18 novembre 1803

Haïti chasse les Français

Le 18 novembre 1803, à Vertière, près du Cap-Français, au nord de l'île de Saint-Domingue, une bataille met fin à la tentative de Napoléon Bonaparte, Premier consul de la République française, de restaurer la souveraineté de la France sur l'île. 

Les débris de l'armée française commandés par  le général Donatien de Rochambeau capitulent devant les anciens esclaves, sous le commandement de Jacques Dessalines. La colonie française devient six semaines plus tard le premier État noir indépendant sous le nom de Haïti.

Fabienne Manière

Bataille de Vertière (Saint-Domingue), 18 novembre 1803.

Triomphe de Toussaint Louverture

Dix ans plus tôt, les députés de la Convention avaient voté l'abolition de l'esclavage et mis fin à la révolte des noirs exploités dans les plantations de Saint-Domingue.

Portrait de Toussaint LouvertureLe chef des révoltés, Toussaint Louverture, s'était rallié à la Convention, avait obtenu le grade de général et libéré l'île des Anglais.

Mais Toussaint Louverture ne voulut pas en rester là. Le 8 juillet 1801, il occupa la partie orientale de l'île et se nomma Gouverneur général à vie de l'île réunifiée. Sans trop s'embarrasser de grands principes, il laissa les planteurs rétablir une forme de travail forcé, très proche de l'esclavage d'antan. L'île renoua avec la prospérité d'antan.

Il mena dès lors une politique indépendante et signa des contrats de commerce avec les États-Unis et la Grande-Bretagne. C'est plus que n'en put supporter Bonaparte (lequel n'avait pas agi autrement lors de sa campagne d'Italie, quand il recomposa la carte de l'Italie sans en référer à son gouvernement !).

Bonaparte avait accédé au pouvoir à Paris avec le titre de Premier Consul et s'appliquait à « clore la Révolution », autrement dit stabiliser le pays et instaurer la paix tout en préservant les conquêtes politiques et militaires de la décennie écoulée. 

Face à l'Angleterre, dernière puissance européenne à résister à la France, il aspirait à restaurer l'empire colonial de la France et ne pouvait concevoir de laisser la principale de ses colonies s'émanciper et, pire, se rapprocher de la « perfide Albion ». Il décida donc de rétablir à Saint-Domingue la souveraineté française.

Bonaparte intervient à Saint-Domingue et en Guadeloupe

Le 14 décembre 1801, une flotte de 36 navires appareille de Brest, sous le commandement de l'amiral Louis Thomas Villaret de Joyeuse. En février 1802, elle débarque une première armée de 23 000 hommes au Cap-Français, sous le commandement du général Charles Leclerc, mari de Pauline Bonaparte et beau-frère du Premier consul.

Par ailleurs, une expédition de onze navires quitte Brest et arrive à Pointe-à-Pitre le 2 mai 1802. Elle amène en Guadeloupe 3500 hommes sous le commandement du général Antoine Richepance. L'île, petite, est rapidement soumise et les insurgés sont impitoyablement massacrés par les héritiers de la Révolution. Tous les soldats de couleur capturés sont déportés en métropole (dont quatre cents en Corse !).

Dans le même temps, l'esclavage est rétabli sur l'île conformément au décret du 30 Floréal An X (20 mai 1802) et à l'arrêté du 16 juillet suivant : les hommes de couleur perdent leur citoyenneté et les travailleurs des plantations leur droit à un salaire.

Trahisons en série à Saint-Domingue

Le Général Antoine RichepanceÀ Saint-Domingue, l'arrivée du corps expéditionnaire français a suscité un soulèvement général des anciens esclaves. Le général Henri Christophe, adjoint de Toussaint Louverture, met le feu à Cap-Français, qui avait la réputation d'être la « perle des Antilles ».

Le 7 juin 1802, Leclerc invite Toussaint Louverture à conférer avec lui à la plantation Georges. À peine le chef noir s'y présente-t-il qu'il est arrêté par traîtrise.

François Toussaint Louverture et sa famille quittent les chaleurs tropicales (sur un navire dénommé le Héros !). À l'instant de monter sur le navire, selon la chronique, le prisonnier prononce ces mots célèbres : « En me renversant, on n'a abattu à Saint-Domingue que le tronc de l'arbre de la liberté, mais il repoussera car ses racines sont profondes et nombreuses ». Par un raffinement de cruauté, il est enfermé sans jugement dans l'un des endroits les plus froids qui existent en France ! C'est le fort de Joux, dans le Jura. Il y meurt le 7 avril 1803 (ses cendres seront restituées à Haïti le 25 mars 1983).

Charles Leclerc réussit là-dessus à rallier à sa cause l'un des adjoints de Toussaint Louverture, Jacques Dessalines. Celui-ci traque sans pitié ses rivaux avec le dessein de se retourner ensuite contre les Français et de rester seul maître de l'île.

Mais le 13 octobre 1802, apprenant avec quelle brutalité l'esclavage a été rétabli à la Guadeloupe, le chef des mulâtres de Saint-Domingue, Alexandre Pétion, entre à son tour dans la rébellion. Quelques semaines plus tard, il est rejoint par Christophe et surtout par Dessalines, avec lequel il forme le serment de chasser les troupes françaises. C'est le « serment des ancêtres ».

Au même moment, le vent tourne pour le corps expéditionnaire. Le 2 novembre 1802, le beau-frère du Premier Consul meurt lui-même victime de la fièvre jaune comme la grande majorité de ses soldats. Un nouveau renfort de 10 000 hommes est expédié à Saint-Domingue sous le commandement du vicomte Donatien de Rochambeau (fils du commandant du corps expéditionnaire français dans la guerre d'Indépendance des États-Unis). Rochambeau n'obtient pas de meilleur résultat en dépit de son extrême cruauté. Ainsi dresse-t-il des chiens de combat pour poursuivre et déchiqueter les rebelles noirs.

Avec deux mille hommes épuisés, il est finalement assiégé en un lieu dit fort Vertières. Après des affrontements meurtriers avec les troupes rebelles des généraux Capois et Dessalines, Rochambeau se résigne à la reddition le 18 novembre 1803. Jean-Jacques Dessalines, successeur de Toussaint Louverture, lui laisse dix jours pour quitter l'île.

L'hécatombe

Le Serment des ancêtres entre le général mulâtre Alexandre Pétion et le général noir Jean-Jacques Dessalines, novembre 1802 (allégorie, 1822, Guillaume Guillon-Lethière, Musée national, Haïti)Les garnisons françaises de l'île capitulent les unes après les autres et l'ancienne colonie proclame son indépendance le 1er janvier 1804. Elle prend le nom de Haïti que donnaient à l'île ses premiers habitants amérindiens. 

Notons que le jour de la bataille de Vertière, un petit détachement de soldats polonais a fait défection et s'est rallié aux insurgés. Ils vont acquérir le droit de s'installer dans la nouvelle République avec la qualité de « Noirs », la nouvelle Constitution du pays ayant décrété que tous les citoyens sont « Noirs » ! De fait, à ces exceptions près, tous les planteurs et habitants blancs qui n'auront pas assez tôt quitté le territoire vont être massacrés par Dessalines dès février-mars 1804, soit au total 3 000 à 4 000 personnes.

Au total, c'est près de 70 000 hommes que le Premier Consul aura détourné de la métropole dans le seul but de rétablir le système esclavagiste à Saint-Domingue. 55 000 d'entre eux auront laissé leur vie sous les tropiques, victimes des anciens esclaves ou des fièvres.

Les guerres serviles, en une dizaine d'années, auront causé qui plus est la mort violente d'environ 200 000 habitants de Saint-Domingue, soit près du tiers de la population de l'île.

Chez les planteurs de Saint-Domingue réfugiés en France, le choc moral occasionné par la perte de la colonie est comparable à celui qu'a provoqué beaucoup plus tard la perte de l'Algérie. Ainsi que le note l'historien Frédéric Régent, c'est à ce moment-là que se diffusent dans le public les notions de race blanche et race noire, jusque-là cantonnées dans le domaine scientifique.

La tentative de reconquête de Haïti débouche sur un fiasco humain et moral au moins aussi important que celui de l'expédition d'Égypte. Néanmoins, la réputation du Premier consul sur le continent européen n'aura pas à en souffrir et les Français eux-mêmes se dépêcheront d'oublier cet épisode peu glorieux de la Première République.

Définitivement dégoûté des aventures coloniales, le Premier consul renonce au mirage colonial et n'attend pas le retour de son corps expéditionnaire d'Haïti pour vendre aux États-Unis les possessions françaises de Louisiane.

Beaucoup plus tard, à Sainte-Hélène, il confessera son erreur... et livrera les clés du succès des futures entreprises coloniales : « L’affaire de Saint-Domingue a été une grande sottise de ma part… On pouvait tout entreprendre contre la Jamaïque et toutes les Antilles, contre l’Amérique méridionale avec une armée de trente mille Noirs qu’auraient organisés et instruits des officiers français employés seulement comme instructeurs… Je suis coupable d’imprévoyance de n’avoir pas reconnu l’indépendance des hommes de couleur de Saint-Domingue et le gouvernement des hommes de couleur » (Mémorial de Sainte-Hélène).

Publié ou mis à jour le : 2023-11-20 12:09:11
Michèle (24-06-2020 17:00:22)

Dans "Le domaine colonial Français (1931), on lit : La traite fut pratiquée des le début de la politique coloniale de Richelieu. Sous Colbert, elle prit une réelle extension grâce à un système ... Lire la suite

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