Mensonges et contre-vérités

Bobards et propagande

Le Corbeau (Henri-Georges >Clouzot, 1943)Un nouveau terme est entré dans le langage médiatique : « fake news ». C’est une façon « branchée » de désigner les bobards, contre-vérités et rumeurs malveillantes qui circulent sur les réseaux virtuels : twitterfacebook, youtube, etc.

Faut-il pour autant légiférer contre les abus des réseaux virtuels comme s'y essaie le gouvernement français avec la loi Avia de juin 2020 et l'article 24 de la loi Sécurité de novembre 2020 ? Il apparaît que les bobards n'ont jamais tué personne ; quant aux appels à la haine et aux insultes, ils font depuis 1881 l'objet de sanctions pénales très sévères. Reste à les appliquer.

Force est de constater que les mensonges les plus dangereux ne circulent pas sur internet mais sont proférés de façon très officielle par les gouvernements avec le concours des médias institutionnels en particulier dans les périodes de guerre (note). Le mensonge d'État est une spécialité dont la diplomatie américaine en particulier cultive le secret depuis plus d'un siècle. La preuve par l'Histoire (note).

André Larané
Le droit de mentir !

L'Homme qui a tué Liberty Valance (The man who shot Liberty Valance) est un chef-d'oeuvre du cinéma américain (John Ford, 1962). Ce western se clôt sur une sentence prononcée par un journaliste qui a découvert la banale vérité derrière un acte prétendûment héroïque : « Quand la légende dépasse la réalité, imprimez la légende » (« This is the West, sir. When the legend becomes fact, print the legend. »). Nous pouvons la rapprocher de la formule faussement prêtée au général de Gaulle à propos des mythes qui entoureraient la Résistance : « Je préfère présenter aux Français des mensonges qui les élèvent plutôt que des vérités qui les abaissent. »

Bobards sans conséquence

Né à Harvard en 2004, le réseau facebook compte d’ores et déjà plus d'un milliard d’utilisateurs actifs. Ce sont autant de « communautés » virtuelles réunies par un intérêt commun et au sein desquelles circulent des informations plus ou moins fantaisistes, les fameuses « fake news ». Elles satisfont un public dérouté par la complexité du monde et avide d'explications à sa portée.

Pour retenir l’intérêt des internautes, ces informations doivent surprendre et donc se démarquer des informations communes, sans s’embarrasser de vérifications. Au milieu d'affirmations fantasques, elles doivent aussi contenir des éléments vraisemblables qui les rendent plausibles. Elles doivent surtout répondre aux attentes de la communauté et dire à chacun ce qu’il a envie d’entendre et de croire. Ainsi sont réunis les trois ingrédients des « fake news ».

C'est comme cela qu'après l'attentat islamiste du 11 décembre 2018, à Strasbourg, un quidam a suggéré sur un chat internet que le gouvernement français aurait organisé cet attentat pour en finir avec les Gilets jaunes. Si cette rumeur complotiste a pu susciter autant d'écho, c'est qu'elle est partie d'un fait objectif : quand ils ont eu connaissance de l'attentat, les gouvernants français ont pu espérer qu'il dissuaderait les Gilets jaunes de poursuivre leur mouvement. Mais de là à supposer que des agents de l'État auraient guidé le bras du terroriste, il y a un abîme d'invraisemblance et de mauvaise foi.    

C’est aussi comme cela que des musulmans font circuler avec un certain succès l’idée que Mahomet, nom donné en français au prophète de l’islam, serait une déformation dépréciative de son nom arabe qui remonterait au XVIIIe siècle. La réalité historique est autrement plus simple : Mahomet dérive de Mehmet, nom donné par les Turcs au prophète (les Perses l’appellent quant à eux Mahmoud et les Sahéliens Mamadou).

On peut s'affliger que tant de gens se laissent séduire par des invraisemblances et des mensonges. Mais comment leur en faire reproche ? Cette crédulité traduit le besoin de se rassurer face à un monde hostile ou à tout le moins incompréhensible, parcouru d'informations dérangeantes et contradictoires. La classe politique elle-même donne le mauvais exemple en déformant de façon outrancière les faits d'Histoire, qu'il s'agisse de l'esclavage, dénaturé par la loi Taubira de 2001, ou de la colonisation, qualifiée par Emmanuel Macron de « crime contre l'humanité » à l'égal de la Shoah !

On peut s'amuser aussi d'une erreur de l'ancien président des États-Unis Ronald Reagan à la Convention républicaine de 1992, quand il a attribué à Abraham Lincoln un propos outrancièrement libéral du pasteur et polémiste William Boetcker (1873–1962) : « You cannot bring prosperity by discouraging thrift... » (« Vous ne pouvez apporter la prospérité en décourageant l'épargne... »). Du coup, il se trouve encore des médias pour reprendre l'erreur mais internet est heureusement là pour rétablir la vérité et rendre son intégrité morale à « Abe » (Lincoln).

Au demeurant, quand une information ne contient aucun élément de vraisemblance, elle a vite fait de tourner court. Le 4 mai 2017, le débat de l’entre-deux-tours des présidentielles françaises a donné lieu à une sortie inattendue de la candidate Marine Le Pen, qui a relayé une rumeur propagée sur les réseaux sociaux et lancé à son rival : « J'espère qu'on n'apprendra pas que vous avez un compte offshore aux Bahamas… » Emmanuel Macron a gardé son calme et l’on peut penser que le bobard ne lui a pas fait perdre une voix.

De la même espèce fut la calomnie à l’encontre du leader socialiste Léon Blum, selon laquelle celui-ci mangeait dans de la vaisselle en or. Diffusée par la presse d'extrême-droite dans les années 1930, elle ne convainquit que ses lecteurs et suscita des haussements d’épaule chez les autres car elle ne reposait sur aucun fondement sérieux.

UNE de l'Humanité du 6 juin 1922

Visitant un cimetière militaire de Verdun avec l'ambassadeur américain, le président du Conseil Raymond Poincaré esquisse un rictus sous l'effet du soleil, au moment où un photographe déclenche son appareil. Le quotidien L'Humanité, organe du tout nouveau parti communiste, publie la photo à la Une le 6 juin 1922 avec une légende qui en détourne le sens complètement le sens et va, dans une partie de l'électorat, réduire l'honorable homme d'État à « l'homme qui rit dans les cimetières ! » (note). C'est, un siècle avant les réseaux dits sociaux, un cas exemplaire de fake-news.

Carte postale illustrée signée Francisque Poulbot. Légende : Et les mômes boches, ils embrassent leur père ?? En juin 1916, M. Testard, professeur de dessin à l?École alsacienne de Paris, demande à ses élèves d?illustrer la guerre. En agrandissement, le dessin de l'un de ses élèves, Jean Bruller, dit Vercors, l?auteur du Silence de la mer, publié clandestinement durant l?occupation.On peut classer dans la même catégorie les rumeurs de la Première Guerre mondiale selon lesquelles par exemple les « Boches » coupaient les mains des enfants. Les citoyens croyaient-ils à ces bobards diffusés par les journaux et les cartes postales ? C’est peu probable car ils ne reposaient sur aucun élément avéré.

D’ailleurs, le journaliste Albert Londres eut vite fait de les qualifier de « bourrage de crâne ». Mais on laissait dire car ces bobards remplissaient une fonction symbolique en légitimant l’effort de guerre et la solidarité de tous contre l’ennemi commun. Ils soudaient les membres de la communauté dans la haine de l’adversaire, de la même façon que les « fake news » d’aujourd’hui disent aux gens ce qu'ils ont envie de croire, sans souci de la vraisemblance.

Même en situation de guerre, les bobards, soulignons-le, ne prêtent pas à conséquence et n'ont tué personne, jusqu'à preuve du contraire.

Le Petit Journal, extrait du mardi 13 octobre 1914.

Même aveuglement chez les partisans de Staline et ceux de Mahomet

L'intelligence ne met personne à l'abri de la crédulité... Après la Seconde Guerre mondiale, l’intelligentsia occidentale a témoigné d’un aveuglement maladif vis-à-vis de la réalité soviétique. Ainsi, lors du procès Kravchenko, en 1949, des personnalités aussi réputées que le Prix Nobel Frédéric Joliot-Curie, Louis Aragon, Julien Benda ou encore Vercors sont venues dire à la barre le dégoût que leur inspirait l'accusé, coupable d’avoir médit sur l’Union soviétique.
Ces intellectuels étaient enfermés dans leurs certitudes, inaccessibles au doute cartésien et à la recherche de la vérité. Et face à leurs contradicteurs, ils cherchaient un réconfort au sein de leur groupe. En cela, ils étaient semblables aux islamo-gauchistes d’aujourd’hui, avec des arguments qui rappellent le chaudron de Freud (note) : les actes terroristes n'ont rien à voir avec l'islam ; si des musulmans commettent des actes terroristes, c'est à cause de l'islamophobie et des discriminations dont ils sont victimes ; plutôt que de s'appesantir sur les attentats islamistes, on ferait mieux de s'inquiéter des crimes des suprémacistes blancs...

Les demi-vérités tuent

Si les « fake news » n’ont jamais à notre connaissance cassé une réputation, c’est parce qu’elles ne reposent au mieux que sur des allégations. Elles ne convainquent que les convaincus et suscitent chez les autres des haussements d’épaules. Il en va autrement des demi-vérités ou demi-calomnies qui circulent aujourd’hui dans la presse et sur internet. Elles peuvent causer des torts irréparables aux personnes visées et briser des réputations et des vies, comme les lettres anonymes d'antan, ainsi qu'on le voit dans le film Le Corbeau d’Henri-Georges Clouzot (1943). Cette issue fatale vient de ce qu’elles contiennent une part de vérité qui leur apporte de la vraisemblance.

Ce fut le cas du « prêt gratuit » accordé par l’homme d’affaires Roger-Patrice Pelat en 1986 au ministre Pierre Bérégovoy pour l’achat d’un appartement. Révélé par Le Canard Enchaîné le 1er février 1993, ce prêt existait bien et laissait planer un doute sur la probité du Premier ministre de François Mitterrand alors qu’une enquête approfondie aurait montré l’absence d’intention délictueuse. Patriote et républicain, qui plus est déprimé par l’échec de son camp aux législatives, Pierre Bérégovoy ne supporta pas que son honneur soit mis en cause. Il se suicida le 1er mai 1993.

Comment ne pas faire le rapprochement avec une autre affaire, le suicide de Roger Salengro ? Ministre de l’Intérieur dans le gouvernement de Léon Blum, il fut accusé d’avoir déserté vingt ans plus tôt, pendant la Grande Guerre. Il est vrai qu’il avait été capturé par l’ennemi mais c’était en tentant de récupérer le corps de l’un de ses compagnons d’armes, avec l’accord de son chef…

Plus loin dans le temps, songeons à la reine Marie-Antoinette, dont les maladresses firent le miel de ses ennemis. Elle avait renoncé, par souci d’économie, à une somptueuse rivière de diamants. Mais les bijoutiers vendirent ensuite ce collier à un soupirant de la reine sans que celle-ci le sût. Le scandale retomba sur elle et ternit à jamais sa réputation. L’affaire du collier lui coûta beaucoup plus que l’accusation d’inceste proférée lors de son procès. Par son outrance, cette accusation sans fondement lui valut au contraire l’indulgence du public… Pas assez cependant pour obtenir son acquittement.

Quand la rumeur se fait révolutionnaire

En juillet 1789, au début de la Révolution française, les campagnes françaises ont été parcourues par une vague de rumeurs suivant lesquelles les aristocrates se disposaient à restaurer des droits féodaux tombés en désuétude. Ces rumeurs étaient suscitées par les avanies que subissaient à Versailles les députés des états généraux, ce qui leur donnait une apparence de vérité. Elles étaient aussi amplifiées par le malaise paysan, après deux années de récoltes médiocres.
Elles ont de ce fait conduit à une traînée de violences odieuses contre les nobles, leurs familles et leur biens : la « Grande Peur ». À Versailles, les députés se sont hâtés en conséquence d'abolir les derniers droits féodaux !

Mortelles calomnies

En marge des « fake news » et des rumeurs, il y a les calomnies inspirées par la haine et qui visent à détruire une réputation, voire une vie. La calomnie existe de toute éternité mais facebook l'a encouragée en faisant tomber la barrière qui séparait, il y a peu encore, vie privée et vie publique. 

Les réseaux virtuels conduisent des adolescents à exposer leur vie intime sur la Toile à leurs risques et périls et certains en arrivent au suicide quand des partenaires indélicats ou jaloux divulguent des photos ou des vidéos compromettantes.  Ces réseaux, improprement appelés  « sociaux », conduisent aussi à des appels au meurtre. Le professeur Samuel Paty, assassiné par un jeune islamiste, ou encore Mila, adolescente traquée pour avoir diffusé sur internet des propos maladroits sur l'islam, en ont été les victimes. 

La loi française dispose d'un arsenal législatif efficace pour lutter contre ces méfaits qui visent des personnes bien identifiées et non pas un groupe social. Dans son article 226-22, le code pénal prévoit en effet jusqu'à un an de prison et 15 000 euros d'amende pour la divulgation d'informations portant atteinte à la considération ou à l'intimité d'une personne quelle qu'elle soit. Si la peine était appliquée, il ne fait pas de doute que les drames de Mila ou Samuel Paty auraient été évités. Mais il ne suffit pas d'avoir des lois, encore faut-il avoir la volonté et le courage de les appliquer (note).

Les gouvernants trouvent plus commodes à chaque tragédie d'invoquer l'insuffisance du corpus législatif et de promettre de nouveaux textes qui règleront le problème (ainsi l'a-t-on vu avec la discussion surréaliste autour de l'article 24 de la loi de sécurité du 27 novembre 2020, qui, de fait, n'ajoute rien à l'article 226-22).

Les terroristees n'ont pas attendu internet pour diffuser leur venin

Soulignons que l'intégrisme islamiste n'a pas attendu internet et facebook pour dévoyer les jeunes générations. La révolution iranienne (1978) et la réaction wahhabite (1979) sont survenues vingt ans avant que la Toile n'investisse la planète. Elles se sont appuyées sur des moyens de communication très ordinaires : livres, presse, cassettes audio-vidéo, radio, etc. Les instigateurs des attentats du 11 septembre 2001 n'ont pas non plus eu besoin d'internet pour recruter leurs agents et diffuser la haine. Ils se sont satisfaits des moyens de communication courants.

Plus que des rumeurs sans conséquence, plus que des demi-vérités qui peuvent tuer, plus que des appels au meurtre et des calomnies que la justice dédaigne de punir, l’Histoire nous invite à nous méfier des mensonges d'État, lesquels tuent pour de bon...

Publié ou mis à jour le : 2024-09-19 06:01:12

Voir les 19 commentaires sur cet article

Rédaction d'Hérodote (04-10-2023 15:32:12)

Duhamel (04-10-2023 14:07:19)

"La colonisation, qualifiée par Emmanuel Macron de « crime contre l'humanité » à l'égal de la Shoah !" Ma mémoire défaille peut-être, mais je crois que Macron s'il a bien qualifié la colonis... Lire la suite

Christian (03-03-2023 07:48:54)

Certaines fausses informations ont la vie dure: c'est le cas de celles relatives à Cheikh-Saïd (ou Cheik-Saïd), péninsule quasi désertique située au sud-ouest du Yémen, occupant une position st... Lire la suite

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