Harcèlement sexuel

Weinstein : un choc « mondial », dites-vous ?

17 décembre 2017 : la révélation des viols commis par un potentat d'Hollywood (note) a suscité un déferlement de réactions dans l'opinion publique occidentale, tant dans la presse que sur les réseaux sociaux. Faut-il y voir un « choc mondial » ? Loin de là. Le sort des femmes intéresse en tout et pour tout moins de 15% de la population mondiale...

Tout commence le 5 octobre 2017 par un article du New York Times. Après avoir longtemps porté aux nues le producteur Harvey Weinstein, le grand quotidien de la gauche américaine révèle ses pratiques prédatrices que le tout-Hollywood et les journalistes eux-mêmes connaissaient déjà de longue date et dont chacun s'accommodait ou se gaussait. Le scandale amorce un tournant en Occident dans la perception et la dénonciation des violences faites aux femmes, en particulier dans les lieux de pouvoir (médias, culture et politique). Il renforce aussi le rejet des classes populaires à l'égard de la bourgeoisie dite « de gauche », tel qu'il s'est affirmé l'année précédente avec l'élection de Donald Trump.

Affaire Weinstein et violences sexuelles (Le Monde, 26 novembre 2017)Sitôt l'affaire Harvey Weinstein connue, les journalistes et les élus, emportés par leur émotion, rivalisent de superlatifs. Ainsi Le Monde évoque-t-il le 26 novembre 2017 « L'onde de choc mondiale » contre les pressions subies par les femmes dans le cadre professionnel et leur harcèlement dans l'espace public (ci-contre) !

Pourtant, il suffit d'ouvrir ledit journal pour se rendre compte du caractère très local de cette « onde de choc » : on apprend qu'aux États-Unis, les campagnes #metoo ont entraîné « une cascade de révélations dans le monde du spectacle, des médias et de la politique » ; en Suède, on évoque un virage « historique » !

Mais en Europe, le quotidien concède que les révélations de harcèlement sexuel n'ont pas touché tous les pays européens avec la même intensité : tandis que l'Angleterre, l'Allemagne, la France, l'Italie et l'Espagne se sont émues, on n'a observé en Russie « aucun examen de conscience ». L'Amérique latine semble secouée par différentes affaires de viols de même que la Corée du Sud.

Point final. Dans le monde arabe, « seuls le Liban, la Tunisie et le Maroc ont réagi à l'affaire Weinstein » constate Le Monde, tandis que règne l'« omerta à Bollywood » (Inde). Rien sur la Chine, l'Afrique noire, le Japon, l'Insulinde, etc. Autant dire que, par son approche eurocentrée, ledit journal mérite moins que jamais son titre...

Si l'on fait le total des régions atteintes par « l'onde de choc mondiale » de l'affaire Weinstein : l'Europe occidentale, l'Amérique du Nord, l'Australie et une partie de l'Amérique latine, elles rassemblent en tout et pour tout un milliard de personnes sur 7,5 (c'est moins de 15% de la population mondiale (contre plus de 33% il y a un siècle).

Notons aussi que dans ces régions-là, les dénonciations portent exclusivement sur les milieux du spectacle, des médias et de la politique, dominés par l'argent facile, l'ambition individuelle et les jeux de séduction. Dans ces milieux très minoritaires, le sexe est à la fois un atout et un enjeu de pouvoir. Rien de tel dans les milieux plus conventionnels, notamment dans les entreprises et les services publics, où l'esprit d'équipe et les rapports de confiance sont essentiels à la réussite. Dans ces milieux-là, très majoritaires, les abus sexuels sont cantonnés à quelques personnalités déviantes. 

Il s'ensuit que les campagnes #metoo suscitent au mieux l'indifférence, au pire un sourire en coin, dans le reste du monde et aussi dans les classes populaires.

Ne nous attardons pas sur l'Amérique hispanique à laquelle nous devons le mot machisme... En Chine (1,3 milliards d'habitants), le pouvoir va de pair avec le sexe et périodiquement, la presse évoque des scandales liés à des concubines encombrantes. Le statut très bas de la femme transparaît dans le ratio exceptionnellement élevé de plus de 110 garçons pour 100 filles à la naissance (ratio naturel : 105), dû à la pratique massive des avortements sélectifs. Un record mondial concurrencé seulement par l'Inde du nord.

Les femmes du bus 678 (Mohamed Diab, 2011)Le sous-continent indien (1,6 milliards d'habitants) se singularise par la pratique très majoritaire des mariages arrangés, les unions étant conclues par les parentés dès la naissance des intéressés. On ne compte pas les affaires de viols ni d'épouses tuées ou acculées au suicide du fait de l'impossibilité de leur famille de payer leur dot !

Le monde islamique est très divers. Si l'Iran, le Liban (forte minorité chrétienne), la Tunisie et même le Maroc tendent à se rapprocher des préceptes occidentaux, le reste de l'oumma (ensemble des musulmans) s'en éloigne depuis les années 1980 : voile intégral, claustration des filles, mariages arrangés et endogames, polygamie. Le film Les femmes du bus 678 (Mohamed Diab, 2011) montre le triste quotidien du harcèlement au Caire (note). L'excision ne recule pas en Égypte pas plus qu'en Afrique orientale. En Afrique subsaharienne enfin, les violences faites aux filles et aux femmes atteignent leur paroxysme sans qu'il soit besoin d'épiloguer.

Le « paradoxe de Tocqueville »

Il est parfaitement méritoire de lutter contre le harcèlement des femmes dans nos sociétés occidentales de tradition chrétienne et démocratique. C'est la poursuite et peut-être la fin d'un processus d'émancipation qui a débuté il y a mille ans et s'est poursuivi jusqu'à nos jours avec des reculs à la Renaissance et au XIXe siècle.

Mais il est excessif et donc ridicule de présenter cette lutte comme l'alpha et l'oméga de la libération des femmes alors que, dans le reste du monde, des femmes en nombre bien plus élevé sont victimes de violences cent ou mille fois plus graves.

Comment expliquer l'abîme qui sépare nos émotions de la réalité ?

L'historien Alexis de Tocqueville écrit dans De la démocratie en Amérique (tome 3, 1840) : « Quand l'inégalité est la loi commune d'une société, les plus fortes inégalités ne frappent point l'œil ; quand tout est à peu près de niveau, les moindres le blessent. C'est pour cela que le désir de l'égalité devient toujours plus insatiable à mesure que l'égalité est plus grande. » Ce singulier paradoxe (note) s'applique aujourd'hui au statut des femmes. Dans la sphère occidentale, ce statut a été déjà à ce point amélioré que toutes les violences résiduelles nous deviennent intolérables (et c'est tant mieux).

Mais le reste de la planète demeure indifférent ou même hostile à ce processus d'émancipation. Le mépris et l'infériorité de la gent féminine y sont inscrits dans l'ordre social et la nature des choses. Avec notre démographie déclinante (l'Occident, c'est aujourd'hui moins de 5% du total des naissances), ne croyons pas que nous convertirons de sitôt ce monde-là à nos « valeurs » si peu universelles. Tenons-nous heureux si nous arrivons à préserver celles-ci envers et contre tout dans notre propre sphère.

André Larané
Publié ou mis à jour le : 2024-04-30 20:00:37

Voir les 5 commentaires sur cet article

Claudine (12-01-2018 15:56:39)

Pour une fois, Monsieur Savès, je suis d'accord avec vous. Le sort des femmes en Afrique et en Asie est infiniment plus difficile que chez nous; arriveront-elles un jour à y faire reculer le machism... Lire la suite

JM Huard (28-12-2017 14:28:08)

L'Europe, cette presqu'île de l'Asie, qui se voit encore comme la référence du monde, à tous égards et pas seulement quant aux égards dus à nos compagnes, nos mères, nos filles et à celles de... Lire la suite

Sonnye (21-12-2017 13:24:16)

Bonjour, je suis déçue de la fin de cet article,le dernier paragraphe. En effet, au début vous avez l'air de rechercher l'objectivité notamment quand vous évoquez le titre du journal Le Monde... Lire la suite

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