Imaginaire médiéval

XIXe siècle : le Moyen Âge, c’est romantique

Le 19 mai 2019, plus de 19 millions de personnes à travers le monde ont regardé le dernier épisode de l’ultime saison de la série à succès Game of Thrones. Et si la saga a autant séduit, en livre ou à l’écran, elle le doit beaucoup à son univers médiéval. Entre dragons, sorcières et chevaliers, c’est même à des personnages qui ont existé, de l’héritier du trône de France Philippe à Guillaume le Conquérant en passant par Jeanne d’Arc, que la série fait écho.

Le 19 juin 2019, un biopic du père de la fantasy médiévale, J.R.R. Tolkien, sort au cinéma. Une preuve irréfutable que le Moyen Âge passionne auteurs et cinéastes tout autant que leur public. Retour sur ce phénomène vieux de deux siècles.

Charlotte Chaulin

Edinburgh Castle: March of the Highlanders (Château d'Édimbourg: Marche des Highlanders), Joseph Mallord William Turner, 1834, Tate Britain. Illustration pour le roman Waverley de Walter Scott.

 Et Walter Scott est arrivé…

Comme la plupart des genres romanesques, le roman historique voit le jour au XIXe siècle. Son créateur est un écrivain écossais, Walter Scott (1771-1832), qui révolutionne la littérature avec la publication de Waverley en 1814.

Premier roman historique, son récit se déroule en Angleterre et en Écosse durant la seconde rébellion jacobite de 1745. En 1817, Scott publie Rob-Roy, qui se situe cette fois dans une Écosse en crise, qui précède la rébellion jacobite de 1715.

Frontispice du roman Ivanhoe, édition de 1830.Mais c’est en 1819 que Scott quitte le XVIIIe siècle pour s’intéresser au Moyen Âge. Ce changement d’orientation s’explique pour au moins deux raisons. La première est la crainte qui ronge l’auteur de n’être associé qu’à un genre littéraire particulier, crainte qu’il exprime clairement dans l’introduction de l’édition de 1837 de son roman Ivanhoé (1819) : « Rien n’est plus nuisible à la réputation d’un homme qui cultive les arts libéraux que de laisser attacher son nom à un genre particulier de composition ou de style, et d’entretenir la croyance, s’il peut prouver le contraire, que, hors de ces limites, il ne saurait obtenir de succès. En général, le public est assez porté à croire que celui qui excelle dans un mode spécial de composition, est par cela même incapable de réussir dans un autre. »

Rebecca enlevée par le templier, 1858, Eugène Delacroix, Paris, musée du Louvre. Le peintre fut inspiré par une péripétie du roman.La seconde raison du changement de contexte est simple : l’Europe du Moyen Âge, période qui s’étale sur près de dix siècles, regorge d’histoires épiques. Pourquoi les ignorer ? Toujours dans son introduction, Scott développe son choix de sujet : « Il a choisi le règne de Richard Ier comme époque des événements qu’il raconte, non seulement parce que ce règne abonde en caractères et en personnages propres à exciter l’intérêt général, mais encore parce qu’il présente un contraste frappant entre les Saxons qui cultivaient le sol, et les Normands qui régnaient encore en conquérants, répugnant à se mêler avec les vaincus ou à se reconnaître de la même famille. » 

Il est une autre raison, proprement conjoncturelle : le roman médiéval et le goût du public pour le Moyen Âge s’épanouissent dans une Europe en pleine restauration monarchique.

Dans les trois siècles précédents et jusqu’à la chute de Napoléon Ier, en 1815, la littérature et les arts puisaient leurs références dans l’Antiquité gréco-romaine ou biblique, voire pharaonique.  Désormais, artistes et écrivains se prennent de passion pour les dix siècles médiévaux, jusque-là méprisés. Ils voient dans cette époque encore brumeuse et méconnue une illustration de l’âme romantique, avec ses tempêtes et ses passions (Sturm und Drang), aux antipodes de la raison gréco-romaine et de la sagesse antique.

Cette passion romantique pour le millénaire médiéval retentit dans la peinture, avec le genre « troubadour » illustré par Jean-Dominique Ingres sous la Restauration, mais aussi en architecture, avec le style néogothique qui perdurera dans les folles constructions du roi Louis II de Bavière dont le château de Neuschwanstein (1869) est la plus emblématique, et même en Histoire avec le succès des Récits des temps mérovingiens d’Augustin Thierry (1840).

Illustration de la page de titre d'Ivanhoe, édition de 1830.

Incipit d’Ivanhoé, la mise en place du contexte

« Dans cet heureux district de la riche Angleterre, baigné par le Don, s’étendait jadis une forêt vaste qui couvrait la plus grande partie des belles montagnes et des vallées assises entre l’industrieuse Sheffield et la riante Doncaster. On voit encore des restes de cette forêt dans les superbes domaines de Wentworth, de Warncliffe-Park, et dans les environs de Rotherham. C’est là que le fameux dragon de Wantley exerçait ses ravages ; là, se livrèrent la plupart des sanglantes batailles qu’amenèrent les guerres civiles de la rose rouge et de la rose blanche ; là encore fleurirent, dans les anciens temps, ces bandes de valeureux Outlaws ou proscrits dont les exploits sont devenus si populaires dans les ballades anglaises.
Tel est le lieu de la scène principale de notre histoire, dont la date se reporte à la fin du règne de Richard Ier, époque où le retour de ce prince, retenu captif, était devenu un événement désiré plutôt qu’espéré de ses sujets, que la désolation paraissait accabler, et qui étaient assujettis à tous les genres de tyrannie subalterne. Les nobles, dont le pouvoir avait fini par être exorbitant sous le règne d’Étienne, et que la prudence de Henri II eut tant de peine de réduire à un degré apparent de soumission à la couronne, avaient repris leur vieille licence avec une effrayante étendue, méprisant la faible intervention du conseil d’état anglais, fortifiant leurs châteaux, augmentant le nombre de leurs serfs, réduisant tout ce qui les entourait à un état de vassselage, et essayant, par tous les moyens possibles, de se mettre chacun à la tête de forces suffisantes pour jouer quelque rôle dans les convulsions terribles qui semblaient menacer le pays. ». (Walter Scott, Ivanhoé, Paris, Ménard, 1837 (première édition parue en 1819). Chapitre I.)

Ivanhoé est donc le premier roman historique médiéval. Il raconte la quête épique du chevalier Wilfred de Ivanhoé à la fin du XIIème siècle, qui lutte contre l’oppression du roi d’Angleterre Jean sans Terre. Le personnage est ainsi souvent comparé à Richard Cœur de Lion. Son accueil par la critique est mitigé, beaucoup reprochant à l’auteur d’être tombé dans l’intérêt commercial en choisissant un sujet populaire au détriment de l’histoire récente de l’Écosse qu’il connaît beaucoup mieux.

Quentin Durward et le Balafré. À droite, Andrew, le coutelier de ce dernier. Esquisse d'Eugène Delacroix, musée des Beaux-Arts de Caen, vers 1828-1829.Après quelques publications de récits tirés de l’époque moderne, Scott revient au Moyen Âge avec la publication de Quentin Durward en 1823, dont le récit se déroule à la fin du XVe siècle, au milieu de la lutte entre Louis XI et Charles le Téméraire.

Le succès de cet ouvrage est retentissant. Il est notamment très bien accueilli en France, pays dans lequel se situe l’histoire. Scott a lancé une mode qui perdure tout au long du siècle et qui s’illustre encore en 1888 avec La Flèche noire de l’Écossais Robert Louis Stevenson qui, comme le Dr Jekyll à qui il a donné vie deux ans plus tôt, parvient à passer d’un style à un autre en racontant un Voyage avec un âne dans les Cévennes en 1879 puis en décrivant avec passion l’Angleterre du XVème siècle tourmentée par la guerre des Deux Roses.

En France, c’est près de cent cinquante romans historiques qui paraissent entre avril et août 1822. Et le Moyen Âge de devenir la muse du courant romantique.

Dans sa préface de l’édition de L’École des Loisirs de 1990 d’Ivanhoé, le poète et écrivain français Bernard Noël écrira d’ailleurs : « Depuis le Romantisme, nos ancêtres sont certainement moins les Gaulois que les Chevaliers du Moyen Âge. Nous avons découvert auprès de ceux-ci un sens de l’indépendance, du risque, de l’aventure, mais aussi du respect de l’Autre, qui constituent une sorte d’île dans le temps où chacun – dès l’âge de dix ans – aimerait aborder. »

Le jeune Victor Hugo, qui a notamment publié une critique élogieuse de l’ouvrage en 1823, s’inspire de Quentin Durward lorsqu’il écrit Notre-Dame de Paris en 1831. Affectionnant comme lui la fin de la période, il présente une reconstitution historique du Paris de 1482 dans le chapitre « Paris à vol d’oiseau ».

Notre-Dame de Paris avant l?ajout de la flèche par l?architecte Viollet-le-Duc, gravure de J.H. Le Keux d?après un dessin de T. Allom, vers 1835.  L'agrandissement montre l'illustration de Gustave Fraipont, Claude Frollo, réalisé pour Le livre d'or de Victor Hugo, 1883, Maison de Victor Hugo.

Victor Hugo décrit le Paris du XVe siècle

« Nous venons d’essayer de réparer pour le lecteur cette admirable église de Notre-Dame de Paris. Nous avons indiqué sommairement la plupart des beautés qu’elle avait au quinzième siècle et qui lui manquent aujourd’hui ; mais nous avons omis la principale, c’est la vue du Paris qu’on découvrait alors du haut de ses tours.
C’était en effet, quand, après avoir tâtonné longtemps dans la ténébreuse spirale qui perce perpendiculairement l’épaisse muraille des clochers, on débouchait enfin brusquement sur l’une des deux hautes plates-formes, inondées de jour et d’air, c’était un beau tableau que celui qui se déroulait à la fois de toutes parts sous vos yeux ; un spectacle sui generis, dont peuvent aisément se faire une idée ceux de nos lecteurs qui ont eu le bonheur de voir une ville gothique entière, complète, homogène, comme il en reste encore quelques-unes, Nuremberg en Bavière, Vittoria en Espagne ; ou même de plus petits échantillons, pourvu qu’ils soient bien conservés, Vitré en Bretagne, Nordhausen en Prusse.
Le Paris d’il y a trois cent cinquante ans, le Paris du quinzième siècle était déjà une ville géante. Nous nous trompons en général, nous autres Parisiens, sur le terrain que nous croyons avoir gagné depuis. Paris, depuis Louis XI, ne s’est pas accru de beaucoup plus d’un tiers. Il a, certes, bien plus perdu en beauté qu’il n’a gagné en grandeur. ». (Victor Hugo, Notre-Dame de Paris, Paris, Charles Gosselin, 1831, Livre troisième, chapitre II « Paris à vol d’oiseau ».)

Hugo ne souhaite pas pour autant respecter la vérité historique et s’amuse à modifier des détails pour donner davantage de caractère à son histoire et à ses personnages. C’est ce qu’il exprime clairement dans son article de 1823 intitulé « À propos de Walter Scott », dans lequel il affirme « j’aime mieux croire au roman qu’à l’histoire, parce que je préfère la vérité morale à la vérité historique. » Cela a le mérite d’être clair.

Ainsi, dans le foisonnement des romans historiques du début du XIXe siècle, les auteurs choisissent de coller plus ou moins à la vraisemblance historique. Rien de tel un peu plus tard avec par exemple Théophile Gautier qui  essaie d’être fidèle à l’histoire de l’Égypte antique lorsqu’il raconte par exemple les fouilles menant à la découverte de la momie de Tahoser dans son Roman de la momie (1858), ou Gustave Flaubert qui s’applique à restituer la Carthage antique dans Salammbô (1862).

Henryk Sienkiewicz et ses visions, Czesław Tański, 1905.

L’inspiration médiévale s’épuise en même temps que l’école romantique, dès avant le milieu du XIXe siècle. La révolution industrielle, le triomphe de l’acier et les perspectives radieuses ouvertes par le progrès technique conduisent l’opinion à se détourner du passé et regarder vers l’avenir. Après une longue éclipse, elle va regagner les faveurs du public occidental après la Seconde Guerre mondiale, à un degré jamais atteint auparavant.

Parmi les francs-tireurs de la période intermédiaire, citons un taulier du roman médiéval, adulé en Pologne : Henryk Sienkiewicz publie Les Chevaliers teutoniques en 1900. C’est un roman historique qui a pour cadre la Pologne médiévale de la fin du XIVe siècle. Son succès dépasse les frontières de la Pologne et le livre est traduit dans vingt-cinq langues. Dans toute l’Europe, le Moyen Âge fascine... [Suite : Le triomphe de la fantasy médiévale]


Publié ou mis à jour le : 2023-04-04 17:44:24

Aucune réaction disponible

Respectez l'orthographe et la bienséance. Les commentaires sont affichés après validation mais n'engagent que leurs auteurs.

Actualités de l'Histoire
Revue de presse et anniversaires

Histoire & multimédia
vidéos, podcasts, animations

Galerie d'images
un régal pour les yeux

Rétrospectives
2005, 2008, 2011, 2015...

L'Antiquité classique
en 36 cartes animées

Frise des personnages
Une exclusivité Herodote.net