Je t'aime, moi non plus... Quel refrain s'applique mieux aux relations qui lient la Nature et l'Homme depuis les origines ?
Nous aimons la Nature, certes, mais ne cessons de nous en méfier, de chercher à l'apprivoiser et parfois à la détruire au point de compromettre notre avenir commun.
Vous avez du feu ?
N'exagérons rien : ce n'est pas le jour où l’un de nos lointains ancêtres a brisé une branche qu'il a commencé à détruire son environnement. Mais ce geste est le symbole de sa capacité à soumettre un environnement qui, au fond, le terrifie.
Alors que la plupart des animaux se contentent de s'adapter aux contraintes naturelles, les bipèdes vont décider de s'en émanciper. Une belle flambée et fini le froid, l'obscurité, les prédateurs ! Arrivés en Europe, les voilà qui regardent d'un mauvais œil rhinocéros laineux, aurochs et autres tigres aux dents de sabre. Qu'à cela ne tienne ! Quelques artistes talentueux apprivoiseront ces nuisibles sur les parois des grottes de Chauvet ou Lascaux. Et si cela ne suffit pas, soyons sûr que la pratique de plus en plus habile et donc efficace de la chasse ou de la pêche aura aidé certaines espèces à déserter notre voisinage.
Si l'on discute toujours aujourd'hui de leur responsabilité dans la disparition des célèbres mammouths (12 000 av. J.-C.) et de plusieurs de leurs collègues herbivores, on doit reconnaître que nos chers Homo sapiens et Neandertal sont loin de l'image d'Épinal. Ils avaient déjà en effet, à leur petite échelle, un impact non négligeable sur leur environnement. Saura-t-on jamais s'ils n'ont pas fait disparaître pour toujours des dizaines de plantes ? N'estime-t-on pas que près de 80 % des grands mammifères américains ne se remirent pas de leur rencontre avec l'Homme, dès lors qu'il eût repéré le passage du détroit de Béring (12 000 av. J.-C.) ? Les prédateurs ont changé de camp !
Le mythe du bon sauvage, lancé au XVIe siècle avec les Grandes Découvertes, n'est pas mort. On continue à croire que les sociétés « primitives » qu'ont rendu célèbres les explorateurs vivaient en parfaite harmonie avec la nature.
Il faut dire que Bougainville, par exemple, manque de mots pour célébrer ce bonheur : « Je me croyais transporté dans le jardin d'Éden : nous parcourions une plaine de gazon couverte de beaux arbres fruitiers et coupée de petites rivières qui entretiennent une fraîcheur délicieuse, sans aucun des inconvénients qu'entraîne l'humidité. Un peuple nombreux y jouit des trésors que la nature verse à pleines mains sur lui » (Voyage autour du monde, 1771)...
Mais la première chose qu'il entreprend pour faire plaisir à ses hôtes est de créer un jardin de légumes entouré de palissades !
Le mythe va perdurer, se déplaçant des îles du Pacifique à l'Amérique du Far-West et l'Amazonie : les guerriers des Grandes Plaines n'auraient chassé que le minimum nécessaire de bisons, les indigènes brésiliens maîtriseraient parfaitement les plantes de la forêt... Ce respect de la nature, qui a d'ailleurs longtemps servi de prétexte pour rabaisser ces populations au rang des animaux, est aujourd'hui remis en cause, par exemple avec le souvenir de l'île de Pâques dont les ressources auraient été épuisées par ses propres habitants.
Cela n'empêche pas certains de rêver d'un retour à la nature, comme Ernest Thompson Seton qui influença la création du scoutisme, ou les « baba-cools » et autres néo-ruraux qui fuient les villes.
« La Nature est un temple... » (Baudelaire)
Il y a environ 10 000 ans, nos chasseurs se font paysans. Ils commencent à sélectionner et parquer les animaux et les plantes et donnent naissance à de nouvelles espèces souvent inaptes à survivre à l'état sauvage. Savez-vous ainsi que nos races de vaches ou moutons ont moins de 150 ans ?
Aussi longtemps que la terre abonde, les premières communautés paysannes ne font pas de manières.
Elles brûlent une parcelle de forêt et sèment des graines sur les cendres. Lorsque le sol est épuisé, elles vont un peu plus loin renouveler l'opération. Cette agriculture primitive sur brûlis, destructrice de la sylve et de l'humus, est encore pratiquée du Brésil à l'Indonésie en passant par l'Afrique tropicale et Madagascar.
Puis, nos chers aïeux transforment les forêts en champs permanents ou en rizières. Ils fondent aussi des villes pour loger une population toujours plus nombreuse et creusent la terre à la recherche de précieux minerais.
Au Moyen-Orient, des cours d'eau artificiels apparaissent grâce à une parfaite maîtrise de l'irrigation qui multiplie les zones cultivées au détriment des forêts de la région.
Celles-ci vont également souffrir de l'augmentation de la population et de ses besoins en matière de construction, de métallurgie et de chauffage, au point de totalement disparaître. Que reste-t-il, en Irak, du Croissant fertile de l'Antiquité ?
Pour imaginer sa splendeur passée, on peut rêver devant les « maisons-montagnes » que sont les ziggourats. Elles rappellent de façon édifiante la place, dans ces sociétés, de la religion dont un des premiers objectifs était alors de se concilier les forces terrifiantes de la nature.
Sont toujours là pour nous le rappeler les grands mythes qui, à l'exemple de celui du déluge, cherchent à expliquer les colères de la Terre.
Du côté du Nil, une grande partie des dieux égyptiens revêtent l'apparence d'animaux sauvages. Ils témoignent du mélange de crainte et d'admiration que les habitants ressentent pour la Nature. Parfois père fouettard, elle est par-dessus tout la mère nourricière qui dispense ses bienfaits.
On ne saura jamais qui, le premier, eut l'idée de semer quelques fleurs autour de sa maison. Toujours est-il que cette initiative eut un succès durable puisque les jardins (« paradis » en persan) n'ont cessé depuis lors de captiver toutes les civilisations.
Les jardins suspendus de Babylone n'avaient-ils pas été élus « merveille du monde » au côté de grands monuments de pierre ?
On peut expliquer cet attrait par des raisons esthétiques, certes, mais aussi par le sentiment de puissance qu'il confère à l'Homme, enfin maître de la moindre pousse.
N'y a-t-il rien de plus artificiel qu'un jardin ?
Sans aller jusqu'aux parcs de Versailles ou de Villandry, exemples extrêmes de cette recréation factice de la nature, le moindre jardin exige un soin constant et une grande maîtrise de l'environnement, pour lui éviter d'être envahi par la broussaille.
Tout cela est très bucolique
Dans la Grèce antique, l'homme, peut-être moins inquiet pour sa survie, commence à prendre du recul et à s'interroger sur sa place au sein de l'univers. La nature est toujours vénérée pour sa beauté et sa générosité, on honore les sources et célèbre certains arbres comme l'olivier de l'Acropole, mais les dieux perdent leur aspect animal et sont relégués sur l'Olympe.
Pour les philosophes, la nature commence à se réduire à un ensemble unifié, parfaitement organisé et soumis à l'homme : « S’il est bien des merveilles en ce monde
Il n’en est pas de plus grande que l’homme » (Sophocle, Antigone).
Ne soyons donc pas surpris que les Grecs fassent preuve de brutalité en déboisant sans remords la péninsule hellénique et les îles de la mer Égée, que Platon comparait « à un corps décharné par la maladie » (Critias). On peut voir dans ces regrets tardifs l'origine du latin locus amoenus (« lieu agréable ») pour désigner la nature originelle où le sage Lucrèce aurait aimé trouver beauté et repos (De natura rerum, Ier siècle av. J.-C).
Cette nature idéalisée se retrouve dans le mythe de l'Âge d'or évoqué par Ovide : « La terre, sans être violée par la houe, ni blessée par la charrue, donnait tout d'elle-même » (Métamorphoses). Les Romains, en effet, ne cessent d'encenser la vie des bergers (Virgile, Les Bucoliques, Ier siècle av. J.-C.), tout en célébrant par la création des villes et des réseaux routiers leur victoire sur la sauvagerie.
« Heureux vieillard, tes champs te resteront donc ! et ils sont assez étendus pour toi, quoique la pierre nue et le jonc fangeux couvrent partout tes pâturages. Des herbages inconnus ne nuiront pas à tes brebis pleines, et le mal contagieux du troupeau voisin n’infectera pas le tien. Vieillard fortuné ! là, sur les bords connus de tes fleuves, près de tes fontaines sacrées, tu respireras le frais et l’ombre. Ici l’abeille d’Hybla, butinant sur les saules en fleurs qui ceignent tes champs de leur verte clôture, t’invitera souvent, par son léger murmure, à goûter le sommeil : et tandis que du haut de la roche l’émondeur poussera son chant dans les airs, tes chers ramiers ne cesseront de roucouler, la tourterelle de gémir, sur les grands ormeaux » (Virgile, Les Bucoliques, 1er siècle av. J.-C.).
Du Paradis au purgatoire
La culture médiévale renoue avec la nostalgie du Paradis terrestre où l'Homme vivait en paix. Malheureusement, les meilleures choses ont une fin et voilà les hommes condamnés à subsister dans une nature hostile à laquelle ils doivent jour après jour arracher leur subsistance.
Suite à l'effondrement des institutions romaines, aux grandes invasions et à la dépopulation, la forêt a partout pris sa revanche.
Après l'An Mil, la reconquête agricole est favorisée par le réchauffement climatique et la croissance de la population.
Les défrichements et l'extension des labours font reculer partout la forêt et la lande, au point d'inquiéter les seigneurs, grands chasseurs devant l'Éternel.
En 1346, par l'ordonnance de Brunoy, le roi de France Philippe VI limite sévèrement les droits d'usage dans les forêts du domaine royal « afin qu'ils se puissent perpétuellement soustraire en bon état ». C'est sans doute la plus ancienne loi écologique du monde !
Nos campagnes prennent leur aspect actuel avec le maillage du territoire par les villages et les monastères, très actifs dans la gestion du patrimoine naturel.
Les chemins, les canaux et les mares, les haies et les bocages remodèlent les paysages et les humanisent tout en enrichissant leur biodiversité.
En Extrême-Orient, dans la Chine des Song (Xe-XIIe siècles), on poursuit avec la même assiduité la domestication de la nature, des fleuves et des montagnes avec force digues et terrasses.
Comme en Occident, les paysans développent une agriculture économe des ressources naturelles et apprennent à gérer la pénurie. La cuisine chinoise conserve le souvenir de cette pénurie à travers l'art d'accommoder les restes.
Les villes explosent grâce entre autres au développement du commerce le long des voies navigables, pour certaines artificielles tel le Grand Canal qui unit sur 1 700 km Pékin à Hangzhou.
Plus au sud, les Khmers mettent au pas la nature tropicale autour d'Angkor, où ils entreprennent de gigantesques aménagements hydrauliques pour établir leur métropole religieuse (IXe-XIVe siècle). Mais la démesure de leur entreprise va les conduire à leur perte...
Même chose en ce qui concerne la civilisation maya (IX-XIe s.), en Amérique centrale, dont l'effondrement aurait été provoqué par une agriculture intensive sur brûlis entraînant déforestation et usure des sols.
« Écoute, bûcheron, arrête un peu le bras ;
Ce ne sont pas des bois que tu jettes à bas ;
Ne vois-tu pas le sang lequel dégoutte à force
Des nymphes qui vivaient dessous la dure écorce ?
Sacrilège meurtrier, si on pend un voleur
Pour piller un butin de bien peu de valeur,
Combien de feux, de fers, de morts et de détresses
Mérites-tu, méchant, pour tuer nos déesses ?
Forêt, haute maison des oiseaux bocagers !
Plus le cerf solitaire et les chevreuils légers
Ne paîtront sous ton ombre, et ta verte crinière
Plus du soleil d'été ne rompra la lumière.
Plus l'amoureux pasteur sur un tronc adossé,
Enflant son flageolet à quatre trous percé,
Son mâtin à ses pieds, à son flanc la houlette,
Ne dira plus l'ardeur de sa belle Janette.
Tout deviendra muet, Écho sera sans voix ;
Tu deviendras campagne, et, en lieu de tes bois,
Dont l'ombrage incertain lentement se remue,
Tu sentiras le soc, le coutre et la charrue ».
(Pierre de Ronsard, extrait de « Contre les bûcherons de la forêt de Gastine », Les Odes, 1550).
Le choc des Grandes Découvertes
Le jour de 1492 où Christophe Colomb a posé le pied sur le continent américain, l'histoire des rapports entre l'Homme et la nature s'est emballée.
On connaît les conséquences humaines des Grandes Découvertes : la réduction de 90 % de la population amérindienne en 150 ans du fait essentiellement de l'introduction involontaire du virus de la variole, contre lequel les Amérindiens, à la différence des Européens, n'étaient nullement immunisés. À ce « choc microbien » s'ajoutent les guerres indiennes et l'introduction massive d'esclaves africains.
Mais la nature elle aussi a payé fort cher les progrès de la navigation ! Les écosystèmes insulaires ont été totalement bouleversés par l'arrivée de nouveaux animaux, chats, chèvres, lapins ou rats.
À Madère (« la Boisée » en portugais !), sitôt après la découverte de l'île, les forêts primaires ont brûlé continûment pendant des années avant de laisser la place à des plantations de canne à sucre.
Notons que sur le continent américain, au contraire, les forêts ont connu une phase d'extension du fait de l'extinction des populations agricoles autochtones !
Avec les explorations, c'est aussi une nouvelle vision du monde qui se met en place, basée sur l'exploitation sans limite des ressources naturelles et sur la mondialisation des échanges.
Les plantations de sucre, thé ou café transforment les paysages tropicaux. L'Europe n'est pas en reste avec l'introduction de la pomme de terre venue des Andes.
Pour les hommes de la Renaissance et plus encore des Temps modernes (XVIIe siècle), la planète est devenue un magnifique terrain de jeu dont il faut conquérir puis exploiter les ressources afin de contribuer au bien-être de l'Homme, alors au centre de tout.
« Le premier jour que nous allâmes coucher aux Charmettes, maman [surnom de madame de Warrens] était en chaise à porteurs, et je la suivais à pied. Le chemin monte : elle était assez pesante, et craignant de trop fatiguer ses porteurs, elle voulut descendre à peu près à moitié chemin, pour faire le reste à pied. En marchant, elle vit quelque chose de bleu dans la haie, et me dit : Voilà de la pervenche encore en fleur. Je n'avais jamais vu de la pervenche, je ne me baissai pas pour l'examiner, et j'ai la vue trop courte pour distinguer à terre des plantes de ma hauteur. Je jetai seulement en passant un coup d'œil sur celle-là, et près de trente ans se sont passés sans que j'aie revu de la pervenche ou que j'y aie fait attention. En 1764, étant à Cressier avec mon ami M. du Peyrou, nous montions une petite montagne au sommet de laquelle il a un joli salon qu'il appelle avec raison Belle-Vue. Je commençais alors d'herboriser un peu. En montant et regardant parmi les buissons, je pousse un cri de joie : Ah ! voilà de la pervenche ! et c'en était en effet. Du Peyrou s'aperçut du transport, mais il en ignorait la cause ; il l'apprendra, je l'espère, lorsqu'un jour il lira ceci. Le lecteur peut juger, par l'impression d'un si petit objet, de celle que m'ont faite tous ceux qui se rapportent à la même époque » (Jean-Jacques Rousseau, Les Rêveries du promeneur solitaire, 1782).
Sous l'œil du microscope
Au XVIIe siècle, les esprits curieux ne se contentent plus de rassembler des singularités naturelles dans les cabinets de curiosités ; ils se mettent en tête de comprendre le monde par la méthode expérimentale.
Grâce à des lunettes de plus en plus puissantes, Galilée observe l'infiniment grand. À la génération suivante, le Hollandais Antoni Van Leeuwenhoek améliore les microscopes et peut dès lors explorer les micro-organismes.
Devenue objet d'étude, la nature perd de ses mystères au point que René Descartes ne craint plus de dévoiler ses ambitions : l'homme doit en devenir « maître et possesseur » (Discours de la Méthode, 1637).
La nature désacralisée est au siècle suivant mise en fiches dans les catalogues des naturalistes. Projetant de la réduire à un système cohérent, le Français Georges-Louis Buffon et le Suédois Carl von Linné s'attachent à recenser et décrire toutes les espèces animales et végétales.
C'est aussi un amoureux des herbiers qui pousse le siècle de l'Encyclopédie et de la Raison triomphante à regarder bosquets et cours d'eau d’un œil neuf : au cours de ses nombreuses rêveries d'un promeneur solitaire, Jean-Jacques Rousseau réconcilie les milieux cultivés avec les petites fleurs des champs. Il annonce avec quelques décennies d'avance, la passion des romantiques pour une nature sensible et non plus menaçante, devenue le reflet de leurs sentiments et un refuge bienvenu pour ces éternels dépressifs.
Côté scientifique, cependant, les médecins du courant hygiéniste s'inquiètent des conséquences de l'environnement sur la santé de l'individu au moment où l'industrie entre en jeu.
[...] Pars courageusement, laisse toutes les villes ;
Ne ternis plus tes pieds aux poudres du chemin
Du haut de nos pensers vois les cités serviles
Comme les rocs fatals de l'esclavage humain.
Les grands bois et les champs sont de vastes asiles,
Libres comme la mer autour des sombres îles.
Marche à travers les champs une fleur à la main.
La Nature t'attend dans un silence austère ;
L'herbe élève à tes pieds son nuage des soirs,
Et le soupir d'adieu du soleil à la terre
Balance les beaux lys comme des encensoirs.
La forêt a voilé ses colonnes profondes,
La montagne se cache, et sur les pâles ondes
Le saule a suspendu ses chastes reposoirs. […]
(Alfred de Vigny, « La Maison du berger » (Les Destinées, 1864)
À toute vapeur !
La nature va désormais être dominée par la technique et son corollaire, la révolution industrielle, qui naît avec l'invention de la machine à vapeur par James Watt au XVIIIe siècle. Se multiplient les manufactures de tissus, gourmandes en matières organiques (soie, laine, coton...) et en énergie. Celle-ci, procurée dans un premier temps par le bois, entraîne une nouvelle vague de déforestation en Europe.
En Amérique du Nord, enivrés par les grands espaces mis à leur disposition, les colons anglais, futurs citoyens des États-Unis, conçoivent l'idée d'une nature aux ressources infinies, à l'opposé de la nature parcimonieuse à laquelle étaient confrontés les paysans européens, chinois ou indiens. Ils vont l'exploiter de façon extensive et sans précaution particulière. Ils organisent par exemple l'extermination du pigeon migrateur américain, présent par milliards et coupable de dévaster les récoltes.
En rupture avec leurs origines européennes, les Américains ne tardent pas à développer un mode de vie extrêmement dispendieux en espace et en énergie, caractérisé par l'usage intensif de l'automobile et l'extension à l'infini des banlieues résidentielles.
Ce mode de vie va séduire les habitants de l'Ancien Monde, oublieux de leurs traditions de sobriété, et même aujourd'hui ceux des pays émergents d'Afrique et d'Asie. Il est très directement à l'origine de l'actuelle crise environnementale...
Le saccage des ressources naturelles suscite aussi en réaction, dès la fin du XIXe siècle, des initiatives en vue de les protéger. En 1872 est créé au nord-ouest du Wyoming le parc national de Yellowstone, sur une superficie équivalente à la Corse. C'est le premier parc naturel au monde.
S'il a pour but de préserver les merveilles de l'endroit, il devient vite à la fois un haut lieu touristique et le symbole fédérateur de la beauté de la nature étasunienne.
À la même époque, en Europe comme en Amérique du Nord, les artistes sortent de leur atelier avec leur chevalet sous le bras pour profiter des couleurs changeantes du plein air.
Cette révolution impressionniste ouvre les yeux des citadins sur la beauté des jardins et paysages.
C'est encore en 1866 que naît officiellement l'« écologie », sous l'impulsion du biologiste allemand Ernst Haeckel, disciple de Charles Darwin. Elle se définit comme la science des relations entre les êtres vivants et leur environnement.
Après la Seconde Guerre mondiale, le choc du nucléaire et certains méfaits de l'industrialisation l'ont placée au centre de nos préoccupations.
Jean Valjean, le héros des Misérables, trouve refuge dans un jardin abandonné...
« Ce jardin ainsi livré à lui-même depuis plus d’un demi-siècle était devenu extraordinaire et charmant. Les passants d’il y a quarante ans s’arrêtaient dans cette rue pour le contempler, sans se douter des secrets qu’il dérobait derrière ses épaisseurs fraîches et vertes. [...] Il y avait un banc de pierre dans un coin, une ou deux statues moisies, quelques treillages décloués par le temps pourrissant sur le mur ; du reste plus d’allées ni de gazon ; du chiendent partout. Le jardinage était parti, et la nature était revenue. Les mauvaises herbes abondaient, aventure admirable pour un pauvre coin de terre. La fête des giroflées y était splendide. Rien dans ce jardin ne contrariait l’effort sacré des choses vers la vie ; la croissance vénérable était là chez elle. Les arbres s’étaient baissés vers les ronces, les ronces étaient montées vers les arbres, la plante avait grimpé, la branche avait fléchi, ce qui rampe sur la terre avait été trouver ce qui s’épanouit dans l’air, ce qui flotte au vent s’était penché vers ce qui se traîne dans la mousse ; troncs, rameaux, feuilles, fibres, touffes, vrilles, sarments, épines, s’étaient mêlés, traversés, mariés, confondus ; la végétation, dans un embrassement étroit et profond, avait célébré et accompli là, sous l’œil satisfait du créateur, en cet enclos de trois cents pieds carrés, le saint mystère de sa fraternité, symbole de la fraternité humaine. Ce jardin n’était plus un jardin, c’était une broussaille colossale ; c’est-à-dire quelque chose qui est impénétrable comme une forêt, peuplé comme une ville, frissonnant comme un nid, sombre comme une cathédrale, odorant comme un bouquet, solitaire comme une tombe, vivant comme une foule » (Victor Hugo, Les Misérables, 1862).
Le patrimoine de l'humanité
Siècle des guerres, le XXe siècle n'épargne pas nos paysages, que ce soit du côté de Verdun, d'Hiroshima ou d'Ho Chi Min Ville. La politique de la terre brûlée fait des ravages, tout comme les pesticides, la « bétonisation » et la consommation à tout va.
Les hommes, pourtant, n'ont jamais autant aimé se retrouver au sein de la nature, dans ces endroits soi-disant préservés perçus comme de nouveaux paradis. L'UNESCO ne manque pas d'ajouter les « aires d'une beauté naturelle et d'une importance esthétique exceptionnelles » au patrimoine de l'humanité... ce qui a pour première conséquence d'y attirer de nouveaux curieux !
Les hommes se disent amoureux de leur belle « planète bleue » mais rechignent à modifier leur mode de vie et économiser les énergies fossiles. Ils ne craignent pas de barrer les fleuves, percer et repercer les isthmes comme celui de Panama ou planter un aéroport au centre d'une zone humide.
Et lorsque le climat se fait trop capricieux, ils lui font un pied de nez dans les centres aquatiques et sur les pistes de neige artificielle...
Mouvements écologiques et conférences au sommet témoignent d'une prise de conscience de la fragilité de notre environnement mais aussi de la constante prétention des hommes à placer la nature sous leur tutelle, que ce soit pour l'abîmer ou la sauver.
N'oublions pas qu'elle peut également se passer de nous et reprendre rapidement ses droits, comme dans la jungle d'Angkor ou sur l'île de Pâques. Ne perdons pas de vue également que l'humanité n’est rien sans elle, comme l’indique l’étymologie du mot homme, issu du latin humus : « la terre ».
L'ONG Greenpeace est fondée en 1970, à la suite du naufrage du Torrey Canyon, générateur de la première « marée noire » de l'Histoire. En 1974 se présente en France le premier candidat écologique à une élection présidentielle, René Dumont. En 2002, au IVe Sommet de la Terre, à Johannesburg (Afrique du Sud), le président Jacques Chirac lance en guise d'avertissement cette métaphore : « Notre maison brûle et nous regardons ailleurs ».
L'avenir nous dira s'il fallait finalement donner raison à Jules Renard lorsqu'il déclara : « Dieu n'a pas mal réussi la nature, mais il a raté l'homme ».
Selon certains scientifiques, nous serions entrés dans une nouvelle ère géologique, l'Anthropocène (du grec anthropos, « être humain ») et kainos, « nouveau »), caractérisée par l'impact de l'Homme sur l’environnement.
Du fait de l'intensification de ses activités prédatrices, il serait en effet devenu le principal facteur d’évolution de la planète.
D'aucuns datent symboliquement le début de cette ère en 1784, avec l'invention de la machine à vapeur.
Fidèle à l'optimisme des Lumières, Buffon entrevoyait déjà à l'époque cette domination prométhéenne, mais sans en pressentir les effets dramatiques :
« La face entière de la Terre porte aujourd’hui l’empreinte de la puissance de l’homme, laquelle, quoique subordonnée à celle de la Nature, souvent a fait plus qu’elle, ou du moins l’a si merveilleusement secondée que c’est à l’aide de nos mains qu’elle s’est développée dans toute son étendue et qu’elle est arrivée par degrés au point de perfection et de magnificence où nous la voyons aujourd’hui » (Les Époques de la nature, 1780).
Bibliographie
Valérie Chansigaud, L'Homme et la nature, une histoire mouvementée, éd. Dalachaux et Niestlé, 2013,
Jared Diamond, Effondrement. Comment les sociétés décident de leur disparition ou de leur survie, éd. Gallimard (« Essais »), 2005,
« La Perception de la nature de l'Antiquité à nos jours », actes du colloque du 7 décembre 2007 organisé par le Conseil Scientifique de l’Environnement Nord – Pas-de-Calais,
« Climat : l'Homme entre en scène », entretien avec Jean-Baptiste Fressoz, L'Histoire n°415, septembre 2015.
Climat et environnement
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Voir les 6 commentaires sur cet article
Anonyme (23-12-2015 09:48:19)
Remarquable traversée pour nous évoquer l'action de grands prédateurs que nous sommes. Mais prendre conscience que nous tuons la terre pour en vivre ouvre a une angoisse plus puissante que celle de... Lire la suite
christian (07-12-2015 11:42:45)
A propos des hygiénistes, l'utilisation du mot "environnement" est anachronique, à l'époque on parlait du "milieu" (le mot environnement est une réimportation de ce mot français avec le sens donn... Lire la suite
Marcel Cacaud (02-12-2015 18:01:15)
Décidément, nous vivons un temps où les hommes passent leur temps à se battre la coulpe !! Pour ma part je pense que si l'homme à sans doute bien des tort et qu'il a au cours de l'histoire comm... Lire la suite