Une île baîgnée par les alizés, une population latine, chaleureuse et métissée, du rhum et des cigares de premier choix... Autant de critères qui ont valu à Cuba une réputation de paradis sur terre, en dépit des violences sociales et de l'instabilité politique.
Cela, c'était avant le 1er janvier 1959 et la prise de pouvoir par Fidel Castro. Depuis lors, le paradis tropical pour touristes fortunés a tenté de se convertir en paradis socialiste mais sans jamais y parvenir. Avec l'annonce, le 17 décembre 2014, par le président des États-Unis Barack Obama de normaliser ses relations avec la République de Cuba, une page se tourne et l'île rebelle s'apprête à rentrer dans la normalité. Le 19 avril 2018, elle clôt l'ère Castro en portant à la présidence de la République, en remplacement de Raul Castro, frère de Fidel, un « jeune » homme de 58 ans né après la Révolution, Miguel Díaz Canel !...
Une colonie délaissée
La République de Cuba occupe une île principale de 110 000 km2 et quelques îlots voisins, à l'extrémité occidentale des grandes Antilles et à 180 km de la Floride et du continent nord-américain.
L'île reçoit la visite de Christophe Colomb lors de son premier voyage, le 27 octobre 1492 mais l'Espagne n'entame sa colonisation que vingt ans plus tard, sous l'égide du gouverneur Diego Velasquez.
Anéantie par les épidémies, les guerres et le travail forcé, la population amérindienne (taïno) est remplacée dans les plantations de tabac puis de sucre et de café par une main-d'oeuvre servile venue d'Afrique.
L'île échappe à la vague d'indépendances qui frappe l'Amérique hispanique au début du XIXe siècle. Hélas, elle en est récompensée par un surcroît d'impôts et d'arbitraire ! D'où une première guerre d'indépendance en 1868, qui débouche sur un début d'autonomie. L'esclavage est aboli en 1886.
Trois décennies plus tard, l'écrivain José Marti appelle à une nouvelle insurrection.
Les États-Unis voisins, gagnés par la tentation impérialiste, lui apportent leur soutien. L'île est ainsi « libérée » avec leur aide au terme d'une guerre rapide et brutale qui fait 200 000 morts sur 1,6 million d'habitants.
Par le traité de Paris du 10 décembre 1898, Cuba se voit reconnaître son indépendance à partir de 1901 mais les États-Unis obtiennent pour eux-mêmes une base navale à perpétuité à Guantanamo, à l'extrémité méridionale de l'île.
En 1901, ils se donnent le droit d'intervenir dans l'île en cas de troubles par le vote de l'amendement Platt (du nom du sénateur qui l'a présenté au Congrès). Cet amendement sera aboli par le président Franklin Roosevelt en 1934 en vertu de sa « politique de bon voisinage » avec les États latino-américains.
La perle des Antilles
La nouvelle république cubaine, à l'image des autres États latino-américains, passe rapidement sous la coupe de dictateurs ou caudillos (« chef de guerre » en espagnol) : Gerardo Machado et surtout Fulgencio Batista.
Simple sergent, celui-ci participe à un coup d'État militaire en 1933 et devient chef d'état-major et maître effectif de l'île sous l'autorité nominale de différents présidents.
Élu à son tour président en 1940, il est battu en 1944 mais revient au pouvoir par un nouveau coup d'État le 10 mars 1952 et s'y maintiendra difficilement jusqu'au triomphe de Fidel Castro, le 1er janvier 1959.
Dans cette première moitié du XXe siècle, les grandes entreprises américaines font de Cuba leur chasse gardée. Elles possèdent 40% des plantations de canne à sucre. Les États-Unis reçoivent d'autre part 90% des exportations cubaines !
À la veille de la prise de pouvoir par Fidel Castro, Cuba compte 6 millions d'habitants dont un tiers de Noirs et métis. Grâce au sucre, au rhum Bacardi, au tabac (les célèbres cigares Havane) et au tourisme de luxe, le pays figure parmi les plus prospères d'Amérique latine derrière l'Argentine, l'Uruguay et le Chili, avec toutefois de très grandes disparités sociales.
La population est déjà alphabétisée à 80%. La capitale, La Havane, est encore considérée comme l'une des plus belles villes du monde. Elle a une réputation sulfureuse mais la prostitution est loin d'y atteindre l'ampleur qu'elle aura au début du XXIe siècle en République dominicaine, en Thaïlande... ou à Cuba même.
De la lune de miel au divorce avec fracas
Le jeune et romantique Fidel Castro (32 ans) est dans un premier temps applaudi par toutes les démocraties, y compris les États-Unis. L'opinion publique occidentale voit en lui un homme d'avenir face au rigide Batista, un homme du passé (58 ans).
L'île et ses habitants sont relativement prospères et rien ne semble devoir ternir le triomphe d'un chef aussi avenant ; une épopée comme en rêve Hollywood !...
Mais le 17 février 1959, Fidel, celui qui se fait surnommer Líder Máximo (« Chef suprême » en espagnol) devient Premier ministre avec un pouvoir quasi-dictatorial... Le guerillero liquide sans attendre les partisans de l'ancien dirigeant au terme de procès expéditifs. Mêmes dans les dictatures latino-américaines, cette brutalité ne manque pas de surprendre.
Le 17 mai 1959, le gouvernement cubain décrète une réforme agraire qui interdit les exploitations de plus de 40,5 hectares.
Washington commence à manifester son inquiétude devant la dérive socialiste du régime, à un moment où la « guerre froide » entre États-Unis et Union soviétique est plus intense que jamais. Cette inquiétude grandit avec la visite à La Havane, en février 1960, d'Anastase Mikoyan, vice-président du Conseil de l'URSS, et le rétablissement des relations diplomatiques entre Moscou et La Havane.
À l'instigation de son frère Raúl et de son ami argentin Che Guevara, tous deux marxistes convaincus, Fidel Castro franchit un nouveau pas et annonce le 7 août 1960 la nationalisation des grandes plantations sucrières, sur lesquelles repose l'économie de l'île.
La moitié sont liées à des capitaux nord-américains. Il s'ensuit à Washington de nombreuses protestations auprès du président Dwight Eisenhower. Celui-ci ouvre les bras aux premiers réfugiés cubains et décrète un embargo : les entreprises américaines et alliées sont sommées de ne plus commercer avec Cuba.
Tout se corse en 1961 : le 3 janvier, Washington rompt ses relations diplomatiques avec La Havane. Quelques mois plus tard, le 16 avril 1961, tandis que John Kennedy a succédé à Dwight Eisenhower à la Maison Blanche, un groupe d'opposants tente de renouveler l'exploit de Castro en débarquant sur une plage, la baie des Cochons, avec l'appui de la CIA (services secrets américains) et l'accord du président américain. C'est un échec sanglant. Mais la menace est sérieuse.
Castro connaît comme tout un chacun les précédents de l'Iran et du Guatemala dont les gouvernants ont été renversés par la CIA (les services secrets américains) pour avoir voulu retrouver leur indépendance économique : Mossadegh en 1953 et Arbenz en 1954. Pour échapper à leur sort, il n'a d'autre choix que de se jeter dans les bras de son nouvel allié.
Le 2 décembre 1961, Fidel Castro franchit le Rubicon et se déclare ouvertement marxiste-léniniste. En pleine guerre froide, Cuba se rallie donc à Moscou et devient le premier pays communiste de l'hémisphère occidental.
L'année suivante, l'Union soviétique de Nikita Khrouchtchev, pousse son avantage et projette d'installer chez sa nouvelle alliée des missiles à tête nucléaire dirigés contre les États-Unis. Il s'ensuit un bras de fer avec le président Kennedy. Cette « affaire des fusées » se résout au détriment de Khrouchtchev en octobre 1962.
L'impasse
Tandis que s'estompe la crainte d'une guerre nucléaire entre les deux Grands, Cuba sombre dans un douloureux isolement. Raúl Cstro et Che Guevara organisent une féroce répression contre les opposants réels ou supposés. Les exécutions sommaires et la torture font des dizaines de milliers de victimes.
Victime du boycott américain, de l'exode à Miami d'une grande partie de ses élites et du fiasco de son économie socialisée, l'île entre dans une complète dépendance de Moscou pour ses approvisionnements et lui vend à un prix de faveur sa seule production encore exportable : le sucre de canne.
Après la mort de Che Guevara dans un maquis bolivien le 9 octobre 1967, Fidel Castro renonce à ses rêves de révolution panaméricaine et s'aligne contraint et forcé sur la diplomatie soviétique. Pour les besoins de celle-ci, il envoie un corps expéditionnaire combattre aux côtés des rebelles dans les colonies portugaises d'Angola et du Mozambique, en Afrique australe, sous la direction du général Arnaldo Ochoa.
Ce dernier est fusillé le 13 juillet 1989, au terme d'une parodie de procès, mettant à nu la violence des tensions au sein même de l'oligarchie castriste. En dépit de tout, Fidel Castro arrive à conserver le pouvoir jusqu'en février 2008, figeant l'île dans un système étatique et autoritaire d'un autre âge.
Fin de partie
La visite du pape Jean-Paul II en 1998 à Cuba a ramené Fidel Castro et Cuba dans le concert des nations.
En 2006, le « Líder Máximo » a passé les rênes du pouvoir à son frère Raúl, son compagnon de tous les moments, de cinq ans plus jeune (il est né le 3 juin 1931). Rattrapé par l'âge, celui-ci s'est à son tour retiré en 2018. Par un fait exceptionnel, les frères Castro auront pu se maintenir sans discontinuer au pouvoir pendant près de soixante ans...
Cuba compte 11 millions d'habitants, non compris deux millions de réfugiés établis en Floride, aux États-Unis. C'est environ deux fois plus qu'à la prise de pouvoir de Fidel Castro. Mais cette population est désormais vouée à un lent déclin du fait d'un indice de fécondité de seulement 1,7 (inférieur à l'indice de renouvellement).
Après soixante ans de socialisme brouillon, d'embargo américain et de fuite des élites, les indicateurs économiques sont mauvais, les pénuries sont généralisées et le marché noir est devenu la règle. Après la défection de l'URSS, le pays n'a plus compté que sur la générosité du Venezuela chaviste pour l'approvisionner en hydrocarbures bon marché et boucler son budget. Mais le Venezuela lui-même est entré à son tour dans la crise...
Les Cubains, revenus de tout, misent sur le retour progressif des touristes occidentaux pour donner de l'oxygène à leur économie à bout de souffle.
Ils attendent avec impatience que se concrétise la fin de l'embargo promis par le président Obama.
Pourtant, derrière ce désastre apparent, l'île affiche aussi des indicateurs de bien-être singulièrement élevés. À la question : « Vaut-il mieux naître aux États-Unis ou à Cuba ? », on peut répondre :
- Il vaut mieux naître à Cuba... et grandir aux États-Unis !
En effet, ayant envers et contre tout donné la priorité à l'éducation et à la santé, le régime castriste a doté Cuba d'un exceptionnel réservoir de personnel médico-social. Ses médecins sont en première ligne dans toutes les régions désolées d'Amérique latine et d'Afrique, en particulier dans le golfe de Guinée où sévit l'épidémie d'Ebola.
À Cuba même, ils assurent à la population une mortalité infantile inférieure à celle des États-Unis (moins de cinq décès pour 100 000 naissances avant l'âge de cinq ans) et une espérance de vie comparable à celle de leur puissant voisin (76 ans pour les hommes et 80 ans pour les femmes) !
Vos réactions à cet article
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Roland Berger (13-05-2015 21:44:18)
Cuba tarde à se rénover. Bien sûr, les États-Unis étant parfaits.
Marcel Lerusse (13-05-2015 19:56:24)
Je n'ai pas été à l'université, mais je pense que votre colère n'est pas justifiée. C'est notoire que les E-U sont agressifs pour la défense de leurs intérêts commerciaux. Et qu'ils ne font p... Lire la suite
Jacques (13-05-2015 19:26:50)
La guerre entre l'Espagne et les Etats-Unis est effectivement présentée de façon bien allusive, le fameux incident du "Maine" étant passé sous silence. L'article se termine quand même en soulign... Lire la suite