« Je suis jeune, il est vrai ; mais aux âmes bien nées, la valeur n'attend point le nombre des années ». Le Cid serait-il de retour dans nos sociétés grisonnantes ?
Voici qu’arrivent à la tête des gouvernements occidentaux des jeunes gens à peine trentenaires comme Sebastian Kurz, chancelier d'Autriche à 31 ans (2017), Daniel Noboa, président de l'Équateur à 35 ans (2023) ou Gabriel Attal, Premier ministre de la République française à 34 ans (2024).
Gardons-nous d’y voir une révolution. Plutôt un retour à la normale ! L’Histoire regorge en effet de talents en herbe et de chefs précoces, à commencer par le plus mythique d’entre tous, Alexandre le Grand. Songeons que le « Conquérant du monde » était déjà mort couvert de gloire à un âge où les susnommés n'avaient encore rien accompli de notable...
Les premiers héros de l’Histoire sont des jeunots
Alexandre a de qui tenir. Son père Philippe II de Macédoine est lui-même un roi de grande envergure et il n’y a guère que devant sa femme Olympias qu’il plie le genou.
Né le 21 juillet 356 av. J.-C., Alexandre révèle son potentiel à 18 ans en remportant sur les Grecs la bataille de Chéronée en 338 av. J.-C.
À cette occasion, son père, admiratif et jaloux, lui lance : « Mon fils, cherche-toi un autre royaume car celui que je te laisse est trop petit pour toi ! » De fait, sitôt sur le trône de Macédoine, Alexandre va soumettre les Grecs et partir avec eux à l’assaut de l’immense empire perse, qui domine pratiquement tout le Moyen-Orient.
Il réalise son objectif en trois ans à peine et, désireux d’aller jusqu’au bout du monde, franchit l’Indus et affronte des princes indiens. C’en est trop pour ses hommes qui aspirent au repos. Contraint et forcé, il prend le chemin du retour. Il a 30 ans à peine. Il va faire de Babylone la capitale de son empire gréco-perse ou hellénistique. Dans cette ville, le 13 juin 323, il meurt de ses propres excès ; il est alors âgé de 33 ans.
Ce destin d’exception, à l’origine de grands bouleversements géopolitiques, va nourrir l’imaginaire occidental jusqu’à nos jours. Trois siècles après sa mort, un certain Jules César, questeur en Espagne, sanglote devant la statue du héros parce qu’au même âge, à 32 ans, il se dit qu’il n’a lui-même encore rien accompli !
Alexandre n’est pas le seul qui peut faire pâlir de jalousie le futur dictateur. Le Premier Empereur chinois Shi Huangdi (259 – 210 av. J.-C.), monté sur le trône du royaume Qin à treize ans, entreprend dès l’âge de vingt ans la conquête des royaumes rivaux de la Chine du nord.
En 221 av. J.-C., il se proclame empereur et fonde la Chine unifiée telle qu’on la connaît encore aujourd’hui. Même s’il est moins connu en Occident qu’Alexandre, qui aurait sans doute aimé réaliser une entreprise aussi durable mais n’en a pas eu le temps, l’historien René Grousset écrit pourtant que son œuvre « égale en importance et dépasse singulièrement en durée celles d'Alexandre et de César ».
À la suite de ces grands personnages, les jeunes semblent disparaître du paysage politique.
Sous la République romaine, le cursus honorum retarde l’accession aux hautes fonctions politiques. Celles de questeur, édile et prêteur ont chacune des âges minimums requis. Celui pour exercer la fonction de consul grimpe à quarante-trois ans. Sous l’Empire, la moyenne d’âge des politiciens ne rajeunit pas car le Sénat ne hisse à la tête de l'État que des généraux blanchis sous le harnais.
Il faut attendre la fin du Moyen Âge pour assister à l’incroyable parcours d’une jeune paysanne illettrée de dix-sept ans. Mue par une foi puissante, Jeanne d’Arc (1412-1431) dit avoir reçu de Dieu la mission de libérer la France. Malgré son jeune âge, celle qu’on surnomme la « Pucelle d’Orléans » parvient en seulement deux années à redonner confiance au roi et à son peuple et à prendre les armes pour défendre son pays. Elle est brûlée vive à Rouen en 1431, avant même d’atteindre vingt ans. Elle deviendra après sa mort une héroïne nationale et même planétaire. Jules Michelet écrit à son sujet au XIXème siècle : « Quelle légende plus belle que cette incontestable histoire ? ».
Aux Temps modernes : le pouvoir aux jeunes !
On assiste à un retour de la jeunesse en politique aux Temps modernes, après la Renaissance. Certes, c’est pour respecter les lois de transmission de la couronne et non pour leur talent précoce que des enfants montent sur le trône en Europe. Mais cela n’empêche pas Louis XIV, de briller très tôt. À la mort de son principal ministre, le cardinal Mazarin, en 1661, il prend seul les rênes du pouvoir. Âgé de vingt-trois ans, il débute ainsi le plus long règne personnel de l’Histoire universelle.
Du côté de l’Europe centrale, Frédéric II de la dynastie des Hohenzollern (1712-1786) devient roi de Prusse en 1740 à l’âge de vingt-huit ans. Aussi talentueux qu’ambitieux, il remporte de nombreuses victoires qui lui permettent d’agrandir son royaume en annexant des régions comme la Silésie et la Posnanie. Il fait de la Prusse la plus grande puissance d’Europe centrale et défait les Français et les Autrichiens lors de la Guerre de Sept ans (1756-1763).
Autre pays victorieux de ce conflit considéré a posteriori comme la première guerre mondiale, l’Angleterre l’a emporté grâce à l’énergie du Premier ministre William Pitt l’Aîné. Aussi le roi George III ne rechigne-t-il pas à appeler vingt ans plus tard son fils William Pitt le Jeune à la tête de son gouvernement.
Ce dernier, à peine âgé de vingt-quatre ans, parvient à redresser la situation financière et économique du pays et signe un traité de libre-échange avec la France en 1786. Mais il ne s’arrête pas là. Farouchement opposé à la Révolution française, il parvient à rendre son pays imperméable aux idées révolutionnaires et finance les coalitions engagées contre la France. En 1805, sous son second mandat, l’Angleterre confirme sa suprématie sur les mers à Trafalgar. Quand Pitt meurt quelques mois plus tard d'épuisement, il a déjà virtuellement vaincu Napoléon.
En France, les révolutionnaires à qui Pitt s’oppose sont eux-mêmes très jeunes. Saint-Just (1767-1794), rejoint le clan des Montagnards à vingt-six ans et monte à la tribune de la Convention pour faire passer des lois de terreur. L’année suivante, il impose son autorité au sein de l’armée et, grâce à lui, les Français l’emportent sur les Autrichiens à Fleurus le 26 juin 1794. Mais l’ « Ange de la Terreur » est guillotiné un mois plus tard... Sa vie publique aura à peine duré deux ans.
Napoléon Bonaparte, que le chef du gouvernement anglais était bien content de défaire à Trafalgar, n’est pas si vieux non plus. Et c’est en moins de quinze ans que ce général d’à peine trente ans va bouleverser la France et le monde comme personne avant lui… depuis Alexandre le Grand.
L’ambition et la détermination du jeune homme, liées à son âge et à son art de la propagande, ont contribué à écrire sa légende. Mais après Napoléon et pour les deux siècles à venir, les jeunes se font rares au pouvoir...
Mutsuhito (1852-1912) fait exception au Japon en devenant empereur à quatorze ans. De son âge découlent sa fougue, sa modernité et son envie de réformes. Son objectif est d’ouvrir le Japon sur le monde. Pari réussi, il parvient à hisser son pays au rang de seule puissance asiatique parmi les plus grandes puissances de la planète.
Le duc d’Enghien (1621-1686), que l’Histoire retiendra comme le Grand Condé, participe au retour de la France sur la scène internationale grâce à sa victoire de Rocroi sur les Espagnols. Il a alors vingt-deux ans
Plus jeune encore, le prince Eugène de Savoie (1663-1736) se met au service des Habsbourg dès ses dix-neuf ans. Le 12 septembre 1683, il participe à la défaite des Ottomans devant Vienne. En chassant les Turcs de la plus grande partie de l'Europe orientale, il deviendra l’un des plus grands généraux de son temps.
Les généraux français qui s’illustrent dans les guerres révolutionnaires sont aussi pour la plupart issus de la jeune génération. Sortis du rang à la faveur des premières batailles de la Révolution et très vite promus pour remplacer les officiers aristocrates qui ont préféré émigrer, Marceau, Lazare Hoche ou encore Desaix acquièrent tout comme Bonaparte leurs épaulettes de général aux alentours de vingt-cinq ans.
Schémas inversés : d’un pouvoir grisonnant dans un monde jeune à un pouvoir précoce dans un monde vieillissant
Le XXème siècle, dans le prolongement du siècle précédent, est encore l’apanage de la vieille génération. Les hommes politiques et chefs d’armées des deux guerres mondiales sont mûrs ou grisonnants. En 1914, ce sont des généraux à la retraite ou quasiment à la retraite qui sont appelés à la tête des armées : Foch (62 ans), Joffre (61 ans), Pétain (57 ans). Idem en 1940 : Gamelin (67 ans), Weygand (72 ans) ! Roosevelt (57 ans), Hitler (50 ans) et Churchill (65 ans) ne sont pas non plus de première jeunesse. Difficile en ce siècle de croiser des leaders sous la barre des quarante ans. Ce qui peut sembler paradoxal au vu de la population mondiale, plus jeune que jamais.
De la fin des guerres révolutionnaires à la fin du XXe siècle ont été ainsi évincés du pouvoir les jeunes mais aussi les femmes. On ne voit plus l'équivalent de Marie-Thérèse d'Autriche ou de Catherine II de Russie. Les pionnières, les militantes et les femmes qui s’engagent dans diverses causes sont de plus en plus nombreuses mais il faut attendre 1966 pour voir Indira Gandhi élue Premier ministre de l’Inde et 1979 pour assister à l’élection de Margaret Thatcher au Royaume-Uni.
Les jeunes hommes, cependant, ont été envoyés au front pour des guerres déclenchées par leurs aînés et sans que personne prenne leur avis. En 1940, en France, beaucoup prennent le maquis pour échapper au STO. Bringuebalés par une histoire qui se décide sans eux, ils vont entrer après la guerre dans la contestation de l’ordre établi.
Pour l’historien Mathias Bernard, « au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, la situation évolue. Les étudiants s’engagent plus activement, d’abord dans un syndicalisme revendicatif, ensuite dans certains combats de la Cité (la guerre d’Algérie) ». Les années 1960 marquent un tournant dans l’histoire de la jeunesse qui développe sa contre-culture.
En mai 1967, dans un article du Monde diplomatique, François Honti écrit « Il ne se passe guère de jour sans nous apporter de nouvelles attestant le rôle capital de la jeunesse dans la politique. (…) Il nous semble que la jeunesse actuelle est, davantage encore que les précédentes, tournée vers l’avenir, qu’elle s’intéresse moins au passé, que les faits de l’histoire et les traditions pèsent moins à ses yeux que les perspectives futures. »
Arrivent le printemps 68 et ses événements qui témoignent d’une contestation universelle de la jeunesse, en France mais aussi sur les campus américains, à Prague ou encore en Pologne. À l’unisson, les jeunes expriment leurs revendications mais ne convoitent pas le pouvoir. Leur accession aux commandes est la nouveauté de ce XXIème siècle débutant... ou un retour historique après deux siècles d’absence.
En 2017, en France, Emmanuel Macron devient le plus jeune président de la République à trente-neuf ans. En ce qui concerne la Vème République, il bat Valéry Giscard d’Estaing, qui détenait le titre en étant élu à l’âge de quarante-huit ans en 1974. Mais dans l’histoire générale de la France, il passe aussi devant Louis-Napoléon Bonaparte, élu en 1848 à l’âge de quarante ans.
Après Matteo Renzi et Alexis Tsipras, aux côtés du chancelier autrichien Sebastian Kurz, du Premier ministre irlandais Leo Varadkar, de Juan Guaido, autoproclamé président de la République au Venezuela, il témoigne de ce que la politique du XXIème siècle est aux mains des jeunes. Alors même que le vieillissement de la population est aujourd’hui un phénomène planétaire (à l’exception notable de l’Afrique subsaharienne). Ironique, n’est-ce pas, lorsque l’on compare cela au siècle précédent ?
« Je crois que le gros problème d’Emmanuel Macron, in fine, c’est qu’il est trop jeune pour la fonction. » déclarait l’écrivain Yann Moix (50 ans) le 28 janvier 2018 sur le plateau de BFMTV. L’Histoire universelle nous a prouvé que la valeur n'a pas d'âge. Reste à voir si les jeunes gouvernants d’aujourd’hui sauront briller autant que leurs prédécesseurs…
Musicien, peintre, créateur, inventeur, quel que soit le domaine, le génie n’a pas d’âge. Comment ne pas mentionner l’incroyable précocité de Mozart (1756-1791) ? Sa virtuosité se démontre dès son plus jeune âge : que ce soit l’oreille absolue à trois ans, l’apprentissage du clavecin à cinq ans ou ses premières œuvres composées à six ans.
Dans un autre genre, Louis Braille (1809-1852), qui perd la vue à trois ans des suites d’un accident, intègre en 1819 l’Institution royale des jeunes aveugles à Paris et parvient à mettre au point un alphabet pour les aveugles et mal-voyants à l’âge de dix-huit ans. Arthur Rimbaud (1854-1891), à qui l’ont doit des sublimes poèmes comme le Bateau ivre ou le Dormeur du val, trouve très tôt les bons mots pour s’exprimer et la manière de les associer. Il écrit ses premiers poèmes dès quinze ans et interrompt l'écriture à 21 ans, n'ayant plus rien à dire ! Songeons aussi à Étienne de La Boétie (1530-1563), ami de Montaigne, qui rédige à 16 ou 18 ans un plaidoyer philosophique sur la démocratie : Discours de la servitude volontaire, et au mathématicien Évariste Galois (1811-1832) qui meurt dans un duel à propos d'une femme en laissant des écrits qui feront date dans les mathématiques.
Toujours dans la création et l’innovation, mais côté haute couture cette fois, on peut évoquer Yves Saint-Laurent (1936-2008). En 1957, Christian Dior meurt subitement alors que Saint-Laurent faisait ses débuts chez lui. Le jeune homme de vingt-et-un ans le remplace à la tête de sa maison et connaît tout de suite un succès retentissant avec sa collection « Trapèze ». À la même époque, le peintre Bernard Buffet (1928-1999) connaît aussi une gloire précoce. C’est à dix ans qu’il débute ses tableaux et à quinze qu’il intègre les Beaux-Arts...
Consolation
À tous ceux qui, comme César, se désolent de n’avoir encore rien accompli à 35 ans : gardez en tête ces mots de Rabelais : « tout vient à point à qui peut attendre » ! La Fontaine est du même avis, d’après cette morale du Lion et du Rat :
« Patience et longueur de temps
Font plus que force ni que rage »
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Salgrev (15-01-2024 07:47:03)
Vous écrivez que la valeur n'a pas d'âge. Sans doute, mais l'expérience en a un et elle peut manquer cruellement à certains. Sans cette mesure du monde et des hommes qu'est l'expérience, la valeu... Lire la suite
Palef (15-01-2024 01:00:22)
Une omission étonnante dans cette intéressante galerie : Elizabeth II d'Angleterre.
Marsaudon (14-01-2024 19:54:11)
Comparer nos petits derniers Macron et Attal à Alexandre le Grand ou Bonaparte est un tantinet osé : n’y a t’il pas une différence « d’altitude »?Herodote.net répond :Il s'agit bien év... Lire la suite