Kazakhstan

Au contact de la Russie, de la Chine et du monde turc

Le Kazakhstan est parfois surnommé « pays des cosaques » (les mots cosaque et kazakh ont la même origine turque). C'est un géant de l’Asie centrale cependant bien mal connu. Façonné par son histoire avec la Russie voisine et son imbrication dans le monde turcophone, il est aujourd’hui plus que jamais au cœur des manœuvres géopolitiques dans cette Asie centrale, creuset de nombreux empires...

Isabelle Grégor
L'Asie centrale actuelle et le Grand Jeu au XIXe siècle

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L'Asie centrale, aujourd'hui très largement islamisée et turcophone, longtemps appelée Turkestan, est en 2021 partagée en cinq États plus ou moins inféodés à Moscou :
Kazakhstan (2,7 millions de km2 et 19 millions d'habitants), capitale : Noursoultan (ex-Astana),
• Ouzbékistan (450 000 km2, 31 millions d'habitants), capitale : Tachkent,
• Turkménistan (490 000 km2, 5,5 millions d'habitants), capitale : Achgabat,
• Kirghizistan (200 000 km2, 6 millions d'habitants), capitale : Bichkek,
• Tadjikistan (143 000 km2, 9 millions d'habitants), capitale : Douchanbé,.

Troupeau devant des installations industielles (photo. G. Grégor)

Un pays enclavé

Situé au cœur de l'Asie centrale turcophone, le Kazakhstan se distingue d'abord par sa surface : ses 2,7 millions de km2 pourraient recouvrir l'Europe occidentale, soit presque 6 fois le territoire la France et 1/8 de celui de l'ancienne URSS. Bordé à l'ouest par la mer Caspienne, le pays s'étend à l'est jusqu'en Chine, du côté de la région du Xinjiang. Il est aussi frontalier avec la Russie au nord et les anciennes républiques de l'URSS au sud (Ouzbékistan, Turkménistan, Kirghizistan).

Traversé par deux grands fleuves, le Syr-Daria et l'Irtych, il se compose essentiellement d'une vaste zone de steppes sèches et désertiques, au sud, et herbeuses et boisées au nord, qui ont longtemps fait le bonheur des nomades. La zone centrale, désolée, coupe en deux le pays et sa population d'à peine 19 millions d'habitants (2021).

Celle-ci est très mélangée culturellement avec une majorité khazake turcophone et, au nord, une importante minorité russophone héritée de la colonisation russe (environ un cinquième de la population totale). 

C'est au nord qu'a été inaugurée en 1998 la nouvelle capitale avec son centre à l'architecture moderne (près d'un million d'habitants). D'abord nommée Astana, elle a été rebaptisée Noursoultan en 2009 en l'honneur du leader Noursoultan Nazarbaïev. À l'extrême sud, l'ancienne capitale, Almaty (anciennement Alma-Ata), reste la principale ville avec près de deux millions d'habitants.

Paysages du sud

En 1932, l’écrivain et aventurière Ella Maillart prend le train, direction plein Est...
Paysage de steppe (photo. G. Grégor).« Qui a parlé des couleurs éclatantes de l'Orient ? Le paysage si intensément éclairé est, au contraire, couleur de poussière, gris et monotone. L’horizon uniforme est rond comme en mer : je comprends pourquoi les nomades ont les yeux étroits. Éblouis, ils ne laissent ouverte qu’une mince fente entre leurs paupières si clignées qu’elles en sont parallèles. Et autour d’eux, ils ne posent leurs regards que sur des horizontales : le sable infini qui tremble de chaleur, la mer plate, la steppe continue, les rails qui s’allongent... Pas une verticale, arbre ou construction.
À la fin du jour, lorsque les couleurs revivent, ce ne sont que précieuses demi-teintes. Sable beige, lichens roses en plaques, et très loin, entre deux monticules, le trait bleu-noir de la mer d’Aral » (Des Monts célestes aux sables rouges, 1936).

Kazakhstan-gravure : Gravure rupestre de Tanbaly, âge du bronze (photo. G. Grégor).

Des tribus aux khanats

Statue du musée de Taraz, VIIe s. (photo. G. Grégor).Pour connaître le passé du Kazakhstan, il faut aller dans le sud du pays, à Tanbaly. C'est là que les premiers peuples implantés dans la région, à partir du IIe millénaire avant J.-C., ont gravé des milliers de dessins qui témoignent encore aujourd'hui de la vie de ces communautés pastorales de l'âge du bronze.

Voie de passage, la région accueille par la suite les nomades scythes qui y laissent des tertres funéraires enfermant de précieux bijoux en or. Ils sont suivis aux alentours de notre ère par les Huns puis, quelques siècles plus tard, par des hordes venues de Turquie.

Au XIIe siècle, ce sont les Mongols qui entrent dans la partie et permettent le développement de villes dans le sud, mais la mort de Gengis Khan, en 1218, entraîne la division du pays entre ses deux fils. L'aîné, Djötchi, fonde un khanat, le royaume de la Horde d'or qui va faciliter l'implantation d'un islam sunnite. Par la suite le pays sera partagé en divers khanats qui vont voir passer envahisseurs et commerçants.

Cavaliers mongols, illustration du Jāmiʿ al-Tawārīkh de Rashid al-Din, 1305-1306.

Au cœur du Grand Jeu

Jeune fille kazakh, photographie de I. Poliakov et S. Doudine, 1899.Au XIXe siècle, après la parenthèse des guerres napoléoniennes, la Russie se lance dans une politique d'expansion de son empire, notamment vers l'est et le sud. Elle qui regarde d'un œil avide les terres des Kazakhs (« Hommes libres ») est justement appelée à l'aide par ces derniers, qui acceptent de jurer allégeance au tsar en échange d'une protection contre leurs voisins ouzbèkes. Les voici, malgré eux, au cœur du Grand Jeu qui se met en place dans la région.

Il s'agit pour les Russes d'y contrer l'influence grandissante des puissances occidentales, notamment de l'empire britannique présent en Inde. Profitant des divisions qui déchirent les khanats, la Russie va être la plus rapide en annexant au cœur de l'Asie, en moins de 10 ans, un territoire grand comme la moitié des États-Unis. Elle y lève des impôts, y installe ses paysans, y construit des garnisons. C'est d'ailleurs là que le romancier Fédor Dostoïevski vivra comme simple soldat, après son passage au bagne.

Finalement, en 1891, le Kazakhstan est officiellement intégré à la Russie.

Troupeau (photo. G. Grégor)

À marche forcée jusqu'à l'indépendance

Habitants d'Asie centrale avec le portrait de Joseph Staline, archives de la période soviétique, 54e Biennale de Venise.Tout au long du début du XIXe siècle, les colons slaves se font de plus en plus nombreux, notamment à la suite de l'arrivée du chemin de fer. Les conséquences ne vont pas se faire attendre avec la disparition d'une partie des pâturages des nomades, transformés en terres agricoles, et le recul de la population kazakhe qui ne représente plus aujourd'hui que 60 % des habitants à côté des colons russes et d'autres minorités.

En 1916, en cherchant à enrôler des soldats pour participer à la Première Guerre mondiale, la Russie va trop loin : une violente révolte éclate dans la région, causant des milliers de victimes et poussant les habitants à quitter le pays. Ces troubles vont permettre aux bolchéviques, à leur arrivée au pouvoir en 1917, d'assurer leur mainmise sur le territoire qu'ils transforment en République soviétique, soi-disant autonome.

Vue de la mer d'Aral (photo. G. Grégor).Dans les faits, le Kazakhstan, comme les autres Républiques voisines d'Asie centrale, reste sous la coupe de Moscou qui en fait une sorte de laboratoire économique.

Elle commence par lui imposer une industrialisation frénétique : pour extraire le charbon, chercher le pétrole, forger l'acier, des cités poussent autour d'usines de plus en plus demandeuses en main-d'œuvre, incitant le gouvernement à déplacer des milliers de Russes mais aussi d'Ukrainiens pour répondre aux besoins.

Habitantes d'Asie centrale à l'école, archives de la période soviétique, 54e Biennale de Venise.En agriculture, pour mener à bien la collectivisation, les populations nomades sont obligées de se sédentariser, poussant certains à abattre leurs bêtes plutôt que de les céder. Famine et maladies s'installent dès 1933, faisant plus d'un million et demi de victimes, dont le 1/3 de la population d'origine kazakh.12 ans plus tard, c'est Nikita Khrouchtchev qui lance le programme de la « campagne des Terres vierges » afin de permettre à l'URSS de produire son propre blé. 30 millions d'hectares de steppe vierge sont labourés en vain, la terre n'étant pas assez riche.

Comme en Ouzbékistan, la culture du coton est encouragée, entraînant l'assèchement de la mer d'Aral. Dans le même temps, le pays est choisi pour abriter les essais nucléaires à Semipalatinsk et pour construire un cosmodrome, connu sous le nom de Baïkonour.

Décollage d'Exomars 2016 le 14 Mars 2016, à bord d'une fusée Proton-M depuis le Cosmodrome de Baikonour

Le « Tigre de l'Asie centrale » ?

Affiche de propagande de Noursoultan Nazarbaïev (photo. G. Grégor). Agrandissement : Palais présidentiel construit en 2004 à proximité de Noursoultan.Après la chute de l'Union soviétique, le Kazakhstan se tourne vers le capitalisme, profitant de ses nombreuses ressources naturelles : l'uranium tout d'abord, mais aussi le gaz, le pétrole et une belle diversité de minerais. Ces richesses profitent essentiellement à des oligarques proches du pouvoir politique fort qui s'est mis en place.

Entre 1991 et 2019, l'État est en effet gouverné de façon autoritaire par Noursoultan Nazarbaïev qui transfert en 1996 la capitale d'Almaty à Astana (rebaptisée Noursoultan) plus proche de la Russie. Culte de la personnalité, favoritisme, corruption, violence...

La démission surprise en 2019 du « père de la nation » au profit de Kassym-Jomart Tokaïev n'a pas été l'occasion de plus de liberté, au contraire.

Sur la scène internationale, le pays a cherché à développer ses liens avec la Chine, en pleine construction de ses « Nouvelles routes de la soie », mais aussi avec la Turquie, pays frère puisque turcophone et musulman. Dans le même temps, États-Unis et Europe n’ont cessé d’y investir, conscients du trésor qui dort encore dans ses sous-sols.

vue de Noursoultan, nouvelle capitale du Kazakhstan

Un « Janvier sanglant »

Pour le Kazakhstan, le partenaire privilégié reste la Russie à cause non seulement de liens historiques forts mais aussi d'intérêts communs. Avec 7 500 km de frontière partagés et 3,5 millions de Russes installés dans le pays, difficile en effet d’ignorer son grand voisin. De son côté, Vladimir Poutine ne peut se permettre de perdre la main sur le cosmodrome de Baïkonour ou le site d’essais de missiles de Sary Chagan.

Portrait d'un homme kazakh (photo. G. Grégor).C'est pourquoi, lorsque des manifestations ont secoué l'ancienne capitale Almaty en janvier 2022 pour dénoncer l'augmentation du prix du gaz et la montée de la précarité, c'est vers Mocou que s'est immédiatement tourné Tokaïev, prétextant un « traité de sécurité collective ». Le régime en place avait bien compris que derrière les revendications économiques, ce sont des changements politiques qui sont attendus pour mettre fin aux inégalités grandissantes, au clientélisme, à la mégalomanie...

Ces manifestations ont fait plus de 200 morts sans que l'ancien président Nazarbaïev, le « père de la nation », ne réagisse. Attend-il d'être rappelé à 81 ans ? De son côté la Chine, craignant que la protestation ne contamine la région voisine du Xinjiang où elle tient les Ouïghours musulmans sous sa coupe, est elle aussi restée à l’écart. Ces événements dramatiques ont mis un coup de projecteur sur un pays mal connu mais qui, par sa position, ses richesses et ses liens avec les grandes puissances, ne doit pas être oublié.


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L'URSS communiste
Publié ou mis à jour le : 2022-02-10 14:37:14

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