La ville de Roméo et Juliette est nimbée d’une atmosphère romantique… qui fait souvent oublier son importance stratégique et patrimoniale.
Considérée comme la clé de l’Italie du Nord-Est, près du lac de Garde et des Alpes, Vérone fut longtemps disputée au cours des siècles par les grandes puissances européennes. C'est aujourd'hui une ville paisible et prospère de 250 000 habitants, à mi-distance de Venise et Milan.
Son histoire mouvementée n’empêcha pas l’éclosion d’un extraordinaire foyer artistique qui se poursuit de nos jours, comme le prouve la renaissance du Palazzo Maffei, magnifique palais baroque qui abrite une grande collection d’art et encourage la création contemporaine...
La ville romaine
Située au carrefour de trois grandes voies romaines (la via Postumia reliant Gênes à Aquileia, la via Gallica menant en Gaule, et la via Claudia-Augusta conduisant vers la Germanie), la ville de Vérone se développa rapidement au point de devenir un municipe en 49 avant notre ère.
Le tracé des rues principales (cardo et decumanus) constitue encore aujourd’hui le plan du centre historique, situé stratégiquement dans une boucle de l’Adige.
De multiples vestiges romains, réalisés en pierre blanche ou dans les marbres de couleur abondants dans la région, sont encore visibles, comme le pont de pierre réalisé au Ier siècle avant notre ère et la porte Borsari (appelée dans l’Antiquité Porta Jovia en raison de sa proximité avec le temple de Jupiter).
L’arc des Gavi, édifié par l’architecte Lucius Vitruvius Cerdone Libertus, élève du célèbre Vitruve, commémore la générosité de la famille Gavia qui finança la construction d’un aqueduc et d’un théâtre réalisé à flanc de colline (sur plus de 60 mètres de dénivelé), qui compte parmi les théâtres romains les mieux conservés d’Italie du Nord. Né à Vérone, le poète Catulle aurait d’ailleurs passé son enfance dans une maison bâtie sur cette même colline.
La richesse de ce passé antique fut redécouverte très tôt par les grandes familles véronaises. Dès 1712, Scipione Maffei, passionné d’épigraphie, réunit une importante collection de plus de 600 œuvres qui est à l’origine d’un extraordinaire Musée lapidaire.
Les spectaculaires « arènes de Vérone » sont en réalité un amphithéâtre antique qui accueillait des combats de gladiateurs. Après le Colisée et l’amphithéâtre de Capoue, il s’agit du plus grand édifice de spectacle du monde romain encore conservé. Il fut construit au début du Ier siècle de notre ère (soit une cinquantaine d’années avant le Colisée) dans un élégant appareil alternant calcaire blanc et marbre rose qui dissimulait à l’origine la structure en brique et agglomérat de sédiments. Il compte ainsi parmi les premiers amphithéâtres permanents qui furent bâtis afin de remplacer les structures de bois temporaires.
Conçu pour accueillir le nombre colossal de 30 000 spectateurs (bien plus que l’ensemble des habitants de la cité antique), il mesure 153 mètres de longueur, 128 de largeur et plus de 30 mètres de hauteur. Et pourtant, il a perdu la majeure partie de son enceinte extérieure (dont il ne demeure que quatre arcades) à la suite d’un tremblement de terre en 1117, mais aussi à force de servir de carrière de pierre… jusqu’à ce que le pillage fut interdit par une loi en 1450 reconnaissant la valeur de ce monument qui « faisait honneur à la cité ».
Des travaux de réparation furent entrepris dès cette époque et l’amphithéâtre accueillit au fil des siècles de nombreux spectacles (tournois, joutes équestres, combats d’animaux,…) mais aussi des duels judiciaires, et même des prêches de saint François d’Assise et de saint Antoine de Padoue.
Cette longue tradition fut ravivée en 1913, en l’honneur du centenaire de la naissance de Verdi, par la création d’un festival d’opéra. Il s’ouvrit le 10 août 1913 par une représentation d’Aïda qui fit date grâce à sa scénographie : la présence de véritables éléphants sur scène fit sensation. Ce festival, aujourd’hui plus que centenaire, compte parmi les plus renommés au monde.
De l’Antiquité au Moyen Âge
C’est près de Vérone que Théodoric, roi des Ostrogoths, remporta une bataille décisive contre Odoacre en 489. Cette victoire lui ouvrit les portes de l’Italie.
Le nouveau souverain, parfois appelé « Théodoric de Vérone », construisit un palais dans la ville qui devint l’une de ses résidences favorites.
Un siècle plus tard, ce furent les Lombards qui firent de l’ancienne cité romaine leur deuxième capitale. En 775, le dernier roi lombard, Adalgis, fut vaincu par Charlemagne qui confia la ville et son territoire à son fils Pépin. Vérone devint l’un des centres les plus importants du royaume carolingien d’Italie. C’est dans cette ville que fut assassiné en 924 le roi Bérenger Ier.
En 950, la mort du roi Lothaire, probablement empoisonné par Bérenger II qui s’empara alors du trône, provoqua l’intervention du roi de Germanie, Otton Ier. Il épousa la veuve de Lothaire, Adélaïde, et se fit proclamer roi d’Italie en 951. La réunion des couronnes de Germanie et d’Italie allait mener à la fondation du Saint Empire romain germanique en 962.
La basilique qui porte le nom du 8e évêque de Vérone, devenu saint patron de la ville, est l’une des plus belles églises romanes de style lombard. Elle fut reconstruite à plusieurs reprises depuis sa fondation au IVe siècle, sur l’ordre du roi Pépin en 805, puis de l’empereur Otton en 963, et enfin après le tremblement de terre de 1117.
L’église est célèbre pour ses portes de bronze sculptées de scènes religieuses aux XIe et XIIe siècles, et surtout pour le spectaculaire triptyque d’Andrea Mantegna (1457-1459), représentant la Vierge à l’Enfant entourée de saints, qui est considéré comme l’œuvre d’art la plus importante de Vérone. L’artiste y révèle sa parfaite maîtrise de la perspective, mais aussi du modelé des corps inspiré par la statuaire antique. Ce chef-d’œuvre de la Renaissance connut par la suite une histoire mouvementée. Comme tant d’autres œuvres d’art, il fut emporté à Paris en 1797, puis restitué selon les termes du traité de Vienne en 1815… mais seulement en partie.
Les trois panneaux centraux où trône la Vierge à l’Enfant et la structure architecturale dorée du retable regagnèrent Vérone, mais non les trois panneaux de la prédelle (partie inférieure du retable). Ils furent remplacés dans la basilique de Saint Zénon par des copies, car les originaux se trouvent toujours parmi les collections italiennes conservées dans la Grande Galerie du musée du Louvre (La Crucifixion) et au musée des Beaux-Arts de Tours (Le Christ au jardin des Oliviers et La Résurrection).
La famille della Scala
Rattachée au duché de Bavière, Vérone fut administrée par des comtes et évêques allemands jusqu’en 1164. À cette date, Venise, Vérone, Vicence et Padoue s’unirent pour former la Ligue de Vérone afin de s’opposer à la politique de l’empereur Frédéric Ier.
Par la Paix de Constance, Vérone devint une commune libre, d’abord dirigée par des consuls, puis par un podestat. Mais les familles nobles se divisèrent rapidement en deux factions, l’une menée par les Conti, l’autre par les Monticoli. Cela conduisit l’empereur à intervenir pour soutenir Ezzelino da Romano qui établit un pouvoir personnel entre 1232 et 1259.
En 1261, Mastino della Scala fut nommé « capitaine du peuple ». Ce fut le début d’une époque faste pour Vérone qui fut gouvernée pendant plus d’un siècle par ses descendants. La famille della Scala (aussi appelée Scaliger) favorisa le commerce et les arts, en développant de nombreuses manufactures et en édifiant d’importants monuments. Vérone y gagna le surnom de « marmoréenne » en raison de l’utilisation massive du marbre, et en particulier de son marbre rose très réputé.
Can Grande della Scala entreprit de conquérir un vaste territoire qui comprenait notamment Vicence, Padoue, Trévise,… Il est également célèbre pour avoir secouru Dante. Condamné à mort à Florence, l’auteur de La Divine Comédie trouva refuge à Vérone en 1303, puis s’y établit de 1313 à 1318, années pendant lesquelles il fit publier L’Enfer et Le Purgatoire. L’idée des cercles de l’Enfer lui aurait peut-être été inspirée par les couloirs circulaires de la structure interne des arènes de Vérone.
L’imposante forteresse de Castelvecchio et son pont fortifié, aux créneaux en forme de V, caractéristiques de l’architecture gibeline, prouvent la puissance des Scaliger et leur lien avec le Saint Empire romain germanique. Les tombeaux spectaculaires de cette dynastie (Arche Scaligere) comptent parmi les chefs-d’œuvre de la sculpture gothique.
Sous le contrôle de Venise
Cette période d’indépendance prit fin en 1387, lorsque Vérone fut vaincue par Milan. La ville passa alors au pouvoir des Visconti, puis en 1405 de la République de Venise.
À l’exception de quelques années (de 1509 à 1517) pendant lesquelles la Cité des Doges dut céder la ville à l’empereur Maximilien avant de la racheter pour 200 000 ducats, Vérone devint l’un des centres majeurs des états de terre ferme de la Sérénissime République. Elle l’administrait par l’intermédiaire de deux recteurs. Le Lion de Saint Marc est encore visible sur de nombreux édifices.
Pendant cette longue période de stabilité politique, Vérone demeura un grand foyer artistique. L’architecte Michele Sanmicheli réalisa de nombreux édifices dans le nouveau style architectural de la Renaissance, comme le sanctuaire de la Madonna di Campagna, la façade de l’église Santa Maria in Organo, ou encore les portes monumentales de la ville : la Porta Nuova et la Porta Palio.
Parmi les peintres, on peut citer Stefano da Verona, l’un des derniers représentants du style gothique international, auteur d’une célèbre Madone au rosier, Liberale da Verona dont l’Adoration des Mages fait partie des grands tableaux d’autel de la cathédrale, Gerolamo dai Libri, qui doit son nom à son talent de peintre miniaturiste, et surtout Antonio Pisano, dit Pisanello, formé auprès de Stefano da Zevio et Gentile da Fabriano.
Ses fresques font la gloire des églises de Vérone : l’Annonciation et les archanges Michel et Raphaël pour le mausolée Brenzoni (1426) dans l’église de San Fermo, et le célèbre Saint Georges délivrant la princesse (vers 1435) dans l’église de Sant’Anastasia.
Un siècle plus tard, Paolo Caliari (1528-1588), dit Véronèse, fit la gloire de sa ville natale dont il tira son surnom. Formé par le peintre véronais Antonio Badile, il fit carrière à Venise où l’on ne compte plus le nombre de ses réalisations.
Reconstruite à de multiples reprises depuis sa fondation au IVe siècle, la cathédrale mêle les styles romans (porches de la façade), gothique, classique… Elle renferme des chefs-d’œuvre de grands artistes véronais et vénitiens, et notamment une Assomption de Titien. De style plus homogène, l’église de Sant’Anastasia, construite de 1290 à 1481, constitue un parfait exemple de l’architecture gothique véronaise et de son goût pour l’alternance des teintes blanches et rouges. Ces couleurs se retrouvent dans l’église de San Fermo constituée de deux niveaux : une église basse romane qui constitue un rare exemple de nef à quatre vaisseaux, et une église supérieure à la magnifique voûte en bois.
Palazzo Maffei
Le plus imposant palais de Vérone fut construit dans les années 1660 pour la prestigieuse famille Maffei qui avait fait fortune grâce à ses activités financières et bancaires. Il s’élève sur les fondations du temple antique de Jupiter Capitolin qui dominait l’ancien forum romain (devenu par la suite la Piazza delle Erbe, la grande place du marché aux légumes depuis le Moyen Age).
Retrouvée au moment de la construction, une statue antique d’Hercule surmonte la somptueuse façade baroque. Elle fut complétée par une série de statues d’autres divinités, Jupiter, Vénus, Mercure, Apollon et Minerve. Le palais, resté en mains privées depuis sa construction, a récemment ouvert au public. Il présente une collection de plus de 500 œuvres (peintures, sculptures, objets d'art) de l'Antiquité à nos jours réunie par l’homme d’affaires Luigi Carlon.
Sa restauration a mis au jour des belles fresques du XVIIe et du XVIIIe siècle, et redonné son importance à l’escalier hélicoïdal, caractéristique de l’architecture baroque. La nouvelle scénographie joue sur les confrontations entre les styles et cherche à restituer l'atmosphère d'une demeure de collectionneur.
Elle met en scène notamment des tableaux de peintres véronais, d’importantes réalisations du futurisme italien, et de grands noms de l’art moderne et contemporain, Duchamp, Picasso, Modigliani, Chirico, Kandinsky, ou encore Magritte et Warhol… tout en soutenant la création actuelle.
Jardin Giusti
L’art des jardins connut également un développement exceptionnel. En particulier, le domaine de la famille Giusti marqua une véritable étape dans l’art des jardins à l’italienne. Célèbre dès la fin du XVe siècle, il fut remanié par Agostino Giusti dans les années 1570 selon un plan ternaire.
Aménagé à flanc de colline, le jardin est conçu pour être admiré selon une progression savamment orchestrée qui ménage de belles perspectives sur la ville et le fleuve. Les parterres de buis, agrémentés de statues et de fontaines, et rythmés par de hauts cyprès, symbolisant un univers apaisé et ordonné, cèdent progressivement la place à un sombre bosquet de sous-bois qui donne l’illusion d’une nature laissée à l’état sauvage.
Il est ponctué de petites fabriques, notamment une grotte qui était à l’origine ornée de miroirs pour créer des jeux d’optique. Il débouche sur une terrasse qui symbolise le retour de l’ordre et de l’harmonie, et offre un superbe panorama sur Vérone.
Ce jardin fut admiré par d’illustres visiteurs, dont Côme de Médicis, Charles de Brosse, Goethe, Mozart, ou encore Gabriel Fauré. Malheureusement dévasté par le violent orage qui s’abattit sur Vérone en 2020, il fait aujourd’hui l’objet d’une replantation, selon les plans historiques, par la famille Giusti qui en est toujours propriétaire.
Napoléon et Vérone
La présence du comte de Provence à Vérone fut le premier motif (ou prétexte) qui conduisit à la chute de la république de Venise. Comme de nombreux émigrés, le frère de Louis XVI avait trouvé refuge en territoire vénitien où il résidait sous le nom de comte de Lille.
Après l’annonce de la mort de Louis XVII, il y publia le 7 juillet 1795 sa première déclaration en tant que roi de France. Le Directoire exigea alors son expulsion. Le Sénat de Venise céda sous la menace et contraignit Louis-Stanislas-Xavier à quitter Vérone le 31 mars 1796.
Quelques mois plus tard, Napoléon Bonaparte, général en chef de l’armée d’Italie, se fit ouvrir les portes de Vérone le 1er juin et y établit les troupes de Masséna. Contrôler cette place stratégique permettait en effet d’isoler la garnison autrichienne qui occupait Mantoue.
Face aux exactions de l’armée française, la population se révolta lors des « Pâques véronaises » le 17 avril 1797. Ce massacre fournit un nouveau motif à Bonaparte pour déclarer la guerre à Venise le 1er mai ce qui provoqua la chute de la Sérénissime République (12 mai 1797).
Par le traité de Campo-Formio (17 octobre 1797), les territoires vénitiens furent divisés : Venise et une grande partie de la Vénétie furent cédées à l’Autriche, tandis que les provinces de Bergame et Brescia furent rattachées à la toute nouvelle République cisalpine, formée par les anciens duchés de Milan, Mantoue, Modène et les légations du Pape (Bologne, Ferrare, et la Romagne).
Lors de la reprise des hostilités, Vérone fut à nouveau âprement disputée entre Masséna et l’archiduc Charles. Par le traité de Lunéville (9 février 1801), Vérone, devenue chef-lieu du département de l’Adige, revint à la République cisalpine, qui se transforma l’année suivante en une éphémère République italienne, puis en 1805 en royaume d’Italie. Ce régime fut très mal accueilli par les Véronais, principalement en raison de l’enrôlement dans les armées napoléoniennes.
Une forteresse autrichienne
Le Congrès de Vienne (9 juin 1815) bouleversa encore une fois le sort de Vérone qui, comme tout le Nord-Est de l’Italie, fut rattachée au nouveau Royaume lombard-vénitien au sein de l’empire des Habsbourg. L’administration autrichienne renforça l’importance stratégique de cette place militaire.
À l’extrémité méridionale de l’empire, Vérone constituait l’élément-clé du « quadrilatère vénitien », composé également de Mantoue, Peschiera et Legnago. L’état-major autrichien transforma la ville en une véritable forteresse. Il fit construire d’imposantes fortifications, renforcées par un immense réseau de galeries creusées dans les collines surplombant l’Adige.
Il fit bâtir également de grandes casernes dans toute la ville pour abriter plus de 40 000 soldats dans une ville qui comptait alors 60 000 habitants. De nombreux couvents et édifices religieux (qui avaient été expropriés du temps de l’occupation française) furent transformés en logements militaires. Vérone devint ainsi une ville de garnison.
L’enrôlement forcé, cette fois dans les armées autrichiennes, suscita à nouveau le mécontentement de la population. Cette hostilité face aux occupants se répandit dans tous les milieux sociaux. Le salon de la comtesse Alighieri fut célèbre pour accueillir un cercle d’intellectuels et de patriotes, tandis que les foyers de carbonari se multiplièrent.
C’est symboliquement à Vérone que se termine le film Senso de Visconti. Le film le plus célèbre consacré à cette période troublée, vue à travers l’amour interdit d’une aristocrate italienne liée aux carbonari et d’un officier autrichien, s’ouvre à la Fenice de Venise et prend brutalement fin devant les murs de Vérone, ville emblématique de la tragédie amoureuse et de l’oppression autrichienne. Il se déroule en 1866, année qui marque le rattachement de Vérone au royaume d’Italie.
Le dernier congrès de la Sainte-Alliance se tint à Vérone à l’automne 1822. Pendant ces quelques mois où les souverains et ambassadeurs venus de toute l’Europe rivalisèrent par le faste de leurs réceptions, la ville retrouva un éclat éphémère. Elle accueillit le tsar de Russie, l’empereur d’Autriche, les rois de Prusse, de Sardaigne et des Deux-Siciles, le grand-duc de Toscane, le duc de Modène, la duchesse de Parme. La France était représentée par François-René de Chateaubriand, nommé plénipotentiaire, et Matthieu de Montemorency, ministre des affaires étrangères, le Royaume-Uni par le duc de Wellington, le pape par le cardinal Spina. Les grandes puissances européennes traitèrent principalement du sort de l’Espagne. Contre l’avis de Wellington, Chateaubriand réussit à faire approuver l’idée d’une intervention française qui eut lieu l’année suivante.
Passant par Vérone en 1833, l’ancien ambassadeur traversa une ville « retournée au silence » :
« Les arènes, dont les gradins s’étaient offertes à mes regards chargés de cent mille spectateurs, béaient désertes. » Elle lui inspira le célèbre « appel des morts » des Mémoires d’outre-tombe :
« Combien s’agitaient d’ambitions parmi les acteurs de Vérone ! que de destinées de peuples examinées, discutées et pesées ! Faisons l’appel de ces poursuivants de songes ; ouvrons le livre du jour de colère : Liber scriptus proferetur ; monarques ! princes ! ministres ! voici votre ambassadeur, voici votre collègue revenu à son poste : où êtes-vous ?
L’empereur de Russie Alexandre ? - Mort
L’empereur d’Autriche François II ? - Mort
Le roi de France Louis XVIII ? - Mort
Le roi de France Charles X ? — Mort.
Le roi d’Angleterre George IV ? — Mort.
Le roi de Naples Ferdinand Ier ? — Mort.
Le duc de Toscane ? — Mort.
Le pape Pie VII ? — Mort.
Le roi de Sardaigne Charles-Félix ? — Mort. (…)
Si tant d’hommes couchés avec moi sur le registre du congrès se sont fait inscrire à l’obituaire ; si des peuples et des dynasties royales ont péri ; si la Pologne a succombé ; si l’Espagne est de nouveau anéantie ; si je suis allé à Prague m’enquérir des restes fugitifs de la grande race dont j’étais le représentant à Vérone, qu’est-ce donc que les choses de la terre ? Personne ne se souvient des discours que nous tenions autour de la table du prince de Metternich ; mais, ô puissance du génie ! aucun voyageur n’entendra jamais chanter l’alouette dans les champs de Vérone sans se rappeler Shakespeare. »
Sur les traces de Roméo et Juliette
Plus que tous les souvenirs historiques, c’est bien l’évocation de Roméo et Juliette qui fait le charme de la ville depuis des siècles. L’histoire des amants de Vérone qui se serait déroulée en 1303 fut relatée pour la première fois par Luigi da Porto dans les années 1530.
Elle connut rapidement une grande célébrité. De multiples reprises furent diffusées dans toute l’Europe au point d’inspirer Shakespeare pour sa pièce composée vers 1595. Elle constitue aujourd’hui la principale attraction touristique de Vérone qui se flatte de compter parmi les villes les plus visitées d’Italie.
Le monument le plus connu de Vérone est certainement le moins authentique. Il s’agit d’un tentative de reconstitution, réalisée au début du XXe siècle par Antonio Avena pour le compte de la municipalité qui venait de faire l’acquisition d’une maison médiévale remontant au XIIe siècle. Mais la datation était bien le seul argument qu’on pouvait trouver en sa faveur.
Le bâtiment de briques présentait l’inconvénient d’avoir appartenu à la famille Dal Cappello (et non aux Capuleti). Et surtout, loin d’être un somptueux palais, il s’agissait tout simplement d’une auberge, comme le prouve son plan caractéristique de ce genre d’édifice : il comprend notamment un passage couvert conduisant de la rue à une cour intérieure qui sert aujourd’hui à canaliser les longues files d’attente des groupes de touristes.
Une campagne de travaux transforma l’auberge et les écuries attenantes en une « maison de Juliette » destinée à émouvoir les visiteurs. Et, pour rendre plus crédible cette métamorphose, un sarcophage antique en marbre fut plaqué sur la façade médiévale en briques afin de créer le fameux « balcon de Juliette ».
Il existe naturellement une « maison de Roméo ». Elle ne se visite pas, ce qui explique qu’elle soit bien moins célèbre que sa voisine. Malgré une longue tradition qui en fait la propriété des Montecchi (francisés en Montaigu), cette demeure bâtie au XIIIe siècle appartenait à la famille Nogarola.
Elle a conservé son architecture caractéristique des grandes résidences urbaines médiévales, et en particulier ses hauts murs crénelés qui prouvaient l’importance de ses propriétaires.
Situé à l’extérieur de l’enceinte de la cité médiévale, l’ancien monastère de San Francesco al Corso est célèbre pour sa crypte. Sous la voûte obscure, une cuve de sarcophage (vide) du XIIIe siècle fait de son mieux pour donner l’illusion d’être le « tombeau de Juliette ».
C’est dans cette atmosphère, romantique à souhait, que les voyageurs du XIXe siècle, comme Byron, Musset, Dickens, et bien d’autres, venaient évoquer la mémoire des amants de Vérone.
Histoires de cités
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Bernard (07-05-2024 22:12:28)
Précisons que 'Pépin' fils de Charlemagne à qui Vérone fût confiée est 'Pépin d'Italie'. Ne pas confondre avec Pépin le Bref, père de Charlemagne.