Thomas Malthus, prêtre anglican, est le seul penseur démographe connu au-delà du cercle étroit des spécialistes, sans que ses thèses soient mieux comprises pour autant. Il nous a légué les mots malthusien et malthusianisme par lesquels nous désignons toute politique ou doctrine visant à restreindre la natalité d'une population pour mieux préserver ses acquis matériels.
Malthus est né en 1766 en Angleterre dans le foyer d'un propriétaire terrien très cultivé, ami du philosophe David Hume et même de Jean-Jacques Rousseau. Lui-même devient pasteur anglican après des études à Cambridge, avant d'être nommé en 1805 professeur d'histoire et économie dans un collège de la Compagnie des Indes, où il enseignera jusqu'à sa mort en 1834, menant une vie très sage, entouré de sa femme et de leurs quatre enfants.
Dès sa jeunesse, il philosophe avec les amis de sa famille et suit de près la politique sociale du gouvernement anglais. Celle-ci puise son origine dans une loi des pauvres promulguée par la reine Elizabeth Ière en 1601, soit près de deux siècles plus tôt. Au siècle suivant, elle est réactivée par l'obligation faite aux paroisses de verser une aide aux pauvres. Cette législation se solde par un coût croissan. 1 million de livres en 1770, près de quarante à la fin du siècle.
Beaucoup en viennent à penser que cette charité publique produit de la pauvreté plutôt qu'elle ne la combat, les indigents perdant l'envie de s'en sortir par eux-mêmes.
Malthus s'inscrit dans ce courant de pensée. En 1798, à 32 ans, il publie anonymement un Essay on the Principle of Population as it affects the Future Improvement of Society (Essai sur le Principe de Population) puis, sous son nom cette fois, il ne cessera de l'enrichir et le rééditer jusqu'en 1826.
Dans les premières pages de cet essai appelé à devenir célèbre, il écrit : « Je pense pouvoir poser franchement deux postulats: premièrement, que la nourriture est nécessaire à l’existence de l’homme ; deuxièmement, que la passion réciproque entre les sexes est une nécessité et restera à peu près ce qu’elle est à présent ». Là-dessus, il lui paraît que la population, lorsque la sexualité est non contenue, croît beaucoup plus vite que la production de nourriture. « Je dis que le pouvoir multiplicateur de la population est infiniment plus grand que le pouvoir de la terre de produire la subsistance de l’homme », écrit-il. « Si elle n’est pas freinée, la population s’accroît en progression géométrique [2, 4, 8,...]. Les subsistances ne s’accroissent qu’en progression arithmétique [1, 2, 3,...]... Les effets de ces deux pouvoirs inégaux doivent être maintenus en équilibre par le moyen de cette loi de la nature qui fait de la nourriture une nécessité vitale pour l’homme. »
Pour éviter que le déséquilibre entre ressources alimentaires et bouches à nourrir ne conduise à des famines et à un rééquilibrage douloureux par un excès de mortalité, Malthus préconise donc à ses compatriotes de retarder autant que faire se peut l'âge au mariage. Plus tardif il est, moins on est amené à avoir d'enfants. La suggestion est dans l'air du temps car les paysans français de sa génération, précurseurs en matière de limitation des naissances, ont procédé ainsi. Ils se mariaient aussi tard qu'aujourd'hui, bien plus tard en tout cas qu'aux périodes antérieures.
Le pasteur, tout libéral qu'il est, ne perd pas le nord. Il tire de son raisonnement la conclusion de la nocivité de la loi des pauvres. En effet, cette redistribution des revenus encourage les mariages précoces et par là va à l'encontre de l'intérêt général.
La théorie de Malthus, le malthusianisme, est diffusée en France par l'économiste Jean-Baptiste Say, qui lui-même préconise l'émigration comme moyen supplémentaire de limiter la surpopulation. « Il n’est pas plus sage de retenir les hommes prisonniers dans un pays que de vouloir les y faire naître. Toutes les lois contre l’émigration sont iniques: chacun a le droit d’aller où il se flatte de respirer plus à l’aise; et c’est respirer plus à l’aise que de subsister plus facilement. Veut-on par là conserver le nombre d’hommes que le pays peut nourrir, on le conservera sans ce moyen. Veut-on en avoir plus que le pays ne peut en nourrir, on n’y réussira point. Lorsqu’on empêche une population surabondante de sortir par la porte des frontières, elle sort par la porte des tombeaux, » écrit ce dernier.
En dépit d'une croissance démographique forte au XIXe siècle, l'Europe va échapper aux périls annoncés par Malthus et Say, un peu du fait de l'émigration, surtout du fait que l'amélioration de la productivité dans l'agriculture et l'industrie va autoriser une croissance des ressources plus rapide que celle de la population.
Le malthusianisme va connaître un regain de vigueur au milieu du XXe siècle, quand les progrès de la médecine dans les pays sous-développés va réduire drastiquement la mortalité infantile dans ces pays et entraîner une croissance très forte de leur population, jusqu'à 3 ou 4% par ans. Du jamais vu.
En 1968, l'Américain Paul Ehrlich lance l'alarme avec son essai The demographic bomb. Il prédit des famines imminentes et préconise une réduction au plus vite de la natalité. Mais il ne sait pas que, déjà dans la plupart des pays, celle-ci est en train de baisser et que la « révolution verte » va quant à elle améliorer considérablement les ressources de la planète.
Aujourd'hui, avec une population mondiale sur le point de bientôt diminuer, le malthusianisme n'est plus guère d'actualité. Ce n'est plus le manque de nourriture qui menace l'humanité mais le réchauffement climatique et la dégradation de l'environnement.
Enjeux de l'Histoire
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