Victoria (1819 - 1901)

L'Angleterre à son zénith

Souverain sans réel pouvoir, la reine Victoria figure néanmoins comme la représentation accomplie de l'Angleterre à son apogée.

Quand elle entame son règne, la monarchie anglaise est pourtant au plus mal, dans une situation bien pire qu'en... 1997, au moment de la mort de la princesse Diana. La dynastie des Hanovre (rebaptisée Windsor en 1917) semble discréditée par la longue folie du roi George III et les frasques de ses deux fils et successeurs, George IV et Guillaume IV.

Tout va changer pendant les 64 années de son règne. À la veille de sa mort, la monarchie est à son zénith et la reine, devenue immensément populaire, à la tête de la première puissance mondiale et d'un empire étendu sur le quart de la planète. Aussi ne faut-il pas s'étonner que le prénom de la discrète jeune fille ait servi à qualifier son époque. Dès 1851, on voit apparaître le qualificatif de « victorien » sous la plume d'un historien.

Royaume en crise et dynastie discréditée

Petite-fille du roi Georges III, Victoria n'est pas à sa naissance, le 24 mai 1819, destinée à régner. Son père le duc Édouard de Kent n'est en effet que le quatrième fils du souverain régnant. Il meurt d'ailleurs peu après, le 23 janvier 1820, d'un coup de froid, quelques mois après la naissance de sa fille et six jours avant le roi lui-même. 

Sa mère, Victoria de Saxe-Cobourg-Saalfeld, est une princesse allemande qui a déjà eu un garçon et une fille d'un premier mariage avant d'épouser le 29 mai 1818 le duc de Kent, sur une proposition de son frère Léopold. Ce dernier, qui va donc devenir l'oncle de la future reine, a de son côté épousé par amour la fille du fils aîné de Georges III, Charlotte-Augusta. Léopold deviendra le premier roi des Belges en 1831 et demeurera toute sa vie le confident de sa nièce.

Georges III avait peu à peu perdu la raison jusqu'à devoir laisser le pouvoir à son fils aîné. Régent dès 1811, celui-ci monte sur le trône sous le nom de Georges IV le 29 janvier 1820. Débauché et fantasque, le nouveau souverain discrédite la dynastie plus encore que son père, d'autant que le Royaume-Uni, malgré ou à cause de sa victoire à l'arraché sur Napoléon, endure une très grave crise économique et sociale, illustrée par le massacre de « Peterloo ».

Nièce du roi régnant et orpheline de père, Victoria est élevée par sa mère au palais de Kensington, à l'écart de la cour. La duchesse de Kent chaperonne sa fille autant qu'il est possible, jusqu'à la faire dormir dans sa chambre même après la petite enfance. Elle-même tombe sous l'emprise d'un intendant irlandais ambitieux et vindicatif, John Conroy, dont la rumeur prétend qu'il est aussi son amant. La petite Victoria le prend très vite en grippe.

Le 26 juin 1830 décède à son tour le roi Georges IV. Son frère lui succède sous le nom de Guillaume IV. Tout aussi dépravé que son frère, il a pas moins de dix enfants illégitimes... mais aucun de légitime et donc en droit de lui succéder !

Victoria apparaît dès lors comme l'héritière légitime de la dynastie de Hanovre. Elle a tout juste dix-huit ans quand les hasards de la succession lui valent de succéder à son oncle Guillaume IV sur le trône du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande, le 20 juin 1837.

Une couronne pour deux royaumes

En 1714, la couronne anglaise avait échu à l'Électeur de Hanovre sous le nom de Georges Ier. C'est ainsi que son descendant Guillaume IV était roi de Grande-Bretagne et d'Irlande et roi de Hanovre. Mais les deux couronnes sont dissociées à sa mort, en 1837, le royaume allemand ne pouvant revenir à une femme.
Victoria, fille d'Édouard, duc de Kent, frère cadet de Guillaume IV, hérite donc de la couronne britannique cependant que la couronne de Hanovre revient à son dernier oncle. Pendant la Première Guerre mondiale, en 1917, sous le règne de Georges V, la dynastie régnante d'Angleterre troquera le nom de Hanovre pour celui de Windsor, du nom de sa principale résidence, afin d'occulter ses origines allemandes.

Difficile succession

Quand la jeune Victoria monte sur le trône, la société anglaise souffre de douloureuses mutations induites par la révolution industrielle. Un observateur publie en 1845 un ouvrage intitulé The two Nations où il met ainsi en évidence le fossé qui sépare les riches des pauvres.

Dans la capitale, on estime qu'un quart des femmes se prostituent. La démocratie est encore des plus imparfaites et le suffrage universel pas encore établi.

Dès son accession au trône, la jeune reine se prend d'affection pour le Premier ministre en exercice, lord William Melbourne (58 ans), homme modéré et sensible. Il a l'honneur d'initier Victoria aux affaires publiques et surtout à la manière de bien tenir son rang. La souveraine montre assez de caractère pour écarter sa mère, l'intrigante duchesse de Kent.

Sur un coup de foudre, la reine décide aussi d'épouser son cousin, le prince allemand Albert de Saxe-Coburg-Gotha, le 10 février 1840. Celui-ci, qui a le même âge que Victoria, n'éprouve pas la même passion amoureuse, du moins au début de leur union. Mais il joue à la perfection son rôle de mari et de prince consort.

Victoria et Albert en famille en 1846, par Winterhalter (château d'Osborne) ; de gauche à droite : Alfred, Edouard, Victoria, Albert, Alice, Helena et Vicky

Albert, Victoria et leurs neuf enfants vont offrir au peuple britannique l'image idéalisée du bonheur conjugal. Luthérien pieux, Albert importe à la cour des moeurs austères qui donneront à l'ère victorienne une réputation exagérée de pruderie.

La famille royale et la monarchie atteignent le summum de leur popularité lors de l'inauguration de l'Exposition universelle de 1851, sous leCrystal Palace.

L'architecte Joseph Paxton a conçu cette magnifique construction, aujourd'hui disparue, en y intégrant des préoccupations écologiques et environnementales d'avant-garde.

L'Exposition, la première du genre, a été imaginée et conçue par le prince Albert lui-même pour témoigner de la grandeur de l'Angleterre et des espoirs suscités par la Révolution industrielle. Elle débouche sur un magnifique succès.

L'Angleterre victorienne

Il faut dire que Londres est devenue, avec 2,5 millions d'habitants, la principale métropole mondiale. Le pays lui-même compte 22 millions d'habitants en 1851, soit deux fois plus qu'un demi-siècle plus tôt. Il produit la moitié de tout l'acier du monde.

Une législation sociale se met en place dans les années 1850 avec par exemple l'obligation du repos hebdomadaire pour les salariés et des limitations au travail des enfants. Les excès de l'industrialisation et l'enlaidissement du cadre de vie suscitent une réaction intellectuelle et artistique. Dans la peinture s'épanouit le courant préraphaélite.

Les romanciers comme Walter Scott exaltent le Moyen Âge. D'autres, comme Charles Dickens, dénoncent la condition faite aux enfants.

La société reste fortement hiérarchisée mais l'ascension sociale par le mérite et le travail n'en est pas moins encouragée et bien réelle, selon une tradition toute britannique.

La sécularisation de la société anglaise est déjà en marche au milieu du XIXe siècle. Un tiers des Britanniques ne se réclament d'aucune religion... mais tous partagent les mêmes codes sociaux. Les classes populaires et l'aristocratie conservent des moeurs libertines ou dépravées, plus conformes aux traditions de « Merry England », l'Angleterre joyeuse du XVIIIe siècle (voir Barry Lyndon, un chef-d'oeuvre du cinéaste Stanley Kubrick).

Ce sont surtout les classes moyennes engendrées par la Révolution industrielle qui se montrent réceptives à la morale rigide du prince Albert. Ces classes moyennes érigent un système de valeurs qui met l'accent sur la chasteté mais aussi sur le travail et le Self-Help (« Aide-toi toi-même »), d'après le titre d'un livre à succès publié en1859 par un certain Samuel Miles, prônant la responsabilité individuelle et un État minimal.

La même année est publiée L'Origine des Espèces par Charles Darwin. Cet ouvrage sur la sélection naturelle inspirera des théories moins scientifiques sur le droit des plus forts à dominer les plus faibles. Autant de justifications à venir du colonialisme et du racisme.

Notons encore la publication en 1859 de l'Essai sur la liberté du philosophe John Stuart Mill. Cet apologue du libéralisme politique ne pose comme borne à la liberté individuelle que la liberté d'autrui. Pour l'historien Jean-François Gourmay, ces trois ouvrages publiés la même année dessinent les contours idéologiques de la société victorienne ainsi que du monde dans lequel nous vivons encore aujourd'hui.

Premiers nuages

Le bonheur de Victoria prend fin en 1861 avec la mort prématurée d'Albert, victime de la fièvre typhoïde. Prenant définitivement le deuil, la reine s'isole du monde, jusqu'à susciter parfois des rumeurs malveillantes dans l'opinion publique.

La Grande-Bretagne n'en poursuit pas moins sa marche en avant.

Après le gouvernement du libéral Peel, farouche partisan du libre-échange économique, se succédèrent en alternance à la tête du gouvernement deux Premiers ministres de grande valeur mais de tempérament et de politique radicalement opposés: le flamboyant conservateur Disraeli et le rigide libéral Gladstone.

À la fin du XIXe siècle, l'aristocratie anglaise commence à se détourner avec morgue du commerce. Le pays néglige aussi la formation de ses ingénieurs. De sorte que son leadership en vient à être contesté par l'Allemagne puis les États-Unis.

Lord Salibusry, plusieurs fois Premier ministre, doit alors affronter les difficultés économiques, les barrières protectionnistes qui limitent les exportations anglaises et une situation internationale de plus en plus tendue.

Inauguration de Tower Bridge, à Londres, en 1894
La puissance anglaise

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En s'appuyant sur l'État de droit, la démocratie parlementaire et la domination des mers, l'Angleterre a pu dominer la planète comme aucune autre nation avant elle...

Les « petites guerres de la reine Victoria »

Le règne de Victoria est ponctué par de nombreuses guerres coloniales, dans le but de conquérir de nouveaux territoires ou de mettre à la raison les indigènes des colonies existantes.

Ces guerres dans lesquelles les Britanniques bénéficient généralement d'une écrasante supériorité militaire du fait de leur armement ont été qualifiées de « petites guerres de la reine Victoria ». Il y a ainsi les guerres de l'opium à la suite desquelles la Chine dût ouvrir ses ports aux commerçants occidentaux. Aux Indes, le gouvernement prend en main l'administration du territoire après la révolte des cipayes en 1857.

Londres impose aussi son protectorat à l'Égypte après l'ouverture du canal de Suez, pour protéger la route des Indes, et étend son protectorat au Soudan après la bataille d'Omdurman (ou Omdourman), près de Khartoum, où 8 000 Britanniques massacrèrent à la mitrailleuse 60 000 derviches soudanais.

Toutefois, les Britanniques n'ont pas la partie toujours aussi facile... Ainsi essuient-ils de graves défaites face aux Afghans le 2 novembre 1841 et face aux Zoulous le 22 janvier 1879. La guerre de Crimée révèle aussi leur impréparation à de grandes guerres face à des ennemis bien armés.

Ils n'en arrivent pas moins à dominer le monde selon les vues impérialistes exprimées le 24 juin 1872, à Londres, dans le Crystal Palace, par Benjamin Disraeli. Premier ministre deux ans plus tard, celui-ci, ardent partisan des conquêtes coloniales, offre à Victoria ravie le titre d'impératrice des Indes le 1er janvier 1877.

Menaces sur l'empire

Cette expansion ne va pas sans risque. En 1898, Français et Anglais manquèrent de se battre pour une sombre histoire de préséance à Fachoda, une bourgade dérisoire du Soudan, après que lord Kitchener eût brutalement conquis le pays.

Bientôt, les troupes britanniques sont entraînées dans une guerre difficile contre un petit peuple de rudes paysans calvinistes, les Boers d'Afrique du sud. Pour la première fois, on ouvre des camps de concentration avec des barbelés.

Quand la vieille reine s'éteint le 22 janvier 1901, la plupart des familles royales d'Europe pleurent une aïeule. Il est vrai que sa nombreuse progéniture a essaimé dans toutes les cours du Continent et lui vaut le surnom de « grand-mère de l'Europe ».

Son fils et successeur, le populaire Édouard VII (60 ans), amant heureux et bon vivant, va secouer le corset puritain dans lequel se débat Merry England. Le souvenir du prince Albert s'estompe. Bientôt, on s'étripera dans les tranchées.

Bibliographie

On peut lire sur la personnalité troublante de Victoria la passionnante biographie de Philippe Alexandre et Béatrix de l'Aulnoit : La dernière reine (Robert Laffont, octobre 2000).

Fabienne Manière
Victoria, « grand-mère de l'Europe »

Victoria et Albert ont eu neuf enfants en 21 ans de mariage (1840-1861). Chaque grossesse occasionna à la jeune reine une profonde dépression car, contrairement à l'image qu'elle offrait au public, elle détestait ces maternités à répétition qui la tenaient éloignée des plaisirs et de son cher époux... Il n'en reste pas moins que sa descendance comptera juqu'à ce jour près d'une trentaine de monarques :

1 - Victoria (surnommée Vicky, 1840-1901)

Elle épouse le futur empereur d'Allemagne Frédéric III et donne naissance au futur Guillaume II ainsi qu'à une fille, Sophie, qui deviendra reine de Grèce au bras de Constantin Ier.
Hélène, fille de Sophie, épouse le roi de Roumanie Carol II ; son frère Paul engendre Sophie de Grèce, épouse du roi d'Espagne Juan Carlos Ier et mère de Philippe VI.

2 - Édouard (surnommé Bertie, 1841-1910)

Il succède à sa mère sous le nom d'Édouard VII. Il est marié à Alexandra de Danemark. Leur deuxième fils Albert (1865-1936) lui succède sous le nom de George V.
À ce dernier succède son fils aîné sous le nom d'Édouard VIII (1894-1972) mais il abdique presqu'aussitôt pour pouvoir épouser une Américaine divorcée, Mrs Simpson, et finit sa vie avec le titre de duc de Windsor.
Le deuxième fils de George V (petit-fils d'Édouard VII) monte sur le trône sous le nom de George VI (1895-1952). Sa fille, née en 1926, lui succède sous le nom d'Elizabeth II...
Maud (1869-1936), fille d'Édouard VII, devient reine de Norvège au côté d'Haakon VII. Elle donne le jour au futur roi Olav V.

3- Alice (1843-1878)

Mariée à Louis de Hesse, elle engendre Victoria, dont un petit-fils, Philip of Edimburg, épousera l'actuelle reine du Royaume-Uni Elizabeth II. Louise, autre fille de Victoria, épouse le roi de Suède Gustave-Adolphe VI.
Alexandra, soeur cadette de Victoria, devient tsarine de Russie au bras de Nicolas II (1868-1918). La trop grande fréquence des liens consanguins dans la lignée de la reine Victoria est cause de l'hémophilie de leur fils et héritier, le tsarévitch. La famille est cruellement exécutée à Ekaterinbourg (Russie).

4- Alfred (1844-1900)

Il a une fille, Marie, qui devient reine de Roumanie au côté de Ferdinand (1865-1927). L'une de leurs filles, Elisabeth, deviendra reine de Grèce au côté de Georges II (1890-1947). Une autre, Marie, devient reine de Yougoslavie au bras d'Alexandre Ier (1889-1934), qui sera assassiné à Marseille.

5- Helena (1844-1923)

6- Louise (1848-1939)

7- Arthur (1850-1942)

8- Leopold (1853-1884)

9- Beatrice (1857-1944)

Elle épouse Henry de Battenberg et leur fille aînée Victoria-Eugénie devient reine d'Espagne au côté d'Alphonse XIII (1886-1941). Le petit-fils d'Alphonse XIII et Victoria-Eugénie est le roi d'Espagne Juan-Carlos Ier, né en 1938.

Publié ou mis à jour le : 2023-08-22 17:12:28

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