Avec Rodin, Jacques Doillon retrace les étapes les plus notables de la vie du célèbre sculpteur. S’il nous fait vivre au plus près les tensions du geste et l’émergence d’une nouvelle esthétique, son approche enferme malheureusement Vincent Lindon, qui incarne Rodin, dans une prestation fort monotone. Dommage.
Son déficient, dialogues difficiles, voire impossibles à saisir… L’élocution étouffée des acteurs, et particulièrement de Vincent Lindon, ont contraint le distributeur à diffuser des copies sous-titrées du film. Une initiative rare dont la portée est restée malheureusement limitée à trop peu de salles... Ainsi, l’un de nos adhérents a eu la désagréable surprise de voir le film à Saint-Germain-en-Laye et de constater qu’il ne comprenait pas les propos tenus par les acteurs. Encore une fois, dommage.
Jacques Doillon a-t-il voulu imiter Rodin ? A-t-il voulu partir d’un bloc de marbre brut et le tailler de façon à mettre en valeur ses plus belles facettes ? La structure de son film conduit à se poser la question.
Car son Rodin n’invite pas le spectateur à assister à la naissance et à la carrière d’un sculpteur hors du commun, mais le place plutôt au cœur de moments supposés clefs de cette existence.
Sont ainsi mises en exergue quelques étapes de sa vie autour de ses amours et de sa production artistique, les deux registres majeurs du film.
Le premier nous immerge dans les amours tumultueuses de Rodin, montrant le sculpteur aux prises avec des sentiments contradictoires puisqu’il aime à la fois Rose, qui lui donnera un fils et qu’il épousera à la fin de sa vie, mais aussi et surtout Camille Claudel, d’abord modèle, puis muse et enfin égale du maître.
Cet aspect du personnage nous donne à voir un Rodin passionné, déchiré et finalement perdu face à une Camille Claudel désespérée de ne pas être reconnue mais aussi vindicative, reprochant à Rodin de l’empêcher d’accéder à la notoriété qu’elle estime avoir méritée.
L’amoureux de la glaise
L’artiste et son œuvre, l’autre grand volet du film, est probablement la dimension la plus captivante et enrichissante du film.
Vincent Lindon incarne à merveille l’amoureux de la glaise que fut Rodin, défricheur de la modernité, plus attaché au vrai qu’à la répétition sans fin des beautés figées héritées de la sculpture classique. D’où son peu de goût pour le « fignolage ». Ne répond-il pas in petto à ses critiques : « Est-ce que la Nature finit ? Est-ce qu'on fignole les arbres ? »
Pour Rodin, la beauté procède du vrai. Une conception nouvelle puisque la Renaissance avait imposé l’idée qu’il fallait résolument s’inspirer des sculpteurs antiques, les seuls à avoir trouvé l’équilibre et l’harmonie capable de susciter une émotion esthétique.
Les démêlés du sculpteur avec les canons artistiques de son temps et leurs thuriféraires sont également exposés. Ces passages apportent un éclairage sur cette époque et ses rigidités, en particulier son inclination pour les conventions et son peu de goût pour les avant-gardes.
Deux de ses sculptures, devenues célèbres par la suite, ont en effet suscité la désapprobation. Ses bourgeois de Calais, acceptant de se rendre aux Anglais pour éviter le pire à leurs concitoyens, et celle de Balzac, rappelant un monolithe penché, bousculaient l’idée que les commanditaires se faisaient des œuvres qu’ils avaient payées.
Beaucoup de tensions, peu d’émotion
Se concentrant sur ces deux registres, le film de Jacques Doillon montre finalement un Vincent Lindon perpétuellement torturé – par son art, ses amours, l’incompréhension de ses contemporains – et en perpétuelle tension – avec ses œuvres, son entourage, son temps…
Après Gérard Depardieu qui incarna Rodin dans le Camille Claudel de Bruno Nuytten, sorti en 1988, Vincent Lindon était l’acteur français qui pouvait sans doute le mieux incarner le personnage. Malheureusement, il porte en permanence à son paroxysme les traits les plus saillants de Rodin et son jeu produit une seule et même note qui traverse toutes les scènes du film sans qu’il puisse lui apporter de modulation substantielle.
Plutôt que d'explorer la vie d'une personnalité complexe, le film nous propose la vision réductrice que Jacques Doillon a retenue de Rodin et se concentre sur le jeu de Vincent Lindon, lequel s’échine à restituer l’ampleur des efforts déployés par le sculpteur toute sa vie durant.
Efforts qui restent malheureusement vains car le réalisateur a si bien corseté son film que ses personnages sont transformés en archétypes, certes flamboyants, mais au final très convenus. Il ne reste plus au spectateur qu’à observer leurs faits et gestes et capter leurs émotions, faute de pouvoir les ressentir.
Ce Rodin devient ainsi une œuvre paradoxalement très académique, exposant les uns après les autres des moments choisis de la vie du sculpteur, qui deviennent autant de cages que le talent de Vincent Lindon ne parvient pas à faire oublier.
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jean Philibert (26-06-2017 22:19:38)
Félicitations pour cette analyse, dont je suis incapable, n'ayant pas perçu les paroles prononcées - inaudibles pour moi comme pour mes amis. le jeu de Lindon est sans doute très bon, mais il f... Lire la suite