une valeur allégorique aux mille ans de l'Apocalypse... Pour lui, le compte à rebours a débuté avec la naissance du Christ mais le terme ne viendra que dans un temps indéfini, connu de Dieu seul.
L'ensemble de l'Église se range derrière lui, à l'exception des millénaristes, ainsi qu'on l'a vu. Il est vrai qu'en dépit de tout, barbares, guerres, épidémies... le monde s'entête à vivre.
Passées l'Antiquité et le Moyen Âge, les penseurs se posent à nouveau la question de la date limite de notre Histoire. Puisque la Genèse donnait des indications sur la date de la création du monde et l'Apocalypse sur sa fin, l'équation semble simple !
Au XVe s., dans une conjoncture assombrie par les épidémies et l'affaiblissement de la foi médiévale, des prédicateurs, convaincus que le terme est proche, se mettent en peine d'avertir la population.
Le plus célèbre, Johann Stöffler, réussit à convaincre certains de ses contemporains de construire des arches de Noé (comme dans le film 2012 !).
L'art s'empare du thème de la fin du monde. On le retrouve dans les œuvres de Dürer et Michel-Ange. Luther, de son côté, ne laisse qu'une centaine d'années de répit à notre monde tandis que l'anabaptiste Jean de Leyde appelle en 1534 à une véritable révolution dans la ville allemande de Münster, promue Nouvelle Jérusalem.
L'avancée des sciences aux siècles suivants ne met pas fin aux supputations millénaristes. Ainsi peut-on citer au XIXe siècle Charles Taze Russel, fondateur des Témoins de Jéhovah, qui annonce 1914 comme date ultime.
D'autres mouvements sectaires souhaitent devancer le grand cataclysme en entraînant leurs adeptes dans la mort : c'est le cas des 98 Davidiens morts à Waco en 1993 ou encore des adeptes du Temple du peuple qui périssent par centaines en Guyana, en 1978.
À l'heure actuelle, le développement des moyens de communications et la perte de foi en la politique peuvent faire craindre la multiplication de ces prophètes, prompts à exploiter les angoisses de leurs contemporains.
La Science : une autre approche de l'Histoire... et de sa fin
L'étude des fossiles, à la fin du XVIIIe s., a révolutionné notre perception de la chronologie. Alors que l'on croyait depuis l'Antiquité qu'ils étaient les restes d'ogres ou de géants antédiluviens (antérieurs au déluge), on réalise désormais qu'ils sont la preuve d'une ancienneté de la vie sur Terre beaucoup plus grande qu'on l'imaginait. Le grand savant Buffon remonte à 75.000 ans, encore très loin des 4,5 milliards aujourd'hui estimés.
L'avancée est énorme : le Siècle des Lumières perçoit l'idée d'une Nature en évolution constante. Au XIXe s. émerge avec Darwin la théorie d'une transformation des espèces, y compris la nôtre.
Mais le questionnement sur la disparition des dinosaures, il y a 65 millions d'années, relativise l'optimisme né de ces découvertes, d'autant plus que l'avancée des connaissances en astronomie n'est pas non plus très encourageante.
Pourquoi les autres planètes du système solaire semblent-elles mortes ? D'ailleurs, ne cachent-t-elles pas une vie extra-terrestre qui viendra bientôt détruire la nôtre ?
En 1910, le passage spectaculaire de la comète de Halley, dont les gaz, pensait-on, allaient asphyxier notre atmosphère, donne l'occasion de nouveaux frissons.
En levant les yeux vers le ciel, nous observons nous-mêmes d'un œil soupçonneux ces météorites qui, nous dit-on, seraient cause de la disparition des dinosaures.
À moins qu'un volcan, en explosant, n'obscurcisse la Terre, comme ce fut le cas en 1815 avec l'éruption du mont Tambora, en Indonésie, qui provoqua en Europe un « été sans soleil », le plus froid jamais enregistré.
Que craindre encore ? Une modification de l'orbite terrestre qui provoquerait une nouvelle ère glaciaire ? Le rapprochement du soleil et l'évaporation des océans ? Une épidémie mondiale ?...
Parmi tous les scénarios eschatologiques, il en est un dont nous sommes à peu près sûrs : la mort du Soleil, après épuisement des réserves d'hydrogène, entraînera la disparition de la vie sur Terre. Mais nous avons encore cinq milliards d'années devant nous pour y penser...
L'homme victime de son succès ?
Et si la fin des temps n'était que la conséquence inéluctable d'une lente dégradation de notre écoumène (l'espace occupé par l'homme) ?
Les Anciens étaient persuadés que leur époque faisait suite à un Âge d'or fait de paix et de richesses, perdu à jamais.
Au cours du dernier millénaire, avec l'avancée des sciences et des techniques, l'homme occidental a pu croire toutefois en un progrès continu et bénéfique, lui permettant de triompher de la Nature.
Il a maîtrisé son environnement pour en faire l'allié de son développement. Même si, parfois, quelques avertissements sous forme de tremblements de terre ou de raz-de-marée venaient lui rappeler que la Terre pouvait travailler à la disparition de notre espèce.
Aujourd'hui, le progrès est à nouveau mis en question et l'on en revient à douter de l'avenir.
Perturbations climatiques, fragilisation de la couche d'ozone, mutations génétiques des plantes... Divers indicateurs font craindre un suicide collectif.
Ce nouveau type de peurs laïques se nourrit du choc des explosions d'Hiroshima et Nagasaki en 1945 et de la hantise de la catastrophe ou du conflit nucléaire, toujours présente aujourd'hui.
Le « Bug de l'An 2000 », qui ne s'est en définitive pas produit, a été une nouvelle occasion de dénoncer l'autodestruction de notre monde, trop dépendant de l'informatique : victime du fameux bug, notre mode de vie eut été voué à la paralysie complète !
Responsable de notre progrès, nous serions aussi responsable à brève échéance de notre disparition.
Comme l'exprime Lucian Boia, « Que les cavaliers [de l'apocalypse] arrivent ; on leur prêtera main-forte » !
Raconter la fin du monde
Le succès toujours renouvelé des films-catastrophe montre le plaisir que nous prenons à évoquer des désastres en tous genres. Il ne peut y avoir plus belle occasion de provoquer des cris de terreur que de montrer l'apocalypse ultime !
Dès le XIXe s., les écrivains s'attellent à la tâche, marquant ainsi la désacralisation du thème : pour Jules Verne, notre civilisation a été créée par un Nouvel Adam (1910) ayant survécu à la destruction de son propre monde par les eaux.
Camille Flammarion, après avoir fait le point sur les croyances dans son récit La Fin du monde (1894), choisit l'hypothèse de la comète, qui rencontra un tel succès que la panique s'ensuivit. Guy de Maupassant imagine quant à lui le remplacement de notre espèce par une autre : « Après l'homme, le Horla » !
Pour H.G. Wells, ce serait plutôt La Guerre des mondes (1898) contre les extraterrestres. Ce texte était toujours d'actualité en 1938 puisque son adaptation radiophonique par Orson Welles provoqua aux États-Unis un sauve-qui-peut mémorable !
Le cinéma s'est bien sûr très vite emparé du sujet : on trouve une Fin du monde d'Abel Gance dès 1931, suivie de peu d'un Déluge (1933).
Les scénaristes hésitent entre grand spectacle (2012, 2009), message contre la science (Dr Folamour, 1964) et vision pessimiste de l'après (Malevil, 1981, d'après un roman de Robert Merle).
Le thème est également l'occasion de mettre en scène nombre de créatures post-apocalyptiques plus dégénérées les unes que les autres : Zombie (1978), Terminator (1984) et autres Godzilla (1954).
Mais tous ces films aux noms évocateurs (Le Jour où la Terre s'arrêta (1951), Meteor (1978), Armageddon (1998)...) auront sûrement moins marqué la mémoire collective qu'une simple image : les restes de la statue de la Liberté luttant contre la disparition dans La Planète des Singes (1968).
Ce symbole brisé apparaît comme un écho, en pleine guerre froide, de l'avertissement de Paul Valéry : « Nous autres, civilisations, savons maintenant que nous sommes mortelles ».
Chaque scénario apocalyptique n'est-il pas, finalement, qu'une façon un peu puérile de conjurer notre propre disparition ?
On peut remercier archéologues et paléologues : sans la découverte et la traduction de la stèle de Tortuguero (sud du Mexique), remontant au VIIe s., nous aurions vécu une fin d'année relativement ennuyeuse.
Mais voilà : sur ce calendrier a été repérée la date fatidique du 21 décembre 2012, vite désignée comme celle de la fin du monde. Mettons fin au suspense : la date sur ce bloc de pierre révèle bien un achèvement, mais simplement celui d'une période. Comme bien d'autres peuples, les Mayas avaient une conception cyclique de l'Histoire et envisageaient en effet le temps sous la forme d'une roue tournant sans cesse.
Nous serions ainsi arrivés à la fin d'un cycle majeur de 5.125 ans, débuté en 3113 av. J.-C. Il ne s'agit donc pas de refermer le livre mais juste de tourner une page, pour recommencer une nouvelle ère. Ouf !
Sources et bibliographie
- « Les Civilisations sont-elles vouées à disparaître ? », Les Cahiers de Sciences et vie, n°109, fév.-mars 2009.
- « Le Déluge. La science face au mythe biblique », Les Cahiers de Sciences et vie, n°72, déc. 2002.
- « La Grande peur de la fin du monde », L'Histoire n°228, janv. 1999.
- Lucian Boia, La Fin du monde. Une histoire sans fin, éd. La Découverte, 1999.
- Jean-Claude Carrière, Jean Delumeau, Umberto Eco et Stephen Jay Gould, Entretiens sur la fin des temps, Fayard, 1998.
- Bernard Sergent, La Fin du monde. Treize légendes des déluges mésopotamiens au mythe maya, éd. Librio (« Document »), 2012.
- La Fin des temps. Terreurs et prophéties au Moyen Âge, éd. Stock, 1982.
- Visions du futur. Une histoire des peurs et des espoirs de l'humanité. L'attente de la fin des temps, album de l'exposition du Grand Palais, éd. RMN, 2000.
Homère, ses dieux et ses héros
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