4 février 1794

La Convention abolit l'esclavage

Le 16 pluviôse an II (4 février 1794), la Convention vote l'abolition de l'esclavage dans les colonies françaises (ou ce qu'il en reste). Cette mesure méritante, imposée par les circonstances plus que voulue, sera abrogée dès la fin de la Révolution.

Camille Vignolle

Abolition de l'esclavage par la Convention le 16 Pluviose An II, allégorie révolutionnaire

Les précurseurs

Dès avant la Révolution française, l'abbé Henri Grégoire milite en faveur de l'intégration des noirs ainsi que des juifs.

L'abbé Henri Grégoire, ami des hommes de toutes les couleurs (musée des Beaux-Arts de Besançon)Le 19 février 1788, avec quelques nobles libéraux comme les marquis de Mirabeau, de Lafayette et de Condorcet, il fonde la « Société des Amis des Noirs ». Elle est calquée sur une société fondée quelques mois plus tôt par des Quakers anglais.

Quelques dizaines d'autres Français éclairés partagent leur combat. Parmi eux l'abbé Reynal, l'écrivain Jean-Sébastien Mercier, Loménie de Brienne, Pétion...

Plus utopistes que les abolitionnistes anglais, notamment William Wilberforce, ils réclament non seulement la fin de la traite (l'achat de noirs en Afrique et leur revente en Amérique) mais aussi l'abolition immédiate de l'esclavage proprement dit.

Querelles autour des grands principes

Quand, au début de la Révolution, la célèbre Nuit du 4 août met fin aux privilèges féodaux, seul le duc de La Rochefoucauld-Liancourt envisage d'étendre aux esclaves le principe d'égalité devant la Loi. Un peu plus tard, quand les députés promulguent la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen, celle-ci n'a de retentissement que chez les planteurs blancs des colonies. lls imaginent déjà de prendre leur indépendance à la manière des Nord-Américains, au nom de la liberté.

L'Assemblée Constituante fait un modeste pas en avant vers l'émancipation des personnes de couleur en accordant en mars 1790 quelques droits politiques aux mulâtres et aux noirs affranchis. C'est manifestement insuffisant !...

Le 15 mai 1791, le débat fait à nouveau rage à l'Assemblée nationale. Les représentants des colonies, qui sont des planteurs de souche noble, menacent de se séparer de la métropole si l'on abolit l'esclavage. Ils justifient son maintien en invoquant le droit de propriété inscrit dans la Déclaration (« article XVII : La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n'est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l'exige évidemment, et sous la condition d'une juste et préalable indemnité») !

Cela n'empêche pas un député, Pierre Samuel Dupont de Nemours, de plaider courageusement pour l'abolition au nom des grands principes : « On nous menace du ressentiment de ces nobles d'outre-mer... Ils se consoleront comme se sont consolés les nobles français qui avaient un peu de sens. Si toutefois cette sécession devait avoir lieu, il vaudrait mieux sacrifier la colonie plutôt qu'un principe ». Finalement, l'Assemblée se contente d'accorder le droit de vote à certains hommes de couleur libres.

Le 28 mars 1792, la nouvelle Assemblée législative fait un nouveau pas en avant et établit une égalité de droit entre tous les hommes libres (à l'exception des esclaves).

Les esclaves se révoltent

Ces demi-mesures et ces dissensions ne satisfont guère les esclaves. À Trois-Rivières, au sud de la Guadeloupe, une des petites Antilles, une révolte aussi brève que violente éclate dans la nuit du 20 avril 1793. Plusieurs blancs sont massacrés.

Jean-Baptiste Belley  (1747, Sénégal - 6 août 1805, Belle-ÃŽle) À Saint-Domingue (aujourd'hui Haïti), la principale et la plus riche de toutes les colonies françaises, affranchis et esclaves se soulèvent sous le commandement d'un chef nommé Toussaint Louverture.

Devant ce soulèvement et les menaces d'invasion anglaise et espagnole, les commissaires de la République française à Saint-Domingue, Sonthonax et Polverel, se résignent à proclamer la liberté générale des esclaves. C'est chose faite le 29 août 1793 dans la province du Nord et le 4 septembre dans les parties ouest et sud.

Trois députés sont élus par la colonie, un blanc, Jean-Baptiste Mills, un mulâtre, Louis-Pierre Dufay, et un noir originaire du Sénégal, Jean-Baptiste Belley.

Ils arrivent à Paris en janvier 1794 après un détour par les États-Unis. Il leur revient d'informer l'assemblée de la décision impromptue des commissaires de Saint-Domingue. Après avoir passé quelques jours en prison, ils sont enfin reçus à la Convention sous les acclamations et reçoivent l'accolade du président de l'assemblée.

Suite à un discours poignant de Dufay, la Convention vote enfin dans l'enthousiasme, sur une proposition des députés Lacroix, Danton et Levasseur, le décret qui abolit l'esclavage dans toutes les colonies. Il énonce : « La Convention déclare l'esclavage des nègres aboli dans toutes les colonies ; en conséquence, elle décrète que tous les hommes, sans distinction de couleur, domiciliés dans les colonies, sont citoyens français et jouiront de tous les droits assurés par la Constitution. »

Le vote des Conventionnels, si remarquable soit-il, passe inaperçu dans l'opinion publique. Il est aussi à noter que, quelques décennies plus tard, Jules Michelet ne lui accorde aucune place dans sa monumentale Histoire de la Révolution française, car le grand historien républicain réserve toute son attention aux luttes internes en métropole.

Après avoir servi la Révolution, le député Belley meurt en 1802 à l'hôpital militaire de Belle-Île-en-mer. Dufay, revenu s'établir à Saint-Domingue, devenue indépendante sous le nom de Haïti, se suicide pour échapper à Dessaline lorsque celui-ci s'empare du pouvoir.

Apaisement

Abolition de l'esclavage (1794), allégorie, bureau du patrimoine du Conseil régional de la Martinique. Agrandissement : Moi libre, figure allégorique. Le personnage, ancien esclave des colonies françaises, porte un habit révolutionnaire, avec couleur tricolore, sans culotte et bonnet phrygien. Autour du coup il porte un niveau de charpentier, symbole de l'égalité, Paris, BnF.Le décret de Pluviôse est appliqué de façon très variable selon les colonies.

• Dans l'Océan Indien, l'île de la Réunion et l'île de France (aujourd'hui île Maurice), qui forment l'archipel des Mascareignes, les colons ignorent proprement le décret. L'île de France, plus tard annexée par Londres, attendra 1833 pour abolir l'esclavage et la Réunion, restée française, 1848.

Dans les petites Antilles, les Anglais s'emparent de la Martinique et de la Guadeloupe avant que le décret ne prenne effet.

• La Martinique sera restituée aux Français par la paix d'Amiens, après l'abolition du décret (1802). Dans cette île, l'esclavage ne sera donc pas aboli avant l848.

• En Guadeloupe, par contre, les Anglais sont chassés dès mai 1794 par un ancien corsaire d'origine marseillaise, Victor Hugues, à la tête d'un millier d'hommes. Beaucoup de planteurs choisissent d'émigrer et leurs propriétés sont mises sous séquestre par les représentants de la République.

Victor Hugues, nouveau maître de l'île, peut enfin appliquer le décret de Pluviôse mais les esclaves, à peine libérés de leurs chaînes, sont aussitôt astreints à travailler comme salariés sur les plantations. Beaucoup se révoltent en 1797 contre leurs nouveaux maîtres (blancs ou affranchis de couleur au service de la République). 

• En Guyane, une colonie périphérique du littoral sud-américain, l'application du décret ne soulève pas d'opposition majeure.

• Par contre dans la grande et riche île de Saint-Domingue, les planteurs appellent les Anglais sitôt voté le décret de Pluviôse ! Le chef des esclaves insurgés, Toussaint Louverture, voyant cela, se rallie au gouvernement de la Révolution et combat les Anglais qui ont débarqué en masse sur l'île. En octobre 1798, le dernier Anglais quitte l'île. Toussaint Louverture, fort de son succès, annexe la partie espagnole de l'île. Il rétablit la prospérité en imposant, comme en Guadeloupe, le travail forcé. Le 8 juillet 1801, il proclame l'autonomie de Saint-Domingue et se nomme Gouverneur général à vie de la nouvelle République. À Paris, le Premier consul Napoléon Bonaparte n'apprécie guère la chose.

Rétablissement de l'esclavage

En 1801, Bonaparte envoie à Saint-Domingue une puissante expédition militaire pour reprendre possession de l'île, sous le commandement de son beau-frère, le général Charles Leclerc. Ce sera un dramatique échec.

L'année suivante, il envoie en Guadeloupe une autre expédition sous le commandement du général Antoine Richepance pour réprimer une insurrection conduite par un ancien officier de la Révolution, Louis Delgrès, fils d'un planteur blanc de la Martinique et d'une mulâtresse. Au prix de nombreuses atrocités, Richepance réussit à reprendre l'île aux insurgés et à y rétablir l'esclavage. Ce faisant, il va plus loin que le décret du 20 mai 1802, qui excluait la Guadeloupe des colonies où devait être restauré l'esclavage !

La France, qui a été en 1794 le premier États du monde à tenter d'en finir avec l'esclavage ne l'abolira définitivement qu'en 1848, soit quinze ans après le Royaume-Uni.

Notons que la traite atlantique (l'achat de captifs en Afrique et leur revente aux Amériques) n'est pas concernée par l'édit de Pluviôse. Simplement parce que la guerre l'a suspendue. Elle reprendra de plus belle sitôt après le décret-loi de Bonaparte qui rétablira l'esclavage.

Publié ou mis à jour le : 2024-01-31 17:14:39
Boutté (05-02-2018 08:37:03)

Haïti, moitié francophone d'Hispanola"la plus riche colonie" est devenu pays de misère alors que celle hispanophone dite St.Domingue vit fort bien . Quelles en sont les causes ?

Renaud (22-06-2006 00:23:06)

J'avoue avoir du mal à comprendre votre commentaire cher Claude, ces esclaves étaient chrétiens pour la plupart, certains étaient déjà chrétiens (notamment ceux originaires du Congo) quand ils ... Lire la suite

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