Bernard Palissy (1510 - 1590)

La Renaissance faite homme

Anonyme, Portrait de Bernard Palissy, XVIe siècle, Écouen, musée national de la Renaissance. Agrandissement : Giuseppe Devers, Buste de Bernard Palissy, 1866, Saintes, musée Dupuy-Mestreau.Un fou ! Qui d'autre peut consacrer sa vie à créer des assiettes couvertes de grenouilles en émail ? Un fou... ou plutôt un passionné, habité par un désir de comprendre cette nature qui ne cesse de l'enchanter.

Tel était l'« Honorable homme maistre Bernard Palissy », céramiste, scientifique et écrivain parti de rien pour finir dans l'entourage des plus grands, avant d'être détruit par les guerres de Religion.

À travers les siècles, ses créations mais aussi sa vie bien remplie continuent plus que jamais de susciter notre admiration... et notre étonnement !

Isabelle Grégor

Bernard Palissy, Bassin ovale, rustines figulines, vers 1560, Paris, musée du Louvre (détails et vue globale).

« Une personne fort abjecte »

« Bernard Palissy, architecte en œuvre de terre, natif de Agen en Agenoys » ... Ces mots, ce sont ceux de notre céramiste au moment même où il est accueilli en prison. Un registre d'écrou : drôle de manière de faire passer son lieu de naissance à la postérité ! Malheureusement il ne précise pas sa date de naissance et nous devons donc faire confiance à son ami l'historien Pierre de l'Estoile, qui évoque l’année 1510.

Il serait issu d'une famille modeste si l’on en croit la façon dont il se présentait : « une personne fort abjecte et de basse condition » (Dédicace au duc de Montmorency, 1563).

Joseph Nicolas Robert-Fleury, Bernard de Palissy dans son atelier, 1843, musée d'Amsterdam. Agrandissement : Augustin Théodule Ribot, Bernard Palissy, peintre de céramique, 1870, musée national de Varsovie.Ce « pauvre artisan pauvrement instruit aux lettres » (Recepte véritable, 1563) comme il aimera se définir modestement acquiert tout de même de bonnes bases culturelles qui lui permettent non seulement d'écrire et lire en français les textes antiques mais aussi de maîtriser des notions de mathématiques.

Celles-ci lui seront bien utiles pour exercer son premier métier : peintre verrier. À lui la réparation et l'assemblage des vitraux qui ont fait les beaux jours du style gothique ! Mais le marché est-il saturé, les goûts ont-ils changé ? Adieu l'activité de « vitrerie », et bonjour la « pourtraiture » !

On peut à cette époque le croiser dans les champs, occupé à mettre ses connaissances en géométrie et son coup de crayon au service de divers travaux d'arpentage qui le mènent régulièrement dans les tribunaux, en tant qu'expert-juré. Et pourquoi ne pas profiter de cette activité lucrative pour aller voir du pays ? Pour un esprit curieux comme Palissy, l'hésitation ne dut pas être très longue...

Bernard Palissy, Fragment d'une grotte : serpent, Limoges, musée national Adrien Dubouché (photo : Jean-Gilles Berizzi). Agrandissement : Bernard Palissy, Moule d'un bassin rustique, Ecouen, musée national de la Renaissance (photo : Mathieu Rabeau).

Quel vorace !

Le voilà donc parti sur les routes pour un long tour de France, sans projet défini, allant où le travail l'appelle. De la Guyenne de Marguerite d'Angoulême, sœur de François Ier et protectrice des grands esprits de la Réforme, il rejoint les Hautes-Pyrénées où il s'intéresse aux bienfaits médicaux des sources qui donnent « plus de profit que de boire du vin ».

Bernard Palissy, Buste d'homme métamorphosé, Ecouen, musée national de la Renaissance (photo : Mathieu Rabeau). Agrandissement : Bernard Palissy, Discours admirable de la nature des eaux et fontaines tant naturelles qu'artificielles, 1580, Ecouen, musée national de la Renaissance (Photo : Thierry Ollivier).Puis ce sont les plissements du sol du côté de Bigorre, où il séjourne quelques années, qui l'invitent à s'interroger sur les séismes. Montpellier et son université de médecine, Nîmes et ses monuments romains, Lyon et ses potiers italiens, puis la Savoie, Nantes, Brest... Il est partout et observe tout !

C'est donc lesté d'un imposant bagage de connaissances qu'il pose vers 1539 ses valises dans la ville de Saintes, sur les bords de la Charente, pour en faire « le pays de [s]on habitation » pour près de 25 ans.

Pour cet homme d'une trentaine d'années, choisir la capitale de la Saintonge n'est pas un hasard : non seulement la cité est au carrefour de nombreuses routes favorisant toutes sortes d'échanges, mais elle bénéficie également d'un beau dynamisme intellectuel peut-être lié à la présence d'évêques originaires d'Italie, pays où la Renaissance a déjà pris ses marques. En tous cas Palissy s'y sent suffisamment bien pour fonder une belle famille de 12 enfants, dont 6 mourront tôt, « rongés par les vers » ...

Bernard Palissy, Plat hexagonal décoré d'une fleur stylisée et de masques au marli, Paris, musée du louvre. Agrandissement : Bernard Palissy, La Fécondité, Paris, musée du louvre.

Quand Maître Bernard s'énerve...

« Il me fut montré une coupe de verre, tournée et émaillée d'une telle beauté que dès lors j'entrai en dispute avec ma propre pensée... » (Discours admirables, 1580). Voilà ce qu'on appelle un véritable coup de foudre ! « Je me mis à chercher les émaux comme un homme qui tâte les ténèbres » ...

Bernard Palissy, Pichet trompeur, rustiques figulines, vers 1560, Paris, musée du Louvre. Agrandissement : Bernard Palissy, Aiguière, Paris, musée du Louvre.Et notre Bernard de s'initier avec passion à la poterie chez les artisans des environs pour comprendre au plus vite les propriétés de cette coupe si raffinée, certainement venue d'Italie. Cette obsession lui fait mettre entre parenthèses son métier pour pouvoir passer jours et nuits à étudier terres et techniques, et à multiplier les expérimentations.

Son four explose-t-il en recouvrant ses pièces émaillées de cendre ? Il s'empresse de créer une cloche en verre pour les protéger. Ses créations ne sont-elles pas à la hauteur de ses attentes ? À la poubelle ! Et lorsqu'il vient à bout du tas de bois dont il dispose pour nourrir son feu, il ne trouve rien de mieux que de « brûler les tables et les planchers de la maison » !

Alexandre-Evariste Fragonard, Bernard Palissy brûlant les tables et le plancher de la maison, 1826, Sèvres, musée de la Céramique. Agrandissement : Bernard Palissy, estampe japonaise de la Vie des grands personnages de l?Occident, vers 1870, New York, Metropolitan Museum of Art.

Mais la passion de l'émail, ça ne nourrit pas son homme, et encore moins sa famille. Palissy reprend donc sa trousse d'arpenteur pour découvrir cette belle nature qu'il va vouloir reproduire sur ses plats. Grenouilles, lézards, anguilles... Les marais salants charentais qu'il parcourt en 1543 pour permettre l'application de la gabelle lui fournissent largement de quoi alimenter son imagination.

Finalement, après une quinzaine d'années d'efforts, son obstination est récompensée : il a réussi à percer le secret de l'émail blanc et créer « divers émaux entremêlés en matière de jaspe ». Quelle prouesse, et quel retentissement ! Son atelier devient pour les grands du royaume le lieu à visiter, impératif auquel ne manque pas de se plier le roi lui-même, Henri II, en 1556.

Bernard Palissy, Lézard, XVIe siècle, Écouen, musée national de la Renaissance. Agrandissement : Bernard Palissy, Deux moules et un tirage de grenouilles, Ecouen, musée national de la Renaissance (photo : Mathieu Rabeau).

À vous !

Rien ne ressemble à une création de Bernard Palissy ! Destinés à ne servir que d'apparat pour la haute aristocratie, ses plats et autres pichets ont un style reconnaissable au premier coup d’œil, style qui reviendra régulièrement à la mode. Bernard Palissy, Fragment d'une grotte : fougères, Limoges, musée national Adrien Dubouché (photo : Jean-Gilles Berizzi).Mais saurez-vous mettre la main à la pâte ? Pour agrémenter votre service de vaisselle, suivez scrupuleusement les étapes suivantes :
- promenez-vous dans la campagne charentaise
- sélectionnez de petits animaux terrestres ou aquatiques, des feuilles, des branchages...
- abrégez la vie de ces animaux en les plongeant dans un récipient plein de vinaigre et d'urine
- moulez-les « sur le vif », alors qu'ils présentent encore tous les aspects de la vie
- attachez-les avec un fil de métal sur une galette d'argile couverte de matière grasse et faites-en un moulage de plâtre
- créez à partir de ce négatif un positif en terre du Poitou, disposez-le sur un plat que vous ferez cuire avant de le couvrir de glaçure (émail) et de lui apposer des couleurs.
Votre chef-d’œuvre est prêt ! Son apparence doit être, nous dit le maître, « si près de la nature que les autres lézards naturels et serpents viendront souvent ».
Dernier conseil : veillez à ne pas divulguer votre secret de fabrication pour laisser les générations futures s'interroger longuement…

Bernard Palissy, Plat décoré de couleuvres et de batraciens, Sèvres, Cité de la céramique (Photo : Martine Beck-Coppola). Agrandissement : Bernard Palissy, Plat ovale, Rennes, musée des Beaux-Arts (Photo : Jean-Manuel Salingue)

Un réformé bien engagé

Palissy peut enfin toucher du doigt son but : reproduire la beauté que le Créateur a offert aux hommes. Profondément croyant, l'homme est un fervent adepte de Calvin depuis sa conversion, vers 1536.

Bernard Palissy, Grand flambeau, Paris, musée du Louvre. Agrandissement : Bernard Palissy, Plat : baptême du Christ, Sèvres, musée de la Céramique.Profitant de l'apparente tolérance qui règne à Saintes, qualifiée de « petite Genève sans bûchers », il n'hésite pas à s'engager en soutenant publiquement le prédicateur Philibert Hamelin qu'il accueille régulièrement chez lui. Lorsque, en 1557, son ami est brûlé à Bordeaux, Palissy prend la relève et organise réunions secrètes et prières dominicales qui marquent, dit-il « le commencement de l'Église réformée de Saintes ».

En mars 1562, suite au massacre de Wassy, la Saintonge comme le reste du pays plonge dans les guerres de religion et Palissy se retrouve enfermé à la prison de Bordeaux, accusé d'avoir pillé la cathédrale de sa ville d'adoption.

Il lui faudra attendre 6 mois, les interventions de nombre de personnalités éminentes et l'Édit d'Amboine pour pouvoir retrouver la liberté et, à 53 ans, enfin savourer le titre que lui a accordé la Cour et qui lui vaut protection : « ouvrier de terre et inventeur des rustiques figulines (du latin : « rustica », de la campagne, et « figulus », potier ») du roi et de la reine-mère ». Une belle reconnaissance pour l’humble potier !

Bernard Palissy, Plat ovale à cinq compartiments, Paris, musée du Louvre. Agrandissement : Bernard Palissy, Bassin rustique avec une femme en train de prier, Paris, musée du Louvre.

« Au lecteur, salut »

Recepte [recette] véritable par laquelle tous les hommes de la France pourront apprendre à multiplier et augmenter leurs trésors : le titre de l'ouvrage de Palissy, édité en 1563 après son séjour à la prison de Bordeaux, est en lui-même le reflet de l'ambition de la Renaissance. Avec ses propos sur l'agriculture, le sel ou encore les pierres, il se veut un ouvrage scientifique tout en abordant des thèmes plus philosophiques comme la description d'un « jardin délectable » et d'une ville-forteresse utopique. Composé sous forme d'un dialogue vif entre « Demande » et « Réponse », ce texte prend aussi la forme d'une réflexion sur la naissance de la Réforme et sur la nature humaine, réflexion associée à un témoignage personnel qui le rapproche de l'autobiographie : « si tu avais vu les horribles débordements des hommes que j'ai vu durant ces troubles, tu n'as cheveux en la tête qui n'eussent tremblé... ». Avec cette œuvre d'une grande originalité, ce touche-à-tout qu'est Palissy prouve une fois de plus qu'aucun domaine ne lui est fermé. Un véritable homme de la Renaissance...

Le château de la Bâtie d'Urfé et sa grotte artificielle de rocailles, Saint-Étienne-le-Molard (Loire), 1540.

Constructeur de grottes

Palissy se dépêche alors de renter sur Saintes où il a un gros projet sur le feu : le Connétable Anne de Montmorency, second personnage du royaume et grand amateur d'Art, lui a commandé une grotte en céramique émaillée pour son château d'Écouen.

Bernard Palissy, Projet de grotte.En ces temps troubles, il est en effet bien vu pour une personnalité catholique de se donner une image de mécène en faisant appel à un huguenot... Malheureusement l’atelier a souffert de son absence et la grotte ne verra jamais le jour.

Tout n’est pas perdu : l’admiration que le projet suscite auprès de ses visiteurs, comme le futur Henri IV, lui ouvre vers 1567 les portes de Paris, et même des Tuileries. Catherine de Médicis, en effet, exige d’avoir sa propre grotte ! Et pour cela, elle ne veut que l'« Honorable homme maistre Bernard Palissy », le seul, l'unique.

Bernard Palissy, Plat : Henri IV et sa famille, Ecouen, musée national de la Renaissance (photo : Stéphane Maréchalle).

L'artisan prend donc le chemin de la capitale avec ses trois fils, « sculpteurs en terre », pour créer son propre atelier au milieu des fabriques des tuiliers, à proximité du Louvre. C'est là qu'il va réaliser la fameuse grotte, édifiée au sud-est du jardin des Tuileries et terminée vers 1570.

Palissy est alors rattrapé par les guerres de religion et doit partir se réfugier peu de temps après la Saint-Barthélemy auprès du duc de Bouillon, protecteur des calvinistes, à Sedan. Trois ans durant, il va y poursuivre ses activités de « grottier » en famille tout en parcourant avec bonheur les contrées environnantes.

Un vieux four abandonné dans un coin...

15 000 pièces archéologiques... Ces fragments, ce sont ceux de briques, vaisselles, moules et autres matériels retrouvés lors des fouilles du Grand Louvre, dans les années 80, du côté du Pavillon de Flore. Avec eux, six fours de céramistes de la Renaissance ont été mis à jour, dont celui de Bernard Palissy. Exceptionnelle pour la connaissance de l'œuvre de notre artiste, notamment sa création de la grotte de Catherine de Médicis, cette découverte ne fut cependant guère mise en valeur, comme nous l'explique l'académicien Antoine Compagnon .

Édouard Baldus, Vue des fouilles des Tuileries, mise à jour des fours dit de Bernard Palissy, 1865, Paris, musée Carnavalet. Agrandissement : Bernard Palissy, Moule de grenouille trouvé lors des fouilles du Carrousel du Louvre, 1989-1990, XVIe siècle, Paris, musée du Louvre

Un bel esprit jeté aux chiens

En 1575 ou 1576, le potier est de retour à Paris où il confie à son fils l'atelier de céramique : pour Palissy, il est temps de passer la main et de partager ses réflexions nées de ses multiples observations sur la nature.

Atelier de Bernard Palissy, Fragment d'architecture : brique alvéolée : écrevisse, Ecouen, musée national de la Renaissance. Agrandissement : Atelier de Bernard Palissy, Brique alvéolée : écusson aux armes de Catherine de Médicis (photos : René-Gabriel Ojéda). C'est chose faite avec la création d'une « Petite Académie » où, face à tout ce que la capitale compte de « gens de biens, honorables et doctissimes », il organise des conférences payantes pour dévoiler les raretés de son cabinet de curiosités et réfléchir sur l'infinie richesse du monde.

Ses analyses, rassemblées en grande partie dans ses Discours admirables (1580), sont écoutées avec attention par des personnalités aussi diverses que l'agronome Olivier de Serre, le chirurgien Ambroise Paré ou l'écrivaine et sœur du roi Marguerite de Navarre. Peut-être ces curieux sont-ils attirés par l'annonce que quiconque pourra le contredire sera remboursé 4 fois le prix payé pour assister à ces rencontres !

Palissy ne peut guère profiter de cette consécration puisqu'en tant qu'« hérétique », il doit se plier en 1585 aux exigences de l'Édit de Nemours : abjurer ou partir. Arrêté une première fois, il échappe à la peine de la « hart » (pendaison) en promettant de quitter le royaume, ce qu'il ne fait pas.

Atelier de Bernard Palissy, Applique, lapin, 3e quart du XVIe siècle, Écouen, musée national de la Renaissance. Agrandissement : Atelier de Bernard Palissy, Vipère enroulée, élément de la grotte des Tuileries, Sèvres, Cité de la céramique.

Repris en 1588, il est de nouveau condamné à « être pendu et étranglé et son corps mis en cendres pour cause d'hérésie » et transféré à la Bastille. Le voici, privé de ses protecteurs, morts pour la plupart, entre les mains du gouverneur de la prison, Bussy-Leclerc.

À 80 ans, Palissy va faire face aux menaces et à la maltraitance avec une telle force de caractère que son geôlier lui-même lui fit parvenir un soir, dit-on, une bouteille de vin. Il n'en meurt pas moins de « faim, nécessité et mauvais traitement » (Pierre l'Estoile) avant que son corps ne soit abandonné aux chiens.

Bernard Palissy, le Christ devant Pilate, Sèvres, Cité de la céramique (photo : Martine Beck-Coppola).

Un potier devenu saint

« Depuis que Palissy a cru que les mines calcaires de la Touraine étaient des couches de pétoncles, de glands de mer, de buccins, de pholades, cent naturalistes l’ont répété... » Aucun doute, Voltaire n'avait guère d'estime pour notre potier ! Heureusement les Révolutionnaires ne se laissèrent pas influencer par cette histoire de coquillages et célébrèrent en Palissy le savant victime de l'intolérance, persécuté par les religieux.

Attribué à Bernard Palissy, Plat à la Moissonneuse, Limoges, Cité de la céramique. Agrandissement : Attribué à Bernard Palissy, Céres, Limoges, Cité de la céramique (photos : Jean-Gilles Berizzi).Si les scientifiques, au premier rang desquels les naturalistes du XIXe siècle, se montrèrent toujours intéressés par son œuvre, ce sont surtout les jeunes exaltés du début de ce même siècle, amoureux de la nature, qui lui permirent d'accéder à la notoriété : n'était-il pas un bel exemple de génial autodidacte, solitaire et méprisé mais prêt à tout pour aller au bout de ses convictions ? Il aurait bien mérité d'être Romantique !

Et pourquoi ne pas en faire un héros de la libre pensée, uniquement mû par son désir de faire progresser la vérité et le savoir ? C'est ce que s'empressent de faire des écrivains comme Alphonse de Lamartine qui lui offre une place dans son Histoire de l'Humanité par ses grand hommes (1852) avant que Jules Michelet ne s'empare lui aussi de ce destin exemplaire : « Dans le jardin de ce palais tragique [les Tuileries pendant les guerres de Religion], un inventeur, un simple, un saint, Palissy, a inauguré les sciences de la Terre » (Histoire de France au XVIe siècle, 1887).

C'est ainsi que Bernard Palissy, occupé à brûler son plancher, entra dans les manuels scolaires comme symbole du courage. Un bel exemple à suivre, bien sûr, pour les écoliers qui avaient bien souvent dans leur cuisine le résultat concret de cette ténacité, ces vaisselles en style naturiste qui furent longtemps à la mode...

Bernard Palissy, Plat creux, Sèvres, Cité de la céramique. Agrandissement : Plat à la manière de Bernard Palissy, fin XVIe-début XVIIe siècle, New York, Metropolitan Museum of Art.

« Je m’émerveille… »

L'expérience avant tout ! Pour Palissy, rien ne vaut l'intuition et l'observation : « Je n'ai point d'autre livre que le ciel et la terre ».

Atelier de Bernard Palissy, Tirage de coquillages, Ecouen, musée national de la Renaissance. Agrandissement : Atelier de Bernard Palissy, Fragments de feuilles nervurées vertes, Écouen, musée national de la Renaissance.Parce qu'il se voulait un « artisan », un homme de l'art et de terrain, il a passé sa vie à mener des expériences sur cette Nature où il voyait la main de Dieu mais dont les lois générales lui échappaient.

À une époque où les écrits théoriques sont rois, il va s'appuyer sur son respect des Anciens pour mieux les ignorer, préférant comprendre par lui-même les « excellents secrets des lois naturelles ». Ce passionné d'innovation, poussé par une curiosité sans limites qui le fait passer de l'étude des fossiles à celle de l'alchimie, aura ainsi non seulement valorisé l'artisanat mais surtout ouvert les sciences au pragmatisme et à l'expérimentation.

Georges de Kerever, Statue de Bernard Palissy, 1868, Place Bassompierre, Saintes. Agrandissement : Louis-Ernest Barrias, Statue de Bernard Palissy, fin XIXe siècle, Sèvres, musée de la Céramique.Sa modernité tient également à ses liens avec la Nature qu'il considère comme un véritable être vivant : « Je m'émerveille que le bois ne crie d'être ainsi vilainement meurtri ». Précurseur, il propose avant l'heure une approche « écologique » de notre environnement qu'il tient à protéger pour les générations futures.

On ne peut en effet lui reprocher de faire ses expérimentations par recherche de gain personnel puisqu'il a à cœur au contraire d'en faire profiter l'Humanité. Cette vision de la science et des connaissances en fait un digne représentant de l'Humanisme et ce n'est d'ailleurs pas par hasard si Recepte véritable est rédigé en français et non en latin, pour mieux ouvrir le savoir au plus grand nombre.

« Mieux [vaut] dire la vérité en [...] langage rustique que mensonge en langage rhétorique » ! On comprend bien pourquoi ce fils d'une modeste famille est devenu un des symboles de la Renaissance, lui qui « a inauguré les sciences de la terre » (Edmond Michelet).

Un peu de fantaisie

Sinistre, Bernard Palissy ? Si son obstination a pu lui valoir une réputation d'homme sévère, uniquement intéressé par son art, la lecture de sa Recepte véritable nous en donne une autre image, pleine d'une fantaisie qui peut rappeler François Rabelais. Mais la réflexion sur l'Homme n'est jamais loin...
Charles-Louis Müller, Étude pour Bernard Palissy, 1865, Paris, musée du Louvre. Agrandissement : Bernard Palissy, la vocation, chromo Liebig, 1950.« Il advint la semaine passée, qu'étant en mon repos sur l'heure de minuit, il m'était avis que mes outils de géométrie s'étaient élevés l'un contre l'autre, et qu'ils débattaient à qui appartenait l'honneur d'aller le premier, et étant en ce débat, le compas disait : « Il m'appartient l'honneur, car c'est moi qui conduis et mesure toute chose […] ».
La règle disait au compas : « Tu ne sais ce que tu dis, tu ne saurais rien faire qu'un rond seulement, qui est le trou du cul, mais moi je conduis toutes choses directement » […].
Et ainsi j'entendis le bruit de leur dispute […], alors je leur dis : « L'honneur appartient à l'homme qui vous a formés. C'est pourquoi il faut que vous le serviez et l'honoriez.
- Comment, dirent-ils […], faut-il que nous obéissions et servions l'homme qui est si méchant et plein de folie ? »
[…]
Alors me prit soudain une curiosité et envie de savoir qui était la cause de ces grandes folies, et ayant examiné de bien près mon affaire, je trouvai que l'avarice et l'ambition avaient rendu presque tous les hommes fous, et leur avaient quasi pourri toute la cervelle »
.

Bibliographie

Bernard Palissy, Œuvres complètes, éd. InterUniversitaires, 1996,
Christine Viennet, Bernard Palissy et ses suiveurs du XVIe siècle à nos jours. Hymne à la nature, éd. Faton, 2010,
Bernard Palissy, mythe et réalité, exposition et édition des villes de Saintes, Niort et Agen, 1990,
Françoise Barbe et Anne Bouquillon, « Les Rustiques figulines de Bernard Palissy », conférence au musée du Louvre, 2009.


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La Renaissance italienne
Publié ou mis à jour le : 2025-01-10 19:00:42
Jihème (12-01-2025 15:17:30)

Excellente présentation d'un artiste connu mais bien souvent méconnu.

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