Au début du XIXe siècle c'est l'instruction des seules élites masculines qui reste au cœur des préoccupations. L'État a trop besoin de nourrir les rangs de son administration et son armée.
Pour les autres, la loi Guizot de 1833 impose la création d'une école de garçons par commune. C'est un succès : en moins de 20 ans, le nombre des écoles double ! Religion, respect pour les lois et amour du souverain deviennent les piliers de l'enseignement qui est désormais considéré comme « une des garanties de l'ordre et de la stabilité » selon François Guizot, ministre de Louis-Philippe.
Les filles devront attendre 1867, le Second Empire et le ministre Victor Duruy pour accéder à l'école primaire publique. En 1881-1882, les républicains reprennent la main en instaurant l'obligation d'instruction pour tous les enfants de 6 à 13 ans, la gratuité de l'enseignement primaire et la laïcité.
Loin de créer une « école du peuple » qui existait déjà, les fameuses lois de Jules Ferry imposent le contrôle de l'État sur l'éducation et en expulsent les religieux. L'alphabétisation, qui pouvait jusqu'alors se faire par le simple biais d'un voisin, d'un curé ou d'un maître itinérant, se fera exclusivement par le biais des salles de classe chargées dans le même temps d'inculquer aux petits une culture commune des grands textes.
Les maisons d'école sortent de terre dans les villes et les villages. Au tournant du XXe siècle, elles accueillent la quasi-totalité des enfants scolarisables et, c'est nouveau, ceux-ci se montrent beaucoup plus présents en cours. Fini, l'absentéisme saisonnier ! Au début du siècle, encriers et buvards ont su trouver leur place dans la conscience collective de toutes les couches de la société.
Grand prix de l'Académie française (1976), Eugène Guillevic revient ici sur ce que lui a apporté l'école de son enfance :
« L'École publique »
À Saint-Jean-Brévelay notre école publique
Était petite et très, très pauvre : des carreaux
Manquaient et pour finir c’est qu’il en manquait trop
Pour qu’on mette partout du carton par applique,
Car il faut voir bien clair lorsque le maître explique.
Alors le vent soufflait par tous ces soupiraux
Et nous avons eu froid souvent sous nos sarraus.
Par surcroît le plancher était épisodique
Et l’on sait qu’avec l’eau du toit la terre fait
Des espèces de lacs boueux d’un bel effet.
— Pourtant j’ai bien appris dans cette pauvre école :
Orthographe, calcul, histoire des Français,
Le quatorze juillet, Valmy, la Carmagnole,
Le progrès, ses reculs, et, toujours, son succès.
(Eugène Guillevic, Trente et un Sonnets (1980)
Une réussite fragile
Les efforts de la IIIe République portent durablement leurs fruits puisqu'au début de la Première Guerre mondiale, on comptera moins de 5% d'analphabètes, chiffre qui se révèle encore inférieur chez les femmes. La preuve de ce succès ? Les 4 millions de lettres échangées chaque jour pendant le conflit !
Est-ce la fraternité vécue dans les tranchées qui a mené à l'idée que l'égalité devait être la même sur les bancs de l'école ?
En tous cas, on commence à critiquer la séparation entre les élèves de la communale, d'origine populaire et préparant le certificat d'étude, et les élèves des « petites classes de lycée » issus de la bourgeoisie et destinés au bac. Il est temps de mettre en place une école unique…
Elle ne verra le jour qu'en 1945, portée par les idéaux de la Résistance. Avec le boom des naissances de l'après-guerre, l'urbanisation et le développement du travail féminin, les écoles maternelles deviennent une nouvelle étape dans la diffusion des premières connaissances, notamment l'initiation à la lecture.
Dans le même temps, les cours élémentaires profitent de la construction de grandes structures permettant à chaque niveau d'avoir sa propre salle. Parce qu'elle n'est plus considérée comme un aboutissement, l'école élémentaire voit ses horaires hebdomadaires s'alléger sans pourtant fragiliser l'apprentissage du français, qui occupe encore un 1/3 du programme.
Mais la réforme de l'enseignement de 1972, privilégiant oral et expression libre, puis la multiplication des matières vont peu à peu affaiblir l'apprentissage de la langue.
Dans Comme un roman, Daniel Pennac se remémore avec quel enthousiasme il a appris à lire...
« Que tous ces bâtons, ces boucles, ces ronds et ces petits ponts assemblés fissent des lettres, c'était beau ! Et ces lettres ensemble, des syllabes, et ces syllabes, bout à bout, des mots, il n’en revenait pas. Et que certains de ces mots lui fussent si familiers, c'était magique !
Maman, par exemple, maman, trois petits ponts, un rond, une boucle, trois autres petits ponts, un deuxième rond, une autre boucle, et deux derniers petits ponts, résultat : maman. Comment se remettre de cet émerveillement ? […]
Langue tirée, doigts gourds et poignet soudé… petits ponts, bâtonnets, boucles, ronds et petits ponts… il est à cent lieues de maman, à présent, plongé dans cette solitude étrange qu'on appelle l’effort, entouré de toutes ces autres solitudes à langues tirées… et voici l'assemblage des premières lettres… lignes de « a »… lignes de « m »… lignes de « t »… (pas commode, le « t » , avec cette barre transversale, mais du gâteau comparé à la double révolution du « f », à l'incroyable embrouillamini d'où émerge la boucle du « k »…), toutes difficultés, pourtant, vaincues pas à pas… au point qu'aimantées les unes par les autres, les lettres finissent par s'agréger d'elles-mêmes en syllabes… lignes de « ma »… lignes de « pa »… et que les syllabes à leur tour…
Bref, un beau matin, ou un après-midi, oreilles bourdonnant encore du tumulte de cantine, il assiste à l'éclosion silencieuse du mot sur la feuille blanche, là, devant lui : maman.
Il l'avait déjà vu, au tableau, bien sûr, reconnu plusieurs fois, mais là, sous ses yeux, écrit de si propres doigts…
D'une voix d'abord incertaine, il ânonne les deux syllabes, séparément : « Ma-man. »
Et, tout à coup :
– maman !
Ce cri de joie célèbre l'aboutissement du plus gigantesque voyage intellectuel qui se puisse concevoir, une sorte de premier pas sur la lune, le passage de l'arbitraire graphique le plus total à la signification la plus chargée d'émotion ! Des petit ponts, des boucles, des ronds… et… maman ! […]
La pierre philosophale.
Ni plus, ni moins.
Il vient de découvrir la pierre philosophale ».
Une alphabétisation en panne ?
En France, on compte en ce début du XXIe siècle 1% d'analphabètes jamais scolarisés et 7 % d'illettrés qui n'ont pas acquis une maîtrise suffisante de la langue pour être autonomes.
Selon l'Agence nationale de lutte contre l'illettrisme, c'est donc près de 2 millions et demi de personnes qui ont des difficultés à déchiffrer l'écrit en métropole. 71 % d'entre elles parlaient uniquement le français en famille lorsqu'elles étaient enfant, ce qui exclut l'explication de l'origine étrangère. Il s'agit essentiellement d'hommes qui ont une activité professionnelle et vivent en zone rurale.
Inquiétants, ces chiffres sont en recul. Mais cela ne veut en rien dire que la langue française est aujourd'hui maîtrisée par tous, loin de là ! Combien d'élèves ont un vocabulaire d'une grande pauvreté ? Combien sont incapables dans une dictée d'accorder l'adjectif avec le nom ? Une majorité !
Quant à ouvrir un livre, c'est un geste qu'ils ne font plus que sous la contrainte. Ce désintérêt contribue aux injustices sociales puisque seront privilégiés ceux qui ont reçu de leur entourage cette saine habitude. Les entreprises ne cessent de tirer la sonnette d'alarme et les universités sont obligées de donner des cours de rattrapage.
Mais face au triomphe de l'orthographe SMS et à l'indifférence des jeunes, on ne peut qu'être inquiet. Comment ces jeunes gens vont-ils développer un projet sans en maîtriser les consignes écrites ? Comment pourront-ils communiquer avec des fautes qui rendent leur énoncé inintelligible ? Et comment apprendront-ils une langue étrangère quand ils maîtrisent mal la leur ?
Faire confiance au correcteur automatique qui ne comprend rien au message qu’on veut diffuser n'est aucunement une solution, mais au mieux une roue de secours, au pire une façon de fuir le problème. Tant que l'enseignement de l'orthographe ne sera pas une priorité en nombre d'heures, tant que les élèves se moqueront d'écrire comme ils parlent puisque « de toutes façons tout le monde le fait », Charlemagne continuera à se retourner dans sa tombe.
Syllabique contre globale : le grand combat
Mais pourquoi les enfants d'aujourd'hui ont-ils tant de mal avec la lecture et l'orthographe ?
Autrefois, il suffisait de leur apprendre que B + A = BA, et le tour était joué ! Rien de très compliqué semble-t-il, dans ce qu'on appelle la méthode syllabique, déjà proposée par Pascal en 1655 et officiellement imposée dans le pays depuis 1923 : il s'agit d'un apprentissage progressif du déchiffrage des lettres puis des syllabes, faisant la part belle à la lecture à voix haute.
Et puis voilà qu'en 1972 une réforme de l'enseignement primaire est l'occasion de mettre en place une nouvelle méthode, dite globale. L'élève doit reconnaître visuellement les mots et les mémoriser, les uns après les autres. Pour réussir cette forme de « lecture-devinette », il doit prendre en compte le contexte qui lui donnera des indices.
Les résultats sont tellement peu probants qu'en 2006 le ministre Gilles de Robien a proposé un retour aux grands principes de la méthode syllabique. Tollé de la part des « pro-globale », qui se considèrent comme progressistes, et voient d'un mauvais œil le retour des « pro-syllabiques », vus comme réactionnaires. Finalement 90 % des maîtres vont choisir un compromis en appliquant une méthode mixte qui associe déchiffrage et devinette.
Pourtant, les résultats restent décevants : près de 40 % des élèves sortant du primaire ont d'importantes difficultés en lecture, et 24 % « de très grandes difficultés ». Parmi ceux-ci, on compte un nombre croissant d'élèves diagnostiqués dyslexiques, ces 5 à 8 % de scolaires qui connaissent des difficultés dans l'acquisition du langage écrit. Et si l'on observe à quel point le reste des jeunes a aussi du mal à lire une page sans ânonner, on comprend pourquoi le nombre d'orthophonistes, multiplié par 100 en 50 ans, n'est pas près de baisser...
Vous connaissez Le Club des Cinq, ce succès d'Enid Blyton que plusieurs générations ont lu à la lampe de poche sous les draps. Sachez que la version que vous avez dévorée n'existe plus.
Pour se mettre au niveau des enfants d'aujourd'hui, on a procédé à une simplification abrupte du contenu : disparition de centaines de lignes, suppression des guillemets remplacés par des tirets, dialogue dans un style parlé qui supprime l'inversion sujet-verbe dans les tournures interrogatives, vocabulaire simplifié, et bien sûr suppression du passé simple au profit d'un banal présent.
Pour couronner le tout, les romans que vous aviez lus en « Bibliothèque rose » (édition Hachette) pour les 8-10 ans se retrouvent en « Bibliothèque verte » destinée aux 10-12 ans, censée contenir des œuvres plus difficiles. Et l'on dit que le niveau ne baisse pas...
Bibliographie
Histoire générale de l'enseignement et de l'éducation en France, 4 tomes, Nouvelle Librairie de France, 1981,
« Mille ans d'école, de Charlemagne à Claude Allègre », Les Collections de L'Histoire n°6, octobre 1999,
« Lire et écrire, de Babylone à Jules Ferry », L'Histoire n°334, sep
Enseigner l'Histoire
Vos réactions à cet article
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Constant (18-03-2020 23:57:44)
Bravo et merci Mme Gregor pour cet excellent cours d'histoire , concernant l'évolution de L'école à travers les âges. Étant pour ma part , un pur produit de l ' école Républicaine , je s... Lire la suite
Patrick Dessart (16-03-2020 20:37:19)
Dans l'histoire de l'école, on oublie toujours l'expérience de l'école mutuelle, datant du début du 9ème siècle, où les élèves des classes populaires étaient regroupés par cent à deux cent... Lire la suite