Aimée depuis l'Antiquité pour sa beauté et son parfum, la rose a accompagné les hommes qui ont su doucement apprivoiser cette sauvageonne.
Devenue la reine des fleurs dans de nombreuses civilisations, elle porte en elle une richesse symbolique que peu de ses sœurs végétales peuvent lui disputer.
Alors qu'elle s'épanouit dans nos jardins, rendons un hommage coloré bien mérité à la « fille de Dieu et de l'homme » (George Sand).
Sous les pieds des dinosaures
Toujours aussi fraîche, la rose est pourtant fort vieille puisque des fossiles découverts dans l'hémisphère nord trahissent sa présence sur la Terre dès l'ère tertiaire, il y a 35 millions d'années. Ces églantiers ou rosiers sauvages ont vite eu les faveurs des premières populations comme remèdes à toutes sortes de maladies.
On doit aux Chinois, il y a 5 000 ans, l'idée de cultiver la plante et de créer des hybridations pour obtenir des espèces nouvelles. Finies les fleurs simples, blanches ou roses, à cinq pétales : la rose allait s'habiller de davantage de pétales et faire la coquette en variant la couleur de sa robe.
La conquête du monde put commencer pour Rosa (mot venant du sanskrit et signifiant « flexible »).
« L'aurore aux doigts de rose » (Homère)
Si la rose est évoquée dans l'un des premiers récits de l'humanité, l'Épopée de Gilgamesh (XIIIe s. av. J.-C., Mésopotamie), c'est en Crète qu'il faut se rendre pour en observer la première représentation. Il y a 3500 ans av. J-C., sur un mur du palais de Cnossos, un artiste s'est appliqué à reproduire la beauté de sa fleur préférée pour en faire le symbole du bonheur.
Plus au nord, à Pylos en Grèce, des tablettes d'argile témoignent du commerce de cette huile de rose qu'Aphrodite est chargée de répandre sur le corps meurtri d'Hector (Homère, Iliade, chant XXIII).
Cet usage à la fois médicinal et sacré nécessitait l'emploi d'une importante quantité de pétales, et donc la culture de roses à grande échelle. Cette culture se poursuit de nos jours en Bulgarie et en Turquie...
Intellectuels et scientifiques commencèrent à se pencher sur son cas : voici l'historien Hérodote (Ve s. av. J.-C.) en admiration devant le parfum incomparable qui émane du jardin de Midas, ou encore Théophraste, premier botaniste de l'Histoire (IVe s. av. J.-C.), qui s'étonne du nombre de pétales de cette « cent-feuilles ».
« Utanapishtî s’en approche [de Gilgamesh] et dit : " Gilgamesh tu es venu ici, tu a peiné, as fait grand voyage. Que te donnerais-je pour t’en retourner au pays ? Je vais te révéler cette chose cachée, t’informer, toi, d’une chose réservée aux dieux. Il est une plante, une sorte d’épine, qui te meurtrira les mains comme une rose, mais qui, si tes mains s’en emparent, te donnera la vie ".
À ces mots Gilgamesh creuse à ses pieds pour trouver de lourdes pierres dont il s’empare et qui l’entraînent jusqu’au fond de la mer, où il trouve la plante, qui lui pique les mains. S’étant libéré de ses pierres il remonte et la mer le repousse au rivage. Il brandit la plante devant Ur-shanabi et lui dit : " Voici la plante qui guérit de la peur de la mort. Grâce à elle on retrouve la vitalité " ».
Merci, les dieux !
Mais c'est encore à la poésie que l'on doit déjà le plus bel hommage à notre fleur, sous la plume de Sappho : « Si Zeus voulait donner une reine aux fleurs, la rose serait la reine de toutes les fleurs. Elle est l'ornement de la terre, la plus belle des plantes, l'œil des fleurs, l'émail des prairies, une beauté toujours suave et éclatante » (Fragment sur la rose, VIIe s. av. J.-C.).
C'est en effet dès la Grèce antique que la belle prend une dimension mythique qu'elle n'a jamais perdue. Selon la légende, elle doit son nom grec (rhodon) au dieu soleil Hélios, protecteur de l'île de Rhodes, tombé fou amoureux d'une jolie nymphe qui adorait cette fleur.
Pour d'autres, elle serait née de l'écume de mer qui protège Aphrodite, avant de prendre sa couleur rouge lorsque la déesse se blessa en courant au secours de son bien-aimé Adonis.
À moins qu'elle ne doive le pourpre de sa robe à une maladresse d'Éros, incapable de tenir correctement son verre de vin !
Rosa, rosa, rosam...
Fleur de l'amour mais donc aussi de Bacchus, on retrouve la rose à Rome, recouvrant les sols des riches demeures et couronnant les invités des banquets. Son parfum n'était-il pas censé dissiper l'ivresse ? C'est peut-être pour cette raison que Néron souhaitait être entouré de fontaines d'eau de rose pour agrémenter ses plus belles fêtes.
On dit aussi que Cléopâtre, pour séduire Marc-Antoine, couvrit son lit de 45 cm de pétales ! Mais la rose peut aussi être dangereuse : les convives de l'empereur Héliogabale (IIIe siècle) en auraient fait l'amère expérience en mourant étouffés sous les fleurs.
Ces anecdotes ne doivent pas cacher les conséquences économiques de la mode. Pour nourrir les folies des patriciens romains, on fit d'abord venir à Rome par bateaux entiers des pots contenant la précieuse plante. Puis on trouva plus commode de créer d'énormes roseraies au sud de Rome.
Organisation des serres, taille et bienfaits médicaux firent l'objet de traités savants et la fête put continuer !
« L'habitant des rives du Nil, fier de ses riches produits, t'avait envoyé, ô César, des roses d'hiver, comme un présent digne de toi par sa nouveauté ; mais le matelot de Memphis fut obligé de rire des jardins de l'Égypte, dès qu'il eut mis le pied dans la capitale de ton empire, tant le printemps y étalait de charmes, tant Flore y répandait les parfums les plus doux, tant les bosquets y rivalisaient avec ceux de Paestum ! Aussi partout où il portait ses pas et ses regards, toutes les rues brillaient de l'incarnat des roses tressées en guirlandes. O Nil, puisque tes hivers doivent céder la palme aux hivers de Rome, envoie-nous tes moissons en échange de nos roses » (Martial, Épigrammes, VI, Ier siècle).
De la rose de Damas à la Rose mystique
Même les roses n'échappent pas aux soubresauts de l'Histoire ! Avec l'avènement du christianisme, elles sont rejetées comme représentantes du paganisme et de ses excès. Heureusement, ce rejet n'a qu'un temps...
Dès le XIIe siècle, des croisés qui ont apprécié les jardins orientaux révèlent de nouvelles variétés de roses.
Selon la chronique, Robert de Brie rapporte ainsi dans ses bagages la très odorante « rose de Damas » ou Rosa damascena, dont on extrait l'huile de rose. Il en offre un pied à sa bonne ville de Provins et il va faire jusqu'à nos jours la réputation de la ville.
Sensibles au charme de la fleur d'Aphrodite, les fidèles du Moyen Âge en font un des symboles de la pureté de la Vierge Marie, surnommée la Rose mystique.
Ils fabriquent des chapelets avec des grains composés de pétales séchés (d'où le nom de la prière du « rosaire ») pour honorer celle qui, dira plus tard Bernadette Soubirous, était entourée de roses à chacune de ses apparitions.
Une sainte légende prétend aussi que, dans les temps anciens, saint Médard aurait récompensé avec une couronne de roses la jeune fille la plus vertueuse (sa sœur, en l'occurrence !) : la fête de la rosière était née.
Plus prosaïquement, les moines, gardiens des sciences, s'attachent à conserver et transmettre les connaissances antiques sur la plante, en vue d'exploiter ses vertus médicinales, contre par exemple les maux de tête ou de gorge.
En 1830, Marceline Desbordes-Valmore rend hommage dans ces vers au grand poète persan Saadi dont l'œuvre, Le Gulistan ou Le Jardin des roses (1259), rappelle la passion de la Perse (l'Iran aujourd'hui) pour cette fleur.
J'ai voulu ce matin te rapporter des roses ;
Mais j'en avais tant pris dans mes ceintures closes
Que les noeuds trop serrés n'ont pu les contenir.
Les noeuds ont éclaté. Les roses envolées
Dans le vent, à la mer s'en sont toutes allées.
Elles ont suivi l'eau pour ne plus revenir ;
La vague en a paru rouge et comme enflammée.
Ce soir, ma robe encore en est tout embaumée...
Respires-en sur moi l'odorant souvenir.
(Marceline Desbordes-Valmore, Poésies, 1830).
« Cueillez dès aujourd'hui les roses de la vie » (Ronsard)
À la Renaissance, changement de cap ! Si Dante, dans sa Divine comédie (1321), en fait encore le symbole de l'amour divin, la rose perd peu à peu sa dimension sacrée pour redevenir la représentante de l'amour humain.
Au XIIe siècle, Le Roman de la rose avait déjà repris la tradition antique en racontant l'histoire d'un amant à la recherche de sa rose/fiancée idéale. Mais c'est au XVIe siècle que le thème revient à la mode en littérature.
Est-ce parce qu'il aurait été baptisé par erreur à l'eau de rose ? En tout cas c'est à Ronsard que l'on doit les plus beaux vers consacrés à notre fleur. Sous sa plume, la délicate est convoquée pour rappeler à la personne aimée combien les sentiments, comme la vie, sont éphémères :
« Las ! voyez comme en peu d'espace,
Mignonne, elle a dessus la place
Las ! las ses beautez laissé cheoir !
Ô vrayment marastre Nature,
Puis qu'une telle fleur ne dure
Que du matin jusques au soir ! »
Carpe diem ! Il faut profiter de la vie avant qu'elle ne se fâne !
Malherbe le répète à un père en deuil :
« Mais elle était du monde où les plus belles choses ont le pire destin ;
Et, rose, elle a vécu ce que vivent les roses, l'espace d'un matin » (Consolation à M. Du Périer sur la mort de sa fille, 1599).
Le message est bien passé auprès des peintres qui, au siècle suivant, multiplient les natures mortes.
Mais la fleur est aussi liée à une conception plus « légère » de l'existence puisque, autrefois attribut des prostituées romaines, elle est aussi la fleur des mariées et plus largement, des alcôves.
Appelé familièrement « gratte-cul », son fruit serait un aphrodisiaque reconnu. Quant à la variété de la « cuisse de nymphe émue », son nom est déjà tout un programme...
La fleur du pouvoir
Belle et rebelle, la rose avait tous les atouts pour séduire les puissants.
Nos voisins anglais gardent en mémoire la guerre des Deux-Roses qui opposa, au XVe siècle, le duc de Lancaster et celui d'York, la rose rouge et la rose blanche.
L'arrivée d'Henri VII au pouvoir entraîna la fusion des deux pour donner naissance à la rose Tudor, qui symbolise toujours aujourd'hui l'Angleterre.
En France, c'est la marquise de Pompadour qui en fait la promotion, demandant à ses couturières de couvrir ses robes de fleurs.
Pourtant le rosier n'est pas alors à la fête dans les jardins à la française : trop capricieux, trop épineux pour se plier à nos exigences de régularité.
Il faut attendre l'arrivée de nouveaux rosiers de Chine et du Japon au XVIIIe siècle, et surtout la promotion des jardins à l'anglaise, pour voir les pépiniéristes proposer de nouvelles variétés de roses à leur riche clientèle.
Une autre femme de pouvoir, au début du XIXe siècle, a fait beaucoup pour sa promotion : il s'agit de l'impératrice Joséphine qui leur réserve un carré de son domaine de Malmaison.
La première roseraie est née...
Alors que les spécialistes sont aux petits soins pour ses 250 rosiers, un artiste se penche sur les plus belles.
C'est avec une minutie impressionnante que Pierre-Joseph Redouté les reproduit ainsi dans les 167 dessins qui composent son ouvrage sobrement intitulé Les Roses (1817-1824).
Il a bien mérité son surnom de « Raphaël des fleurs » !
Tout un savoir-faire ! On l'a vu, l'espèce sauvage existe dans nos contrées depuis la préhistoire. C'est au XIVe siècle qu'on commença à la croiser avec des rosiers « exotiques » rapportés d'Orient.
Ainsi naîtront au fil des siècles les roses anciennes, c'est-à-dire créées avant 1920. Par la suite, la technique de l'hybridation va se développer, permettant aujourd'hui de proposer près de 12 000 variétés de rosiers.
À vous de choisir entre la « Panthère rose », la « Chapeau de Napoléon » ou la « Tapis volant ».
Mais ne cherchez pas la mythique rose noire qui n'existe pas encore, et attention aux fausses roses !...
Qu'elles soient trémières (déformation « d'outre-mer »), de Noël (l'hellébore) ou d'Inde (originaires en fait du Mexique), ces fleurs n'en ont que le nom.
Mon amie la rose
La « rosomania » s'empare de l'Europe : porcelaines et mobiliers se couvrent soudainement de pétales. Les obtenteurs (créateurs de roses) rivalisent d'ingéniosité pour livrer de nouvelles espèces, à l'exemple de Jacques-Louis Descemet, à qui on en doit près de deux cents. Son successeur, Jean-Pierre Vibert, participe à l'engouement en s'associant à la création de la Société d'horticulture (1827).
Paris devient capitale de la rose : en pleine époque romantique, c'est par son intermède que les amoureux font passer des mots doux. Rouge comme la passion ou jaune comme la trahison, il y en a pour toutes les histoires de cœur !
Très complexe, le langage des fleurs a été vulgarisé au XVIIIe siècle par lady Montagu après son séjour à Constantinople (Istanbul) où elle avait découvert ce système de communication mis au point par les femmes du harem.
En France, en 1926, ce sont les roses blanches qui font pleurer les âmes sensibles avec la chanson réaliste popularisée par Berthe Sylva.
À cette époque, tandis que les parfumeurs, par exemple du côté de Grasse, continuent à en assurer la production à grande échelle, la multiplication des jardins d'ornement privés permet à la rose de prendre définitivement ses quartiers dans le paysage européen.
Chouchoutée par les jardiniers amateurs, elle n'en est pas pour autant oubliée par le pouvoir comme le montre sa promotion au titre de symbole du parti socialiste français, en 1971.
Souhaitons qu'hors de la politique, elle continue à nous faire voir la vie en rose.
« J'[l'aviateur] appris bien vite à mieux connaître cette fleur. Il y avait toujours eu, sur la planète du petit prince, des fleurs très simples, ornées d'un seul rang de pétales, et qui ne tenaient point de place, et qui ne dérangeaient personne. Elles apparaissaient un matin dans l'herbe, et puis elles s'éteignaient le soir. Mais celle-là avait germé un jour, d'une graine apportée d'on ne sait où, et le petit prince avait surveillé de très près cette brindille qui ne ressemblait pas aux autres brindilles. Ça pouvait être un nouveau genre de baobab. Mais l'arbuste cessa vite de croître, et commença de préparer une fleur. Le petit prince, qui assistait à l'installation d'un bouton énorme, sentait bien qu'il en sortirait une apparition miraculeuse, mais la fleur n'en finissait pas de se préparer à être belle, à l'abri de sa chambre verte. Elle choisissait avec soin ses couleurs. Elle s'habillait lentement, elle ajustait un à un ses pétales. Elle ne voulait pas sortir toute fripée comme les coquelicots. Elle ne voulait apparaître que dans le plein rayonnement de sa beauté. Eh ! oui. Elle était très coquette ! Sa toilette mystérieuse avait donc duré des jours et des jours. Et puis voici qu'un matin, justement à l'heure du lever du soleil, elle s'était montrée.
Et elle, qui avait travaillé avec tant de précision, dit en bâillant :
- Ah! Je me réveille à peine... Je vous demande pardon... Je suis encore toute décoiffée...
Le petit prince, alors, ne put contenir son admiration :
- Que vous êtes belle !
- N'est-ce pas, répondit doucement la fleur. Et je suis née en même temps que le soleil...
Le petit prince devina bien qu'elle n'était pas trop modeste, mais elle était si émouvante ! »
(Antoine de Saint-Exupéry, Le Petit prince, 1943).
Sources bibliographiques
Stelvio Coggiatti, Roses anciennes, roses modernes, éd. Silva, 1985.
Catherine Donzel, Le Livre des fleurs, éd. Flammarion, 1997.
Roger Phillips et Martyn Rix, Histoire des roses, éd. La Maison rustique, 1993.
La terre et l'homme
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Constant Jacob (27-06-2015 15:08:37)
Article tout à fait intéressant.
Merci.
PHD01 (16-06-2015 12:28:57)
A mon humble avis, les dinosaures auraient eu un peu de mal à marcher sur les roses il y a 35 millions d'années... puisqu'ils ont disparus il y a 65 millions d'années ! (sauf les oiseaux, je sais... Lire la suite
Jacques Callot (11-06-2015 09:35:14)
Très bel article intéressant et riche en informations.
Bravo et merci.