La France imaginée

Déclin des rêves unitaires ?

Pierre Birnbaum (Folio Histoire, , 440 pages, 19 €,  1988)

La France imaginée

La France imaginée, Déclin des rêves unitaires ? est paru pour la première fois chez Fayard en 1998.

Cet essai de l'historien Pierre Birnbaum montre comment la France est née d'une volonté politique bien plus que d'un quelconque déterminisme géographique.

La centralisation et l'autorité se sont révélées indispensables pour rapprocher des Bretons, Auvergnats, Provençaux et autres Picards que rien ne prédestinait à vivre ensemble.

Invention de l'État-Nation

«La France ne s'est-elle pas engagée la première avec violence et passion, dans des unifications spirituelles pourtant contradictoires, à tel point qu'elle invente, à l'aide de l'État fort, tant de processus homogénéisateurs, destructeurs des identités rivales, hostiles à la présence de l'autre, événements majeurs qui récusent, au nom de l'unité, l'idée même de pluralisme et de tolérance?...N'est-ce pas la France, la première, qui décrète en 1182, afin de devenir enfin toute catholique, le bannissement de ses Juifs...? » interroge l'auteur (page 22). «Cette unification par l'État national est à la mesure de l'extrême hétérogénéité antérieure d'une société française marquée par un féodalisme particulièrement avancé, rendant longtemps improbable la naissance de la Nation France» (page 25).

Du massacre de la Saint Barthélemy aux guerres de Vendée et aux querelles anticléricales, en passant par la répression des idiomes régionaux par la République, innombrables sont les stations qui jalonnent le chemin de croix de la France.

Pierre Birnbaum souligne l'importance des affrontements religieux dans la construction de la Nation, en particulier au XIXe siècle.

Deux prêtres ralliés à la Révolution ont joué un rôle majeur dans l'homogénéisation de la société et le projet de «régénération» de l'individu perverti par la religion et la tradition: l'abbé Sieyès et l'abbé Grégoire, célèbre pour sa lutte en faveur de l'émancipation des esclaves et des Juifs et de l'éradiquation des patois.

«Les Juifs doivent être régénérés pour leur propre bonheur comme le seront aussi, plus tard, souvent en dépit de leur volonté, les paysans engoncés dans leurs patois archaïques...» écrit Pierre Birnbaum (page 67).

Rappelons la formule fameuse d'un révolutionnaire : «Ne rien accorder aux juifs en tant que nation; tout leur accorder en tant qu'individu» (Clermont-Tonnerre, 23 décembre 1789). Cet idéal révolutionnaire et républicain d'une nation composée d'individus homogènes, atomisés, anomiques, est en rupture avec le passé monarchique.

Il n'est que de lire Rabelais ou Montaigne pour constater que l'on y parle sans complexe de la nation picarde ou du parler gascon. A Paris, le collège des Quatre- Nations, qui abrite l'Institut de France, rappelle le souvenir de quatre provinces conquises par Louis XIV: Artois, Alsace, Cerdagne, Pignerol...

Aujourd'hui, la France républicaine se revendique «une et indivisible». De l'autre côté de la Manche, les sujets de Sa Gracieuse Majesté revendiquent sans état d'âme leurs particularismes: Gallois, Écossais...

Les «valeurs de la République»

Au XIXe siècle, analysant la montée de l'idéal égalitaire en France, Alexis de Tocqueville a clairement perçu le danger présenté par des individus dépouillés de leurs particularismes et réduits à leur plus petit dénominateur commun : l'allégeance à la Nation. De ce danger, on a eu un aperçu pendant l'occupation allemande, de 1940 à 1945, la période la plus pénible qu'ait jamais connue la France.

Pierre Birnbaum montre comment les fonctionnaires, les enseignants et les magistrats de la IIIe République, élevés dans le culte des «valeurs de la République» (laïcité, unité...) se sont presque à l'unanimité ralliés à l'État français du maréchal Pétain.

«La trahison de l'État mais aussi de ses agents est indéniable. Comment peut-on comprendre que les hussards noirs, sortis parfois de l'École nomale supérieure, puissent ainsi transformer leurs valeurs en déchirant le lien à l'égard d'un État construit sur le mode de l'universalisme? » s'interroge l'auteur de La France imaginée à propos de ces gens qui se sont soumis sans protester à la politique collaborationniste et antisémite du gouvernement de Vichy (page 206).

Ce n'est sans doute pas un hasard si les personnalités les plus engagées dans la collaboration avec les nazis sont issues de la gauche radicale-socialiste ou communiste : Pierre Laval, René Bousquet, Maurice Papon, Jacques Doriot, Marcel Déat... A l'opposé, les premiers résistants sont pour la plupart venus de la droite catholique, voire monarchiste : Charles de Gaulle, Honoré d'Estienne d'Orves, Philippe Leclerc de Hauteclocque...

Après la Libération, de nouvelles personnalités ont investi les allées du pouvoir, souvent issues des écoles religieuses et passées par le moule de l'ÉNA (École Nationale de l'Administration).

«Ce qui étonne le plus, chez beaucoup de ces fous de l'État, c'est la force de leurs convictions catholiques : à l'image du général de Gaulle lui-même, ils sont fort nombreux à se déclarer catholiques pratiquants ou même très pratiquants, assistant à la messe tous les dimanches dans une paroisse des beaux quartiers, faisant des retraites dans diverses abbayes, etc» (page 206). Pendant les Trente Glorieuses (1944-1974), cette génération-là a revigoré les institutions démocratiques, rajeuni et modernisé le pays, mis l'Union européenne sur les rails.

Paix précaire

Aujourd'hui, après le travail douloureux d'unification menée par les rois et plus encore par les républiques, la France paraît apaisée... Mais les braises sont encore rouges sous la cendre et l'inquiétude vive à l'égard de toute menace qui pourrait affecter le consensus si péniblement atteint. Faut-il s'étonner dans ces conditions de l'émotion qui a emporté le pays en 2003 lorsqu'a surgi la querelle du voile islamiste ?

André Larané

Publié ou mis à jour le : 10/06/2016 09:42:47

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