1er janvier 1960

Le Cameroun ouvre le « bal des indépendances »

Quand débute l'année 1960 - année-charnière s'il en est -, l'Afrique noire est encore pour l'essentiel constituée de colonies européennes. Font exception l'Éthiopie, brièvement annexée par l'Italie fasciste et le Liberia, fondé en 1847. Le Soudan anglo-égyptien, la Gold Coast anglaise, devenue le Ghana, et la Guinée, ont acquis leur indépendance un peu plus tôt, respectivement en 1956, 1957 et 1958.

Le Cameroun ouvre le « bal des indépendances » dans l'Afrique française le 1er janvier 1960. Le Nigeria anglais et la Somalie anglo-italienne s'émancipent la même année, de même que le Congo Belge, mais celui-ci dans des conditions autrement plus dramatiques. C'est le début de la fin de la tutelle de l'Europe sur le continent noir.

En définitive, la colonisation de l'Afrique noire aura duré selon les pays six à huit décennies, soit à peine plus longtemps que les indépendances à ce jour. Elle n'aura été qu'une courte parenthèse dans l'Histoire du continent. En ce début du XXIe siècle débute une nouvelle forme d'exploitation du continent avec l'arrivée en force de la Chine, avide de matières premières et de produits agricoles...

André Larané
L'Afrique, de la colonisation aux indépendances

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En deux décennies, dans les années 1950 et 1960, les Européens ont donné l'indépendance à leurs colonies africaines, à quelques exceptions près comme les colonies portugaises et les micro-possessions françaises (Comores et Mayotte).
Le continent africain est constitué aujourd'hui d'une mosaïque de 54 États indépendants (y compris cinq États méditerranéens) issus de l'éclatement des empires coloniaux ainsi que de la sécession de l'Érythrée d'avec l'ancien empire d'Éthiopie et de la scission plus récente du Soudan...

Impasse de la colonisation

Jusque dans les années 1870, les Européens n'étaient présents en Afrique noire que sur les côtes, dans des comptoirs tels Saint-Louis du Sénégal, l'un des plus anciens. Les maladies et en particulier le paludisme les dissuadaient de pénétrer dans l'intérieur du continent. Seule la pointe australe du continent, dotée d'un climat méditerranéen et demeurée hors d'atteinte des populations noires bantouphones, avait donné lieu à une occupation en règle et même à une colonisation de peuplement.

C'est donc seulement dans le dernier quart du XIXe siècle que vont être occupées l'Afrique subsaharienne et l'île de Madagascar.

Le Royaume-Uni, qui, depuis sa victoire à l'arraché sur Napoléon Ier, domine le monde comme aucun empire avant lui, trouve naturel d'adjoindre l'Afrique à son tableau de chasse. Il y est conduit par des aventuriers tel Cecil Rhodes, qui rêve d'un axe Le Caire-Le Cap. Son rêve deviendra réalité en 1919 avec l'adjonction du Tanganyika allemand à l'Empire britannique. Il y est aussi conduit par des idéologues tels le général Charles Gordon qui, par le sacrifice de sa vie, force Londres à « libérer » le Soudan de l'oppression mahdiste, ou le missionnaire David Livingstone qui n'a de cesse de protéger les populations d'Afrique centrale contre les razzias des négriers arabes.

La France est la deuxième puissance européenne à se lancer dans l'occupation de l'Afrique, avant tout pour des motifs politiques : restaurer sa grandeur après la chute de l'empire napoléonien et surtout asseoir la légitimité de la République après l'instauration fragile de celle-ci en 1870. Il s'agit dans l'esprit des « colonistes » de l'époque, en premier lieu Jules Ferry, d'exporter les idéaux républicains d'émancipation et de progrès jusqu'aux extrémités du monde. Soucieuses de tenir leur rang de grande puissance, l'Allemagne et l'Italie tenteront sur le tard de se doter aussi d'un empire colonial...

Mais à vrai dire, le coup d'envoi de la colonisation de l'Afrique est donné par un souverain sans pouvoir désireux de donner un but à son existence, le roi des Belges Léopold II. Il entreprend de créer un État personnel dans le bassin du Congo, ce qui conduit les Européens à se concerter sur le partage de l'Afrique à Berlin en 1885. Le partage sera pour ainsi dire achevé treize ans plus tard quand, face à l'ultimatum britannique, les Français renonceront à Fachoda à réunir leurs possessions selon un axe Dakar-Djibouti.

Au tournant du XXe siècle, les affaires européennes reprennent le dessus jusqu'au cataclysme de la Première guerre mondiale. Dans le même temps, les puissances coloniales prennent conscience du coût de la colonisation. Contrairement à la propagande coloniste, l'Afrique coûte cher et rapporte peu. Le peuplement européen se limite à l'Afrique australe et aux plateaux tempérés de Rhodésie (actuel Zimbabwe) et du Kénya. Ailleurs, la présence européenne se limite en tout et pour tout à quelques milliers de fonctionnaires, missionnaires et commerçants.

L'idée selon laquelle les colonies doivent se suffire à elles-mêmes s'avère illusoire et il faut se résigner à les financer sans contrepartie. L'historien Jacques Marseille a montré ainsi qu'au début du XXe siècle, l'État français dépensait bon an mal an 10% de son budget pour l'administration des colonies.

Dans les années 1920, la France et la Grande-Bretagne engagent en Afrique de grandes campagnes de prophylaxie. La vaccination de masse contribue à fortement réduire la mortalité infantile. Le continent noir sort de la stagnation démographique et entame une exceptionnelle croissance encore loin d'être terminée. Dans le même temps, les missions chrétiennes redoublent d'activité... ainsi que le rappelle Hergé dans Tintin au Congo ! Elles donnent un nouvel élan à l'éducation des indigènes et diffusent les principes d'universalité et d'égalité de tous les êtres humains à la base de la civilisation européenne. Beaucoup d'Africains issus des écoles missionnaires, de Léopold Sédar Senghor (Sénégal) à Robert Mugabe (Zimbabwe), vont en tirer argument pour revendiquer une pleine indépendance de leur pays.

L'Angleterre, qui a déjà donné l'indépendance à ses dominions blancs et s'apprête à émanciper son joyau colonial, les Indes, se résigne sans trop de mal à l'indépendance de ses colonies africaines. En 1940, elle vote le Colonial Development and Welfare Act. C'est la première loi consacrant des ressources métropolitaines à l'élévation du niveau de vie des populations colonisées. Dès les années 1950, Londres confèrera l'indépendance à ses possessions africaines. Des obstacles surgiront toutefois dans les colonies et États à fort peuplement européen, le Kenya, la Rhodésie et l'Afrique du sud. 

À son tour, après la Libération, par la loi du 30 avril 1946, la France met en place le Fonds d'investissement pour le développement économique et social (FIDES). Elle abolit également le travail forcé et étend la citoyenneté. Plusieurs Africains et Malgaches font leur entrée au Parlement et au gouvernement. La Belgique lance également en 1949 un plan décennal pour le développement économique et social du Congo. Seul s'obstine le Portugal du dictateur Salazar dans son rêve de grandeur. Il le paiera d'une longue et coûteuse guerre de décolonisation.

De l'Empire à la « Françafrique »

En 1956, ayant déjà perdu l'Indochine, le Maroc et la Tunisie, la France a institué une Union française dans laquelle elle a accordé un réel pouvoir à des gouvernement africains démocratiquement élus. Quand il accède au pouvoir deux ans plus tard, le général de Gaulle se résigne toutefois assez mal à la perte de l'influence française en Afrique. Il propose de remplacer l'Union française par une Communauté plus souple et part en tournée en Afrique pour en promouvoir l'idée. Le 24 août 1958, à Brazzaville, il lance : « À l'intérieur de cette Communauté, si quelque territoire, au fur et à mesure des jours, se sent au bout d'un certain temps, que je ne précise pas, en mesure d'exercer toutes les charges, tous les devoirs de l'indépendance, eh bien, il lui appartient d'en décider par son assemblée élue et si c'est nécessaire, par le référendum de ses habitants [...]. Je garantis d'avance que, dans ce cas, la métropole ne s'y opposera pas. »

La Communauté fut instituée par le référendum du 28 septembre 1958 qui fonda la Ve République et recueillit en Afrique 7 470 000 Oui contre 1 120 000 Non... Seule la Guinée la rejeta à l'initiative de son leader Sekou Touré avec 636 000 Non. La colonie devint dès le 2 octobre suivant indépendante et fut abandonnée sans coup férir par la France, le général de Gaulle voulant montrer aux autres Africains ce qu'il en coûtait de s'opposer à la métropole. De facto, la Guinée sombra très vite dans la misère et l'oppression et n'en est pas encore sortie...

La Constitution établit un Secrétariat général de la Communauté pour les affaires africaines et malgaches qui fut confié à partir du 21 mars 1960 à Jacques Foccart. Cet homme de l'ombre, fidèle d'entre les fidèles, allait devenir pendant deux décennies et même au-delà l'indispensable « Monsieur Afrique » du général de Gaulle et de ses successeurs, usant de tous les moyens, séduction, corruption ou violence, pour maintenir les anciennes colonies du pré-carré dans le sillage de Paris. Il est le géniteur de la « Françafrique ». C'est avec la dissuasion nucléaire et le siège permanent au Conseil de Sécurité de l'ONU l'un des trois piliers qui permit à la France gaullienne de conserver longtemps un statut de grande puissance.

Farandole des indépendances

Dans un contexte de guerre froide, d'insurrectionnaires marxistes et d'appels à la décolonisation, la Communauté française ne tarda pas à se dissoudre.

Au Cameroun, ancienne colonie allemande partagée en 1918 entre la France et le Royaume-Uni, des leaders politiques n'avaient pas attendu le bon vouloir de la métropole pour déclencher un soulèvement dès 1956. Celui-ci fut sévèrement réprimé mais conduisit la France à accorder l'indépendance au pays dès le 1er janvier 1960 sous le nom de République unie du Cameroun (capitale : Yaoundé). Le premier président en fut Ahmadou Ahidjo.

Le 27 avril 1960, le Togo (capitale : Lomé), autre colonie enlevée à l'Allemagne, devint à son tour indépendant et Sylvanus Olympio en fut élu président de la République.

Le 20 juin naît la Fédération du Mali, qui réunit les colonies du Sénégal et du Soudan français, mais elle éclate dès le 20 août et l'ancienne colonie du Sénégal (capitale : Dakar) prend le large.

Le 25 août, l'agrégé de grammaire Léopold Sédar Senghor devient président de la nouvelle République.

Le 22 septembre, le Soudan (capitale : Bamako) proclame à son tour son indépendance sour le nom de Mali (ancien royaume africain). Le premier président de la République en est Modibo Keita.

Le 26 juin, Madagascar, grande île de l'océan Indien (capitale : Tananarive), célèbre son indépendance et porte à sa présidence un ancien instituteur au savoureux accent montpelliérain hérité de ses études : Philibert Tsiranana.

Les Belges, empêtrés dans les violences de tous ordres qui ensanglantent leur grande colonie du Congo héritée du roi Léopold II, se résolvent à l'émanciper. Elle devient indépendante le 30 juin avec à sa tête Joseph Kasavubu, président, et Patrice Lumumba, Premier ministre (capitale : Léopoldville, aujourd'hui Kinshasa).

Le lendemain 1er juillet, la Somalia, colonie italienne, et le Somaliland, colonie britannique, fusionnent pour devenir la république de Somalie (capitale : Mogadiscio) avec à sa tête un certain Aden Abdullah Osman Daar. C'est le seul État africain qui peut se prévaloir d'une grande homogénéité ethnique. Il aboutira à un énorme fiasco

Le 1er août, le Dahomey (aujourd'hui Bénin) devient indépendant (capitale : Porto Novo) avec pour président un certain Hubert Maga. Le 3 août, vient le tour du Niger (capitale : Niamey) avec pour président Hamani Diori. Le 5 août, celui de la Haute-Volta (aujourd'hui Burkina Faso, capitale : Ouagadougou) ; président : Maurice Yaméogo.

Le 7 août 1960, la Côte d'Ivoire devient indépendante (capitale : Abidjan, puis Yamoussoukro). Son premier président est un médecin de 55 ans devenu planteur de cacao, Félix Houphouët-Boigny. Sa mort, le 7 décembre 1993, débouchera sur la ruine de ce pays, qui fut dans les années 1970 le plus prospère d'Afrique noire.

Le 11 août, c'est au tour du Tchad, une colonie très pauvre de l'ancienne AEF (Afrique Équatoriale Française) de devenir indépendant (capitale : Fort-Lamy, aujourd'hui N'Djamena). Son premier président est un Sara chrétien du Sud : l'instituteur François Tombalbaye. Son assassinat en 1975 entraîne la mainmise des nomades musulmans du nord sur le pouvoir.

Deux jours après, le 13 août 1960, l'Oubangui-Chari, autre colonie d'AEF, devient indépendant sous le nom de République centrafricaine (capitale : Bangui) avec à sa tête David Dacko. Le 15 août, le Congo-Brazzaville, de l'AEF lui aussi, devient indépendant avec l'abbé Fulbert Youlou pour président. Le 17 août, c'est le tour du Gabon (capitale : Libreville), avec Léon Mba pour président.

Le 1er octobre, la colonie britannique du Nigeria (capitale : Lagos) accède à l'indépendance. Cette fédération est l'État le plus peuplé d'Afrique noire dont il représente un quart de la population et sans doute aussi l'un des plus hétérogènes. L'année des indépendances africaines se clôt le 28 novembre sur l'indépendance de la Mauritanie (capitale : Nouakchott), avec pour président de la République Moktar Ould Daddah.

Dans les années suivantes accèdent à l'indépendance la Sierra Leone et le Tanganyika ou Tanzanie britanniques (1961), le Rwanda et le Burundi belges (1962), l'Ouganda et le Kenya (1962 et 1963), l'Afrique australe britannique et la petite Guinée équatoriale espagnole (1968), enfin les colonies portugaises : Guinée-Bissau (1973), Mozambique, Cap-Vert et Angola (1975) ainsi que Djibouti, ancien comptoir français (1977). L'Érythrée, colonie italienne annexée par l'Éthiopie, s'émancipe en 1993.

Pour les commentateurs « éclairés », il ne fait alors pas de doute que cette vague d'indépendances ouvre la voie à des progrès rapides. Leurs désillusions seront grandes.

Publié ou mis à jour le : 2021-02-04 17:47:03

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