Colette (1873 - 1954)

La scandaleuse

Colette a eu la vie intense et trépidante d’une femme qui a su saisir les opportunités pour s’affranchir des carcans du début de ce XXe siècle, vivre ses désirs, faire fructifier ses talents et se forger une personnalité.

Mais derrière ce caractère entier aux amours multiples, qui n'est pas sans rappeler George Sand, se cachaient deux passions exclusives : les chats et l’écriture. Sa célébrité, bien que tardive, à l'approche de la cinquantaine, la conduira à recevoir la plus haute décoration honorifique française, devenir la première femme présidente du Goncourt... et aussi la première à avoir droit à des funérailles nationales.

Isabelle Grégor

Colette dans la pièce Rêve d'Égypte au Moulin Rouge en 1907.

Colette ? Un zouave !

Colette, quel joli pseudonyme pour un jeune écrivain ! Gabrielle a en effet eu bien de la chance d'avoir un père dont le patronyme était un prénom féminin.

Sidonie-Gabrielle Colette, âgée de 15 ans, à Châtillon, 1888, @bude-orleans.org.Le capitaine Jules-Joseph Colette, ex-zouave unijambiste devenu percepteur ne devait pas être sans charme puisqu'il séduisit en 1865 la veuve Sidonie Robineau-Duclos. Femme de tête, athée et républicaine, celle-ci aura soin de transmettre ses passions et ses révoltes à sa fille adorée.

Le couple s'installe à Saint-Sauveur-en-Puisaye dans l'Yonne où la petite Gabrielle, née le 28 janvier 1873, et son frère vont pouvoir s'épanouir au milieu de la nature en attendant l'entrée à l'école, publique faute de moyens.

Il faudra d'ailleurs quitter la maison et son cher jardin pour s'installer en 1889 à Châtillon-Coligny chez Achille, né du premier mariage de madame Colette mère.

Avec ses tresses interminables et son accent bourguignon, notre Gabrielle de 17 ans ne laisse pas indifférents ces messieurs, y compris un certain Henry Gauthier-Villars, ami de la famille, qui aurait pourtant bien d'autres choses à faire... 

Il vient en effet de perdre la femme qu'il aimait, mariée à un autre et qui lui laisse un fils. Mais qu'importe : Colette apprécie les manières de cet homme de 15 ans son aîné, qu'elle décrit ainsi : « On a dit de lui qu'il ressemblait à Édouard VII. Pour rendre hommage à une vérité moins flatteuse, sinon moins auguste, je dirais qu'il ressemblait à la reine Victoria ». C'est cette fausse reine d'Angleterre qui allait changer à jamais son destin.

Colette en 1902 après avoir coupé ses cheveux, @Rue des Archives.

Claudine à Paris

Henry, qui préfère se faire appeler Willy, finit par épouser Gabrielle en 1893 avant de l'emmener rapidement à Paris. Ce n'est pas la grande vie qui l'attend, mais une petite garçonnière qui semble suffire à un mari un peu trop près de ses sous.

Colette et Willy par Eugène Pascau, Salon de la Société des artistes français, 1903, reproduit dans la Revue Théatrale, mai 1903. L'agrandissement montre la couverture de la première édition de Claudine à l'école , 1900, publiée à Paris par la Société d'édition littéraire et artistiques, Librairie Paul Ollendorff, Chaussée d'Antin.C'est là qu'elle commence à écrire les articles que Willy fait paraître dans L'Écho de Paris sous le titre de « Lettres de l'ouvreuse ». Le monde du journalisme s'ouvre à la jeune femme qui commence à fréquenter le beau monde : un jour elle croise Marcel Proust et Oscar Wilde, le lendemain Georges Clemenceau et Léon Blum... Mais tout cela reste bien superficiel pour Gabrielle qui demeure discrète, se sentant cataloguée dans le rôle de « la femme de... ».

Alors, lorsque son mari, grand employeur de nègres littéraires, lui propose d'écrire ses souvenirs d'enfance, elle voit une occasion de sortir un peu de son ennui. Ce premier roman est une forme d'autofiction dans laquelle la jeune femme évoque son enfance : « Je m'appelle Claudine, j'habite Montigny : j'y suis née en 1884 ; probablement je n'y mourrai pas... »

Pour Willy, la lecture de Claudine à l'école, publié sous son nom en 1900, est une révélation : il a épousé une écrivaine ! Quelle chance ! Il peut faire le paon, s'amuser de choquer l'église avec ses récits quelque peu immoraux, et exhiber sa petite Colette qui n'a pas hésité à couper ses longs cheveux pour lui plaire.

Mais à 30 ans, la jeune femme commence à écouter ces féministes qui lui parlent d'indépendance. Elle n'a donc guère de regret quand, en novembre 1906, Willy l'invite à prendre la porte pour laisser place à sa nouvelle maîtresse.

Comment je suis devenue écrivain

« Si je fais erreur, c'est au retour d'une villégiature franc-comtoise […] que M. Willy décida de ranger le contenu de son bureau. L'affreux comptoir peint en faux ébène, nappé de drap grenat, montra ses tiroirs de bois blancs, vomit des paperasses comprimées, et l'on revit, oubliés, les cahiers que j'avais noircis : Claudine à l'école...
« Tiens, dit M. Willy. Je croyais que je les avais mis au panier ».
Il ouvrit un cahier, le feuilleta :
« C'est gentil... »
Il ouvrit un second cahier, ne dit plus rien – un troisième, un quatrième...
« Nom de Dieu ! grommela-t-il, je ne suis qu'un c... ».
Il rafla en désordre les cahiers, sauta sur son chapeau à bords plats, courut chez un éditeur.
Et voilà comment je suis devenue écrivain »
. (Colette, Mes Apprentissages, 1936)

Colette et Mathilde de Morny (Missy) dans Rêve d’Egypte au Moulin Rouge, 1907, La Société des Amis de Colette, DR.

Madame la baronne

Colette part donc avec son chien et son chat s'installer chez Mathilde de Morny, descendante de Louis XV, marquise de Belbeuf, Missy pour les intimes.

Portrait de Colette, Jacques-Émile Blanche, 1905, musée national d'art de Catalogne. Agrandissement : Colette au sein nu dans le mimodrame La Chair en 1907, La Société des Amis de Colette..Face aux moqueries de Willy qui se gausse de ce couple étrange, Colette passe à l'attaque et se lance dans un divorce (1906) sans pitié. Mais la victoire est au bout : elle peut enfin associer son nom à celui de Willy sur les couvertures de ses Claudine.

Cette première reconnaissance est suivie d'une autre avec la sélection de son roman La Vagabonde pour le prix Goncourt, récompense qu'elle doit finalement laisser à Louis Pergaud. C'est aussi l'époque du music-hall et de ses apparitions à moitié nue sur scène, dans des pantomimes. Scandale toujours !

Elle n'oublie cependant pas le journalisme puisqu'elle entre au Matin. Son rédacteur en chef, Henry de Jouvenel, est un homme tellement intéressant qu'elle l'épouse en 1912. La voici baronne !

Entre deux articles sur la bande à Bonnot et la guerre qui approche, elle trouve le temps de donner le jour à une fille, dont le prénom de « Colette » sera vite remplacé par un mignon « Bel Gazou ». Mais elle s'en éloignera très vite et Colette de Jouvenel soufrira toute sa vie de l'indifférence de sa mère à son égard. Celle-ci continue à vivre à 100 à l'heure. Pendant la Grande Guerre, elle n'hésite pas à rendre visite à son mari sur le front, cependant que leur fille est confiée à une nurse, dans le château de Castel-Novel, à Varetz (Corrèze).

Mais au début de 1920, le baron et la baronne ne s'entendent plus guère, l'un et l'autre multipliant les infidélités. La séparation s'impose. De nouveau divorcée, Colette peut sans remords s'éprendre d'un jeune homme, Bertrand. Malheureusement, non seulement il est un peu trop jeune, mais il est surtout le fils de son ancien mari ! Scandale, à nouveau...

Colette poursuit néanmoins son œuvre de romancière et y gagne enfin la célébrité avec Mitsou (1919) et Chéri (1920). Cette année-là, elle reçoit la Légion d'Honneur avec Anna de Noailles et Marcel Proust. En 1923, Le Blé en herbe est le premier roman signé de son seul nom (adieu Willy !). Ces romans sont inspirés par ses amours, ses passions et ses revers, à l'exemple de Chéri qui raconte la passion d'une femme mûre pour un très jeune homme en lequel on peut reconnaître Bertrand de Jouvenel.

En 1925, l'écrivaine se console avec le séduisant Maurice Goudeket, de seize ans son cadet. Elle l'épouse pour profiter, en couple légitime, de la traversée inaugurale du Normandie. Elle acquiert aussi à Saint-Tropez une maison, la Treille muscate, où elle se plaît à recevoir ses amis. Elle s'y adonne également aux travaux de la vigne et du jardin, fidèle à la passion pour la nature héritée de sa mère.

Colette vendangeuse à Saint-Tropez(aquarelle d'André Dunoyer de Segonzac, 1929, La Treille Muscate).

La dame aux chats

Colette, soins de beauté, Vu, no. 221, 5e année, 8 juin 1932.Les besoins d'argent obligent bientôt Colette à se reconvertir dans les soins de beauté en ouvrant un institut. Cette expérience sera de courte durée puisqu'elle retourne à la littérature pour rendre hommage à ses compagnons de toujours, les chats (La Chatte, 1933). 

À Paris, elle emménage avec Maurice au-dessus des jardins du Palais-Royal. Mais c'est à nouveau la guerre. Pendant l'Occupation, Colette poursuit sa collaboration avec les journaux. Elle publie des chroniques apolitiques, y compris dans le journal antisémite Gringoire. Cela n'empêche pas en décembre 1941 les Allemands d'arrêter Maurice, qui est juif. Il sera finalement libéré en février 1942 grâce à l'entregent de son épouse.  

Dès lors tenue à la discrétion et de plus en plus diminuée par l'arthrite, la « bonne dame du Palais Royal » va écrire tant et plus tout en cultivant l'amitié de ses pairs, tels André Gide, François Mauriac ou Paul Claudel.

Après la Libération va venir la gloire avec en 1949 la présidence de l'Académie Goncourt puis le titre de Grand Officier de la Légion d'honneur.

Colette au Palais Royal, Robert Doisneau, Paris, 1953.Mais la vieillesse et l'infirmité se faisant de plus en plus prégnantes, l'écrivaine s'éteint le 3 avril 1954 : « Soudain ce fut le silence, et la tête de Colette pencha lentement de côté, par un mouvement de grâce infinie » (témoignage de sa fille).

En hommage à cette personnalité hors du commun, cette « première femme qui ait vraiment écrit en femme » (Maurois), le gouvernement décrète des funérailles nationales mais l'Église refuse l'enterrement religieux.

Elle repose aujourd’hui au cimetière du Père-Lachaise aux côtés de Bel Gazou, décédée en 1980.

Marie-Claire n°100 réalisé par Colette le 27 janvier 1939.

Colette, la féministe

D'abord jeune fille sage puis épouse exploitée par son mari, Colette incarne aujourd'hui la femme libre. Il faut dire qu'elle n'a jamais caché avoir cherché, chez ses amants des deux sexes, la volupté, cette « merveille foudroyante et presque sombre ». Pour celle qui avait d'un coup de ciseau adopté la coiffure des Garçonnes et aimait à s'habiller en homme, comme sa maîtresse Missy, rien ne devait entraver sa liberté. Alors lorsque, le 3 janvier 1907, elle apparaît sur la scène du Moulin-Rouge costumée en momie, elle n'hésite pas une seconde à enlever quelques bandelettes pour danser à moitié nue avant d'échanger un baiser avec Pharaon, c'est-à-dire avec Missy ! Par la suite elle n'a jamais cessé de combattre pour la cause des femmes, comme le prouve cet extrait de Paris de ma fenêtre (1942) : « La longue et meurtrière guerre, il y a 26 ans, appela les femmes à la place des hommes combattants ou immolés. Elles s'y maintinrent par le magnifique effort physique et moral que l'on sait et dont elles-mêmes ne se croyaient pas capables. Depuis, la femme n'a pas pensé, elle s'est refusé à penser qu'un jour reviendrait où on lui demanderait de chercher sa grandeur au sein d'un petit foyer […]. Il va falloir compter avec l'engouement qu'elles ont pris du travail professionnel, avec leur amour-propre [...] ».

Publié ou mis à jour le : 2023-01-24 11:42:47
Darko (28-01-2019 14:25:03)

Article très bien écrit, mais...
Mais un portrait sans ombre, idéal comme un dessin naïf.

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