Le romantisme (1/2)

« Levez-vous, orages désirés ! »

« Levez-vous, orages désirés ! » Chateaubriand ne croyait pas si bien dire : c'est un vent de folie qui va emporter tout le début du XIXe siècle, balayant sur son passage les vieux principes et les règles poussiéreuses. La pensée comme les arts sont pris dans un désir de renouveau placé sous le signe de la puissance des émotions et de l'imagination.

Mais l'on verra que cette révolution littéraire, poétique et artistique s'accommode très bien d'une société bourgeoise soucieuse d'ordre  et de confort. Elle idéalise volontiers le passé médiéval et se montre indifférente à la révolution industrielle et sociale qui se profile en Angleterre...

Isabelle Grégor

Lever de la lune sur la mer, vers 1821, Caspar David Friedrich, musée de l'Ermitage, Saint-Pétersbourg.

Pour commencer, un peu de tendresse

Grandes idées révolutionnaires, recherche du progrès, innovations scientifiques...

Le Naufrage de Virginie, Pierre-Paul Prud'hon, 1806, Paris, musée du Petit Palais.Le XVIIIe siècle fut bien sûr celui des grands visionnaires, mais aussi des grands sentimentaux ! « Heureux celui qui a reçu de la nature une âme sensible et noble ! » nous rappelle Diderot, à la fois père d'une très politique Encyclopédie et de drames bourgeois qui aiment faire larmoyer dans les chaumières.

Il est vrai que l'époque est persuadée que l'esprit sans le cœur reste stérile, que seule la sensibilité peut ouvrir à l'Autre et conduire à la vertu. Alors on fait pleurer les foules sur les malheurs du Fils naturel (Denis Diderot, 1757), les amours contrariés de Julie ou la Nouvelle Héloïse (Jean-Jacques Rousseau, 1761) ou la mort tragique de Paul et Virginie (Bernardin de Saint-Pierre, 1788).

Homme debout dans un paysage, Ary Scheffer, s. d., Lille, palais des Beaux-Arts.Mais pour bien profiter de tous ces sentiments, il vaut mieux s'éloigner des villes surpeuplées et pernicieuses et aller chercher l'inspiration au cœur des forêts, des landes brumeuses et des contrées exotiques. Rien de tel que des paysages torturés ou apaisants pour refléter ou calmer les orages du cœur !

À la suite du grand marcheur Rousseau on se précipite à la recherche d'une nature sœur pour méditer en solitaire et, bien souvent, se laisser aller à une douce nostalgie en songeant aux chers moments d'autrefois. Mais lorsque ce regret devient envahissant, les sentiments se trouvent vite plongés dans la mélancolie, cette impression d'incomplétude, de vide et d'ennui qui peut mener au suicide, comme le personnage du jeune Werther de Johann von Goethe (1774) qui passionna les lecteurs au point d'en entraîner dans la mort.

Cette œuvre est un des plus beaux succès du Sturm und Drang (« Tempête et passion »), mouvement allemand essentiellement littéraire qui mettait la liberté au centre de tout. Le romantisme n'avait plus qu'à laisser passer la Révolution pour nourrir des idées qui avaient déjà essaimé dans un terrain fertile.

Napoléon Bonaparte à l'École Royale d'Artillerie à Auxonne en 1788, François Flameng, collection privée.

Si jeunesse avait pu...

C'est un petit caporal corse qui est à sa façon à l'origine du romantisme : déjà bercés dans leur enfance par les récits de leurs parents relatant les grands bouleversements de la Révolution, les adolescents du début du XIXe siècle s'endorment en rêvant aux exploits des maréchaux.

Grand combat entre le Romantique et le Classique à la porte du musée, Anonyme, 1827, Paris, BnF.Et pourquoi eux-mêmes ne pourraient-ils pas accumuler les faits d'armes pour conquérir honneurs, position sociale et fortune ? Mais avec la Restauration de 1815, adieu gloire et belles réceptions mondaines !

Nos jeunes ambitieux voient les émigrés qui ont fui les révolutionnaires revenir prendre leur place dans une société qui semble faire un bond en arrière de 30 ans. Cruellement arrêtés dans leur élan, les voici plongés dans l'amertume la plus sombre.

En un beau retournement des choses, ce mal du siècle, qui aurait dû paralyser la nouvelle génération, va être source d'inspiration : puisque le passé est de retour, construisons l'avenir ! 

Littéraires et artistes se font démolisseurs, attaquant à coups de théories les vieilles règles qui régissaient encore la création.

Sir Walter Scott et ses chiens, de Henry Raeburn, vers 1820, collection privée.À la suite de madame de Staël qui, dans De l'Allemagne (1810), réagit contre « la stérilité dont notre littérature est menacée », on cherche à apporter un peu d'air frais à l'inspiration, quitte pour cela à regarder en arrière, vers ce XVIIIe siècle à la fois si proche et si lointain.

Le début du XIXe siècle se reconnaît en effet dans cette sensibilité exacerbée, dans cet appel de la nature que va si bien traduire Chateaubriand dans ses romans « américains » René (1802) et surtout Atala (1801).

On se tourne également vers l'étranger pour découvrir avec stupeur la liberté des œuvres de William Shakespeare ou, plus contemporaines, des anglais lord Byron, Walter Scott, du russe Alexandre Pouchkine ou encore de l'allemand Friedrich von Schiller. 

Il n'y a plus qu'à laisser exploser ce gros chaudron plein de chefs-d’œuvre en devenir !

La Nuit d'Octobre (Musset), s. d., Eugène Lami, Rueil-Malmaison, musée des châteaux de Malmaison et de Bois-Préau. L'agrandissement présente La Nuit de Mai (Musset), s.d., Eugène Lami.

Le spleen d'un enfant du siècle

Avec cette œuvre présentée comme autobiographique, Alfred de Musset est certainement celui qui traduit le mieux le désenchantement de toute une génération.
« Alors s’assit sur un monde en ruines une jeunesse soucieuse. Tous ces enfants étaient des gouttes d’un sang qui avait inondé la terre : ils étaient nés au sein de la guerre, pour la guerre. Ils avaient rêvé pendant quinze ans des neiges de Moscou et du soleil des Pyramides. Ils n’étaient pas sortis de leurs villes ; mais on leur avait dit que, par chaque barrière de ces villes, on allait à une capitale de l’Europe. Ils avaient dans la tête tout un monde ; ils regardaient la terre, le ciel, les rues et les chemins ; tout cela était vide, et les cloches de leurs paroisses résonnaient seules dans le lointain. […]
Dès lors, il se forma deux camps : d’une part, les esprits exaltés, souffrants, toutes les âmes expansives qui ont besoin de l’infini, plièrent la tête en pleurant ; ils s’enveloppèrent de rêves maladifs, et l’on ne vit plus que de frêles roseaux sur un océan d’amertume. D’autre part, les hommes de chair restèrent debout, inflexibles, au milieu des jouissances positives, et il ne leur prit d’autre souci que de compter l’argent qu’ils avaient. Ce ne fut qu’un sanglot et un éclat de rire, l’un venant de l’âme, l’autre venant du corps »
(Alfred de Musset, La Confession d'un enfant du siècle, 1836).

La Grande Chevauchée de la Postérité. Monté sur le Pégase romantique, Victor Hugo, emmène en croupe Théophile Gautier, Cassagnac, Francis Wey et Paul Fouché.  Eugène Sue et Alexandre Dumas se hissent à leur niveau, pendant qu'Alphonse de Lamartine médite dans les nuages. Suivent Honoré de Balzac et Alfred de Vigny ; Benjamin Roubaud, 1842, Musée Balzac du Château de Saché.

La grande armée

Chef de file du mouvement, Victor Hugo est loin d'être un activiste isolé. Il peut s'appuyer sur les cénacles qui regroupent les sympathisants dans les salons. Après avoir pris ses marques chez Charles Nodier, il en ouvre à son tour un dans la « chambre au lys d'or » de son nouvel appartement parisien.

Le Salon de Victor Hugo, Adrien Emmanuel Marie, vers 1875, Hauteville House, maison de Victor Hugo.S'y pressent les plus grands noms de la littérature française de ce début de siècle, Gautier, Vigny, Nerval et Musset pour la poésie et le théâtre ; Balzac, Mérimée et Dumas pour le récit. N'oublions pas le critique Sainte-Beuve, grand ami du maître de maison avant qu'il ne devienne l'amant de madame... À leurs côtés, les musiciens et artistes s'activent pour préparer la grande offensive à venir contre les anciens temps.

Tout ce beau monde maudit la censure qui a empêché le Marion Delorme (1829) d'Hugo de prendre vie sur scène. On multiplie les textes doctrinaires, textes qui ne sont pas sans mettre en lumière les divisions politiques : conservateurs contre libéraux, Hugo contre Stendhal, le journal La Muse française contre Le Globe.

Mais ces dissensions sont oubliées face au combat qui s'annonce : il faut suivre le précurseur Alphonse de Lamartine dont les Méditations poétiques (1820) sont considérées comme la naissance du romantisme lyrique et font souffler un grand vent de nouveauté sur la création. Aux armes !

La tour en ruines du château de Heidelberg, 1830, Carl Blechen, Allemagne, musée d'art de Bremen. L'agrandissement présente le célèbre tableau de John Everett Millais, Ophélie, 1852, Londres, Tate Gallery.

Petite recette romantique

Pour faire un bel ouvrage romantique, rien de plus simple : commencez par y mettre beaucoup de sentiments, de lyrisme en saupoudrant vos pages de « Je ». Montrez que vous souffrez d'un mal-être, causé par exemple par une vague mélancolie ou, encore mieux, par de terribles désillusions amoureuses. Vous pouvez aller jusqu'à faire mourir l'être aimé, c'est très efficace ! Vous voilà dans de bonnes conditions pour échapper à votre malheur par une douce rêverie qui vous conduira dans le passé, si possible au Moyen Âge, très à la mode, ou pour les plus voyageurs vers quelques terres exotiques de l'Orient, riches en couleur locale. Qu'importe si Victor Hugo y a pensé avant vous, avec Notre-Dame de Paris (1831) et Les Orientales (1829), on ne vous en voudra pas. N'oubliez pas d'aller trouver refuge, seul, dans un coin de nature compatissant où vous buterez sur les ruines d'un vieux château ou monastère. Vous pouvez d'ailleurs faire intervenir quelques fantômes et ainsi participer à l'engouement pour le fantastique et le spiritisme. Après tout, Hugo a passé bien des heures à faire tourner les tables pour parler à Molière... Mais si les esprits ne vous inspirent pas, vous pouvez aussi rester dans le monde réel et faire part de votre révolte contre une époque méprisable en devenant le chantre du combat contre les injustices : « Peuple ! Ecoutez le poète ! […] Lui seul a le front éclairé ! » (Victor Hugo, « Fonction du poète », 1830). Voilà, vous avez les ingrédients, il ne vous reste plus qu'à écrire...

Hernani, Les feux de la rampe, 1830, Paris, BnF, Gallica.

Le jour de la bataille

C'est le grand jour ! Ce 25 février 1830, le milieu culturel parisien est en émoi. On va enfin découvrir sur les planches ce Hernani que les rumeurs annoncent comme iconoclaste.

Les romantiques à la représentation d'Hernani, gravure sur bois de Gérard d’après un dessin de Stop (dit Louis Morel-Retz) Paris, Musée Victor Hugo.De la part du jeune Victor Hugo, on n'en attend pas moins : n'a-t-il pas déjà livré aux curieux une première pièce, Cromwell, injouable certes, mais dont la préface est un véritable boulet contre le théâtre classique ?

Il faut dire qu'il est allé loin : «  Disons-le donc hardiment. Le temps en est venu, et il serait étrange qu’à cette époque, la liberté, comme la lumière, pénétrât partout, excepté dans ce qu’il y a de plus nativement libre au monde, les choses de la pensée. Mettons le marteau dans les théories, les poétiques et les systèmes. Jetons bas ce vieux plâtrage qui masque la façade de l’art » (préface de Cromwell, 1827).

Et puisque désormais « Il n’y a ni règles, ni modèles », les tenants de la tradition s'attendent au pire. Et ils ont raison : la pièce détruit méthodiquement toutes les conventions en matière d'écriture théâtrale : fini, le lieu unique, l'intrigue de 24 heures ! Les décors se succèdent, les personnages vieillissent de quelques mois en un entracte. La bienséance ? Ridiculisée par une armoire à balais où est obligé de se cacher le roi d'Espagne.

Stupéfait, le public laisse passer les premières représentations avant de monter au créneau. Très vite, on se bat au milieu des fauteuils d'orchestre, les « chevelus » qui soutiennent l'auteur lancent des quolibets et jouent du poing contre les tenants de la vieille école. Au milieu, le gilet rouge de Théophile Gautier est à lui seul un affront.

Cette jeunesse, quel manque de respect ! Mais quelle audace ! L'épisode de la « bataille » d'Hernani vient d'entrer dans l'Histoire. Le romantisme gagne alors son plus beau combat et peut laisser libre cours aux sentiments passionnés qui le singularisent. Mais gardons-nous d'y voir une révolution politique ! Bien au contraire car les romantiques échevelés se classent à droite, voire à l'extrême-droite, dans le camp royaliste ou ultraciste cependant que leurs adversaires sont libéraux, ainsi que le rappellera Honoré de Balzac : « Par une singulière bizarrerie, les royalistes romantiques demandent la liberté littéraire et la révocation des lois qui donnent des formes convenues à notre littérature ; tandis que les libéraux veulent maintenir les unités, l’allure de l’alexandrin et les formes classiques. Les opinions littéraires sont donc en désaccord, dans chaque camp, avec les opinions politiques. » (Illusions perdues, 1836).

Lire la suite : « Je suis le ténébreux... »


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Expressions artistiques
Publié ou mis à jour le : 2021-10-20 11:25:21

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