État de droit

L'Europe distingue les hommes selon leur couleur

10 mai 2023. Dans une résolution votée le 19 juin 2020, le Parlement européen de Strasbourg a introduit une différence de traitement entre « les personnes noires et les personnes de couleur » et les autres êtres humains. Ainsi l'Europe s'est-elle mise au diapason des États-Unis en distinguant les êtres humains selon leur couleur de peau et en officialisant le racisme (dico), un fléau qu'elle ignorait absolument avant le Siècle des Lumières.

Venue des États-Unis, la mémoire de l'esclavage est entrée dans le droit français avec la loi Taubira, adoptée par le Sénat le 10 mai 2001. À la suite de cela a été instaurée une Journée des « Mémoires de la traite négrière, de l'esclavage et de leurs abolitions », célébrée le 10 mai.

La loi a été quant à elle immédiatement contestée par nombre d'historiens du fait de sa prétention à réécrire l'Histoire en réduisant la traite et l'esclavage à ses aspects européens (XVe-XIXe siècles) :
« Article 1er :
La République française reconnaît que la traite négrière transatlantique ainsi que la traite dans l’océan Indien d’une part, et l’esclavage d’autre part, perpétrés à partir du XVe siècle, aux Amériques et aux Caraïbes, dans l’océan Indien et en Europe contre les populations africaines, amérindiennes, malgaches et indiennes constituent un crime contre l’humanité. »

Au moins le texte se gardait-il de toute approche raciale ou raciste...

Rupture historique dans le droit des États européens

Voilà que tout dérape le 19 juin 2020. Ce jour-là, dans l'émotion suscitée par la mort de George Floyd aux États-Unis, le Parlement européen vote une résolution qui ne se contente pas de faire la leçon aux Américains mais reprend tout l'argumentaire développé par les mouvements antiracistes étasuniens et l'applique à l'Europe.

C'est ainsi que les députés de Strasbourg dénoncent le « suprémacisme blanc sous toutes ses formes » et condamnent « les crimes contre l’humanité commis contre les personnes noires et les personnes de couleur » en semblant considérer que leurs compatriotes sont tout autant suspects de ces crimes que leurs lointains cousins étasuniens (source).

L'article 14 de cette résolution « invite les institutions et les États membres de l’Union européenne à reconnaître officiellement les injustices du passé et les crimes contre l’humanité commis contre les personnes noires, les personnes de couleur et les Roms ; déclare que l'esclavage est un crime contre l’humanité et demande que le 2 décembre soit désigné Journée européenne de commémoration de l’abolition de la traite des esclaves ; encourage les États membres à inscrire l’histoire des personnes noires, des personnes de couleur et des Roms dans leurs programmes scolaires. »
NB : la date du 2 décembre fait référence à l’adoption le 2 décembre 1949 par l’Assemblée générale des Nations Unies de la Convention pour la répression et l’abolition de la traite des êtres humains et de l’exploitation de la prostitution d’autrui.

Cette résolution est à l’époque passée inaperçue tant l’opinion occidentale était émue par le sort effroyable de George Floyd. Il n'empêche que c’est une rupture majeure dans le droit des nations européennes qui, jusque-là, aussi loin que l’on remonte dans le temps (exception faite des douze années de nazisme), ignorait absolument les différences de carnation des êtres humains et le racisme.

L'Europe a toujours ignoré la couleur de peau

Autorisons-nous un bref rappel : la chrétienté médiévale, dès avant l’An Mil, s’est voulue résolument universelle (c’est le sens, en grec, du mot « catholique »). Cette aspiration à l’universalité transparaît dans la représentation de l’un des rois mages de la crèche sous les traits de Balthazar, « roi de peau noire et à la barbe épaisse » (Bède le Vénérable, VIIIe siècle).

Jusqu’à la fin du XVIIe siècle, donc, nulle trace de racisme en Europe occidentale. Le racisme émerge seulement au Siècle des Lumières, dans les écrits des « philosophes » comme Voltaire en rupture avec l’universalisme chrétien. Il va infuser dans les écrits des savants et penseurs progressistes de la fin du XIXe siècle, épris de science et de modernité mais il ne va jamais polluer le droit ni la vie quotidienne des Européens.

L'abîme qui sépare les États-Unis de l'Europe transparaît pendant la Grande Guerre, en 1917, quand le général Pershing se plaint de ce que les officiers français rencontrent sans façon leurs homologues des bataillons afro-américains.

Après le conflit, instruits par la réalité européenne, nombre d'artistes et d'intellectuels afro-américains vont se réfugier en France, dans « ce pays qui semblait sorti tout droit d'un conte de fées [et où] je n'ai jamais eu peur », dira Joséphine Baker... Est-ce bien au même pays que pensaient les députés de Strasbourg quand ils ont dénoncé un « racisme systémique » ?

L'Europe à l'heure américaine

Nous voici désormais alignés sur les États-Unis avec la reconnaissance officielle de différences liées à la couleur de peau, à la religion, etc.

Rappelons que la couleur de peau a été introduite dans le droit occidental le 26 mars 1790 par le Naturalization Act qui offrit généreusement la citoyenneté étasunienne aux free white persons (« personnes libres blanches »), autrement dit aux immigrants européens de bonnes mœurs, sous réserve qu’ils aient deux ans de résidence dans le pays.

Cette loi excluait sans le dire les autres immigrants et surtout les esclaves et affranchis africains et les Indiens eux-mêmes. Elle était la conséquence du droit développé dans les Treize colonies anglaises d'Amérique depuis le XVIIe siècle, qui établissait des distinctions juridiques entre les personnes « blanches » et les personnes « de couleur », en interdisant notamment le mariage entre les unes et les autres.

Les pieux colons anglo-saxons justifiaient cette différentiation raciale par une thèse empruntée à un penseur arabo-musulman, Al-Tabari (Xe siècle) : la malédiction de Cham qui fait des Africains les descendants maudits du troisième fils de Noé.

Notons que les planteurs français et ibériques pratiquaient l'esclavage de façon toute aussi odieuse mais sans lui donner une connotation raciale ou raciste aussi tranchée. Les unions mixtes n'étaient pas illégales et des esclaves africains, une fois affranchis, pouvaient eux-mêmes devenir propriétaires d'esclaves. L'exemple le plus mémorable est celui de Toussaint Louverture, héros de l'indépendance de Haïti, qui possédait une plantation de 13 hectares et une vingtaine d'esclaves.

Impasses du racisme

Les nouveaux propagandistes du racisme, qu'il s'agisse de militants d'extrême-gauche ou des députés européens qui ont voté la résolution de 2020, ne vont pas manquer de buter sur les contradictions flagrantes de leur discours.

Qu'est-ce en particulier qu'une personne « de couleur » ou « racisée » ? À partir de combien d'ancêtres africains entre-t-on dans cette catégorie et peut-on plaider l'insulte raciste, le délit de faciès ou la discrimination raciale auprès des tribunaux ? Les Turcs sont-ils concernés ? Et les Japonais, les Chinois, les juifs ashkénazes du nord de l'Europe ?

Faudra-t-il que le Parlement de Strasbourg légifère sur la question ? Si le sujet pouvait se prêter à l'ironie, nous lui suggérerions au choix d'adopter la règle étasunienne du one-drop rule (« Une goutte suffit ») ou de s'inspirer des lois de Nuremberg sur la définition de la race juive.

Demandons-nous plus gravement ce que peuvent susciter les dénonciations à tout va de prétendues « discriminations systémiques » à l'égard des « personnes de couleur », sommées de se cantonner pour l'éternité en position de victime ? Est-ce ainsi que l'on prépare l'avenir ? Et que peuvent susciter ces discours chez les personnes nées de couples mixtes et chez les Français nés en Afrique qui, tel l'inénarrable Gaston Kelman (Je suis noir et je n'aime pas le manioc, 2005), ont le front de se sentir bien en France ? 

André Larané
Les Nations Unies évitent la dérive raciste

Les Nations Unies ont manifesté plus de sagesse que les institutions européennes en se gardant de toute référence raciale dans les commémorations des abolitions de l'esclavage.
En 1998, l'UNESCO a instauré une « Journée Internationale du souvenir de la traite négrière et de son abolition » tous les 23 août, en souvenir d'une grande révolte d'esclaves à Saint-Domingue contre les colons français le 23 août 1791. Et le 17 décembre 2007, l’Assemblée générale des Nations Unies a fait du 25 mars la « Journée Internationale de célébration du bicentenaire de l’abolition de la traite transatlantique des esclaves » en référence à la loi anglaise du 25 mars 1807 qui a interdit la traite.
Rien à redire à ces initiatives qui honorent l'humanité et les abolitionnistes anglais dans le respect de l'Histoire.

Publié ou mis à jour le : 2023-05-11 09:47:07

Voir les 10 commentaires sur cet article

Danniel (15-06-2023 08:56:25)

Cet article invite à réfléchir à propos de nos responsabilités politiques actuelles ; cet article a le mérite de clarifier les idées, merci M. Larané.

SPN75020 (05-06-2023 14:37:53)

Jonas (15-05-2023 10:10:40), vous faites un contresens incompréhensible en imputant à André Larané les thèses mêmes qu'il récuse. (Re)lisez donc cet excellent article parfaitement clair.

Ratfucker (15-05-2023 16:43:11)

Le CNRS a mis en ligne une base de données permettant de vérifier qui étaient les personnes indemnisées par l’État français au moment de l’abolition de l’esclavage dans les colonies. Fran... Lire la suite

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