Le western

Sur la piste de la légende

Le western est un genre aussi ancien que le cinéma et n’en finit pas de se renouveler, de décennie en décennie, au grand dam des beaux esprits qui annoncent régulièrement sa mort prochaine.

Ce mot (« De l’Ouest » en français) désigne communément toutes les fictions dont l’action se situe dans le Far West nord-américain (le « Grand Ouest »), au XIXe siècle et au début du XXe, à l’époque sauvage de la conquête et de la colonisation. Aux Étatsuniens en manque d’Histoire, il offre un récit fondateur et unificateur qui n’est pas sans rappeler les chansons de geste du Moyen Âge occidental, de la légende du roi Arthur à la Chanson de Roland.

Dans sa grande diversité, le western aborde toutes les sensibilités, de la violence extrême à la bluette sentimentale en passant par la fable écologique, le plaidoyer pour les minorités opprimées… sans oublier bien sûr la glorification de la patrie et de ses valeureux défenseurs. Il atteint parfois aussi une profondeur comparable à nos tragédies classiques. 

À cheval ou en voiture, entrons dans ce Nouveau Monde à nul autre pareil…

Isabelle Grégor

Frederic Remington, Chevaux au galop, 1890, Massachusetts, Clark Art Institute. Agrandissement : Agrandissement : Frederic Remington, La carte dans le sable, vers 1905, Cincinnati Art Museum.

Tous à l'Ouest !

« Vers le pays de la liberté, où le lent Missouri va déjà vers la mer, où un homme est un homme, où tout le monde a une chance... » Tout le mythe du Wild Wild West est dans ces paroles d'une chanson populaire américaine : l'aventure, le voyage et la nature mais aussi la liberté et l'égalité de tous face aux opportunités offertes.

Le Dernier des Mohicans, J. Fenimore Cooper, 1896 : illustration de Franck Merrill. Agrandissement : Couverture de Malaeska, la femme indienne du chasseur blanc (1860).On est loin de la réalité des émigrants qui, depuis la fin du XVIIIe siècle, ont traversé le continent d'est en ouest pour trouver et exploiter de nouvelles terres, souvent aux détriment des tribus amérindiennes autochtones.

Cette histoire de pionniers a rapidement inspiré les écrivains et artistes qui y ont vu l'occasion d'évoquer destins extraordinaires et paysages grandioses. Dès le début du XIXe siècle, les rêveurs sont attrapés au lasso par les romans de Fenimore Cooper (Le Dernier des Mohicans, 1826) et les aquarelles de Karl Bodmer (Voyage à l'intérieur de l'Amérique du Nord, 1833) qui ont largement contribué à forger notre vision occidentale de la culture amérindienne.

Paul Kane, Camper dans la prairie, 1846, Texas, Stark Museum of Art. Agrandissement : A travers le continent, Vers l'Ouest, l'extension de l'empire, 1868, Washington, Library of Congress.

Profitant de cet engouement, Ann S. Stephens choisit en 1860 de raconter l'histoire d'une « épouse indienne d'un chasseur blanc » dans un petit ouvrage vendu deux sous dans les épiceries. Avec ce dime novel (« roman à deux sous ») et les centaines qui le suivront, c'est toute la légende de l'Ouest qui entre de plain pied dans la culture populaire des États-Unis.

En selle pour de nouvelles aventures ! Les romanciers se jettent dans la bataille et, en une dizaine d'années au tournant du XXe siècle, fondent ce qui va servir de base au western : il ne fait aucun doute que les scénaristes d'Hollywood avaient tous les récits de Zane Grey et de Max Brand sur leurs étagères.

Bison-Dance des indigènes Mandan, in Les voyages de Maximilien, prince de Wied à l'intérieur de l'Amérique du Nord (1832-1834), Karl Bodmer, 1839. Agrandissement : le Wild West Show de Buffalo Bill en 1890.

Premiers coups de feu... silencieux

En 1894, avant même que les frères Lumière ne déposent le brevet du cinéma, un collaborateur de l'inventeur américain Thomas Edison tourne un petit film de 30 secondes avec son kinétoscope. Le sujet ? Les Indiens, bien sûr ! Plus précisément les Sioux de la troupe de Buffalo Bill qui interprètent pour les premiers spectateurs une Buffalo Dance.

Dès ses origines, le cinéma est donc lié au Far West et il n'est pas étonnant que la première fiction américaine, Le Vol du Grand Rapide (1903) d'Edwin S. Porter, mette en scène des bandits occupés à dévaliser les passagers d'un train. Et les spectateurs adorent, ravis de plonger sous les fauteuils en voyant le bandit tirer face caméra !

Gilbert M. Anderson dans le rôle de Broncho Billy, 1913.Même si l'on n'entend pas encore le bruit des colts, le « cow-boy picture » prend son envol et fait les beaux jours du cinéma muet dont il occupe près de 30% de la production.

La référence aux cow-boys a de quoi surprendre. Étaient-ils donc si romanesques, ces humbles « vachers » (c'est la traduction française du mot) qui conduisaient les troupeaux dans la Grande Prairie dans la deuxième moitié du XIXe siècle ? Sans doute pas mais très vite le mot a changé de sens pour désigner au sens large les pionniers solitaires qui étaient supposés parcourir à cheval le Grand Ouest en quête d'aventures, armés de leur Colt et coiffés de leur Stetson. 

Et qu'importe si les westerns sont encore tournés sur la côte Est, voire même en Camargue (Cent dollars mort ou vif, 1911) ! On ne cherche pas l'authenticité mais l'aventure, le grand spectacle.

Certes, on peut trouver certaines légendes de l'Ouest comme Buffalo Bill jouant leur propre rôle, mais personne n'est gêné de voir des comédiens blancs grimés en Indiens. Aucune ambiguïté par contre n'entoure Gilbert M. Anderson, reconnu comme la première vedette du genre avec son rôle récurrent de Broncho Billy, le roi de la gâchette.

La hache de guerre enfin enterrée ?

Qui dit western, dit Indiens, évidemment ! Il fallait bien trouver des « méchants » pour mettre en valeur les gentils cow-boys ! Dans les premiers temps pourtant, les populations autochtones de l'Ouest sont plutôt mises en valeur dans les « Indian pictures » qui leur sont consacrées. Cela ne va pas durer, puisque dans les années 1930, les films inspirés des guerres indiennes les transforment en sauvages chevauchant sur le sentier de la guerre, en obstacles anonymes mais bien utiles qu'il faut supprimer pour aller plus loin vers l'Ouest. Les scénaristes, adeptes de la formule prêtée au général Sheridan : « Un bon Indien est un Indien mort », accumulent alors les scènes de massacre où les Tuniques bleues poursuivent des figurants qu'il suffit de grimer un peu. Pendant longtemps d'ailleurs, on ne s'étonnera pas de voir Burt Lancaster (Bronco Apache, 1954) ou Anthony Quinn (L'Indien, 1970) endosser ce type de rôle.

John Ford, lui, préférera embaucher des Navajos pour tous ses films, quelle que soit la tribu concernée. Marqué par la Seconde Guerre mondiale, le réalisateur borgne fait partie de ceux qui font évoluer le regard porté sur les Indiens en s'interrogeant sur les droits des peuples. Il s'engouffre ainsi dans la brèche ouverte en 1950 par La Flèche brisée où l'on évoque enfin la possibilité de tisser de vrais liens d'amitié entre les deux camps. Avec le magnifique La Prisonnière du désert (1956), Ford s'attaque au racisme névrotique de l'anti-héros joué par John Wayne, puis avec Les Cheyennes (1964), rend hommage aux Native Americans sacrifiés et redonne enfin à ces populations une véritable humanité.

L'opposition traditionnelle Visages pâles contre Peaux-Rouges disparaît alors au profit d'une vision plus nuancée et réaliste de leurs relations, visible dans Little Big Man (1970) ou Danse avec les Loups (1990). Le premier film évoque la bataille de Little Big Horn (1876). Dans l'un et l'autre film, les héros Dustin Hoffman et Kevin Costner sont des Blancs adoptés par une tribu indienne et qui en savourent l'art de vivre avant d'éprouver la brutalité de leurs congénères.

Avec l'évolution de la société, il semble bien que tomahawks et scalps aient enfin rejoint définitivement le rayon des accessoires ! Mais Hollywood n'a pas fini son travail de relecture : il lui reste à redonner leur place à ces grands oubliés des westerns que sont les émigrés asiatiques, employés dans la construction du chemin de fer, et surtout les Afro-américains qui représentaient pourtant dans les années 1880 un cow-boy sur quatre.

Wanted ! On recherche un peu de réalisme...

Avec le déménagement des studios sur la côte Pacifique dans les années 1910, les films gagnent en réalisme. On tourne désormais dans les « vrais » décors, avec de « vrais » cow-boys qui voient là une occasion de se reconvertir.

Couverture du magazine Wild West, 1908. Agrandissement : The Iron Horse (1924), dirigé par John Ford.Si l'Ouest qui est montré est encore trop souvent celui des années 20, avec ses automobiles et ses mobylettes, peu à peu les scénaristes vont choisir comme cadre de leurs histoires une période antérieure précise : entre 1840 et 1890. Seront donc évoquées les grandes traversées du continent par les pionniers et les contacts avec les Amérindiens mais aussi la guerre contre le Mexique (1845-1848), la guerre de Sécession (1861-1865) ou encore les différentes ruées vers l'or (à partir de 1848).

Fasciné par la grande Histoire, le western ne cherche pas pour autant à jouer le rôle de professeur : il s'agit surtout pour les réalisateurs de magnifier le passé, de construire le récit mythique de la construction de la Nation américaine. Le jeune John Ford y fait ses premières armes en mettant en scène dans son Cheval de fer (1924) le personnage d'Abraham Lincoln, bien décidé à unir le pays grâce au train.

L'Est et l'Ouest se serrent la main lors de la pose du dernier rail, photographie d'Andrew J. Russell restaurée par Adam Cuerden, 1869.

Mais dans l'ensemble la production reste encore très standardisée avec des scénarios répétitifs basés sur des rôles-types (le cow-boy valeureux, le bandit masqué, l'ingénue en détresse...), des tournages express en trois jours et l'ajout d'un fond musical invariable. Alors qu'il voulait faire rêver, le western se noie dans la banalité...

De la légende en boîte

« On est dans l'Ouest, ici. Quand la légende dépasse la réalité, alors on publie la légende ! » Cette phrase tirée de L'Homme qui tua Liberty Valance est devenue emblématique du western et de son goût pour jouer avec les limites de la réalité.
Couverture du <em>dime novel</em> The Fighting Trapper, 1874. Agrandissement : John Wayne et James Stewart dans The Man Who Shot Liberty Valance (1962).L'univers qu'on nous présente depuis les débuts du genre est en effet nourri de clichés que le spectateur prend un plaisir coupable à retrouver d'un film à l'autre. Les lieux (grands espaces, rue vide, saloon, ferme isolée...), les costumes (chapeau informe, chemise usée mais revolver impeccable...) et même les personnages, du héros solitaire au sergent de cavalerie bourru en passant par le shérif alcoolique et le barbier terrifié, semblent sortir tout droit du même vivier. Il suffit de se servir et de jouer avec les combinaisons possibles !
À la façon du conte, le western fait donc la peinture d'un monde qui semble isolé, autonome, avec ses personnages et ses propres lois, bien connues de tous. Mais en fait le genre n'a cessé de se nourrir de ces lieux communs pour s'en servir comme tremplin. En jouant avec ces caricatures en effet, nombre de réalisateurs n'ont fait que prendre le pouls de leur société. Le western, ce n'est pas que « le bon » contre « la brute » ! On trouvera donc bien sûr le thème de la conquête de la Frontière avec sa glorification des pionniers ou de la cavalerie. Cette apologie se nourrit de nationalisme et de nostalgie pour une période pleine d'espoir, que l'on aimerait voir revenir. Les voyous d'alors, ces « bandits bien-aimés » qu'étaient les frères James ou Buffalo Bill, sont érigés en héros pour symboliser le combat des « garçons vachers » contre l'arrivée de la modernité, de ses « barbelés sur la prairie » et de ses trains venus de l'Est. C'est le bon vieux temps contre le progrès, David contre Goliath !

La traversée du désert

Catastrophe ! En 1928, le western se voit condamné à mort par l'arrivée du parlant. Il faut en effet enfermer les caméras, trop bruyantes, dans des cages insonorisées. Un immobilisme incompatible avec les tournages extérieurs et les charges de cavalerie ! Sans compter que désormais, suite à la Première guerre mondiale, on préfère célébrer les as de l'aviation plutôt que les cavaliers mal rasés...

C'est paradoxalement le son qui va sauver le western avec la création de scènes chantées, largement diffusées à la radio. On le limite cependant à la série B, catégorie de « petits » films projetés en première partie d'une séance. L'Oscar accordé à La Ruée vers l'Ouest (1931) de Wesley Ruggles cache mal les difficultés que rencontre alors un genre trop peu ambitieux. Il est temps de passer les rênes à une nouvelle génération.

C'est La Chevauchée fantastique de John Ford qui, en 1939, va donner un bon coup de fouet aux scénaristes. Tourné dans la Monument Valley avec un quasi-débutant rebaptisé John Wayne, le film se présente à la foi comme un huis clos à bord d'une diligence et une célébration des paysages grandioses de l'Utah et de l'Arizona. L'association réussie de l'analyse de la psychologie des personnages et de la maîtrise des scènes d'action, avec une course-poursuite longue de 8 minutes, va donner des idées aux autres réalisateurs. Poussez-vous, le western est de retour sur le devant de la scène !

L'enfer des premiers tournages

William Wyler se souvient des conditions dantesques de tournage de son film Hell's Heroes (1929), premier western parlant dont le scénario sera repris pour Le Fils du désert de John Ford (1948) :
Hell's Heroes (1929), William Wyler, l'une des adaptations à l'écran du roman de 1913 de Peter B. Kyne, Les Trois Parrains.« Il fut réalisé avec des difficultés terribles, parce que la caméra devait être assourdie dans une cabine matelassée avec, devant, une fenêtre arrêtant le bruit et, derrière, une porte matelassée. […] Imaginez seulement une douzaine d'individus poussant cette cabine sur des rails dans la Vallée de la Mort au mois d'août, et cela dans un silence total. Des microphones étaient dissimulés tous les dix pieds ou presque dans un cactus ou des buissons. Une fois, lorsque nous ouvrîmes la porte, nous trouvâmes l'opérateur évanoui. Il avait tourné de l'œil pendant que la caméra enregistrait. À l'extérieur il faisait une cinquantaine de degrés » (cité par Jean-Louis Leutrat).

A la croisée des chemins

Il reste aux scénaristes de Hollywood à tenter de réanimer un genre finalement déjà ancien, souvent tourné à la va-vite et encombré de clichés.

Jack Buetel et Jane Russell dans The Outlaw (Le banni, 1943), Howard Hughes.Certains choisissent de s'inspirer des films noirs (Terreur à l'Ouest avec Humphrey Bogard, 1939) ou de mettre en avant la sensualité débordante de la jeune première (Le Banni avec Jane Russel, 1943, censuré jusqu'en 1950). Bien entendu, c'est efficace...

Il est vrai que le western ne s'adresse plus aux enfants. Devenu adulte, il aborde aussi bien les thèmes de l'attirance charnelle (Duel au soleil de King Vidor, 1945) que des questions sociales comme la place de la femme. C'est elle qui, pour une fois, est au centre de l'intrigue dans Johnny Guitare, avec l'autoritaire Joan Crawford qui a laissé guêpière et froufrous dans l’armoire.

Scène culte du piano dans Johnny Guitare (1954).

Sortie en 1954, cette œuvre basée sur l'opposition des deux héroïnes, l'une conservatrice et l'autre plus libre, n'est pas sans rappeler l'ambiance de chasse aux sorcières qui prévalait à cette époque étouffée par le maccarthysme.

Carl Foreman, scénariste du Train sifflera trois fois (High noon, 1952), expliquera d'ailleurs que lorsqu'il fut lui-même convoqué devant la Commission, il eut l'impression d'être dans la peau de son héros Gary Cooper, abandonné, seul face à ses adversaires...

Le temps des géants

Dans les années 1950, l'Âge d'or d'Hollywood est aussi celui du western qui s'impose dans les salles avec près de 800 titres dans la décennie. Après avoir largement profité de l'arrivée de la couleur en 1938, le genre se délecte en effet des possibilités offertes par le cinémascope.

Le grand écran, c'est pour lui ! Rien de tel pour montrer la fureur de la Rivière sans retour (1954), reconstituer l'incendie géant d'Atlanta (Autant en emporte le vent, 1939, plus grand succès du cinéma mondial avec plus de 200 millions de spectateurs) ou plonger les spectateurs au cœur de folles chevauchées que des cascadeurs risque-tout rendent inoubliables. Pas d'effets spéciaux à cette époque !

Mais le western n'est pas le péplum (dico), et les réalisateurs ne cèdent pas à la tentation du grand spectacle ; ils préfèrent se réapproprier les thèmes classiques du genre pour mieux les renouveler en travaillant l'épaisseur psychologique de leurs héros, tout en suivant l'air du temps. L'Amérique, confrontée à la guerre froide à l'extérieur comme aux tensions raciales à l'intérieur, ne se sent plus aussi sûre d'elle.

Fini, les héros des débuts ! C'est le temps du sur-western, « un western qui aurait honte de n’être que lui-même et chercherait à justifier son existence par un intérêt supplémentaire » (André Bazin). On ne cherche plus simplement à divertir le spectateur, mais on l'incite à s'interroger sur le comportement des personnages, les raisons de leur parcours, non sans ajouter un peu de l'inquiétude des années d'après-guerre.

Désormais nos cavaliers solitaires sont vulnérables, envahis par le doute, à l'image de Link/Gary Cooper, L'Homme de l'Ouest (Antony Mann, 1958), ancien bandit hanté par son passé.

De son côté, John Ford propose des héros obsédés par leur désir de vengeance, à commencer par le fameux Wyatt Earp dans La Poursuite infernale (1946). S'appuyant sur le thème de la cavalerie (Le Massacre de Fort Apache, 1948, La Charge héroïque, 1949, Rio Grande, 1950), il offre par la suite à John Wayne des rôles d'officier qui s'interroge sur sa place au sein de l'armée et de la société en général.

En 1962, lorsqu'il filme le cercueil du cow-boy incarné par son acteur fétiche, au début de L'Homme qui tua Liberty Valance, Ford veut-il montrer la mort de l'Ouest légendaire ? Son film, qui illustre la victoire de la démocratie sur la violence pure, semble le sous-entendre.

Les acteurs principaux du film, Les sept mercenaires de John Sturges (1960) : Yul Brynner (à gauche) à côté de Steve McQueen.

Les cow-boys sont fatigués

C'est la débandade ! Entre les années 1950 et 60, la production de westerns s'effondre et les signaux de fumée désespérés ne suffisent plus à attirer les spectateurs. Certes, quelques chefs-d’œuvre continuent d'assouvir les attentes des cinéphiles, comme Règlements de compte à OK Corral (1957), Alamo ou Les Sept mercenaires (1960).

Affiche de L'Homme sans étoile (1955), King Vidor suivie de l'affiche pour Le Gaucher (1958), Arthur Penn.De nouveaux visages s'imposent également : ceux de Burt Lancaster (Vera Cruz, 1954), Kirk Douglas (L'Homme qui n'a pas d'étoile, 1955) et Paul Newman (Le Gaucher, 1958) commencent à prendre la place du trio magnifique John Wayne/James-Stewart/Gary Cooper.

Mais le genre s’essouffle, épuisé par la télévision et dépassé par l’actualité politique liée à la guerre du Vietnam. C'est vers l'Est désormais qu'il faut se tourner.

Cette fatigue se lit sur les visages de nos cow-boys qui ne sont plus pleins d'ardeur et d'espoir, mais perdus dans leur époque, incapables de s'adapter au progrès. Avec Coups de feu dans la Sierra (1962), le réalisateur Sam Peckinpah lance la mode des westerns que l'on qualifiera plus tard de « crépusculaires ». Leur pessimisme, leur volonté de démystifier la légende de l'Ouest s'y impose à travers le choix de montrer sans fard la violence, à l'instar de La Horde sauvage (1969) au titre évocateur.

Déconseillé aux plus jeunes spectateurs qui lui préfèrent désormais des séries télévisées (Au Nom de la loi, Rintintin, Zorro...), le western sur grand écran semble bien vivre ses dernières années. Il est peut-être temps de ranger les santiags au vestiaire.

Coups de feu dans la Sierra (1962), Sam Peckinpah. Randolph Scott, Ronald Starr et Joel McCrea lors du tournage. Agrandissement : Tournage de La Horde Sauvage (1968) à la Hacienda Ciénaga Del Carmen (Mexique). Sam Peckinpah est à droite.

Dépoussiérage à l'italienne

Le salut vint d'Europe, à partir d'une recette quelque peu inattendue : prenez un scénario japonais (Le Garde du corps d'Akira Kurosawa, 1961), un réalisateur italien connu pour ses péplums (Sergio Leone) et des paysages andalous au milieu desquels vous placez un acteur américain de télévision (Clint Eastwood) pour jouer une fripouille peu bavarde. Vous y ajoutez une bande-son créée par un compositeur diplômé en trompette (Ennio Morricone) et vous obtenez ce qui ressemble bien à un ovni dans l'histoire du western !

Sorti en 1964, Pour une Poignée de dollars est loin de faire l'unanimité : « Quel désert, quelle nullité ! » peut-on lire de la part de critiques peu sensibles au style maniériste du réalisateur. Sous leur plume, le western à l'italienne y hérite d'un qualificatif, le peu poétique « spaghetti » qui se veut méchamment moqueur.

Mais le public ne s'y trompe pas et fait un triomphe au film, permettant à Leone de poursuivre sur sa lancée avec notamment Le Bon, la Brute et le Truand (1966) et deux ans plus tard Il était une fois dans l'Ouest. On y retrouve son style novateur qui joue sur la dilatation du temps pour, à coups de gros plans et de cadrages audacieux, prolonger à loisir des scènes qui vont devenir cultes : attente d'un train en compagnie d'une mouche envahissante, pendaison au son douloureux d'un harmonica, duels de regards déterminés...

Leone compose ainsi ce qu'il appelle des « contes pour adultes », préférant la richesse des intrigues et des personnalités à la violence pure qu'il limite à un « bang ! » et un corps qui tombe. Derrière ses cache-poussières, c'est une nouvelle vision de l'Ouest qu'il nous propose, à la fois réaliste et baroque. Le genre ne se remettra jamais tout-à-fait des yeux bleus d'Henry Fonda envahissant tout l'écran...

Eschyle, scénariste en chef

Des guerriers solitaires, incapables de trouver leur place dans la société, condamnés à des choix qui mettent leur vie en jeu... Nous sommes en pleine tragédie grecque ! Il suffit de voir Le Train sifflera trois fois (High noon, Fred Zinnermann, 1952) pour comprendre à quel point la notion de dilemme fait partie des thèmes fondateurs du western. L’action se concentre sur moins de deux heures, soit la durée du film lui-même. Gary Cooper, déchiré entre son amour pour sa femme et ses responsabilités de shérif, confronté aussi à la lâcheté de ses administrés, va néanmoins se battre seul contre les bandits qui terrorisent la ville.
Sergio Leone, qui choisit une forme d'arène pour le duel final du Bon, la Brute et le Truand, le reconnaissait bien volontiers : « On ne peut pas penser au western sans faire référence aux classiques. En effet, il y a non seulement la tragédie grecque, mais aussi Shakespeare, qui avait pratiquement tout repris de la tradition classique. Et d'ailleurs j'ai toujours soutenu que le plus grand scénariste de western est Homère, et que ses personnages sont les archétypes des héros de l'Ouest. Hector, Achille, Agamemnon ne sont rien d'autre que les shérifs, les aventuriers et les hors-la-loi de l'Antiquité » (cité par Gabriele Lucci).

Un genre qui a la peau dure

Perçu aujourd'hui comme un sauveur, le western-spaghetti et ses 550 films en 10 ans a bien failli être le fossoyeur du western, tant les scénarios, trop souvent basés sur l'ultra-violence ou le comique facile, étaient caricaturaux. Pour un Mon Nom est personne (1973) de qualité, combien de Avec Django, la mort est là ! (1968) dont on aurait pu se passer ?

Affiche de Jeremiah Johnson (1972), Sydney Pollack. Agrandissement : Affiche de Porte du paradis (1980), Michael Cimino.Dans sa patrie d'origine, où le genre est à la peine, on tente de lui donner un nouveau souffle en le mettant au service des grandes idées de l'époque. Pour Sydney Pollack et son Jeremiah Johnson (1972), ce sera la protection de la nature tandis que Michael Cimino préfère illustrer la lutte des classes dans sa Porte du paradis (1980).

Mais l'échec de cette œuvre ambitieuse qui précipita la faillite du studio United Artists rendit méfiant les décideurs d'Hollywood, et il fallut tout l'obstination de Clint Eastwood pour permettre à son Pale Rider de voir le jour en 1985, suivi en 1992 de Impitoyable. Ce film sombre a été accueilli comme le western ultime : n'enterrait-il pas le genre en mettant en scène de vieux tueurs rouillés rejetant leur passé de cow-boys sans foi ni loi ?

Pourtant, le genre avait encore de beaux jours devant lui. Le prouve le retour d'histoires déjà bien connues comme celle de Wyatt Earp dans Tombstone (1993) ou, plus tard, L'Assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford (2007).

Une nouvelle génération de réalisateurs, nourris au western dès le berceau, s'empare du mythe pour lui donner un coup de jeune. Citons Quentin Tarantino qui fait exploser le genre dans Django Unchained (2012) puis Les huit Salopards (2015). Avec ses dialogues sans fin et ses bains de sang stylisés, il rend un hommage appuyé au genre pour mieux s'autoriser toutes les excentricités. Ses audaces montrent, s'il fallait encore le prouver, que le western est un genre qui est loin d'être sclérosé et enfermé dans sa propre légende.

Oh, Suzanna !

A priori, nos cow-boys mal lunés ne font pas partie de la famille des mélomanes. Et pourtant... pas de western sans musique ! Dès l'avènement du son, les réalisateurs n'hésitent pas à mettre l'intrigue sur pause pour laisser le temps aux brigands au grand cœur et aux filles de saloon de pousser la chansonnette. C'est l'occasion de reprendre des airs devenus populaires comme les fameux « Oh Suzanna ! » (Stephen Foster, 1848) et autres « Oh My Darling, Clementine » (1884), titre original du film de John Ford La Poursuite impitoyable (1946).

A coups de banjo, c'est toute la culture folk qui va accompagner l'évolution du genre, permettant dans le même temps à la musique country de se faire connaître en Europe. C'est aussi l'occasion pour certains artistes de proposer un échantillon de leur répertoire.

On retiendra le « Love me Tender » d'Elvis Presley (Le Cavalier du crépuscule, 1956) et surtout le « My Rifle, My Pony and Me » et « Cindy, Cindy » chantonnés par Dean Martin et Ricky Nelson, avant l'attaque finale de Rio Bravo (1959). En France on retiendra le succès de « Si toi aussi tu m'abandonnes » qui ouvre Le Train sifflera trois fois et contribua largement à la popularité du film.

Mais c'est bien sûr Ennio Morricone qui va donner ses lettres de noblesse à la musique de western en lui offrant des compositions dignes des plus grandes salles de concert. Enregistrée avant même le tournage puis jouée sur le plateau, sa musique fait plus que rythmer l'intrigue de ses films : elle remplace les dialogues. « Ennio Morricone n'est pas mon musicien. Il est mon scénariste, » disait Sergio Leone en hommage à celui qui sut donner de l'âme à un air d'harmonica, un simple sifflement ou... un cri de coyote !

Mieux vaut en rire !

Comique, le western ? Mais bien sûr ! Dès les années 20, le burlesque a avalé le genre pour faire naître des chefs-d’œuvre comme Le Mécano de la « Général » (1926) de Buster Keaton ou plus tard Laurel et Hardy au Far West (1937). En 1925, c'est un petit bonhomme moustachu bien maladroit qui va tenter sa chance au Klondike dans La Ruée vers l'or (1925) de Charlie Chaplin.

Le passage au parlant est bien sûr l'occasion d'ajouter quelques bons mots, voire de consacrer des minutes entières à des scènes humoristiques, comme autant de moments de respiration au milieu de films à l'intrigue tendue. C'est ainsi que John Wayne se doit de rester imperturbable face à l'humour potache de son sergent alcoolique (La Charge héroïque) ou de son vieil associé (Rio Bravo). Il faut bien divertir le public...

C'est ce que va faire, plus ou moins discrètement, le western italien des années 70. C'est par les dialogues que Sergio Leone rend ses personnages sympathiques, même les moins bavards. Les duels verbaux plein d'ironie se succèdent, comme dans cet exemple où c'est incontestablement « Blondin » qui a le dessus : « Le monde se divise en deux catégories : ceux qui ont un pistolet chargé et ceux qui creusent. Toi, tu creuses... » (Le Bon, la Brute et le Truand).

Par la suite les westerns spaghettis s'enfoncent dans la parodie qui, certes, fait la gloire du duo Terence Hill / Bud Spencer, mais atteint vite ses limites. Malgré quelques réussites (Maverick, 1994), le western d'aujourd'hui semble préférer se montrer un peu plus sérieux, si l'on met de côté les extravagances d'un Tarentino. Mais le genre est loin d'avoir brûlé ses dernières cartouches…

Bibliographie

Jean-Louis Leutrat, Le Western, quand la légende devient réalité, éd. Gallimard (« Découvertes »), 1995,
Gabriele Lucci, Le Western, éd. Hazan (« Guide des arts »), 2005.


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Cinéma, le septième art
Publié ou mis à jour le : 2023-02-16 18:40:28
Jean Loignon (15-02-2023 17:16:50)

L'ouvrage de Gilles Havard "l'Amérique fantôme" (Flammarion 2019) a attiré l'attention sur la dimension francophone de l'Ouest américain : entre 1750 et 1850, des trappeurs, coureurs des bois et a... Lire la suite

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