Femme de conviction et d’action, Rosa Luxemburg est une figure majeure du socialisme révolutionnaire. Allemande d'origine juive polonaise, elle se lie avec les marxistes russes en exil tout en s'opposant à Lénine. À la fin de la Grande Guerre, elle fonde le mouvement spartakiste, d'où provient le Parti communiste allemand (KPD). Elle est assassinée par des membres des Corps francs...
Un engagement politique précoce
Rosa Luxemburg naît en 1871 à Zamość, en Pologne, alors sous occupation russe. Issue d’une famille juive, elle subit au lycée l’antisémitisme de ses camarades et de ses professeurs.
En 1887, à 16 ans, elle se lance en politique en participant aux réunions du parti socialiste révolutionnaire Proletariat. Elle doit s’enfuir deux ans plus tard à l’étranger pour échapper à une arrestation. Établie en Suisse, à Zurich, elle y côtoie beaucoup de militants révolutionnaires russes en exil comme Axelrod et Plekhanov.
À Zurich, Rosa Luxemburg étudie l’économie politique, la philosophie et le droit, tout en poursuivant ses activités politiques aux côtés de son amant militant, Leo Jogiches. Elle commence à écrire des chroniques où elle critique et met en perspective des faits divers. Ses études ne prennent fin qu'en 1897, avec la soutenance de sa thèse sur le développement industriel de la Pologne.
En attendant, 1893 est une année très active : la jeune Rosa fonde le Parti social-démocrate polonais (SDKP) avec Jogiches et lance un journal, Sprawa Robotnicza (en français, « La cause ouvrière »). Elle se présente au Congrès socialiste international de Zurich mais est rejetée car son parti n’est pas reconnu.
Sa candidature n’est pas facilitée par le fait qu’elle s’oppose au Parti socialiste polonais (PPS) à propos de l’indépendance de la Pologne, qui n'est pas une priorité pour elle. Rosa Luxemburg pense que la création d'un nouvel État capitaliste n'aiderait en rien le peuple polonais. S'il doit y avoir une révolution, ça serait celle qui mettrait un terme à l'empire russe et au régime tsariste.
Une journaliste et oratrice de talent
En 1897, Rosa Luxemburg s’installe en Allemagne, à Berlin ; son intégration est facilitée par son mariage blanc avec Gustav Lübeck l’année suivante. Elle continue la politique, cette fois-ci au Sozialdemokratische Partei Deutschlands (SPD), le parti social-démocrate allemand.
La jeune femme s’oppose au socialiste réformiste Eduard Bernstein, qui a rédigé des articles polémiques, « Problèmes du socialisme », dans la revue du SPD Die Neue Zeit. Bernstein juge les analyses de Karl Marx dépassées ; il renonce à l'idéal révolutionnaire, préférant une solution plus pacifique : une prise de pouvoir par les urnes et l'intégration des classes moyennes au sein du SPD. Ces positions modérées ne sont pas du goût de Rosa Luxemburg ; en 1889, elle critique vivement Bernstein dans son courrier Réforme ou Révolution.
Rosa Luxemburg est une journaliste douée. Elle rédige des articles pour plusieurs journaux : Die neue Zeit, Leipziger Volkzeitung et Sächsische Arbeiterzeitung, qu’elle dirige. À présent connue dans toute l’Allemagne, les différentes branches régionales du parti social-démocrate lui demandent de se déplacer pour des réunions, des campagnes électorales, les congrès du parti et ceux de la IIème Internationale. Elle discute également avec les membres du Parti ouvrier social-démocrate de Russie (POSDR).
Cependant, elle est loin de partager toutes leurs opinions : en 1904, elle exprime ses divergences dans son article « Questions d’organisation de la social-démocratie russe ». Comme les mencheviks Axelrod et Plekhanov, elle critique l'autoritarisme et le centralisme russes de Lénine, le chef du parti bolchevique russe. Celui-ci préconise de prendre le pouvoir en s'appuyant sur un noyau de révolutionnaires professionnels. Rosa Luxemburg fait au contraire confiance à la « spontanéité des masses » et veut les éduquer afin qu'elles s'affranchissent elles-mêmes du capitalisme.
Rosa Luxemburg se bat aux côtés des Polonais
Rosa Luxemburg n’oublie pas son pays natal : en 1905, la jeune militante retourne à Varsovie, en Pologne, alors en pleine ébullition, suite aux révoltes contre le régime tsariste. Elle contribue à coordonner le mouvement en publiant des brochures.
En mars 1906, elle est emprisonnée et profite de ce repos forcé pour écrire un livre, Grèves de masses, bilan des révoltes polonaise et russe. Après sa sortie de prison, en juillet 1906, Rosa Luxemburg retourne en Allemagne ; elle enseigne à l'école des cadres du SPD.
Dans son principal ouvrage, Die Akkumulation des Kapitals (L'Accumulation du Capital, 1913), elle définit une théorie marxiste de l'impérialisme en tentant de montrer que la pression capitaliste sur les salaires conduit à un soulèvement inéluctable.
En 1914, la Polonaise exprime son opposition à la guerre impérialiste. Elle rencontre Karl Liebknecht, un député socialiste allemand et antimilitariste convaincu. Ils s'unissent contre le vote des crédits de guerre et publient ensemble des articles dans le journal Die internationale. En 1915, le journal est saisi et censuré. Quant à Rosa, elle est arrêtée et mise en prison à deux reprises ; le SPD, partisan de la guerre, l’exclut de ses rangs. Nullement résignée, la jeune femme continue de se battre. Elle plaide pour la révolution dans les Lettres de Spartacus (« Spartakusbriefe »).
À l'automne 1918, elle publie une brochure, La Révolution russe, dans laquelle elle se félicite de la victoire de Lénine en Russie mais dénonce son autoritarisme, affirmant que « sans une liberté illimitée de la presse, sans une vie d'association et de réunions affranchies d'entraves, il est tout à fait impossible de concevoir la domination des grandes masses populaires » et que « la liberté, c'est toujours la liberté de celui qui pense autrement ».
La militante crée son propre mouvement, la Spartakusbund (« Ligue spartakiste » en français), en collaboration avec Karl Liebknecht, Franz Mehring et son amie Clara Zetkin. Le 9 novembre 1918, alors que l'empire allemand s'effondre, la République de Weimar est instaurée sous l'égide du socialiste Friedrich Ebert. Karl Liebknecht incite la foule à mettre en place une « république socialiste libre » depuis un balcon du château de Berlin.
Le mouvement spartakiste prend forme. Il se donne un programme politique et lance un journal, Die Rote Fahne (en français, « Le Drapeau Rouge ») le 11 novembre, jour de l'Armistice.
Rosa Luxemburg défend une idée pionnière : la mise en place d'un régime dirigé par un Conseil d'ouvriers et de soldats. Toutefois, le 16 décembre, les membres de ce conseil de fortune réunis à Berlin renoncent à accéder au pouvoir par la force et réclament l'élection d'une assemblée constituante. De dépit, outrepassant les consignes de leurs chefs, les militants spartakistes affrontent la police. Plusieurs sont tués.
Une fin tragique
À la fin du mois de décembre, la Ligue spartakiste coupe ses liens avec la social-démocratie et se transforme en Parti communiste allemand (KPD, « Kommunistische Partei Deutschlands»). Elle se donne pour objectif d'empêcher les élections du 19 janvier 1919 par un coup d'État.
Début janvier, le préfet de police de Berlin, Emil Eichhorn, est destitué. En guise de protestation, les spartakistes pénètrent de force dans la préfecture et les locaux du journal du SPD et demandent aux ouvriers de faire grève. Le 5 janvier, ils tentent de prendre le pouvoir, mais des marins les chassent. Le lendemain, Karl Liebknecht relance la révolte ; bien qu’elle ne soit pas convaincue par cette opportunité, Rosa Luxemburg soutient son ami dans Die Rote Fahne. Son dernier article s’intitule « L’Ordre règne à Berlin ». De fait, le ministre socialiste de la Défense Gustav Noske écrase l’insurrection spartakiste durant la « Semaine sanglante », du 11 au 15 janvier 1919. Des centaines de communistes et de civils sont tués.
Le 15 janvier 1919, Rosa Luxemburg est arrêtée à son domicile berlinois, ainsi que Karl Liebknecht, par un groupe paramilitaire anticommuniste, les Corps francs (« Freikorps »). Ceux-ci les exécutent avant même leur arrivée en prison ; ce meurtre aurait été commandité par Gustav Noske. Le corps de la militante est jeté dans le fleuve et n'est repêché que le 31 mai. Le 13 juin, les partisans de Rosa Luxemburg défilent dans les rues de Berlin pour accompagner son cercueil. Tombée dans un certain oubli, cette battante est redevenue un maître à penser dans les rangs de l'extrême-gauche à la fin des années 1960. Son influence est encore perceptible dans le « luxemburgisme », un courant révolutionnaire marxiste ultra-minoritaire.
Le « Spartakusbund », ou spartakisme, fondé en 1916 par Rosa Luxemburg et Karl Liebknecht, tire son nom de la signature « Spartakus » qu'utilisait Liebknecht dans ses articles. Il s'inscrivait ainsi symboliquement dans la droite ligne de l'esclave Spartacus qui s'insurgea contre Rome. En 1916 parurent les Lettres de Spartacus (« Spartakusbriefe »). Les spartakistes voulaient instaurer un régime marxiste dans toute l'Europe en prenant le pouvoir grâce à une révolution populaire. Le spartakisme conduisit à la création du Parti communiste allemand (KPD) en janvier 1919.
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Jean Paul MAÏS (14-03-2021 10:29:29)
Dans un premier temps, j'ai craint de comprendre que Rosa avait été assassinée par des camarades du PCUS ! La lecture complète de l'article m'a heureusement rassuré !