Le mouvement abolitionniste désigne le courant d'idées qui, à la fin du siècle des Lumières (dico) et au début du XIXe siècle, a pour la première fois dans l'Histoire de l'humanité contesté le principe même de l'esclavage (dico) et conduit à la mise hors la loi de la traite et de l'exploitation des êtres humains en Occident.
Les premiers effets du mouvement abolitionniste se voient en 1770, en Nouvelle-Angleterre (Amérique du nord), où certains colons s'interdisent la possession d'esclaves. À la suite de quoi l'esclavage est mis hors la loi dans la colonie anglaise du Vermont, en 1777. Le Danemark est le premier État européen à s'engager dans cette voie en 1792. Il est suivi par l'Angleterre qui interdit la traite en 1807 puis l'esclavage proprement dit en 1833. Après un essai raté en 1794, la France des droits de l'Homme abolit définitivement l'esclavage en 1848, les États-Unis en 1865 et le Brésil en 1888 seulement.
Le peintre anglais George Morland est à l'origine de la première oeuvre moralisatrice qui dénonce la traite : Execrable human trade. Une version française est publiée en 1794 avec pour titre : Traite des nègres. Ce vil métier a été aboli par la convention nationale.
Condamnations sélectives
Avant l'émergence du mouvement abolitionniste aux XVIIe et XVIIIe siècles, la traite d'être humains et l'esclavage n'ont fait l'objet que de réprobation ou de condamnations sélectives. En terre d'islam comme en terre chrétienne, on s'interdit au Moyen Âge d'asservir des coreligionnaires mais on ne s'oblige pas pour autant à affranchir les esclaves lorsque ceux-ci se convertissent à la foi de leurs maîtres.
Dans l'Europe médiévale, les moeurs évoluent toutefois et l'esclavage finit par disparaître au tournant de l'An Mil, remplacé par le servage, une forme de servitude adoucie qui attache les travailleurs à leur terre et ne permet ni de les vendre ni de les séparer de leurs proches.
L'institution réapparaît à la fin du Moyen Âge sur la façade méditerranéenne, en contact avec le monde musulman : il arrive alors que de riches particuliers et des marchands s'offrent les services d'un ou plusieurs esclaves domestiques. Plus gravement, l'esclavage accompagne l'implantation de comptoirs portugais en Afrique et surtout la découverte et l'exploitation du Nouveau Monde.
En 1454, le pape Nicolas V croit bon d'autoriser les Portugais à acheter des esclaves africains sous réserve qu'ils les convertissent à la foi chrétienne. Moins d'un siècle plus tard, en 1537, son successeur Paul III, révolté par l'ampleur de la traite atlantique, condamne l'esclavage. Mais ses injonctions n'ont aucun écho chez les planteurs et les marchands du Nouveau Monde.
Un premier pas avec l'interdiction de la traite d'êtres humains
Le projet radicalement nouveau qui a nom « abolitionnisme » apparaît seulement au XVIIIe siècle.
Il naît dans les cercles philanthropiques anglais, à l'initiative de personnalités généreuses comme Granville Sharp. Il se diffuse outre-Atlantique chez les Quakers de Pennsylvanie.
En 1770, ces protestants austères et rigoureux s'interdisent la possession d'esclaves. Un peu plus tard, en 1777, l'esclavage est pour la première fois au monde mis hors la loi dans la colonie anglaise du Vermont, en Nouvelle-Angleterre.
Les idées abolitionnistes se diffusent en Angleterre quand John Wesley, l'un des fondateurs de l'église méthodiste, de retour d'Amérique, publie Thoughts on Slavery (Réflexions sur l'esclavage) en 1774.
Le mouvement abolitionniste s'amplifie avec la fondation en 1787 à Londres de la « Société pour l'abolition de la traite » (« Society for the abolition of the Slave Trade ») par une douzaine de militants chrétiens. Réalistes, ces militants se gardent de réclamer d'emblée l'abolition de l'esclavage proprement dit, car ils estiment que les planteurs des colonies sont encore trop puissants pour l'accepter.
Le 12 mai 1789, au Parlement de Westminster, William Wilberforce, un jeune député fraîchement converti à une église évangélique, prononce un premier et virulent discours en faveur de l'abolition de la traite, c'est-à-dire la déportation des Africains en Amérique ou dans les îles tropicales, où ils doivent travailler sur les plantations de coton ou de canne à sucre.
Le « rossignol des Communes », soutenu par son ami, le Premier ministre William Pitt, va renouveler son offensive parlementaire, année après année, obstinément, jusqu'au succès final...
L'initiative anglaise trouve un écho outre-Manche avec la création en 1788 de la «Société des Amis des Noirs » par l'abbé Henri Grégoire, le journaliste Jean-Pierre Brissot et quelques autres personnalités remarquables comme les marquis de Condorcet, de Mirabeau ou de La Fayette. Moins réalistes que les Anglais, les Français ne craignent pas de réclamer d'emblée la prohibition de l'esclavage.
Dans le discours lu par le ministre Jacques Necker devant les députés des états généraux le 5 mai 1789, le roi Louis XVI lui-même fait part de sa solliciture à l'égard des esclaves : « Un jour viendra peut-être, Messieurs, où vous étendrez plus loin votre intérêt ; un jour viendra peut-être où, associant à vos délibérations les députés des colonies, vous jetterez un regard de compassion sur ce malheureux peuple dont on a fait un barbare objet de trafic ; sur ces hommes semblables à nous par la pensée et surtout par la triste faculté de souffrir ; sur ces hommes que, sans pitié pour leurs douloureuses plaintes, nous accumulons, nous entassons au fond d'un vaisseau pour aller ensuite à pleines voiles les présenter aux chaînes qui les attendent.
Quel peuple aurait plus de droits que les Français à adoucir un esclavage considéré comme nécessaire, en faisant succéder aux maux inséparables de la traite d'Afrique, aux maux qui dévastent deux mondes, ces soins féconds et prospères qui multiplieraient dans les colonies mêmes les hommes destinés à nous seconder dans nos utiles travaux ! », est-il écrit.
L'esclavage est condamné de façon implicite dans l'article premier de notre Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen, adoptée par l'Assemblée nationale, sous le règne de Louis XVI : « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits » (26 août 1789). Mais les députés, dont certains sont très proches des milieux d'affaires coloniaux, ne sont prêts à en tirer les conséquences. Trop d'intérêts financiers sont en jeu.
Lors de la célèbre Nuit du 4-Août, qui voit l'abolition des privilèges féodaux, le duc François de La Rochefoucaud-Liancourt propose en vain « l'abolition de l'esclavage des Nègres » dans les colonies (note). Tout au long des mois suivants, il s'ensuit des débats virulents à l'Assemblée sur l'opportunité de libérer les esclaves. Mais les députés s'en tiennent à des demi-mesures concernant les « libres de couleur ».
Des esclaves « marrons » (en fuite) les prennent au mot dans la lointaine colonie de Saint-Domingue. Ils se soulèvent à Bois-Caïman dès le 23 août 1791 et réclament une citoyenneté pleine et entière.
Le désordre s'installe dans la riche colonie et les planteurs menacent d'en appeler aux Anglais. Le commissaire de la République, l'avocat Léger-Félicité Sonthonax, ne voit bientôt plus d'issue que d'émanciper les esclaves. À la suite de quoi les députés de la Convention eux-mêmes décident de l'abolition de l'esclavage par l'Édit de Pluviôse (4 février 1793). La mesure inclut ipso facto l'interdiction de la traite.
Dans les années suivantes, Saint-Domingue va acquérir son indépendance sous le nom d'Haïti et le général Bonaparte, devenu Premier Consul, va imposer le retour au statu quo dans les colonies qu'aura conservée la France. L'édit du 20 mai 1802 va ramener l'esclavage à la Guadeloupe et en Guyane.
Les idéaux abolitionnistes vont toutefois perdurer sous l'Empire, au sein de l'opposition libérale, laquelle se réunit périodiquement au château de Coppet, en Suisse, autour de Madame de Staël et Benjamin Constant.
Les premiers à agir contre la traite atlantique ont été en définitive les Danois. Sous l'influence des idées philosophiques, le ministre des Finances de ce petit royaume, Ernst Schimmelmann, convainc ses concitoyens de la prohiber en 1792 pour des raisons morales bien sûr mais aussi économiques. À juste titre, il la juge peu rentable et ne justifiant pas les avantages fiscaux concédés aux compagnies de traite. Un délai de dix ans est accordée aux négriers danois pour s'adapter, ce qui entraîne une accélération du trafic jusqu'en 1803, l'année précédant l'entrée en application de l'interdiction.
L'Angleterre interdit à son tour la traite en 1807. Les États-Unis l'imitent l'année suivante et interdisent à leur tour la traite. Mais ils se gardent d'abolir l'esclavage car, dans cette jeune république, le développement tout récent de la culture du coton va réclamer une main-d'oeuvre servile plus abondante que jamais !
L'interdiction de la traite est enfin avalisée au niveau occidental par le congrès de Vienne en 1815. Mais aux États-Unis comme ailleurs, les milieux d'affaires coloniaux se refusent pour l'heure à émanciper leurs esclaves...
Ému par les confessions d'un ancien marin, le peintre anglais William Turner représente en 1840 cette scène d'horreur. On voit un navire négrier qui, menacé par un typhon, se déleste de ses esclaves malades ou mourants...
Abolir l'esclavage enfin
Sitôt la traite interdite par le Parlement de Westminster, William Wilberforce s'engage avec vigueur dans le combat pour l'abolition de l'esclavage. En 1823, il participe à la fondation de la « Société anti-esclavagiste » (« Anti-Slavery Society »). Atteint par l'âge, il transmet le flambeau à Thomas Fowell Buxton. Le 26 juillet 1833, celui-ci soumet au vote de la Chambre des Communes une loi d'émancipation qui abolit l'esclavage dans toutes les colonies britanniques en prévoyant de confortables indemnités pour les planteurs.
La France, à son tour, en 1848, quinze ans après les Anglais abolit l'esclavage (abstraction faite de l'abolition sans lendemain de 1794). Les États-Unis s'y rangent à leur tour en 1865 avec un XIIIe amendement à leur Constitution. Le dernier pays chrétien à abolir l'esclavage est l'Empire du Brésil, en 1888. Cette mesure d'humanité vaut à l'empereur d'être déposé l'année suivante par la bourgeoisie de son pays !
En dépit de tout cela, rappelons que l'esclavage et la traite perdurent et même reprennent force en ce XXIe siècle dans différentes parties du monde, sous des formes mutantes...
Le génocide voilé (Tidiane N'Diaye)
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Boutté Jacques (05-02-2013 06:47:21)
Dommage de ne pas dire l'opinion de M.de Voltaire sur ce sujet.Eût-il été du même avis que M.de Larochefoucauld-L. ?