Le 10 novembre 1871 (note), un jeune Blanc arrive à Ujiji, une bourgade africaine sur la rive orientale du lac Tanganyika. Tandis que la population l'entoure avec curiosité, un autre Blanc au visage émacié et d'une extrême maigreur se dirige lentement vers lui, soutenu par deux serviteurs.
Le jeune homme ôte son chapeau et lance cette apostrophe aussi laconique qu'immortelle : « Dr. Livingstone, I presume ? » (« Vous êtes sans doute le Dr Livingstone ? ») (note).
Le missionnaire David Livingstone (58 ans), qui explorait l'Afrique orientale, n'avait pas rencontré d'Européen depuis cinq ans et passait pour disparu... quand il fut ainsi retrouvé par le journaliste Henry Morton Stanley, de son vrai nom John Rowlands (30 ans).
Un saint en Afrique
Issu d'une pauvre famille d'Écosse, de confession presbytérienne, David Livingstone travaille dès l'âge de 10 ans comme ouvrier dans une fabrique de coton. Il manifeste des dons intellectuels et un goût de la lecture qui lui valent de devenir médecin et pasteur protestant.
En 1840, il part en Afrique du sud et établit des missions dans le Bechuanaland, en limite méridionale du désert du Kalahari. Ayant épousé quatre ans plus tard la fille du célèbre missionnaire Robert Moffat, il accomplit avec elle deux traversées du Kalahari. Puis il l'envoie en Angleterre avec leurs trois premiers enfants et s'établit dans le pays des Makololo.
Auprès des Makololo et de leur jeune roi Sekelutu, David Livingstone découvre les réalités de la traite orientale :
« Sekeletu reconnut qu’ils faisaient trafic de leurs prisonniers et échangeaient de jeunes garçons contre des fusils européens, le fusil étant un atout dans les guerres tribales – et parfois même une question de survie. Le jeune chef lui apprit également que, depuis quelque temps, des marchands arabes de Zanzibar venaient proposer des armes à feu aux chefs, en contrepartie de jeunes esclaves, refusant d’être payés en ivoire ou en bétail comme par le passé.
Ces révélations marquent le début de la croisade anti-esclavagiste de Livingstone. La traite lui apparaît désormais comme une redoutable gangrène sur laquelle doit porter l’effort missionnaire. Il repense alors à la conférence de Buxton qu’il avait entendue lors de ses études à Londres et, à partir de ce moment, il va prôner inlassablement l’ option économique selon laquelle il est important de désenclaver l’intérieur du continent noir pour ouvrir la voie au commerce licite et aux missions chrétiennes. Dans son journal, il écrit : Comme nous parlions de cela (de la traite) avec mes compagnons, l’idée nous vint que, si on fournissait légalement le marché des esclaves en produits européens manufacturés, alors la traite deviendrait impossible. Il serait alors plus facile d’échanger les marchandises – pour lesquelles à l’heure actuelle les gens se séparent de leurs serviteurs – contre de l’ivoire ou d’autres produits locaux, et d’enrayer ainsi le commerce à ses débuts, que d’essayer de l’arrêter lors d’étapes ultérieures. Ceci ne pourrait fonctionner que par l’ouverture d’une voie de pénétration de la côte jusqu’au centre du pays » (note).
Pour le missionnaire, seule la mise en place d’un commerce légal pourrait détourner les chefs africains de l’odieux trafic. Et c'est pour essayer de trouver un débouché pour ces produits qu'il va essayer de trouver une voie d'accès d'abord vers l'Atlantique, puis, vu les difficultés rencontrées, vers l'océan Indien.
Livingstone part en exploration au nord du Kalahari. Simplement accompagné de vingt-sept compagnons africains « prêtés » par le roi des Makololo, il atteint l'Atlantique avec l'idée d'ouvrir un débouché commercial sur l'océan mais il se rend compte de l'inanité de ce projet et part pour une nouvelle exploration vers l'océan Indien avec cette fois 87 porteurs. Il découvre le 17 novembre 1855 les gigantesques chutes du Zambèze qu'il baptise du nom de la reine Victoria.
Son retour à Londres est triomphal. Ses engagements chrétiens au service des Africains et contre la traite des esclaves par les Arabes et les Portugais lui valent en particulier une immense popularité (les entreprises coloniales n'ont pas encore à cette époque le caractère brutal qui sera le leur deux décennies plus tard).
Livingstone repart dès 1858 aux frais du gouvernement.
L'objectif est de chercher des sites propices à l'établissement de nouvelles missions et d'évaluer le potentiel économique des régions traversées. Mais il échoue et, qui plus est, perd sa femme au cours de l'expédition.
En 1867, avec le concours de la Royal Geographical Society qui l'a chargé d'identifier enfin les sources du Nil, il se lance à nouveau à l'aventure avec, cette fois, un plus modeste équipement. Il veut explorer le lac Tanganyika où il espère trouver les légendaires « fontaines d'Hérodote » que l'on croit être à l'origine du Nil.
Mais, malade, il est abandonné par ses porteurs, sauf par les fidèles Susi et Chuma, qui seront encore à ses côtés à la rencontre avec Stanley.
Désespéré par les épidémies et les trafics d'esclaves qui ravagent la région, il doit se réfugier à Ujiji, qui est alors un centre prospère de la traite arabo-musulmane.
Six ans plus tard, retrouvé par Stanley, Livingstone fait un bout de chemin avec lui mais, trop fatigué et encore désireux de repartir à la recherche des « fontaines d'Hérodote », il refuse de suivre son sauveteur en Angleterre.
Il meurt en mai 1873, à l'âge de 60 ans dans la région des grands lacs. Ses amis africains Chuma et Susi enterrent son coeur et ses viscères au pied d'un arbre. Après avoir embaumé son corps, ils le ramènent jusqu'à la côte et le confient au consul de Zanzibar. Ils lui remettent aussi ses carnets de voyage, du moins ceux que Stanley n'avait pas déjà récupérés.
Livingstone sera inhumé en grande pompe dans l'abbaye de Westminster un an plus tard.
Bibliographie
On peut lire sur le missionnaire écossais la biographie écrite par Marie-Claude Barbier-Mosimann : Livingstone (Ellipses, 2016).
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Joscat (08-11-2015 17:03:21)
Je recommande la lecture d'Equatoria de Patrick Deville (Seuil 2009). Cf A. & C.Londner, dans Lire et découvrir # 221 : "Le narrateur observe l'Oggoué jusqu'au Congo pour fonder Brazzaville. Ainsi... Lire la suite
Charchour de Sydou (07-06-2006 09:38:32)
L'histoire est fascinante. J'en ai fait la découverte dans le récit Le testament espagnol d'Arthur Koestler. En voici le passage: "la nouvelle était donc fausse; j'avais ici devant mes yeux sur la ... Lire la suite