Le Cid, Les Trois Mousquetaires, Le Comte de Monte-Cristo, Le Capitaine Fracasse, Cyrano de Bergerac, Barry Lindon, Eugène Onéguine,… Dans de nombreuses œuvres littéraires, théâtrales et cinématographiques, la scène du duel constitue un puissant ressort dramatique. Elle prouve l’importance historique de ce phénomène auquel le musée de l’Armée consacre une grande exposition jusqu’au 18 août 2024.
Étroitement lié à la notion de l’honneur aristocratique, le duel se distingue des autres sortes de combats singuliers par ses codes. Ils ont pour but de circonscrire la violence en garantissant l’équité de l’affrontement.
Le duel est organisé par les témoins des combattants (généralement au nombre de deux par duelliste) qui conviennent des questions pratiques du choix du lieu et des armes (épée, sabre, ou pistolet) et encadrent le combat.
Il se présente comme une manière privée de régler une querelle d’honneur entre un « offenseur » et un « offensé », au risque de la mort. Il se substitue ainsi à l’action de la justice et à l’autorité de l’État.
Le duel connut son heure de gloire au XVIIe siècle où il constitua pour la noblesse un ultime moyen de revendiquer une certaine forme de liberté face au pouvoir royal de plus en plus absolu. Malgré les interdictions répétées, la mode du duel perdura pourtant jusqu’au XXe siècle.
Aux origines du duel d’honneur
Dans la lignée des tournois (dico), des joutes chevaleresques, mais aussi des duels judiciaires ou ordaliques, les duels, dits « duels d’honneur » ou « duels du point d’honneur », s’en différenciaient par leur illégalité.
Ils furent interdits par Saint Louis pour une double raison, à la fois chrétienne et politique. Car le duel, assimilé à un homicide (et parfois même à un suicide), était sévèrement condamné par l’Église, mais remettait également en cause l’autorité royale puisque le souverain était seul maître de la justice. Les édits se répétèrent au fil des siècles… sans succès.
Une ordonnance de Philippe le Bel, publiée en 1303, renouvelée en 1306, réaffirma l’interdiction prononcée par Saint Louis, en la nuançant toutefois : le souverain pouvait permettre la tenue d’un duel en certains cas exceptionnels.
Le dernier de ces combats qui bénéficièrent de l’autorisation royale se tint le 10 juillet 1547 en présence d’Henri II à Saint-Germain-en-Laye. Il opposa François de Vivonne, seigneur de La Châtaigneraie et Guy Chabot, seigneur de Jarnac, qui l’emporta grâce à un coup rare, la « botte au jarret » qui prit alors le nom de « coup de Jarnac ».
Interdire le duel
Les ordonnances royales, de plus en plus sévères, se succédèrent. Par la grande ordonnance de Blois en 1576, Henri III déclara les duellistes coupables de crime de lèse-majesté. Se battre en duel revenait en effet à contester au roi le droit de justice que Dieu accordait uniquement au souverain.
L’Église chercha également à interdire les duels. Le concile de Trente menaça d’excommunication, non seulement les duellistes, mais aussi les seconds, et tous les spectateurs du combat.
Devant le peu de succès des ordonnances, le pouvoir royal tenta de proposer une solution pacifique aux « querelles d’honneur ». Dans la lignée d’une juridiction créée par Charles IX, Henri IV institua en 1602 le Tribunal du point d’honneur ou Tribunal des maréchaux de France, présidé par le doyen des maréchaux, afin de juger des droits honorifiques et d’arbitrer les différents survenus dans la noblesse.
Néanmoins, les duels continuèrent à se multiplier, d’autant plus que les peines prévues par les ordonnances royales n’étaient jamais appliquées. Selon le mémorialiste Pierre de l’Estoile, 7 000 à 8 000 gentilshommes auraient été tués en duel entre 1580 et 1600.
Ce nombre semble toutefois à nuancer, bien qu’un décompte soit difficile à établir avec certitude. L’historien Stuart Carroll recense 772 décès en duel de 1550 à 1659, établissant une moyenne de 7 morts par an.
La condamnation de François de Montmorency-Bouteville
Louis XIII en vint à publier un édit en 1623, menaçant les duellistes de la peine de mort. En 1626, un nouvel édit nuança toutefois le châtiment, en l’adaptant selon les circonstances des duels : de la privation des charges et de la confiscation des biens jusqu’à la peine capitale.
Cet édit fit date car, pour la première fois, il fut réellement appliqué. Défiant l’autorité royale, François de Montmorency, comte de Bouteville, qui avait déjà combattu une vingtaine de fois en duel, affronta le comte de Beuvron sur la place Royale à Paris (actuelle place des Vosges) le 12 mai 1627.
Le choix du lieu lui fut fatal. Si le pouvoir royal pouvait fermer les yeux sur les rencontres discrètes qui se tenaient au Pré-aux-Clercs, vaste prairie à l’écart de la ville, à l’ouest du faubourg Saint-Germain, le cardinal de Richelieu prit comme une provocation ce combat en plein cœur d’un lieu à la mode de la capitale.
François de Montmorency-Bouteville fut donc condamné à mort, pour l’exemple, par le Parlement de Paris le 21 juin de la même année, et décapité le lendemain en place de Grève, malgré les demandes de grâce qui furent adressées au roi et au cardinal.
Ce contexte explique en partie le succès du Cid, joué pour la première fois le 7 janvier 1637. La pièce de Corneille met en scène deux duels, celui entre Rodrigue et le père de Chimène, qui est à l’origine de l’intrigue théâtrale, puis celui de Rodrigue et de don Sanche, champion de Chimène, avant que l’intervention du roi ne rétablisse l’ordre et l’harmonie. Elle s’inscrit dans l’évolution de la société : le pouvoir royal qui se veut seul garant de la justice l’emporte sur la noblesse qui tient à régler ses querelles de manière autonome.
L’art du combat : le développement de l’escrime
« Battez-vous à tout propos ; battez-vous, d’autant plus que les duels sont défendus, et que, par conséquent, il y a deux fois du courage à se battre ! » La recommandation donnée à d’Artagnan par son père au début des Trois Mousquetaires semble s’appliquer à toute la noblesse.
Sous l’Ancien Régime, le duel marquait l’appartenance à une classe sociale (bien qu’on compte quelques duels entre roturiers). Il consistait à affirmer l’honneur individuel, dans la lignée d’un idéal chevaleresque. Le duelliste tirait gloire de l’affrontement, quelque fût l’issue du combat. Car, vainqueur ou vaincu, tout duelliste qui se comportait vaillamment et loyalement, établissait sa réputation d’homme d’honneur. Le duel n’était pas nécessairement à mort, il pouvait être « au premier sang », c’est-à-dire se terminer à la première blessure.
L’escrime faisait partie de l’éducation aristocratique. À partir de la Renaissance, le maniement des armes se fit de plus en plus technique. Le perfectionnement des techniques de forge permit la création d’épées civiles, plus longues, plus fines, et plus légères. Le maniement de la rapière, dont la lame pouvait mesurer jusqu’à 1,40 mètres, demandait un véritable apprentissage.
Combattre avec ces nouvelles armes n’exigeait pas seulement de la force brute, mais aussi de la souplesse, de l’adresse, voire de l’élégance. L’escrime, nouvel art du combat, se développa donc. Au XVIe siècle, les maîtres d’armes italiens étaient les plus réputés, comme Marozzo et Agrippa qui rédigèrent des traités diffusés dans toute l’Europe. Une véritable codification du maniement de l’épée se mit ainsi en place.
En France, la première académie fut créée à Paris en 1594 par Antoine de Pluvinel, écuyer du roi. Au siècle suivant, on comptait huit académies parisiennes et une quinzaine dans les différentes provinces…. sans oublier les nombreuses salles d’armes. Les maîtres d’armes y enseignaient leurs meilleures « bottes », qui inspirèrent tout un imaginaire autour des bottes imparables comme la « botte de Nevers » dans Le Bossu de Paul Féval.
Vers les « duels de plaisance »
Le duel semble toutefois tomber peu à peu en désuétude au fil du temps. La Bruyère les considérait comme une « mode » destinée à passer. Les registres du Parlement de Paris qui dénombraient 53 duels (dont 15 mortels) en cinq ans, entre 1655 et 1660, font état de 44 en vingt-cinq ans, entre 1700 et 1725. Mais il ne s’agit là que de chiffres officiels qui ne tiennent pas compte des combats livrés en secret.
Malgré de virulentes critiques émises au siècle des Lumières par les philosophes comme Rousseau, le duel était toujours pratiqué. C’est ainsi que le vicomte de Valmont trouve la mort à la fin des Liaisons dangereuses de Choderlos de Laclos. Sa tante, madame de Rosemonde, déplore « ce reste de barbarie qui infeste encore nos mœurs ».
En réalité, le nombre de duels mortels diminua nettement au XVIIIe siècle. Dans la grande majorité des cas, les duellistes ne recherchaient plus à tuer leur adversaire, mais seulement à le blesser. Un échange maîtrisé de coups satisfaisait désormais l’honneur des deux adversaires.
Cette évolution entraîna, au cours de la seconde moitié du XVIIIe siècle, la mode des « duels de plaisance ». Il s’agissait de véritables spectacles mondains qui se tenaient devant un public masculin et féminin. Les deux escrimeurs, souvent des personnages célèbres, y démontraient leur virtuosité dans le maniement des armes.
Il n’y était plus question de point d’honneur et de réparation d’une offense, mais seulement d’un divertissement réservé à l’aristocratie, annonçant la pratique sportive des compétitions d’escrime qui se développèrent au siècle suivant. L’enjeu n’était plus de blesser l’adversaire (encore moins de le tuer), mais de le toucher selon le nombre de fois fixé avant le début du combat.
Le plus célèbre de ces combats opposa en 1787 à Londres deux fins bretteurs, le chevalier de Saint-George et le chevalier d’Éon qui combattit en vêtement féminin et remporta la victoire. Cet affrontement eut lieu à Carlton House, en présence du prince de Galles qui commanda au peintre Alexandre-Auguste Robineau un tableau pour immortaliser cette scène.
Si le duel passe pour une démonstration de virilité réservée aux hommes, quelques rares exemples de duels entre deux femmes sont attestés. Comme pour les duels masculins, il s’agissait de questions d’honneur ou de rivalités amoureuses. La marquise de Nesle et la comtesse de Polignac s’affrontèrent ainsi au pistolet en 1718 pour l’amour du duc de Richelieu.
Quelques décennies auparavant, Julie de Maupin (1673-1707), qui inspira le roman de Théophile Gautier Mademoiselle de Maupin, se fit connaître par son talent à l’escrime. Fille de Gaston d’Aubigny, secrétaire du comte d’Armagnac chargé de l’éducation des pages de Louis XIV, elle avait bénéficié d’une excellente formation… renforcée par sa liaison avec un prévôt d’armes nommé Séranne avec lequel elle se produisait dans des spectacles d’escrime. Julie de Maupin multiplia les duels et n’hésita pas à lancer un triple défi à trois jeunes hommes lors d’un bal donné au Louvre. Elle remporta une triple victoire, causant la mort de ses trois adversaires.
Dans le film de Leonard, La Belle des belles, un duel organisé entre deux actrices (dont l’une est incarnée par Gina Lollobrigida) tourne à la farce… et montre que le duel de femmes n’a jamais vraiment été pris au sérieux.
Le duel politique sous la Révolution
Pratique nobiliaire, le duel aurait pu disparaître avec l’Ancien Régime. Paradoxalement, il connut un renouveau sous une autre forme : le duel politique dans lequel deux adversaires s’affrontaient pour défendre des idées opposées et non pour laver un affront personnel (bien que les deux causes puissent se confondre).
Ainsi, Antoine Barnave et Jean de Cazalès se battirent au pistolet en août 1790, Armand de Castries et Charles de Lameth à l’épée la même année. La Constituante, qui abolit tous les anciens édits de l’Ancien Régime, ne légiféra pas sur le duel, ce qui créa un vide juridique. Ni le Code Criminel de 1790, ni le Code Pénal de 1791, ni ensuite le Code Napoléon ne traitent du duel.
Le duel dans l’armée
Sous le Premier Empire, les duels eurent principalement lieu entre militaires. Alors que les duels entre civils se raréfiaient, les duels à l’arme blanche (épée ou sabre) se multiplièrent dans l’armée.
Cette « duellomanie » était encouragée par les maîtres d’armes qui se trouvaient dans chaque régiment et la considéraient comme un bon entraînement pour leurs élèves afin de les préparer au combat.
Une convention tacite (mais pas toujours respectée) établissait que les duels devaient avoir lieu entre soldats ou entre officiers de même grade, mais de régiments différents. Malgré la menace de sanctions sévères (peine de prison, dégradation,…), les duellistes étaient rarement condamnés, car les officiers protégeaient leurs hommes.
Les nombreux duels de François Fournier, engagé comme sous-lieutenant au 9e régiment de dragons, semble avoir inspiré le personnage de Gabriel Féraud de la nouvelle de Conrad Le Duel, adaptée au cinéma par Ridley Scott sous le titre Les Duellistes.
Le choix des armes revenait à l’offensé qui pouvait se décider entre l’épée ou le pistolet (ou le sabre s’il était militaire). Le duel au pistolet, pratiqué dès le XVIe siècle, fut peu courant en France avant la Révolution, à la différence de l’Angleterre.
Comme de nombreux duellistes, Alexandre Dumas, lui-même fin bretteur, préférait l’épée pour des raisons à la fois pratique (le maniement nécessitant un long apprentissage) et symbolique (l’épée renvoyant à un idéal héroïque aristocratique).
L’écrivain fréquentait la salle d’armes d’Augustin Grisier où les Parisiens venaient s’entraîner et fit apparaître à plusieurs reprises cet escrimeur professionnel dans ses romans, comme Pauline et naturellement Le Maître d’armes.
Dans tous les cas, le combat devait avoir lieu « à armes égales ». Les « épées à système », dotées de système permettant d’allonger la lame par surprise, ou de dévier la lame de l’adversaire, ou encore de se dédoubler, étaient sévèrement interdites.
Les témoins devaient vérifier soigneusement la longueur des épées ou contrôler la charge de poudre des pistolets. Certaines armes étaient vendues par paire afin de garantir l’équité du combat… ce qui entraîna la mode des coffrets de pistolets de luxe.
Le renouveau du duel au XIXe siècle
Le courant romantique remit à l’honneur le duel. Alors que triomphaient sur scène les pièces de Victor Hugo, Marion Delorme (dont le premier titre est Un duel sous Richelieu) et d’Alexandre Dumas, Les Trois Mousquetaires, mais aussi La Dame de Monsoreau, et bien d’autres, la mode des duels reprit de plus belle. Mais les duellistes n’étaient plus seulement des aristocrates.
Pour les hommes politiques, les députés, les journalistes, les écrivains, le duel devint un moyen, pour de jeunes ambitieux (le plus souvent issu de la bourgeoisie) de faire leurs preuves, ou, pour les plus hommes plus expérimentés, d’asseoir leur réputation. Ouvrage de référence sur le sujet, l’Essai sur le duel du comte de Chatauvillard, publié en 1836, détaillait les conditions et les règles à observer.
Le 21 juillet 1836, les journalistes Émile de Girardin qui venait de lancer le quotidien La Presse et Armand Carrel qui dirigeait Le National s’affrontèrent au pistolet. Les deux adversaires furent blessés, et Armand Carrel décéda quelques jours plus tard. La mort de cet homme de 36 ans provoqua une vive émotion de l’opinion publique. Elle s’ajoutait à la perte du brillant mathématicien Évariste Galois, tué en duel à 21 ans, le 31 mai 1832.
Le 27 février 1837, Pouchkine trouva la mort en duel à l’âge de 38 ans. En raison d’une rumeur au sujet de l’infidélité présumée de son épouse, le poète provoqua le baron Georges d’Anthès, officier français intégré à l’armée russe. Blessé à la cuisse et au ventre, il mourut deux jours après l’affrontement. Sa disparition brutale eut un grand retentissement en Russie. Elle semblait se confondre avec le destin malheureux de ses personnages, comme Lenski, tué en duel par Eugène Onéguine .
Vers la fin du duel
De nombreux libellés, pour ou contre le duel, se répandirent alors. Toutes les tentatives (8 entre 1819 et 1895) pour interdire ces combats furent rejetées par l’Assemblée et le Parlement.
Parmi les duels célèbres de la fin du XIXe siècle, on compte celui de Marcel Proust et de Jean Lorrain qui avait écrit des articles venimeux au sujet du recueil Les Plaisirs et les Jours. L’échange de coups de pistolet qui eut lieu le 6 février 1897 dans le bois de Meudon ne fit pas de blessé.
Au fil du temps, le duel semblait de plus en plus anachronique. Critiqué, moqué, il devint un ressort comique dans de nombreuses pièces de théâtre, comme Le Voyage de monsieur Perrichon, de Labiche, créé en 1860. Pour l’avoir traité de « paltoquet », Monsieur Perrichon est provoqué en duel par le commandant Mathieu. Le brave bourgeois décide donc d’écrire au préfet de police pour dénoncer lui-même le combat et échapper au danger.
En parallèle, l’escrime sportive se développa en reprenant le vocabulaire et les usages du duel : le salut, la longueur de la piste, la présence d’assesseurs (qui remplacent les témoins),… Elle fut représentée dès les premiers Jeux olympiques d’Athènes en 1896, grâce à Pierre de Coubertin (lui-même escrimeur), et fait partie des cinq disciplines qui ont figuré à toutes les sessions.
La longue histoire des duels se poursuivit pourtant, notamment parmi les hommes politiques : Thiers, Ledru-Rollin, Jules Ferry, Gambetta, Jaurès, Clemenceau (avec pas moins de 12 duels),… Le dernier duel qui eut lieu en France se tint le 20 avril 1967 dans le jardin d’un hôtel particulier de Neuilly-sur-Seine. Il opposa Gaston Defferre au député gaulliste René Ribière qu’il avait insulté à l’Assemblée nationale.
Bibliographie
Catalogue de l’exposition du musée de l’Armée (24 avril - 18 août 2024), Duels. L’art du combat, Paris, coédition musée de l’Armée / In Fine, 336 p.
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