Ian Kershaw (Seuil, 665 pages, 26 euros, 2012)
Le 7-8 mai 1945, l’Allemagne nazie s’effondrait après douze années d’existence, dont six de guerre, d’une façon rarement vue dans l’histoire militaire. L’historien britannique Ian Kershaw a raconté cet effondrement dans un ouvrage-clé : La fin, Allemagne 1944-1945 (2012, 672 pages, Seuil).
Depuis la débâcle de Stalingrad, le débarquement de Normandie le 6 juin 1944 et l’attentat manqué contre Hitler le 20 juillet 1944, il était clair que le IIIe Reich était condamné.
Pourtant, ainsi que le montre l’historien, le peuple allemand est resté globalement fidèle au Führer jusqu’au bout. À cela différentes raisons et en premier lieu la peur inspirée par l’Armée rouge. Il est vrai que les Soviétiques n’étaient pas d’humeur à ménager les Allemands.
Une des raisons qui ont fait que les Allemands étaient décidés à aller jusqu’au bout fut la nécessité intransigeante d’une « capitulation sans condition » demandée par les Alliés et présentée comme ne laissant d'autre choix que de poursuivre le combat jusqu'à l’épuisement.
Les Alliés refusaient tout accord ou trêve dans leur combat contre les nazis. Des ouvertures ont bien été faites, notamment par Himmler et Goering, en direction des Anglo-Américains, pour cesser la guerre à l’ouest et s’allier contre la « menace communiste ». En vain. Ni Churchill, ni Roosevelt, ni les généraux n’acceptèrent une telle offre (juste après la fin de la guerre en Europe, les services britanniques présentèrent un projet d’attaque contre l’URSS intitulé « project unthinkable » qui ne vit jamais le jour).
L’exigence alliée de « capitulation sans condition » fut mise à profit par la propagande du régime et Joseph Goebbels ne se fit pas faute de clamer que l’ennemi « conspirait » à détruire l’Allemagne en tant que nation ainsi que tous ses habitants.
Mû par cette terreur inspirée par les Soviétiques, Karl Dönitz, successeur désigné par le Führer dans son testament politique, refusa de capituler immédiatement après le suicide d’Hitler le 30 avril 1945, afin d’éviter de livrer deux millions de soldats allemands aux Soviétiques.
L’attentat manqué
Le complot du 20 juillet 1944, mené par le colonel-comte Claus von Stauffenberg, chef d'état-major du général Fromm, aurait pu changer la face de la guerre. Dissimulant une valise pleine d’explosifs dans la salle de réunion du QG Wolfschanze (la « tanière du loup »), Stauffenberg était persuadé qu’Hitler n’y survivrait pas. Miraculeusement, celui-ci fut seulement blessé.
Il est fort probable qu’en cas de succès de l’opération, les conjurés de l’opération Walkyrie auraient souhaité une paix rapide avec les alliés anglo-américains tout en continuant le combat contre les Soviétiques.
Mais ce scénario était peu envisageable dans la mesure où les Alliés auraient maintenu leur accord fondé sur la destruction totale du nazisme.
La propagande se servit de cet événement pour raviver l’image du Führer héroïque mais lâchement abandonné par ses plus proches officiers alors qu'il se battait pour l’existence de l’Allemagne. Il a signé la radicalisation du régime, accéléré la répression, la terreur et a surtout encouragé les plus fanatiques à se battre jusqu’à la fin. De plus, cet échec était un message adressé à tous ceux qui eussent été tentés de se débarrasser d’Hitler : il était impossible de le trahir sans en subir immédiatement les conséquences.
Les Allemands ne croyaient plus vraiment en Hitler
Si les Allemands furent dans l’ensemble fidèles à Hitler dans les années 30 et au début de la guerre, leur soutien s’émoussa à mesure que les défaites s’enchaînaient mais il n’alla que rarement jusqu’à la rébellion car la peur de l’invasion était présente dans tous les esprits. Chacun avait à l’esprit la brutalité des Russes, alimentée quotidiennement par la propagande de Goebbels, et redoutait de tomber entre leurs mains.
En mars 1945, un rapport interne soulignait que « le peuple n'a plus confiance dans les dirigeants ». Le constat allait s’aggraver avec la précipitation des événements. Le doute envers les décisions prises par Hitler grandissait chaque jour et les critiques à son égard devenaient de plus en plus communes. On se cachait de moins en moins, bien qu’on craignît encore la répression de la Gestapo.
La terreur
Dans les derniers jours de la guerre, la terreur, précédemment dirigée vers l’extérieur ou vers les « ennemis de l’intérieur » (juifs, communistes, opposants…) se retourna contre la population allemande.
Ian Kershaw cite plusieurs exemples d’Allemands assassinés, pendus, fusillés ne serait-ce que quelques heures avant l’arrivée et la prise de la ville par les Américains ou les Russes. Le régime était en train de perdre pied. Le nombre de déserteurs et de « soldats perdus » a explosé dans les rangs de l'armée. Les tribunaux militaires ont réagi en infligeant des châtiments exemplaires, y compris la peine de mort.
En mars 1945, ces tribunaux étant devenus itinérants, la « justice mobile » put surgir n'importe où sur le front et condamner à mort instantanément les soldats soupçonnés de désertion ou de subversion. Des condamnations à mort ont même été prononcées après la capitulation de l’Allemagne.
Le comportement des généraux
Au sein de la Wehrmacht, le pouvoir était entre les mains de vieux généraux plus habités par un nationalisme traditionnel que par l’idéologie nazie. Néanmoins, face à l’ennemi soviétique, ceux-ci se montrèrent solidaires de Hitler… au moins jusqu’à la purge qui suivit l'attentat raté de Stauffenberg.
Même lorsqu'ils étaient fondamentalement en désaccord avec les stratégies de Hitler, les généraux ne remettaient pas en question son autorité.
Ainsi, face aux directives de plus en plus déconnectées de la réalité pour défendre Berlin, dans les derniers jours de la guerre, le colonel-général Heinrici considérait que contester ces ordres serait une trahison. L'attitude du feld-maréchal Kesselring était également notable : il refusa la reddition en Italie tant que le Führer était en vie.
Les intimes du Führer
Après l'échec de l'attentat de Stauffenberg, les nazis resserrèrent immédiatement les rangs. Hitler redistribua le pouvoir entre ses derniers fidèles :
• Martin Bormann (direction du parti nazi).
• Joseph Goebbels (propagande).
• Heinrich Himmler (armée).
• Albert Speer (industries militaires).
Ce petit groupe influent et crucial pour la poursuite de la guerre était pourtant miné par la division et la méfiance. Chacun savait que son pouvoir dépendait de l'autorité suprême de Hitler. Mais si Goebbels et Bormann choisirent de rester avec le Führer jusqu’au dernier jour, Himmler et Speer préférèrent s’enfuir dans l’espoir de trouver un arrangement avec les Anglo-Saxons.
L’entêtement de Hitler
Hitler était obsédé par le fantôme de 1918, de cette reddition qualifiée de « lâche » alors que le sol allemand n’avait pas été envahi. Dans sa vision des choses, il était impossible que cela se répète. Mais après les revers de l’été 1944, lucide, il préféra la destruction totale de l’Allemagne.
Après l'échec de l'offensive des Ardennes de l’hiver 44, Nicolaus von Below, son aide de camp pour la Luftwaffe, le trouva abattu. Hitler reconnaissait pour la première fois, en privé, que la guerre était perdue à cause de la trahison de son armée et de la faiblesse du peuple. Pour lui, l'enjeu était désormais de fixer son image pour la postérité. Il aspirait à une fin héroïque : « Nous ne capitulerons pas. Jamais. Nous pouvons sombrer. Mais nous emporterons un monde avec nous. »
Il se résigna finalement au suicide et y eut recours lorsque les Soviétiques ne se trouvaient plus qu’à cinq cents mètres du bunker de la Chancellerie, où il se cachait depuis plusieurs mois.
Publié ou mis à jour le : 10/06/2016 09:42:47
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