Natif de Bar-le-Duc (Meuse), Raymond Poincaré est une figure majeure des débuts de la IIIe République.
La légende s’accroche si fort aux images de l’homme d’État belliciste et du gestionnaire économique rigoureux (le franc Poincaré), qu’elle a laissé dans l’ombre une incontestable réalité : Raymond Poincaré a fait sa carrière à gauche de l’échiquier politique, ou plus exactement sur la frange droite de la gauche, là où se situe aujourd’hui le centre-gauche.
Il est le fils d’un ingénieur polytechnicien du corps des Ponts et chaussées aux convictions anticléricales et républicaines bien ancrées. Certaines branches de la famille sont plus aisées et ont des propriétés avec de grandes maisons, d’autres font de la politique locale, toutes sont restées lorraines.
À l’âge de dix ans, Raymond doit fuir la Lorraine avec sa famille devant l’avancée prussienne, puis revient à Nancy pour assister au rattachement de l’Alsace et la Moselle à l’Empire allemand, tandis que le reste de la Lorraine où il réside demeure française. Conformément au traité de paix de Francfort, elle subit l’occupation par l’armée allemande jusqu’en 1873.
Déjà très éveillé, le jeune garçon en conserve le souvenir d'une grande humiliation. Il ne lui reste plus qu’à achever son éducation à l’école laïque où il se révèle fort brillant élève, selon un atavisme familial illustré par les capacités exceptionnelles du mathématicien Henri Poincaré, son cousin plus âgé de quelques années. Plutôt que de risquer d’être toujours à la traîne de ce cousin trop doué sur le plan scientifique, il renonce à suivre les traces de son père jusqu’à l’école Polytechnique et décide, à la surprise des siens, de faire des études de droit à Paris.
Il les termine de façon éclatante avec le titre de premier secrétaire de la conférence du stage des avocats, c’est-à-dire le jeune avocat le plus éloquent et le plus prometteur de l’année, titre envié qui ouvre bien des portes après une sélection drastique.
La « république des avocats »
Dans la « république des avocats » de la fin du XIXe siècle, qui fera place après la Grande Guerre à la « république des professeurs » puis aujourd’hui à celle des énarques, le premier secrétaire de la conférence du stage est l’équivalent d’un actuel major de l’ENA : les cabinets d’avocats les plus en vue se l’arrachent pour commencer sa carrière professionnelle, et il ne tient qu’à lui d’entrer en politique grâce à la notoriété que lui confère son titre.
Le jeune homme débute comme avocat dans sa ville natale. À 25 ans, il a déjà l’ambition d’être le premier partout. Comme plus tard Valéry Giscard d’Estaing, il impressionne tous ses interlocuteurs par son sérieux compassé et son intelligence. Cette réputation et son titre d’ancien premier secrétaire de la conférence du stage lui valent d’être appelé par le Lorrain Jules Develle à la direction de son cabinet de ministre de l’agriculture, puis de conquérir un premier mandat électoral de conseiller général dans la Meuse, enfin d’être élu à 27 ans député de la Meuse sous l’étiquette républicaine de gauche après une campagne à connotation très laïciste contre le « candidat du château ». Dans le même temps, son ami Louis Barthou, également avocat, est élu dans les Pyrénées-Orientales.
Il se signale à la Chambre des députés par sa sensibilité sociale tout autant que par un nationalisme ardent. Lorsque le scandale de Panama pousse à trouver de nouvelles têtes pour renouveler le personnel gouvernemental, le voici à 33 ans ministre de l’Instruction publique. Son sérieux lui vaut d’y être reconduit après un passage au ministère des Finances.
Il est pressenti en 1899 à l’âge de 39 ans pour la présidence du Conseil, mais le poste échoit finalement à l’avocat Pierre Waldeck-Rousseau qui clôt l’affaire Dreyfus et fait voter d’importantes lois sur les congrégations religieuses et les syndicats. Toujours membre de la gauche modérée, Poincaré témoigne en justice en faveur du capitaine Dreyfus et vote toutes les grandes lois républicaines sur la laïcité combattues, y compris la loi de séparation des Églises et de l’État.
Poincaré se fait élire sénateur de la Meuse et poursuit en parallèle une fructueuse carrière d'avocat et une carrière parlementaire sans éclat qui fera dire à Georges Clemenceau : « Le don de Poincaré n'est pas à dédaigner : c'est l'intelligence. Il pourrait faire remarquablement à côté de quelqu'un qui fournirait le caractère ». Son talent à composer et prononcer d’admirables discours en l’honneur de personnages ou d’événements importants le porte en 1909 à l’Académie française où Louis Barthou ne tardera pas à le rejoindre.
« Poincaré-la-guerre »
Succédant enfin à Joseph Caillaux à la présidence du Conseil le 14 janvier 1912, après l'affaire du Maroc, il ambitionne de préparer la « revanche » ou du moins de mettre la France en situation de résister à une agression allemande. C'est ainsi qu'il accélère le réarmement du pays, ce qui lui vaudra après la Grande Guerre le surnom de « Poincaré-la-guerre ». Il renforce aussi les alliances avec la Russie et le Royaume-Uni.
Il poursuit dans la même voie après son élection à la présidence de la République, le 17 janvier 1913. Il appelle à la présidence du Conseil Aristide Briand puis, le 20 mars 1913, son ami Louis Barthou. En dépit d'une opposition virulente, celui-ci fait voter le 19 juillet 1913 une loi qui rétablit le service militaire à trois ans pour tous (curés compris !) au lieu de deux.
Le 8 décembre 1913, pour tenter de se concilier les opposants, il appelle Gaston Doumergue à la tête d'un cabinet d'« entente républicaine » avec Joseph Caillaux au ministère des Finances.
Il n'est pas moins désavoué par les électeurs qui amènent à la Chambre une majorité radicale et de gauche aux élections du 26 avril-10 mai 1914. Habilement, le 13 juin 1914, il appelle à la tête du gouvernement René Viviani, un leader socialiste et anticlérical mais partisan de maintenir la « loi des trois ans ». Pour apaiser l'électorat populaire de gauche, qui ne veut pas de cette loi, il fait enfin promulguer le 15 juillet 1914 la loi sur l'impôt progressif sur le revenu portée par Joseph Caillaux.
Après l'attentat de Sarajevo, Raymond Poincaré part en voyage à Saint-Pétersbourg avec René Viviani. Soucieux de préserver à tout prix l'alliance franco-russe, il donne au tsar l'assurance de « seconder entièrement, dans l'intérêt de la paix générale, l'action du gouvernement impérial » y compris dans son différend avec l'Autriche-Hongrie à propos de la Serbie.
Le 1er août 1914, il lance une formule qui se veut rassurante : « la mobilisation n'est pas la guerre » et le 4 août, une fois les hostilités engagées, plaide pour l'« Union sacrée ». La formule fait florès mais lui-même, d'une apparence glaciale, a du mal à galvaniser les énergies. Il finit en 1917 par appeler au gouvernement son adversaire politique, Georges Clemenceau.
Quoi qu’il en soit, Poincaré souffre de voir Clemenceau récolter seul le bénéfice de la victoire et le tenir à l’écart des négociations du traité de Versailles. Il quitte l’Élysée avec un soupir de soulagement pour se faire réélire en 1920 sénateur de la Meuse et entamer à 60 ans une deuxième carrière politique.
Il reste républicain de gauche mais les frontières politiques sont provisoirement brouillées dans la Chambre « bleu horizon » élue en 1919 : Poincaré incarne désormais le camp de la fermeté envers l’Allemagne, face à Aristide Briand mais en compagnie des anciens collaborateurs de Georges Clemenceau, lequel s'est retiré de la vie politique. Cette image de fermeté lui vaut d’être rappelé à la présidence du Conseil en janvier 1922 par son ancien collègue du barreau Alexandre Millerand.
Dans le souci d'une « exécution intégrale du traité de Versailles », il fait alors occuper la Ruhr pour obliger l'Allemagne à payer ses « réparations ». L'Allemagne entre dans une tourmente financière. La France est également touchée et la valeur de sa monnaie plonge de 50%.
Les élections du 11 mai 1924 amènent la victoire du Cartel des Gauches et son renvoi du gouvernement le 1er juin de la même année. Mais il est rappelé en catastrophe deux ans plus tard pour juguler la crise financière. Il forme alors un cabinet d’union nationale avec d’anciens ou futurs présidents du Conseil comme Aristide Briand, Édouard Herriot, Paul Painlevé, André Tardieu et Louis Barthou, et solde les comptes de la guerre le 25 juin 1928 en dévaluant le franc. Au franc Germinal, plus que centenaire, succède le franc Poincaré d’une valeur cinq fois moindre.
Poincaré démissionne pour raison de santé le 26 juillet 1929, en pleine gloire. Ultime honneur, il se fait élire bâtonnier de l’ordre des avocats de Paris cependant que son successeur André Tardieu gère tant bien que mal les conséquences du krach de la bourse de New York en octobre 1929... Il s'éteint à Paris une semaine après son ami Louis Barthou, tué à Marseille lors de l'attentat qui visait le roi Alexandre 1er de Yougoslavie.
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