Saint-Malo

La « cité corsaire » a du caractère

« Saint-Malo n’est qu’un rocher », résumait laconiquement François-René de Chateaubriand. Mais quel rocher ! Ceint d’un puissant rempart urbain dès le Moyen Âge, ce vieux socle armoricain est un trait d’union entre la Bretagne et la Manche.

Faut-il s'étonner qu'en dépit de sa modeste taille, la « cité corsaire » ait donné le jour à tant de grands personnages de notre Histoire ? Outre Chateaubriand, citons le découvreur du Canada, Jacques Cartier, les marins René Duguay-Trouin et son jeune cousin Robert Surcouf, François Mahé de la Bourdonnais, promoteur du premier empire colonial, ou encore le théologien engagé Félicité de La Mennais...

Matin à Saint-Malo, Carl Neumann, 1870, Charlottenborg, Copenhague. Agrandissement : le petit matin de Saint-Malo, XXIe siècle (© Stéphane William Gondoin)

Les vicissitudes d’une ville forte

« L’île Saint-Malo » est dès le XIIe siècle dotée d’un rempart urbain, qui ne cesse de se renforcer, de s’étendre et d’évoluer au fil du temps, s’adaptant notamment dans la seconde moitié du XVe siècle à l’usage d’armes à feu. La nouvelle cathédrale reçoit pour sa part un chœur gothique au XIIIe siècle.

Sceau de Guillaume II Poulard, 1365.

La grande affaire du siècle suivant, c’est la guerre de Cent Ans et la guerre de Succession de Bretagne (1341-1365). Une guerre dans la guerre, donc. D’abord plutôt favorables à l’Angleterre, les Malouins se rangent finalement derrière les rois de France.

Le duc de Bretagne en revanche, Jean IV de Montfort, allié aux Anglais, y fait une entrée triomphale en 1368. Dans la foulée, il lance le chantier de la tour Solidor afin d’accroître la pression sur les populations locales.

Dès 1387 cependant, les Malouins se débarrassent de la tutelle ducale et se placent sous l’autorité directe du pape Clément VII. En 1394, le Saint-Siège cède la ville au roi de France Charles VI, qui en reste maître jusqu’en 1415, date à laquelle elle est restituée à Jean V, qui lance en 1425 le chantier du Grand Donjon, embryon du château-citadelle.

Le temps des explorateurs et des corsaires

La baie de Saint-Malo avec ses fortifications, carte de 1775, Paris, BnF.Au nord de la Loire, les hostilités liées à la guerre de Cent Ans s’achèvent en 1450 (bataille de Formigny). La paix enfin revenue, l’activité ne cesse de se développer à Saint-Malo et le port devient l’un des plus actifs de Bretagne.

Le duc François II perd la ville le 14 août 1488, dans la foulée de sa défaite contre l’armée française à Saint-Aubin-du-Cormier.

C’est à la Renaissance, dans la foulée de la découverte du continent américain, que se mettent en place des lignes commerciales au long cours. Les Malouins se tournent vers le nord. Un homme symbolise cette épopée : Jacques Cartier. En 1534, il mène avec la bénédiction de François Ier l’exploration de l’estuaire du Saint-Laurent.

Jacques Cartier, Théophile Hamel, 1844, musée national des Beaux-Arts du Québec. Agrandissement : Plan du village irroquois d’Hochelaga, sur le Saint-Laurent, à l’emplacement de la ville actuelle de Montréal, Archives nationales du Canada.Alors se mettent en place les rouages d’un commerce international, qui atteint un pic à la fin du XVIe siècle. Les bateaux quittent Saint-Malo pour aller pêcher la morue au large de Terre-Neuve ou chercher des peaux, revendent leur cargaison dans les ports espagnols et remontent vers la Bretagne chargés de vins et autres produits méridionaux.

En 1590, refusant d’accepter l’avènement d’Henri IV au trône à cause de sa confession protestante, Saint-Malo se proclame « République » et vit pour quatre ans en complète autonomie. Les habitants proclament fièrement : « Ni français ni breton, malouin suis ».

Dès le XVe siècle, certains Malouins se font la spécialité d’arraisonner en haute mer les vaisseaux de nations ennemies, mais aussi de mener des raids sur les îles anglo-normandes, voire sur certains ports de la côte sud de l’Angleterre.

Cette « tradition », partagée avec d’autres ports français comme Dieppe, Bayonne ou Dunkerque, reste sous-jacente tout au long du XVIe siècle et sous le règne de Louis XIII, pour exploser sous celui de Louis XIV.

Vauban, l’ingénieur militaire du Roi-Soleil, fortifie ou complète les fortifications de plusieurs îlots et modernise les remparts médiévaux.

 René Duguay-Trouin, Antoine Noël Benoît Graincourt, XVIIIe siècle, Paris, musée national de la Marine. Agrandissement : Statue de Duguay-Trouin, à Saint-Malo (© Stéphane William Gondoin)En temps de conflit, récurrents en Europe du XVIIe siècle au début du XIXe siècle, certains Malouins affrètent des vaisseaux pour se livrer à la très lucrative guerre de course. Ils deviennent alors des corsaires, porteurs de lettres de marques, c’est-à-dire de documents officiels délivrés par le roi de France.

Les expéditions corsaires se poursuivent tout au long du règne de Louis XV et jusqu’à la charnière des XVIIIe et XIXe siècle.

Deux Malouins marquent le début et la fin de cette épopée corsaire : René Duguay-Trouin (1673-1736), marin d’exception, qui réussit en 1711 un raid sur Rio de Janeiro ; Robert Surcouf enfin, qui s’illustre en écumant l’océan Indien et la Manche jusqu’en 1814.

Un XIXe siècle de Révolutions

La ville sort appauvrie de la Révolution et de l’Empire. Si l’ère qui s’ouvre est plus paisible, elle est néanmoins secouée de violentes convulsions révolutionnaires en 1830 et en 1848, les changements de régime amenant quelques bouleversements dans la politique locale. C’est en cette dernière année par ailleurs, le 19 juillet, que François-René de Chateaubriand rejoint son ultime demeure, sur l’île du Grand-Bé face au large.

Pendant ce temps, les communes de Paramé et de Saint-Servan se développent hors les murs, alors que le port s’étend et modernise ses installations. Saint-Servan joue même un temps le rôle d’arsenal (1804-1885). Mais l’occupation principale de cette époque, c’est la grande pêche, cette traque saisonnière de la morue au large de Terre-Neuve, qui emmène les hommes pour de longues campagnes au large du Canada.

Terre-neuvier au large, Rennes, musée de Bretagne. Agrandissement : Saint-Malo : terre-neuviers dans le port, Rennes, musée de Bretagne. Agrandissement :

Tout au long du XIXe siècle, la « bonne société » découvre les joies des bains de mer, une mode importée de Grande-Bretagne après la fin des guerres napoléoniennes. Devant l’afflux de visiteurs, il faut se doter de structures d’accueil adaptées et les établissements hôteliers se multiplient, d’abord intra-muros puis à l’extérieur, sur le front de mer.

Mais à la fin de la Seconde Guerre mondiale, la cité paye sa libération au prix de terribles bombardements alliés. Débarrassée du joug nazi, Saint-Malo intra muros entre dans l’après-guerre presque intégralement à reconstruire. Une fois de plus, elle saura se relever de cette catastrophe, comme elle l’avait déjà fait à maintes reprises par le passé et l'on peut encore aujourd'hui retrouver la « cité corsaire » telle que pouvaient la connaître Chateaubriand ou Surcouf avec ses murailles et ses solides maisons de granit.


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Histoires de cités
Publié ou mis à jour le : 2022-11-27 06:48:04
suzanne hovasse (27-11-2022 13:02:06)

très interessant et très complet

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