Eugénie de Montijo fut la dernière souveraine des Français. D’origine espagnole, rien ne prédestinait cette jeune aristocrate à épouser Napoléon III, neveu de Napoléon Ier et empereur des Français de 1852 à 1870.
Peu connue, méprisée, vilipendée, son rôle historique a longtemps été sous-estimé. « Une légende noire attachée à la dénigrer a voulu l’enfermer dans une féminité caricaturée à outrance et ne s’économisant jamais en misogynie » explique son biographe, Maxime Michelet.
Pourtant, Eugénie fut la première des « Premières dames » à exercer un rôle politique. Par son intelligence et ses jugements avisés, elle gagna la confiance de son mari qui lui délégua par trois fois la régence.
Fille cadette du comte et de la comtesse de Teba, Eugénie de Montijo naît en 1826 à Grenade. Son père est un « afrancesado », l’un de ces Espagnols partisans de Napoléon Ier et de son frère Joseph, éphémère roi d’Espagne. Eugénie grandit donc dans une famille pro-napoléonienne et proche de la France. La jeune femme apprend à bien connaître ce pays et Paris puisqu’elle y vit de 1835 à 1839 avant d’y séjourner épisodiquement au gré des voyages de sa mère.
C’est d’ailleurs en sa compagnie, lors d’une réception chez la princesse Mathilde Bonaparte, le 31 décembre 1849, qu’elle rencontre pour la première fois Louis-Napoléon Bonaparte, alors Président de la République. Le chef de l’État est séduit par Eugénie que la rumeur classe parmi les plus belles femmes de Paris. Pourtant ils ne se reverront qu’après le coup d’État qui lui permettra de devenir empereur.
Un premier plébiscite prolonge son mandat de dix ans mais c'est le second qui marque un tournant. En 1852, une grande majorité des Français se déclare favorable à la restauration de l'Empire. Le 2 décembre 1852, 48 ans jour pour jour après son oncle, Louis-Napoléon est proclamé empereur sous le nom de Napoléon III.
L’Empereur est toujours célibataire malgré de nombreuses conquêtes féminines dont une riche Anglaise, Miss Howard, qui a financé sa campagne présidentielle. Il cherche à nouer une alliance politique en se mariant mais essuie plusieurs refus de la part des grandes cours d’Europe. Faute d’entente, politique, il demande la main d’Eugénie qui accepte.
La jeune Espagnole est heureuse mais aussi consciente de l’immense pression qui pèsera sur ses épaules en tant qu’épouse du chef de l’État. En janvier 1853, elle écrit à sa sœur : « À la veille de monter sur un des plus grands trônes d’Europe, je ne puis me défendre d’une certaine terreur : la responsabilité est immense, le bien comme le mal me sera souvent attribué. » Les années qui vont suivre lui donneront raison…
Au lendemain de son mariage, le 30 janvier 1853, la nouvelle impératrice n’est qu’une jeune femme de 26 ans, n’ayant reçu aucune formation pour occuper les fonctions qui sont désormais les siennes. Les deux principales missions qui lui sont alors confiées consistent à faire resplendir l’éclat de sa beauté et à donner un héritier à la dynastie impériale. Sur le premier point, la réussite est totale. Les visiteurs étrangers ne tarissent pas d’éloge sur le charme de la souveraine. À la présentation du corps diplomatique, le 7 février 1853, l’ambassadeur d’Autriche, le comte de Hübner, évoque une femme « très simplement mise et fort en beauté ».
En ce qui concerne la mission dynastique, les choses s’annoncent plus compliquées. L’impératrice tombe certes rapidement enceinte mais fait une fausse-couche, le 28 avril 1853. Le couple impérial doit patienter trois ans avant la naissance d’un héritier. Enfin, Eugène-Louis Napoléon Bonaparte voit le jour le 16 mars 1856, pendant le congrès de Paris qui consacre le retour de la France sur la scène internationale.
Le 17 juillet 1856, trois jours après le baptême de son fils à la cathédrale Notre-Dame de Paris, Napoléon III institutionnalise la régence. En cas de décès de l’empereur, ce serait à Eugénie d’exercer la puissance impériale jusqu’à la majorité de son fils. L’impératrice démontrera ses capacités à remplir ce rôle puisque Napoléon III la nommera régente intérimaire à trois reprises.
La première fois, en 1859, l’Empereur part aux armées lors de la guerre d’Italie et signe des lettres patentes qui délèguent la régence à Eugénie : « voulant donner à Notre bien-aimée Épouse l’Impératrice des marques de la haute confiance que Nous avons en Elle».
L’impératrice se retrouve investie de la présidence du Conseil privé et du Conseil des ministres mais son pouvoir est encadré. Ses actes sont discutés en conseil, contresignés par les ministres compétents et après avis obligatoire de l’oncle de l’empereur, le prince Jérôme. De manière générale, Eugénie assiste plus qu’elle ne participe aux conseils et ne prend aucune décision. Cette donnée changera sensiblement durant sa seconde régence, en 1865 mais pour le moment l’impératrice observe et apprend.
Son implication et son énergie sont rapidement reconnues. Mérimée, dans une lettre de juin 1859 écrit qu’« il est impossible de faire son métier avec plus de dévouement et d’intelligence ». L’impératrice se démène surtout pour les plus démunis. Elle visite les malades, fait de nombreux dons et, en 1862, crée la Société du Prince impérial, une organisation de bienfaisance proposant des micro-crédits aux ouvriers et aux travailleurs en difficulté.
L’année 1865 est une année essentielle pour l’impératrice Eugénie puisqu’elle va exercer de nouveau, pendant un mois, les prérogatives de régente, à l’occasion de la visite en Algérie de Napoléon III. Cette régence permet aussi à la famille impériale de montrer son unité. Dans le testament qu’il rédige avant de partir, l’Empereur écrit : « L’Impératrice Eugénie a toutes les qualités nécessaires pour bien conduire la régence, et mon fils montre des dispositions et un jugement qui le rendront digne de ses hautes destinées. »
Cette fois, la souveraine a plus d’expérience et s’investit davantage. Elle prend l’initiative de recevoir aux Tuileries les membres des commissions parlementaires.
Elle s’entretient avec eux des projets de lois en cours de discussion, leur demande leur avis sur les améliorations à introduire dans l’administration ou dans le gouvernement.
Dans le domaine charitable, l’impératrice soutient l’abandon du système des prisons pour enfant. En 1865, les jeunes délinquants sont dispersés dans différents pénitenciers agricoles afin de vivre leur détention en collectivité et à la campagne.
L’attention qu’Eugénie porte au sort de ces petits détenus fait écho à son action globale en faveur de l’enfance. Elle remet ainsi en fonctionnement la Société de Charité maternelle, une institution caritative fondée en 1787 par Marie-Antoinette, et fonde un orphelinat.
Mais l’Empire va de plus en plus mal et quand Napoléon III tombe malade, l’opinion accuse son épouse de vouloir prendre en main les affaires du pays. L’image de la souveraine se dégrade en même temps que celle de l’Empire…
Le 19 juillet 1870, la guerre est déclarée à la Prusse et à ses alliés. L’impératrice retrouve pour la troisième fois la fonction de régente mais ses prérogatives sont extrêmement limitées et tout repose sur le cabinet des ministres dirigé par Émile Ollivier.
Le 6 août, l’armée d’Alsace commandée par Mac Mahon et l’armée de Lorraine commandée par Bazaine sont simultanément vaincues, respectivement aux batailles de Woerth-Froeschwiller et Forbach-Spicheren. La défaite est annoncée par dépêche à l’Impératrice qui se trouve à Saint-Cloud. L’Empereur lui écrit : « Préparez la défense de Paris. Convoquez le Conseil de défense. » Eugénie ordonne immédiatement son retour dans la capitale pour réunir les ministres et déclarer l’état de siège.
Le 4 septembre, en pleine nuit, à 1h00, le Corps législatif est réuni pour entendre Palikao lui apprendre que « l’armée, après d’héroïques efforts, a été refoulée dans Sedan ; elle a été environnée par une force tellement supérieure qu’une résistance était impossible. L’armée a capitulé et l’Empereur a été fait prisonnier ».
Jules Favre, député républicain prend aussitôt la tête d’une coalition réclamant la déchéance de l’Empereur et de sa dynastie, adjoint de la nomination d’un nouveau gouvernement. Dans la journée, il se rend à l’hôtel de Ville de Paris pour y proclamer la IIIème République accompagné d’une foule de Parisiens. Eugénie doit quitter la France en toute hâte.
Au lendemain du Quatre-Septembre, jour fondateur de la IIIe République, l’ex-impératrice trouve refuge en Angleterre, sous la protection bienveillante de la reine Victoria. Son fils l’y rejoint rapidement ainsi que l’ex-empereur, une fois libéré de sa captivité en Allemagne.
Le couple emménage à Camden Place, à Chislehurst, non loin de Londres. C’est dans cette demeure que Napoléon III meurt, le 9 janvier 1873, au cours d’une intervention chirurgicale destinée à le guérir de la maladie de la pierre (calculs dans les reins). Eugénie n’a alors plus qu’un seul but : l’intérêt de son fils, l’Empereur Napoléon IV.
En 1879, le Prince lui annonce son intention de partir avec l’armée britannique combattre les Zoulous en Afrique du Sud, afin de témoigner de sa reconnaissance à l’égard de l’Angleterre qui les a généreusement accueillis, ses parents et lui. Il est tué le 1er juin en faisant front à une troupe ennemie, laissant sa mère ravagée de chagrin. C'est le premier Bonaparte tué au combat.
Eugénie part en Zoulouland sur les traces de son fils et, de retour en Angleterre, lance, en 1881, le chantier de l’abbaye Saint-Michel destinée à servir de tombeau à Napoléon III et leur enfant.
Infatigable voyageuse, elle passe les cinquante années suivantes entre l’Angleterre et la côte d’Azur. Elle s’éteint, le 11 juillet 1920, à l’âge de 94 ans à Madrid.
Sur le chemin la ramenant d’Espagne vers l’Angleterre, sa dépouille marque une étape de plusieurs heures à Paris, gare d’Austerlitz, afin que les Parisiens puissent lui rendre un dernier hommage. Le 17 juillet 1920, elle est inhumée au sein de l’abbaye Saint-Michel auprès de son époux et de son fils.
L'impératrice a inspiré une passionnante biographie à Maxime Michelet : L'impératrice Eugénie, une vie politique, éditions du Cerf, 408 pages, 2020, 24€.
La guerre franco-prussienne
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