Économiste français le plus célèbre de l'après-guerre, auteur de nombreux succès de librairie, Jean Fourastié a pris la mesure de la révolution sociale qui s'est déroulée sous ses yeux, dans la deuxième moitié du XXe siècle.
Dès 1948, dans Le grand espoir du XXe siècle, il prédit que le progrès technique engendrerait une très forte diminution des besoins de main-d'oeuvre dans l'agriculture et l'industrie.
Dans un essai intitulé Les Quarante Mille Heures, il montre aussi que le progrès économique va mécaniquement de pair avec une diminution progressive de la durée de travail hebdomadaire (sans qu'il soit besoin de légiférer) et il entrevoit le moment où l'on ne travaillerait plus que 40 000 heures dans toute une vie. Depuis les débuts de la révolution industrielle, il y a deux siècles, le progrès économique s'accompagne d'une augmentation très sensible du revenu moyen : année après année, il nous faut de moins en moins de temps de travail pour acquérir tel ou tel bien. Corollaire de l'élévation du niveau de vie moyen, l'éventail des revenus tend à se resserrer (ce n'est plus tout à fait vrai depuis le début des années 1980 !) : le revenu d'un conseiller d'État était 50 fois supérieur au revenu moyen en 1829 et 3 fois seulement en 1976.
En 1979 enfin, dans Les Trente Glorieuses (Fayard), il baptise de la sorte les trois décennies de croissance rapide qui séparent la Libération (1944) de la guerre du Golfe et du premier choc pétrolier (1974) : « Ne doit-on pas dire glorieuses les trente années qui séparent Madère de Cessac, et ont fait passer Douelle et la France de la pauvreté millénaire, de la vie végétative traditionnelle, aux niveaux de vie et genres de vie contemporains ?
- À meilleur titre certainement que « les trois glorieuses » de 1830 qui, comme la plupart des révolutions, ou bien substituent un despotisme à un autre, ou bien, et ce sont de meilleurs cas, ne sont qu'un épisode entre deux médiocrités... »
L'expression fait florès. Elle est toujours régulièrement employée pour qualifier l'après-guerre, avec un soupçon de nostalgie (on pense à l'expression Belle Époque qui qualifia de même, a postériori, la génération précédant la Grande Guerre.
Ces trois décennies (1944-1974) se caractérisent de fait par un spectaculaire regain démographique, avec près de trois enfants par femme (à peine deux aujourd'hui, en incluant l'apport migratoire). La norme de ces années-là est la famille nucléaire, unie et stable, adossée aux valeurs religieuses traditionnelles, mais éprise de travail et de bien-être. L'industrie et l'innovation technologique apparaissent comme le nouvel horizon des hommes d'action.
Ces caractéristiques mises à part, la période d'après-guerre est apparue néanmoins sous un autre jour aux contemporains du temps où ils l'ont vécue ! Ils éprouvaient d'abord les difficultés de la Reconstruction, avec le rationnement et la crise du logement. Ensuite, dans les années 1950, sont venues les grandes peurs : le pays était secoué par les guerres coloniales et chacun tremblait dans l'éventualité d'une troisième guerre mondiale qui serait nucléaire. Enfin venait la crainte de la surpopulation et la prise de conscience du sous-développement d'une très grande partie de l'humanité... C'est seulement dans les années 1960 qu'émergea une culture du bonheur avec l'arrivée à l'âge adulte des jeunes générations du baby-boom. Les Français prirent conscience de la fantastique amélioration du bien-être matériel réalisée depuis la Libération.
Mais la jeunesse, nombreuse et pétulante, réclamait davantage que cela. Elle dénonça les valeurs traditionnelles, la place excessive faite au travail et le culte de la croissance économique. Elle en appela à la révolution et au « Grand Soir » et regarda avec sympathie la Révolution culturelle qui bousculait la Chine maoïste. D'aucuns plaidaient pour la « croissance zéro »... Ils seront servis au-delà de leurs attentes.
Ainsi que l'avait prévu Jean Fourastié, les Français et les Européens ont du se résigner à une croissance plus modeste dans les années 1970 et au-delà. Il est vrai que les taux de croissance de 4% par an, voire 7 à 10% par an, comme en Inde ou en Chine au début du XXIe siècle, ne pouvaient durer au-delà de la phase de décollage économique (un tel taux signifierait une multiplication du produit intérieur brut par plus de 1000 en un siècle !).
Vers un nouveau monde
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